Intervention de Antoine Durrleman

Commission des affaires sociales — Réunion du 18 juillet 2013 : 1ère réunion
Biologie médicale — Présentation par m. antoine durrleman président de la sixième chambre de la cour des comptes de l'enquête de la cour des comptes

Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes :

Merci pour votre accueil. Vous nous avez proposé un sujet qui nous a beaucoup intéressés.

Nous avons dû reconstituer nombre de données chiffrées qui n'étaient pas disponibles. Les honoraires des laboratoires de biologie médicale se sont élevés à 4,7 milliards d'euros en 2012 au terme d'une décennie de vive croissance, jusqu'à 9 % par an les premières années. L'agence technique de l'information sur l'hospitalisation (Atih) a dû procéder à des retraitements comptables pour nous renseigner sur les dépenses de biologie hospitalière, qui ne sont pas identifiées en tant que telles dans les remboursements de l'assurance maladie ; elles se sont élevées à 2,4 milliards d'euros. La charge totale au titre de la biologie médicale avoisine donc les sept milliards d'euros, une somme considérable. Pourtant, les administrations en charge de ce secteur - direction de la sécurité sociale (DSS), direction générale de la santé (DGS), direction générale de l'offre de soins (DGOS) - ne procèdent à aucun suivi de routine de son évolution.

Le nombre d'actes a explosé au cours des dernières années, y compris en 2012. Il a crû de 63 % entre 2000 et 2011, deux fois plus vite que celui des autres soins de ville, qui ont progressé de 35 % sur la même période. Les déterminants de cette dépense sont assez mal connus. Les cinq examens les plus fréquents concentrent un quart des actes ; les vingt plus fréquents, la moitié. Les médecins généralistes sont à l'origine de 68 % des actes de biologie médicale de ville. Parmi les spécialistes, les gynécologues, les anesthésistes et les cardiologues sont les principaux prescripteurs. On observe une très grande disparité régionale, qui révèle un fort lien entre densité en prescripteurs, nombre de laboratoires, volume d'actes et évolution de la dépense. La caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) et les administrations de tutelle ont très insuffisamment analysé les déterminants de cette dépense, à l'évolution pourtant dynamique.

Comme l'imagerie médicale, la biologie médicale joue un grand rôle dans le progrès médical : l'une et l'autre tendent à rendre le corps du patient transparent, ce qui permet d'affiner le diagnostic et de personnaliser le traitement. Elles sont elles-mêmes en évolution constante, l'automatisation croissante engendrant des gains de productivité considérables.

L'accréditation obligatoire, prévue par l'ordonnance de janvier 2010 ratifiée par la loi du 30 mai dernier, réforme profondément l'organisation de la biologie médicale. Dans la logique du principe de médicalisation, le biologiste - pharmacien, dans 70 % des cas, ou médecin - devra désormais être présent à toutes les étapes du processus d'analyse. La réalisation des examens nécessitera l'attestation d'une compétence de haut niveau délivrée au terme d'une revue par les pairs. Cette accréditation sera obligatoire et portera sur la totalité des examens - dans certains pays européens elle est fondée sur le volontariat et ne porte que sur certains types d'analyses. Elle combinera le respect de la norme internationale EN ISO 15189 et des exigences spécifiquement françaises.

Elle sera mise en place par paliers. Au 31 mai 2013, les laboratoires devaient remettre au Comité français d'accréditation (Cofrac) un dossier d'entrée dans l'accréditation. Ceux qui ne l'auront pas fait avant le 31 octobre 2013 ne pourront plus exercer leur activité. Le 1er janvier 2016, les laboratoires entrés dans le processus d'accréditation devront avoir fait accréditer au moins 50 % des actes dans huit familles d'examens ; ce sera le cas pour la totalité des actes en 2020. Le dispositif se renouvellera ensuite par période de cinq ans. Il est particulièrement exigeant pour les laboratoires mais aussi pour le Cofrac. La règlementation européenne exigeant qu'un seul organisme par pays soit chargé de l'accréditation, c'est cette structure, jusqu'ici spécialisée dans la qualité industrielle, qui a dû se réorganiser et créer une section spéciale. L'accréditation concerne aussi les laboratoires hospitaliers : l'approche est unifiée, le niveau d'exigence identique.

Cette réforme s'installe avec une certaine difficulté. Au 31 mai 2013, un nombre significatif de laboratoires, hospitaliers comme libéraux, n'avaient pas déposé de dossier. Pourtant, les formalités ont été aménagées afin qu'ils puissent tous respecter ce délai. Dès lors, certains seront-ils contraints à cesser leur activité au 31 octobre 2013 ? La DGS s'appuie sur les agences régionales de santé (ARS) pour relancer, un par un, les retardataires. Le syndicat des biologistes libéraux estime qu'environ 250 petits laboratoires de ville ne seront pas au rendez-vous. Le Cofrac, quant à lui, a recruté des biologistes mais il devra, pour tenir l'échéance, tripler rapidement leur nombre. De nombreux laboratoires attendront le dernier moment pour déposer leur dossier, ce qui risque de produire un engorgement. Les autorités de tutelle doivent donc être vigilantes et mettre en place un dispositif de pilotage fin et rigoureux impliquant l'ensemble des administrations concernées - DGS, DGOS, DSS - le Cofrac et, j'y insiste, les ARS, qui devraient selon nous participer au dispositif de pilotage qui reste à construire.

