Intervention de Victorin Lurel

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 16 juillet 2013 : 3ème réunion
Actualisation de la loi n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la nouvelle-calédonie et diverses dispositions relatives aux outre-mer — Audition de M. Victorin Lurel ministre des outre-mer

Victorin Lurel, ministre des outre-mer :

A titre liminaire, je tiens à remercier la commission des lois d'avoir accepté d'examiner les deux projets de loi que le Gouvernement a transmis au Sénat après leur adoption en Conseil des ministres le 3 juillet dernier.

Je connais les conditions difficiles dans lesquelles votre commission travaille en cette fin de session parlementaire et je n'en apprécie que mieux l'honneur qui m'est fait d'être devant vous aujourd'hui.

Le projet de loi organique relatif à la Nouvelle-Calédonie est le fruit d'un travail qui a débuté le 6 décembre 2012, lors du dixième comité des signataires de l'Accord de Nouméa. À cette occasion, les partenaires calédoniens de l'État ont émis le souhait d'un toilettage de la loi organique statutaire pour prendre notamment en compte les conséquences pratiques des derniers transferts de compétences effectués en faveur de la Nouvelle-Calédonie.

Ce projet peut apparaître technique, mais il doit être inscrit dans une période plus large, qui a commencé il y a 25 ans et qui se poursuivra après 2014. Certaines dispositions du projet sont particulièrement emblématiques des défis cruciaux auxquels la Nouvelle-Calédonie est confrontée. Ainsi, l'article 1er, qui permet à la collectivité de créer, dans les domaines qui relèvent de sa compétence, des autorités administratives indépendantes dotées de pouvoirs allant au-delà des fonctions de médiation, de recommandation et d'évaluation.

Les autorités administratives indépendantes que la Nouvelle-Calédonie décidera de créer dans ce nouveau cadre auront la capacité d'assumer des missions de régulation et disposeront d'un pouvoir décisionnaire voire réglementaire. Elles pourront prononcer des sanctions administratives et se voir dotées de pouvoirs d'investigation et de règlement des différends.

La genèse de cet article résulte de la définition des causes d'un problème commun à l'ensemble des outre-mer que nous avions évoqué l'an passé à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer : la lutte contre la « vie chère » et contre les défaillances structurelles des marchés ultramarins qui empêchent l'émergence d'une concurrence effective. Nos partenaires calédoniens ont souhaité que soit créée, dans la loi organique statutaire, une autorité de la concurrence locale de plein exercice ou que cette faculté soit désormais reconnue à la collectivité.

C'est fort de cette préoccupation que nous avons travaillé depuis six mois. Les dispositions de l'article 1er du projet fournissent désormais à la Nouvelle-Calédonie tous les moyens nécessaires à une régulation des marchés dans la législation locale. D'ailleurs, sur cette question de la concurrence, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a adopté une loi du pays relative à la concurrence qui fixe le droit que devra appliquer cette nouvelle autorité calédonienne de la concurrence, en matière de pratiques anticoncurrentielles, d'équipement commercial ou de régulation des marchés de gros.

Il conviendra toutefois de veiller à ce que ces nouvelles autorités administratives indépendantes présentent toutes les garanties d'impartialité et d'indépendance nécessaires à leur mission. Je ne doute pas que le projet de loi pourra être utilement enrichi sur ce point par le Sénat. Ces autorités administratives indépendantes auront à exercer leur mission dans le respect des compétences de l'État, s'agissant notamment de la protection des libertés fondamentales et du respect des procédures administratives et contentieuses.

L'article 2 vise à doter le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie de pouvoirs spécifiques de police administrative nécessaires à l'exercice des compétences qui lui ont été récemment transférées ou qui sont en voie de l'être, comme en matière de sécurité maritime et de circulation aérienne, déjà transférées au 1er janvier 2013, ou encore en matière de sécurité civile, transférables au 1er janvier 2014.

