On aurait tort de ne voir dans ces deux textes qu'une série de dispositions techniques visant à améliorer le fonctionnement des institutions calédoniennes et à mettre en oeuvre les transferts de compétences à venir. Cette dixième modification de la loi organique de 1999 est une étape importante dans le processus - engagé en 1988 sous Michel Rocard et scellé en 1998, sous Lionel Jospin, avec l'Accord de Nouméa - conduisant la Nouvelle-Calédonie vers une plus large autonomie. Le choix du dialogue et de la concorde a été privilégié, d'où le rôle accordé au comité des signataires de l'Accord de Nouméa. Il fallait prendre le temps nécessaire pour aboutir à une solution pacifiée.
« Depuis vingt-trois ans, la Nouvelle-Calédonie connaît la paix et la stabilité. Elle a ouvert une nouvelle étape de son histoire lorsque, pour mettre un terme aux affrontements et aux violences, à la fin des années 1980, des hommes ont choisi le dialogue. Ils ont eu la force et le courage de dépasser les antagonismes pour inventer autre chose qu'un simple « statut répartissant les compétences et définissant les rapports entre pouvoirs publics, et pour « trouver le consensus et l'apaisement », écrivaient notre collègue Christian Cointat et notre ancien collègue Bernard Frimat dans leur rapport d'information de juin 2011 sur la situation en Nouvelle-Calédonie.
En vertu de l'article 39 de la Constitution, le Sénat est saisi en premier du projet de loi organique, dixième réforme du statut de la Nouvelle-Calédonie fixé par la loi du 19 mars 1999, dont Jean-Jacques Hyest était rapporteur. Ce statut est la traduction de l'Accord de Nouméa, « feuille de route » des institutions calédoniennes et socle du consensus local sur la question institutionnelle. Faisant suite à la demande du Xème comité des signataires de l'Accord de Nouméa de décembre 2012, le projet de loi organique montre que l'État, fidèle à sa parole, accompagne la Nouvelle-Calédonie en recherchant la meilleure adéquation entre son statut et les aspirations locales.
Le projet de loi organique « toilette » le statut et le modifie à la marge pour améliorer le fonctionnement des institutions, clarifier les compétences et moderniser les dispositions budgétaires et comptables. Sur le fond, ces mesures n'appellent que quelques amendements de précision et de correction. Restent quelques questions sur lesquelles je solliciterai les éclaircissements du Gouvernement en séance publique, comme l'articulation entre le comité consultatif de l'environnement actuel et la nouvelle compétence environnementale du conseil économique et social de la Nouvelle-Calédonie.
Ces modifications statutaires interviennent alors que le transfert des compétences non régaliennes se poursuit ; il devra être achevé avant le référendum d'auto-détermination prévu, en application de l'article 217 de la loi organique, « au cours du mandat du congrès qui commencera en 2014 ». L'État n'en demeure pas moins, aux yeux des acteurs locaux, un médiateur dont l'autorité morale s'est encore manifestée lors des récents mouvements sociaux et des négociations qui s'en sont suivies : il est le « gardien des grands équilibres ». Les auditions ont confirmé cette demande convergente des acteurs locaux.
L'enseignement primaire privé et secondaire a été transféré au 1er janvier 2012, les compétences de police et de sécurité de la circulation aérienne intérieure au 1er janvier 2013. Les compétences en matière de droit civil, d'état civil et de droit commercial l'ont été au 1er juillet 2013, ce qui n'est pas sans incidence sur la ratification des ordonnances sollicitée par le Gouvernement dans le projet de loi qui accompagne le projet de loi organique.
Un transfert de compétences aussi massif est-il soutenable pour la Nouvelle-Calédonie ? La nouvelle compétence en matière de droit civil et de droit commercial pose la question de l'actualisation et de la mise à niveau du droit, gage de sécurité juridique et d'attractivité économique. L'exemple du droit des assurances, « fossilisé » depuis son transfert, doit inciter l'État à mettre à la disposition de la Nouvelle-Calédonie les moyens humains pour exercer ses nouvelles compétences, en renouvelant notamment la mise à disposition de magistrats auprès du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
Outre des souplesses de gestion - pouvoir de réquisition et de police administrative du président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, possibilité de subdélégation, précision et dérogation aux règles budgétaires et comptables -, le texte contient une mesure emblématique : l'autorisation générale pour la Nouvelle-Calédonie de créer des autorités administratives indépendantes, accordée en 2011 à la Polynésie française. Dans un contexte de « vie chère », il s'agit de permettre à la Nouvelle-Calédonie de créer une autorité locale de la concurrence.