L'annonce de la réforme a déjà provoqué une réorganisation du secteur. Le nombre de laboratoires est passé de 3 800 à 1 500, peut-être moins : nous manquons de données, à un point étonnant... Ni la Cnam ni l'État ne semblent en mesure de suivre l'évolution de ce secteur pourtant sensible ni, donc, de le piloter fermement. L'organisation des sites de prélèvement n'a pas changé. Leur nombre, qui a atteint un point bas il y a deux ans, augmente depuis, et s'établit à 3 625. Chacun emploie en moyenne dix salariés. Certains laboratoires ont jusqu'à soixante sites. La réorganisation du réseau est encore inaboutie. Ce ne sont pas les volets « biologie » des schémas régionaux d'organisation des soins (Sros) construits par les ARS qui la commanderont, car ils ont le plus souvent été établis sur la base d'informations lacunaires et imprécises.

Nous avons interrogé les administrations de tutelle sur leur vision à dix ans de l'organisation de la biologie, en particulier libérale, dans notre pays : nous n'avons eu aucune réponse, ni de la DGS, ni de la DGOS, ni de la DSS ! Pas de suivi du dispositif d'accréditation, pas de vision de moyen terme dans les administrations de tutelle. Le risque est celui d'une réorganisation sauvage. La loi du 30 mai 2013 confère bien aux ARS la régulation du secteur, en particulier pour éviter une concentration excessive. Cependant les agences régionales sont pour la plupart dans l'incapacité d'exercer cette mission, faute de disposer de l'information et des compétences nécessaires : il leur faudrait avoir accès aux chiffres, et être en mesure de disséquer des montages financiers complexes.

Les laboratoires hospitaliers connaissent un retard d'organisation encore plus préoccupant. Nombre d'établissements ne sont pas entrés dans une logique de réorganisation en profondeur, ils n'anticipent pas l'entrée en vigueur des contraintes nouvelles.

Les efforts d'efficience du secteur, de régulation de la dépense, sont insuffisants. Depuis 2006, la Cnam organise chaque année un train d'économies sans concertation avec les biologistes. Elle déclare avoir ainsi réalisé 700 millions d'euros d'économies entre 2006 et 2012 : nous en prenons acte, mais ne sommes pas en mesure de certifier ces chiffres.

Il s'agit de mesures d'ajustement conjoncturel, non de réformes structurelles. La maîtrise structurelle des dépenses supposerait une actualisation régulière de la nomenclature des actes de biologie, dont l'archaïsme contraste avec le dynamisme de la discipline : il y a 1 600 actes hors nomenclature pour 1 000 actes dans la nomenclature ! La commission de hiérarchisation des actes de biologie est bloquée car les syndicats des biologistes libéraux refusent d'y siéger. La Cnam en a pris son parti, au bénéfice d'une interprétation laxiste de la règle du quorum, et décide seule. L'actualisation de la nomenclature est pourtant un outil essentiel d'efficience, de maîtrise de la dépense et de qualité.

Il faudrait aussi développer la maîtrise médicalisée de la dépense de biologie chez les biologistes comme chez les médecins prescripteurs. Aujourd'hui elle n'existe ni d'un côté, ni de l'autre. La convention de 1994 entre les laboratoires et la Cnam ne prévoyait pas grand-chose à cet égard, et le peu qu'elle prévoyait n'a guère été mis en oeuvre.

Depuis la fin 2012, la Cnam n'a plus aucune base juridique pour travailler avec les biologistes sur une maîtrise médicalisée de la dépense. Pis : aucune action de réduction de la dépense n'a été conduite en direction des médecins libéraux ou hospitaliers. Nous faisons donc un constat de carence et de blocage du dispositif conventionnel. Ce blocage arrange tout le monde. La Cnam n'a pas à s'embarrasser de négociations avec les professionnels. Ceux-ci acceptent des ajustements tarifaires parce que le dynamisme du volume des actes les compense largement, tandis que l'automatisation dégage des gains de productivité considérables.

L'ensemble du dispositif de régulation du secteur doit être repensé. L'actuelle convention de biologie médicale arrive à expiration en juillet 2014. Il conviendrait de ne pas laisser passer cette opportunité, et de la dénoncer avant le 26 janvier 2014. Cela n'aurait pas d'effet sur les assurés, le règlement arbitral se substituerait à la convention. En revanche, l'ensemble de la profession serait incitée à se pencher sur les questions de modernisation et d'accréditation. L'assurance maladie doit recevoir sa juste part des progrès de productivité. Il est temps de refonder les relations entre celle-ci, les pouvoirs publics, la Cnam.

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