Vous me pardonnerez, mesdames, messieurs les sénateurs, mais je vais devoir prendre un peu de temps pour développer ma pensée. J'espère que vous apprécierez mon souci de répondre aussi précisément que possible aux diverses questions qui m’ont été posées.
Je note d’emblée que la vigueur de certaines mises en cause m’ont donné le sentiment que leurs auteurs voulaient compenser par une débauche d’énergie l’absence de force et de clarté de leurs arguments.
Je rappelle que je me suis exprimée une trentaine de minutes à la tribune hier et, parmi les diverses interventions, je n’ai pas entendu une seule question à laquelle je n'ai pas répondu hier, soit lors de mon intervention à la tribune, soit à la reprise de séance, lorsque je me suis exprimée durant presque vingt-cinq minutes. Toutefois, par respect pour chacun d'entre vous, c'est très volontiers que je répondrai une nouvelle fois à vos interrogations.
Madame Assassi, j'ai entendu vos observations et vos regrets. J'ai noté également le lien logique que vous établissiez entre la possibilité pour le ministère public, quel qu'il soit, de traiter de toutes les procédures fiscales et la création de ce parquet financier.
Je dois le dire, la rédaction de la commission a donné lieu, hier, à une discussion nourrie, intense et parfois tendue entre M. le ministre du budget et M. le rapporteur. Le texte de la commission était clair : il exprimait très précisément le souhait que les procédures fiscales particulièrement complexes soient réservées au parquet de Paris et que ce dernier puisse en traiter sans passer par la procédure de plainte préalable de l'administration fiscale, qui existe actuellement dans notre droit.
Je souhaite néanmoins que l'on tienne compte d’un certain nombre d’éléments, à commencer par les conditions dans lesquelles la commission des infractions fiscales, la CIF, travaille, et par la façon dont ce texte et les engagements que M. le ministre du budget et moi-même avons pris vont les transformer.
Tout d'abord, sa composition sera modifiée : des juges de l'ordre judiciaire y feront leur entrée, aux côtés des juges de l'ordre administratif et de l'ordre financier.
Ensuite, ses méthodes de travail seront également modifiées. J'ai souhaité ainsi que, dans le rapport qu'elle présentera annuellement, ses critères de saisine soient clairement exposés à la représentation nationale.
Enfin, les conditions dans lesquelles cette commission transmet les procédures au parquet seront aussi très probablement modifiées.
Au-delà, vous avez sans doute noté notre engagement de publier une circulaire commune d'application de ce texte de loi. Ce texte prendra en compte les observations qui ont été très clairement exposées à l'Assemblée nationale et au Sénat, mais aussi les engagements que nous avons pris sur l'échange d'informations systématiques entre l'administration fiscale et le parquet ; ce dispositif est en train de voir le jour.
D’ici à un an, il me semble que nous y verrons clair. En effet, l'une des grandes difficultés reste que le dispositif n'a, pour l’heure, pas été évalué. Quand on dit que la CIF ne traite que 1 000 affaires par an, c'est une réalité. Néanmoins, personne ne nous explique pourquoi. Certains émettent l'hypothèse qu'elle n'est pas capable de traiter davantage de dossiers et qu'elle se limite volontairement à 1 000 affaires. Toutefois, dans ce cas, quels sont ses critères de sélection ou d'élimination des dossiers ? Et que se passe-t-il avant l’intervention de la commission des infractions fiscales ? Sur tous ces points, le ministre du budget et moi-même nous sommes engagés à faire toute la lumière.
Quoi qu’il en soit, depuis une année, et a fortiori depuis que M. Cazeneuve est chargé du budget, j'ai du mal à imaginer que l'administration fiscale ne transmette pas au parquet les affaires de fraude fiscale se soldant par une transaction, dès lors que celles-ci apparaîtraient liées à la criminalité organisée, au grand banditisme ou à toute autre infraction pénale.