Si l'économie calédonienne est en plein essor grâce à ses ressources minières, des difficultés sociales se sont fait jour ces dernières années en raison des particularités économiques dues à l'insularité et de fortes disparités sociales. À la suite des mouvements sociaux de 2011, un groupe de travail a réuni l'intersyndicale et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie sous l'égide de l'État. La mise en oeuvre de ses préconisations, jugée peu satisfaisante par la population, a entraîné de nouveaux mouvements sociaux qui ont bloqué l'aéroport et le port de Nouméa. Un protocole a été signé le 27 mai dernier, à l'initiative du représentant de l'État, entre les syndicats, le patronat et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, qui prévoit notamment une baisse du coût des produits de première nécessité et une prise en charge du fret par les provinces. Toutefois, ces correctifs transitoires ne dispenseront pas des nécessaires réformes structurelles.
Malgré sa proximité avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande, la Nouvelle-Calédonie reste à l'écart des circuits de distribution. Les habitudes de consommation tournées vers les produits métropolitains, les frais de transport maritime ou aérien sont autant de facteurs expliquant un niveau moyen des prix particulièrement élevé, certains observateurs évoquant une « économie de comptoir ». D'autres mettent en cause une fiscalité grevant les importations. Aux handicaps structurels s'ajoute ce que le président de l'Autorité nationale de la concurrence appelle la « tentation de l'entente ».
Dans la lignée de la loi relative à la régulation économique outre-mer, adoptée par le Sénat à l'automne 2012, ce texte lutte également contre la « vie chère ». L'État autorise ainsi la Nouvelle-Calédonie à créer une autorité de la concurrence locale pour lutter contre les comportements anticoncurrentiels en devenant le « bras armé » de la législation locale. La loi du pays du 23 mai 2013, qui institue des règles anti-trust, pourrait être renforcée, par exemple avec l'injonction structurelle qui existe dans les départements et collectivités d'outre-mer de l'Atlantique.
La création d'une autorité administrative indépendante répond à une attente locale très forte, exprimée lors du dernier comité des signataires et que mes auditions ont confirmée. Ces autorités seraient créées pour les seules compétences de la Nouvelle-Calédonie et instaurées par une loi du pays. Un large consensus se dégage localement pour que l'État soit garant de cette indépendance car, bien que non compétent dans ce domaine, il lui revient d'encadrer les pouvoirs de l'autorité qui mettraient en cause les libertés publiques ou heurteraient la liberté individuelle ou le droit de propriété, et de déterminer les voies de recours contre les décisions de l'autorité. La mise en place de telles autorités suppose donc une collaboration entre l'État et la Nouvelle-Calédonie. Je vous proposerai des amendements visant à renforcer les garanties d'indépendance des membres des autorités administratives indépendantes et à rappeler les compétences de l'État.
Autre motif de satisfaction : le texte autorise la constitution en Nouvelle-Calédonie de sociétés publiques locales (SPL), qui sont une initiative sénatoriale. Un amendement de M. Daniel Raoul propose de parachever le dispositif prévu en ouvrant cette faculté non seulement à la Nouvelle-Calédonie et aux provinces mais aussi aux communes.
Enfin, l'article unique du projet de loi ordinaire propose au Parlement de ratifier des ordonnances relatives à plusieurs collectivités ultra-marines. Je ne vois pas d'obstacle à la ratification de ces ordonnances qui ont été adoptées dans les délais et selon les modalités prévues aux articles 38 et 74-1 de la Constitution. Deux d'entre elles, qui actualisent le droit civil en Nouvelle-Calédonie, ont été adoptées avant le 1er juillet 2013, lorsque l'État était compétent en matière de droit civil, or il nous est demandé de les ratifier après le transfert de compétences. Le législateur peut-il ratifier des ordonnances dans des domaines où il n'est plus compétent ? Ces ordonnances, prises sur le fondement de l'article 74-1, doivent être ratifiées ; à défaut, elles deviendraient caduques. Il paraît raisonnable de considérer que le transfert de compétences à la Nouvelle-Calédonie n'atteint pas le pouvoir de ratifier, qui appartient au seul Parlement national. Le processus de ratification devant être mené à son terme, il peut être dérogé ponctuellement au transfert irréversible de compétences prévu par l'Accord de Nouméa et la loi organique. Je vous propose donc d'adopter le projet de loi de ratification.