Dans ces trois domaines emblématiques, il importe que le président du gouvernement dispose du pouvoir de police, faute duquel la Nouvelle-Calédonie n'aurait à exercer, en définitive, qu'une compétence virtuelle dans des domaines où sa responsabilité est susceptible d'être engagée.

Plutôt que de poursuivre cette énumération des articles du projet de loi et d'anticiper sur son examen en commission, puis en séance publique, il me semble, à ce stade, opportun de replacer ce dispositif dans son contexte. 2013 est en effet marqué par deux dates anniversaires : les 25 ans des accords de Matignon-Oudinot et les 15 ans de l'Accord de Nouméa.

Nous devons ainsi à nos précurseurs, qui ont posé les jalons humains et juridiques de la Nouvelle-Calédonie d'aujourd'hui, la sérénité qui préside à l'examen à de texte. En effet, nous avons tous ici en mémoire les événements passés, nous avons tous vu ce que la division avait de fatal pour nos sociétés, mais aussi ce qu'il fallait de courage et d'abnégation, de part et d'autre, pour s'engager ensemble sur le long chemin, parfois parsemé d'obstacles et d'embûches, de la réconciliation, de l'espoir et pour bâtir un destin commun.

Nous sommes tous ici, Gouvernement et Parlement national, héritiers et redevables de la poignée de mains de MM. Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou et, à ce titre, responsables de l'édification d'un avenir commun entre les deux grandes communautés. Nous sommes ainsi les continuateurs de cette idée, qui n'allait au départ pas de soi et selon laquelle la force et la ténacité de tous peuvent être mobilisées pour le meilleur de la Nouvelle-Calédonie.

J'accompagnerai le Premier ministre en Nouvelle-Calédonie dans les prochains jours ; celui-ci doit y rendre hommage à ceux qui, brisant les chaînes de la fatalité, ont décidé qu'un avenir partagé était bel et bien possible entre communautés. Il y verra aussi le fruit du travail de rééquilibrage économique en faveur des Kanak qui a été conduit depuis 25 ans et il inaugurera la première coulée de nickel de l'usine de Koniambo laquelle, avec près de quatre milliards d'euros investis, représente le projet industriel le plus important mené en France de ces quinze dernières années !

Le comité des signataires de l'Accord de Nouméa veille scrupuleusement à la mise en oeuvre des engagements souscrits par ses trois parties : les non-indépendantistes, les indépendantistes et l'État. En cela, il convient de saluer l'action de Pierre Frogier qui s'est souvent inscrite dans la continuité de ce qui s'était fait avant elle.

L'État s'est d'ailleurs toujours tenu aux côtés de ses partenaires calédoniens, et le Gouvernement auquel j'appartiens entend aujourd'hui respecter la lettre et l'esprit de l'Accord de Nouméa à trois égards : d'une part, réaffirmer les liens avec, et entre, ses partenaires calédoniens ; d'autre part, soutenir la Nouvelle-Calédonie en lui apportant, en tant que de besoin, l'expertise de l'État en matière notamment de transfert de compétences ; enfin, aider à restaurer la confiance, qui demeure fragile et que l'approche des échéances électorales de 2014 pourrait ébranler.

En effet, le congrès qui sera élu en mai 2014 disposera, à la majorité des trois-cinquièmes de ses membres, de la faculté de demander à l'État d'organiser la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté prévue par l'article 77 de la Constitution. Faute d'une majorité suffisante pour ce faire, il incombera à l'État, lequel aura compétence liée à partir de mai 2018, d'organiser cette consultation. En cas de réponse défavorable, une seconde, puis une troisième consultation devraient être organisées en 2020 et 2022.

Ainsi, 2014 ne marque nullement la fin d'un processus, mais représente plutôt le début d'une période sensible où il faudra faire preuve de modération, d'inventivité et de courage.

C'est avec la conscience de l'ensemble de ces aspects que je vous présente ce projet de loi organique dont le caractère technique ne saurait occulter la finalité : contribuer au meilleur fonctionnement des institutions locales et à une meilleure prise en main de son destin par la Nouvelle-Calédonie.

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