Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, un constat s’impose : les Français expriment une profonde défiance à l’égard de leur administration, comme le révèle le dernier rapport du Défenseur des droits.
Celui-ci met en lumière un paradoxe qu’il est de notre devoir de corriger : des droits sont proclamés par le législateur, qui, dans le même temps, construit des labyrinthes pour permettre à chacun d’y accéder. Tels sont les termes employés par nos concitoyens pour décrire le paysage administratif français. D’après le rapport du Défenseur des droits, cette situation est d’autant plus préoccupante que « plus l’individu est précaire, plus les droits ne lui sont accessibles qu’au terme d’un dédale ».
La simplification des procédures administratives est indispensable si l’on veut renforcer l’efficacité de l’action de l’administration, et dans le même temps la confiance des citoyens envers leurs fonctionnaires.
L’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne prévoit-il pas que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » ? C’est une évidence, mais l’État doit être exemplaire, et donc ses agents administratifs doivent l’être également.
Tous les organismes chargés d’une mission de service public doivent être impliqués dans la recherche d’une modernisation de leur action, car elle constitue un levier puissant de réduction structurelle des dépenses publiques. Elle doit viser à rationaliser les dépenses de fonctionnement pouvant être réduites, afin de consacrer ces dépenses à l’investissement et à l’intervention publique. À la différence de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, les agents doivent être associés à ce changement profond de culture.
Cependant, cet idéal ne peut être atteint dans un environnement qui ne cesse de contribuer à la prolifération et à la complexification des normes. Un tel objectif suppose au contraire de revisiter l’organisation territoriale de l’État grâce à une meilleure répartition des rôles, ainsi que le préconise la Cour des comptes dans un rapport récemment publié.
Dans le même temps, l’excès de normes pèse sur les citoyens, sur les entreprises et sur les agents eux-mêmes. Pour ces derniers, l’accueil devient particulièrement difficile et peut être source de tensions.
Le temps des procédures correspond à des jours de congés pris par les salariés pour accomplir leurs démarches – parfois sans succès. Il s’impute sur le temps que les entreprises peuvent consacrer à leur activité pour la consolider et la faire grandir.
Dans son rapport, le député Thierry Mandon estime qu’il est possible de réduire de 80 % pour les entreprises les coûts liés à la complexité et à la lenteur des procédures. Il y a donc là un gisement substantiel d’économies, profitables à l’investissement et à l’emploi et permettant de relancer la compétitivité de notre pays.
En outre, la norme doit être stable et lisible afin de garantir une véritable sécurité juridique et limiter les recours devant des tribunaux que l’on peine à désengorger.
Enfin, pour être respectée, la norme doit être comprise par tous – « faire simple » en quelque sorte – et, en la matière, des progrès restent à faire. Aux multiples tentatives destinées à répondre à toutes les situations particulières, la raison d’être de la norme est souvent oubliée. Aux multiples tentatives de simplification, l’administration ne fait souvent que prouver son inertie. Je dirai, en citant Jean de la Fontaine, que « le trop d’attention qu’on a pour le danger fait le plus souvent qu’on y tombe ».
Alors, le présent projet de loi évitera-t-il cet écueil ? Le droit est-il simplifiable ? Cette question est récurrente et le « choc de compétitivité juridique » prôné dans le rapport Lambert-Boulard contre l’inflation normative ne saurait encore attendre. La volonté du Gouvernement semble bien réelle puisqu’il a procédé à la suppression récente d’une centaine de commissions consultatives dont le rôle était limité.
Nous le savons : il est nécessaire de partir de l’usager pour revisiter les procédures administratives. C’est l’approche retenue par la direction générale de la modernisation de l’État, la DGME. C’est la logique qui doit inspirer la rédaction du nouveau code de l’administration, tant attendu.
En effet, s’il voit le jour grâce à cette nouvelle habilitation, il permettra de rassembler et de mettre à disposition de manière claire les règles procédurales non contentieuses auprès des usagers et des entreprises.
