Outre la fraude fiscale et les relations entre l'administration fiscale et la justice, nombre de ces articles concernent le code des douanes. Finalement, nous avons affaire à un texte portant « diverses dispositions relatives à la lutte contre les fraudes ». C'est, après tout, un support plus adapté qu'un collectif budgétaire pour traiter de questions assez techniques.
Au total, le champ de notre avis est passé de quatre à vingt-huit articles, de nature très diverse. Ils visent pour l'essentiel : à accroître les moyens d'investigation de l'administration fiscale ; à augmenter les obligations déclaratives et les contrôles pouvant être opérés ; à élargir les preuves pouvant être utilisées à l'appui des procédures de redressement fiscal ; à élargir le champ des infractions ou la prise en compte des circonstances aggravantes ; à renforcer les sanctions applicables aux délits.
Si le calendrier a pu être accéléré par les évènements du printemps - ce que l'on a appelé l'affaire Cahuzac - ce n'est pas pour autant un texte de circonstance. Le collectif budgétaire de fin 2012 comportait déjà un important volet de lutte contre la fraude, devant rapporter un milliard d'euros supplémentaire en 2013. Il faisait suite aux initiatives prises par le gouvernement précédent dans le collectif de fin 2011 et dans la première loi de finances rectificative pour 2012 : preuve que le sujet ne suscite pas de clivage politique, malgré des nuances, par exemple sur le rapatriement des avoirs non déclarés à l'étranger. Plusieurs députés UMP ont ainsi déposé une proposition de loi en faveur de l'amnistie, tandis que le ministre du budget a privilégié l'application du droit commun, avec un traitement moins dur toutefois que celui qui sera appliqué après l'entrée en vigueur de ce projet de loi, afin d'inciter les évadés fiscaux à revenir avant.
Dans une période de crise où l'effort de redressement des comptes publics conduit à augmenter la pression fiscale, aucun revenu ne doit échapper frauduleusement à l'impôt. Cette préoccupation n'est d'ailleurs pas spécifiquement française, nous l'avons constaté lors de l'audition conjointe de Mme l'ambassadeur d'Autriche, de Pascal Saint-Amans et d'Edouard Marcus par notre commission, la semaine dernière. Je ne reviens pas sur les avancées en matière d'échanges d'information et sur les conséquences de la législation américaine.
Nous n'en avons sans doute pas fini avec notre travail législatif. Les progrès considérables de la coopération européenne et internationale auront forcément des conséquences en droit interne, et le Parlement s'est pleinement emparé du sujet - le Sénat en premier lieu, avec la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux, qui a inspiré bon nombre d'amendements adoptés par l'Assemblée nationale. D'autres travaux devraient aboutir prochainement : les missions d'information de la commission des finances de l'Assemblée nationale sur l'optimisation fiscale des entreprises et sur la fraude fiscale des personnes physiques ; la commission d'enquête du Sénat sur le rôle des banques dans l'évasion des capitaux, dont Eric Bocquet est à nouveau le rapporteur. Le prochain projet de loi de finances comprendra des dispositions sur l'encadrement des prix de transfert, faisant suite au récent rapport de l'inspection des finances. Enfin, notre président Philippe Marini a déposé la semaine dernière une proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre l'évasion et la fraude fiscale des entreprises multinationales, qui traite des prix de transfert et de l'abus de droit.
Le débat à l'Assemblée nationale a notamment porté sur le monopole de l'administration fiscale pour les poursuites pénales en matière fiscale. La fraude étant une irrégularité ou une omission intentionnelle au détriment des finances publiques, la lutte contre la fraude vise d'abord à réparer ce préjudice et faire rentrer l'argent dans les caisses de l'Etat. S'il est légitime qu'il y ait des sanctions dissuasives, l'intervention de la justice n'est pas pour autant une panacée : elle maîtrise mal cette matière très technique qui exige d'établir l'assiette de l'impôt ; elle condamne à des amendes faibles et à très peu de peines de prison - une seule peine, d'un mois, ces dernières années - et la sanction définitive n'intervient qu'après plusieurs années. Afin de préserver le rendement et la rapidité des procédures, privilégions le pragmatisme plutôt que le dogmatisme, qui voudrait que seule l'intervention de la justice préserve l'équité de traitement et les libertés publiques.
Si le moment peut favoriser un « concours Lépine » de la lutte contre la fraude, il convient de garder à l'esprit le principe de proportionnalité de la peine et de ne pas imposer aux entreprises des contraintes qui ne seraient pas proportionnées à l'objectif de rendement visé.
Les douze amendements que je défendrai ne modifient pas la philosophie du texte. Ils tiennent compte des angles morts qui sont mis à profit par les fraudeurs, en renforçant l'accès à l'information des administrations fiscale et douanière et en augmentant les sanctions, notamment en cas d'obstruction aux contrôles.
L'amendement concernant la recevabilité des preuves fera sans doute débat. Le texte actuel ne permet pas à l'administration fiscale de fonder des redressements sur la base d'informations qui lui auraient été transmises directement, en dehors de son droit de communication : elle ne tient compte que des informations qui lui sont « régulièrement transmises ». Le Gouvernement craint en effet qu'un élargissement de la recevabilité de la preuve pose problème au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Ces craintes ne me semblent pas fondées. Il est utile, sans aller jusqu'à rémunérer les informateurs comme en Allemagne, ce qui pourrait être perçu comme un encouragement à la délation, de pouvoir exploiter des renseignements transmis par des informateurs ou « lanceurs d'alerte » ; l'histoire récente nous montre que de tels cas ne sont pas hypothétiques.