Intervention de Anne Lauvergeon

Commission des affaires économiques — Réunion du 10 juillet 2013 : 1ère réunion
Audition de Mme Anne Lauvergeon présidente de la commission « innovation 2030 »

Anne Lauvergeon :

C'est un peu normal dans le cas d'EADS, qui vient de développer trois avions en même temps : l'A380, l'A350 et l'A400M. Le cycle de vie d'un modèle est de trente ans. Ils ne vont pas développer un nouvel avion demain. La bonne nouvelle, c'est qu'aujourd'hui EADS a été capable de verser 3,5 milliards d'euros à ses actionnaires, dans une situation de santé financière qui lui permet d'engager de nouveaux développements. C'est également le cas de Safran. Je ne suis donc pas très inquiète pour la R&D de l'aéronautique civile en France aujourd'hui, ni militaire d'ailleurs.

Sur le sujet des hydroliennes, je prends note de vos remarques.

Conforter les petites PME ? Ce n'est pas avec 150 millions d'euros que l'on va y arriver Michel Teston. Il s'agit d'une politique bien plus vaste.

En ce qui concerne les entreprises freinées par les contraintes administratives, je suis preneuse des problématiques qui remontent du tissu industriel de vos régions respectives.

Sur le nucléaire, je ne suis pas tout-à-fait d'accord avec la vision de Ronan Dantec. Je pense néanmoins qu'il faut que nous fassions des choix. Le non-choix, le saupoudrage, la dispersion, le « zapping » sont préjudiciables. Dans un secteur qui réclame particulièrement une vision de long terme, il ne faut pas accepter que l'on change de stratégie à chaque nouveau ministre. À ce titre, en tant qu'ex-Présidente d'Areva, je ne saurais comment vous remercier pour votre soutien pendant toutes ces années. Je crois que les sénateurs ont un rôle considérable à jouer pour pousser l'État à avoir des boussoles et à tenir ses engagements.

En ce qui concerne la « silver economy », nous auditionnons la ministre Michèle Delaunay cet après-midi. Le Japon est très en avance dans ce domaine et développe toute une industrie de la robotique pour pallier le manque de jeunes générations.

La gouvernance européenne a besoin d'être un peu améliorée dans ces domaines. Les grands groupes européens ne le sont pas en réalité : EADS regroupe seulement quatre pays. Le modèle moderne est peut-être de réaliser des projets à partir d'un nombre limité de pays partageant la même volonté d'aboutir. Il faut sortir de l'isolement et tenir compte des enjeux liés à la taille de l'entreprise. J'appelle par exemple à construire l'Airbus du renouvelable.

Sur les gaz de schiste, je me suis exprimée à plusieurs reprises en tant que membre du comité de pilotage du débat sur la transition énergétique. Dans le pays de Descartes et de Montaigne, il me paraît étonnant, voire incroyable, qu'il y ait un tel conflit sur un sujet qui n'a même pas été mesuré. Il faudrait dresser un inventaire des gaz de schiste que nous avons et de ceux que nous n'avons pas. Si nous voulons développer des technologies propres, et nous avons tout à fait les moyens de le faire, avec l'IFP, le BRGM, Total, GDF-Suez, nous ne pouvons le faire qu'avec des expérimentations, contrôlées, pour que nous puissions avoir un avis. Tout ne peut pas se faire en laboratoire. Il me semble absurde de ne pas se lancer dans cette voie, mais c'est là mon opinion personnelle.

Je ne suis pas très compétente sur Sanofi. L'industrie pharmaceutique a beaucoup changé. Sa recherche interne était devenue insuffisamment productive. Ces industries rachètent désormais des start-up dans le domaine des biologies couplées au traitement des données, aux dépens de leurs grands laboratoires. Je suis incapable de formuler un jugement sur cette stratégie, même si je suis toujours un peu sceptique lorsqu'on réalise des changements de cap brutaux. Ces fermetures de laboratoires de recherche engendrent une perte de compétences. Cependant, il est vrai que les grands industriels ont de nouveau augmenté leur nombre de produits sur le marché.

Je voudrais conclure sur l'acceptation sociétale. Il y a une problématique collective. Nous l'avons vu avec le débat sur les lanceurs d'alerte. Nous sommes dans une espèce de révolution technologique avec un nombre considérable de données disponibles sur des terminaux très simples, qui communiquent entre eux, et en même temps un énorme problème de libertés et de contrôles qui va en grandissant. Le profil du consommateur est identifié et ensuite ciblé. Il doit y avoir une façon différente de gérer toutes ces technologies. Comment le faire en respectant les principes de liberté, égalité, fraternité ? Ce sujet est un gisement à approfondir.

On s'aperçoit que nos concitoyens se méfient des sciences et des technologies, avec des conséquences parfois importantes. En raison de l'opposition aux OGM par exemple, nous avons perdu une partie du leadership que nous avions dans l'agroalimentaire. Comment préparer les esprits à l'innovation, qui est par définition assez brutale ? Les gaz de schiste ont été interdits en quinze jours, sans étude, sans analyse, sans débat contradictoire. J'ai une devise que je pense placer au frontispice du rapport : le principe de précaution doit être rééquilibré par le principe d'innovation.

Pour répondre à Pierre Hérisson, naître sous péridurale et mourir sous palliatifs, c'est dur. Mais je ferais la différence entre l'effort et la douleur. Il n'y a pas besoin de souffrir. Il y a un bonheur dans l'effort. Cela va de pair avec la reconnaissance du savoir et des chercheurs, qui n'existe pas vraiment aujourd'hui.

Sur l'énergie, je voudrais attirer votre attention sur la différence qu'il y a entre décentralisation et mutualisation. Je vois émerger, partout sur les territoires, l'idée que vont naître des systèmes énergétiques décentralisés, intermittents, qui fonctionneront quand les conditions de soleil et de vent seront réunies et, lorsque ce n'est pas le cas, seront remplacés par le système national. La centralisation historique a peut-être été excessive, mais la centralisation est une mutualisation des intérêts. J'ai vu des régions qui annoncent 45 % d'énergie renouvelable. Les 55 % restants proviennent du système national. Mais s'il ne fonctionne pas le reste du temps dans cette région, il n'est plus rentable. Nous allons créer un système, qui est très cher, et qui est collectivement non rentable. En matière énergétique, il faut avoir en permanence le souci de l'intérêt général et ne pas être uniquement centré sur son sujet à soi. Il y a aussi un enjeu de préservation de la compétitivité française Je rappelle que nous avons une des énergies les moins chères d'Europe.

Sur les Français qui s'exportent, je trouve que c'est une expérience positive, mais il faudrait qu'ils se réimportent aussi.

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