En conclusion de nos échanges, et en attendant le propos de Mme David, je voudrais concentrer mon intervention sur une perspective un peu plus large. Il me semble que la gestion des finances publiques, telle qu’elle est conçue aujourd’hui, se caractérise par des signaux contradictoires et révèle une réelle absence de stratégie économique. Ce dernier point est, à mes yeux, le plus grave.
Nous avons certes encore un avantage : le coût du crédit, qui repose sur le bas niveau des taux d’intérêt, dont bénéficient tant nos entreprises que l’État. Nous savons, toutefois, que les marchés sont volatils et que, en dépit de la politique efficace et le sens de l’innovation de la Banque centrale européenne, nous ne sommes à l’abri de rien. Que survienne un retournement de la politique monétaire européenne, ou que se produisent de nouvelles tensions liées à des difficultés aggravées de plusieurs États membres de la zone euro, et des centaines de points de base seront peut-être en jeu.
La France, nous l’espérons, est également susceptible de s’engager dans la voie de réformes structurelles. Elle le fait cependant, pardonnez-moi, monsieur le ministre, timidement et de manière somme toute contradictoire. Et le Gouvernement donne l’impression de subir les réformes.
Certes, nous avons engagé, avec l’accord national interprofessionnel et la loi sur la sécurisation de l’emploi, une action pour flexibiliser un peu le marché du travail. Toutefois, la contrepartie n’a-t-elle pas été, en matière de mutuelles de santé, la création de cotisations supplémentaires constituant autant de handicaps pour notre compétitivité ?
Pour diminuer le coût du travail, nous avons adopté le crédit d’impôt compétitivité emploi, mais, monsieur le ministre, là où il existait des solutions simples, visant à transférer un volume important de cotisations vers l’impôt de consommation, on a eu recours à des mécanismes compliqués, à tel point qu’une proportion importante de petites et moyennes entreprises semble hésiter à entrer dans ce dispositif, notamment lorsque les coûts administratifs viennent contrebalancer les profits attendus.
Le Gouvernement, se rendant compte qu’il a privilégié, par le crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi, des entreprises non délocalisables – sociétés de l’audiovisuel public, groupe La Poste, entre autres -, revient d’ailleurs sur les avantages que ces entreprises seraient susceptibles d’en retirer. Il fait de même pour les cliniques privées, en révisant leurs tarifs. Je ne dis pas qu’il ne fallait pas y revenir. Simplement, ce dispositif, que l’on nous a présenté comme la panacée, peine à se mettre en place. Il est extrêmement compliqué et il n’a très certainement pas les effets d’entraînement qu’on lui a prêtés. Au demeurant, on s’en rendra compte dans quelques mois.
Lorsque la Commission européenne lui demande de s’engager plus franchement sur la voie des réformes structurelles, le Gouvernement, qui, pourtant, monsieur l’ancien ministre chargé des affaires européennes, est favorable à un gouvernement économique européen, proteste. Il conteste l’ingérence de Bruxelles dans nos affaires intérieures. Encore ce jeu de rôles, ces contradictions, ces propos qui diffèrent d’un interlocuteur à l’autre !
Pendant que la France tergiverse et continue de perdre des parts de marché à l’exportation, il est clair que sa situation relative en Europe se dégrade. Les marges des entreprises souffrent et les augmentations de leur fiscalité décidées par la majorité ne sont pas de nature à leur permettre d’investir et d’innover pour redresser leur compétitivité hors coût.
Pendant ce temps, l’Espagne, au prix d’efforts très douloureux, retrouve une part de sa compétitivité. La France, quant à elle, semble parfois, du moins dans le verbe gouvernemental, se raccrocher à des mesures sans impact macroéconomique véritable. On parle désormais de project bonds, après avoir beaucoup parlé l’an dernier du pacte européen pour la croissance et l’emploi, qui n’a pourtant guère de contenu. Sans modèle économique affirmé, la France n’est-elle pas menacée d’être coincée entre l’Allemagne et les pays du Sud ?
Face à de telles contradictions, le Gouvernement se trouve dans une situation qui se révélera de plus en plus difficile.
En matière budgétaire, par exemple, il invoque les effets bénéfiques de la modernisation de l’action publique, que rien de précis ne caractérise à ce jour. Il affirme qu’elle n’a strictement rien à voir avec la RGPP. D’ailleurs, elle ne comporte pas d’objectifs chiffrés. Or, comment pourrait-on, sans cela, exercer un effet significatif sur les budgets à venir ? Surtout, comment éviter de dérouter les agents publics, qui entendent tellement de choses contradictoires qu’ils ne savent sans doute plus très bien à quoi s’en tenir ?
J’achèverai mon propos en évoquant la fiscalité. Comment et combien de temps pourra-t-on assumer autant de contradictions ? Pour ne pas lasser l’attention de nos quelques collègues en cette heure tardive, je ne prendrai que trois exemples.
Tout d’abord, avec l’augmentation des impôts sur le patrimoine, on fait payer les riches. Du moins, c’est ce que l’on prétend. Ce faisant, bien entendu, on alimente les délocalisations de patrimoine, on encourage les comportements de certains contribuables, désireux de s’enrichir ailleurs. Or qu’on le veuille ou non, que le constat soit politiquement correct ou pas, les agents économiques qui peuvent investir dans les entreprises sont, pour une large part, ceux qui sont fiscalisés à des niveaux élevés.
Il y a probablement de nombreux investisseurs dans les entreprises françaises au sein des 8 000 foyers qui, en 2012, ont payé un impôt de solidarité sur la fortune supérieur à leur revenu fiscal de référence de 2011. Un large tronc commun existe sans doute entre la population des investisseurs et celle de ces foyers victimes de mesures fiscales tout à fait hors normes.
J’en viens à la deuxième contradiction. Il a été décidé de renforcer la taxation des actions, par la taxe sur les dividendes ou par la si convenable taxe sur les transactions financières, alors que, dans le même temps, on souhaite inciter à la détention longue d’actions et que l’évolution des règles comptables internationales va inciter les entreprises à se financer davantage par fonds propres que par le crédit bancaire, dont l’expansion ne pourra plus être importante.
Monsieur le ministre, où seront les investisseurs dont on aura besoin ? Pourquoi écarter volontairement les personnes physiques de la capacité d’investir en actions et à long terme ? On peut d’autant plus légitimement se poser la question que nombre de ces investisseurs se retrouvent ou se retrouveront à l’étranger.
Enfin, je voudrais évoquer l’absurdité économique de la mise au barème des revenus du patrimoine, qu’illustre le feuilleton invraisemblable des « pigeons ». Une première annonce sur ce point a été corrigée en loi de finances, avec un rendement attendu divisé par quatre. Une autre annonce a été faite le 29 avril dernier aux Assises de l’entrepreneuriat : la loi de finances pour 2014 prévoirait un régime encore différent, et applicable rétroactivement au 1er janvier 2013 !
Je n’irai pas plus loin ; bien d’autres exemples pourraient être cités pour illustrer l’absence de stratégie, l’illisibilité de la politique conduite, son incohérence et ses contradictions multiples, qui ont pour conséquence l’insécurité fiscale.