De surcroît, le dispositif d'échange d'informations fiscales et pénales nous permettra de savoir si l'administration fiscale a estimé opportun de transmettre ou a oublié de le faire.
Pour ne rien vous cacher, comme je l'ai dit hier soir, ma responsabilité, en tant que ministre de la justice, est de m'assurer que tout contrevenant à la loi, tout délinquant comprenne que la justice passera. Sur la base de ce principe, y compris les personnes qui ont dissimulé de bonne foi devraient être traduites devant la justice, qui est là non seulement pour condamner, mais aussi pour prouver l'innocence ou établir la bonne foi d’une personne.
Dans l’absolu, par principe, toute situation de fraude devrait être transmise à la justice – c'est d’une certaine façon le sens de l'article 1741 du code général des impôts.
Pourtant, reconnaissons-le, il ne serait vraiment pas raisonnable de procéder ainsi. Il suffit que l'administration fiscale transmette à la justice les affaires fiscales les plus complexes, notamment celles dans lesquelles on présume une fraude fiscale en bande organisée ou qui se caractérisent par une dissimulation. L’instauration d’un dispositif transparent d'échange réciproque d'informations nous permettra de faire en sorte que la justice soit saisie de façon pertinente. De son côté, celle-ci procède à ses propres enquêtes et peut faire des découvertes.
Je prends acte des observations, des réticences et des objections de chacun et j’essaye d’y apporter des réponses. Si vraiment vous ne souhaitez pas permettre la création de ce parquet financier, nous en prendrons acte. Je refuse toutefois la connotation négative associée à la notion d’ « affichage médiatique » – M. Mézard ayant accolé l’adjectif « médiatique » au substantif « affichage » employé par M. Richard.
En revanche, il n’est pas interdit, comme le soulignait M. le rapporteur, d’avoir le souci de la lisibilité des politiques publiques. Partant du constat qu’il y a un vrai problème dans la société, et que nous ne sommes pas armés pour y répondre de la manière la plus efficace qui soit, avec toute la diligence qu'attendent nos concitoyens, nous faisons en sorte d'apporter les réponses les plus lisibles et les plus efficaces possible.
Monsieur Michel, hier, à deux reprises, j’ai déjà répondu à toutes vos questions.
Le procureur de la République financier sera nommé dans les mêmes conditions que tout procureur. À cette fin, le Gouvernement vous présente un projet de loi organique modifiant l’ordonnance de 1958, afin que soit prise en compte dans cette ordonnance la création du procureur de la République financier à compétence nationale.
Comment sont nommés les autres procureurs ? Sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, que nous souhaitons constitutionnaliser. C’est pourquoi le Gouvernement vous a soumis un projet de réforme constitutionnelle.
Nul ne pouvant se prévaloir de ses propres turpitudes, vous avez raison de me demander comment j’entends garantir l’indépendance du procureur en cause, puisque la réforme du Conseil supérieur de la magistrature n’a pas été adoptée. Néanmoins, posez-vous la question pour tous les procureurs ! Quoi qu’il en soit, je vous apporte les mêmes garanties. Je vous assure, sans réforme constitutionnelle, le principe du respect de l’avis conforme du CSM déjà appliqué par mon prédécesseur, et, avec réforme constitutionnelle, la constitutionnalisation de ce principe.
Je vous le répète, le procureur de la République financier bénéficiera des mêmes garanties que tous les autres procureurs. Si vous avez des inquiétudes pour la nomination du procureur que le Gouvernement souhaite créer, vous devriez avoir les mêmes craintes à l’égard de l’ensemble des procureurs nommés sur tout le territoire, y compris outre-mer ; cela fait presque un empire !
Quant aux procédures, vous vous demandez ce qui se passera si d’autres procureurs se saisissent. Bien évidemment, nous nous sommes posé cette pertinente question. Monsieur Hyest, vous connaissez trop ces affaires pour ne pas savoir comment nous y avons répondu. Nous avons doté le procureur de la République financier d’une compétence concurrente pour toutes les atteintes à la probité.