Intervention de Daniel Raoul

Réunion du 4 juillet 2008 à 22h00
Modernisation de l'économie — Article 20, amendements 827 25 2001

Photo de Daniel RaoulDaniel Raoul :

La réécriture du code du travail par voie d’ordonnance, au printemps dernier, a réservé des surprises à ses auteurs mêmes !

Au cours de l’opération de démontage-remontage, une pièce a été perdue : la définition de l’entreprise solidaire est passée par pertes et profits, tant et si bien que le code fait aujourd’hui référence aux entreprises solidaires sans les définir nulle part.

Le Gouvernement se propose donc de combler cette lacune imprévue à l’occasion de l’examen du présent projet de loi. Toutefois, sous couvert de réparer un simple oubli, il modifie substantiellement la définition des entreprises solidaires.

Ainsi, l’article 19 de la loi de 2001 relative à l’épargne salariale définissait l’entreprise solidaire selon deux critères alternatifs.

Le premier d’entre eux portait sur le nombre de salariés en insertion : au moins un tiers de l’effectif devait avoir été recruté dans le cadre de contrats aidés, se trouver en situation d’insertion professionnelle ou encore souffrir d’un handicap.

Or, la rédaction qui nous est soumise à l’article 20 prévoit de passer d’une proportion de 33 % à une valeur absolue, bien modeste : deux salariés ! N’importe quelle entreprise, quelles que soient sa taille et son activité, qui compterait deux salariés employés sous contrats aidés, ou bien un salarié en insertion et un autre sous contrat aidé, pourrait prétendre à l’appellation « entreprise solidaire ». Ce n’est pas très sérieux !

Une entreprise solidaire est un acteur économique qui défend un entrepreneuriat différent, promouvant des valeurs de solidarité et d’efficacité collective, atteignant elle aussi l’efficacité économique, mais en ayant recours aux compétences d’hommes et de femmes exclus des autres entreprises.

C’est la raison pour laquelle le seuil de 33 % avait été retenu en 2001 : il témoigne d’un engagement fort de l’entreprise dans ce modèle économique d’un type particulier. On ne pourrait évidemment pas en dire autant d’une entreprise qui emploierait seulement deux personnes sous contrats aidés, ou même dont seul un faible pourcentage de l’effectif appartiendrait aux catégories visées. Pour une telle entreprise, la solidarité ne serait qu’anecdotique.

Que l’on ne se méprenne pas sur mon propos : je n’entends pas mettre en concurrence le modèle économique de l’entreprise solidaire et celui de l’entreprise traditionnelle ; il s’agit de reconnaître la spécificité de chacun de ces types d’entreprises et de veiller à ne pas assimiler la seconde à la première.

Je ne suis pourtant pas dupe de la radicalité du changement d’approche qui nous est proposé au travers de l’article 20. Ce que prépare cette nouvelle définition, pour le moins extensive – encore est-ce un euphémisme ! –, de l’entreprise solidaire, c’est bien l’ouverture des fonds solidaires à la quasi-totalité des entreprises. Vous croyez ainsi faire main basse sur une manne qui serait injustement réservée à un secteur particulier.

De quoi parle-t-on en fait ? Les fonds solidaires ont été créés par la loi de 2001 relative à l’épargne salariale, que j’évoquais à l’instant, afin de contribuer au financement des acteurs de l’économie solidaire à des conditions favorables.

L’objectif visé au travers de cette disposition était de faciliter l’accès au financement d’organismes à forte utilité sociale ou dont le fonctionnement privilégie l’intérêt général par rapport à la recherche du profit et à la rémunération des fonds propres.

Au 31 décembre 2007, le montant total de la collecte des fonds solidaires s’élevait à 1, 28 milliard d’euros. Selon l’association Finansol, au cours des cinq dernières années, grâce à ces fonds, 155 000 emplois ont pu être créés ou consolidés, et 9 000 familles traversant une période de précarité ont pu être logées et accompagnées.

Avec la définition en vigueur jusqu’à présent, les entreprises solidaires pouvant bénéficier de ces financements sont déjà nombreuses. On compte en effet 62 500 associations employant chacune moins de cent salariés et ayant une action dans les secteurs de l’action humanitaire, de l’action sociale, de la santé, de la défense des droits, de l’éducation, de la formation et de l’insertion, qui représentent un total de 537 000 salariés. Il faut leur ajouter 546 entreprises d’insertion qui emploient 31 700 salariés et 200 structures d’économie sociale qui gèrent 20 000 logements très sociaux et accompagnent socialement les familles logées.

Les entreprises éligibles à l’agrément d’entreprise solidaire sont donc aujourd’hui capables d’absorber une croissance rapide de la collecte des fonds.

Outre le dévoiement du terme « solidaire », l’évolution proposée à l’article 20 produirait un effet d’éviction dans l’accès au financement au détriment des entreprises à réelle valeur ajoutée collective.

L’objet de l’amendement n° 827 rectifié est donc de rétablir un seuil discriminant pour la définition des entreprises solidaires, établi à 25 % de salariés en contrats aidés ou en insertion professionnelle. Comme vous pouvez le constater, ce pourcentage est déjà en recul par rapport aux dispositions de la loi de 2001, mais nous essayons de faire la part du feu !

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