La possibilité de régulariser une demande en cours d’instruction grâce à la communicabilité des avis préalables à la décision définitive constitue également une avancée.
Cette réforme doit être l’occasion d’étendre cette possibilité à l’ensemble des démarches administratives avec la consécration du droit de saisir l’administration par voie électronique.
Si la présence de l’usager peut se justifier, une fois son identité vérifiée, le reste des pièces justificatives à fournir doit pouvoir être communiqué par voie électronique, ou encore par correspondance.
À cet égard, l’utilisation accrue du numérique est un outil indispensable de la modernisation de l’action publique, ce qui requiert un investissement en logiciels et en formations ainsi que de nouvelles règles procédurales.
Toutefois, il faudra veiller à réduire la fracture numérique pour que l’ensemble de la population puisse accéder à ces services sur tout le territoire de la République.
Le silence de l’administration vaudra acceptation et non plus rejet, affirmait le Président de la République lors de sa conférence de presse du 16 mai dernier. Une telle perspective, aussi séduisante soit-elle, n’est pas sans soulever quelques questions.
Ainsi, le Gouvernement nous propose par la voie d’un amendement, et donc sans étude d’impact, d’adopter une telle logique. Cela induirait un changement radical, pour ne pas dire davantage, dans notre manière de concevoir le droit et implique une étude approfondie de l’ensemble des procédures qui pourraient être concernées. Il faut bien reconnaître que le moyen utilisé est d’autant plus contestable que le Gouvernement a déposé le présent projet de loi il y a tout juste un mois au Sénat et que cette « petite révolution », selon les termes employés par Mme le ministre Vallaud-Belkacem, avait été annoncée en mai.
Le motif d’une telle disposition est légitime : l’accélération des procédures. Bien sûr, nous y sommes favorables sur le fond.
Toutefois, dispose-t-on des moyens humains et organisationnels permettant aux services d’étudier les demandes dans un délai raisonnable ? Nous pensons en particulier dans les mairies aux certificats d’urbanisme et aux documents relatifs au droit du sol. Une fois ces moyens mis en place, les services doivent être responsabilisés car leur inaction produira des effets en droit. La réponse doit être claire pour le demandeur et ne doit pas dépendre de l’inertie ou de la rapidité d’un service administratif particulier. La cohérence des décisions doit être assurée sur l’ensemble du territoire de la République pour tous les citoyens français.
Il convient de s’interroger avant tout sur les raisons qui entraînent aujourd’hui de tels délais d’instruction : les délais prévus sont-ils raisonnables ? Toutes les étapes de la procédure sont-elles indispensables ? Les agents traitant certaines demandes sont-ils assez nombreux et suffisamment motivés ?
Il ne faudrait pas, mes chers collègues, que la précipitation aboutisse à un résultat contraire au but visé, qui est simplement d’assurer à nos concitoyens une bonne et juste administration. Elle ne doit pas aboutir à l’adoption ultérieure des mesures législatives destinées à apporter des exceptions à ce nouveau principe.
Par ailleurs, le Gouvernement avait également annoncé, à la suite du comité interministériel pour la modernisation de l’action publique, le CIMAP, du 2 avril dernier, qu’il allait favoriser une interprétation facilitatrice du droit existant. Une attention particulière doit être accordée si l’on souhaite que le principe d’égalité devant la loi s’applique à tous les citoyens : les sénateurs du RDSE y sont très attachés.
En dépit de ces remarques, madame la ministre, nous approuverons ce projet de loi dont nous partageons la finalité : améliorer la qualité du service public, renforcer la qualité du dialogue entre les fonctionnaires et les citoyens, et permettre ainsi que soit restaurée la nécessaire confiance qui doit exister entre les premiers et les seconds. Il n’y a pas de démocratie véritable sans une administration compétente au service de l’État républicain et des citoyens.