Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’apporter brièvement mon soutien aux propos de Mme la garde des sceaux, en insistant sur un point : nous prendrions un risque considérable si le Gouvernement n’était pas accompagné, au terme de ce débat, dans sa volonté de créer ce parquet spécialisé.
Je voudrais donner les raisons pour lesquelles je soutiens ce que vient de dire Mme la garde des sceaux et pour lesquelles nous aurions grand tort de ne pas la suivre.
J’insisterai tout d’abord sur l’équilibre de ce texte, qui lui confère toute sa pertinence. D’une part, l’administration fiscale aura le pouvoir de procéder aux contrôles qui relèvent de sa compétence et d’appliquer des amendes à ceux qui sont à l’origine de fraudes. D’autre part – c’est une nécessité aux yeux de l’administration fiscale –, la justice sera armée de moyens spécialisés pour poursuivre les fraudeurs, lorsque cela se révèle nécessaire et que l’administration fiscale n’est pas en situation de le faire.
Pourquoi avons-nous besoin de ces deux éléments, sur lesquels se fonde l’équilibre du texte ? Tout d’abord, l’administration fiscale est confrontée à des procédés de fraude fiscale de plus en plus sophistiqués, qui font appel à des moyens de plus en plus opaques, mobilisant trusts, comptes à l’étranger ou paradis fiscaux. Il est nécessaire, compte tenu des effets collatéraux ou induits de ces montages sophistiqués, lesquels, par ailleurs, révèlent parfois d’autres infractions pénales, que la justice puisse faire son travail.
Vous rappeliez tout à l’heure, madame la garde des sceaux, et c’est très important, que 1 000 dossiers seulement sont transmis chaque année à la CIF, la commission des infractions fiscales. L’administration fiscale s’est tout simplement armée avec le temps, en renforçant ses prérogatives de contrôle et sa capacité de sanction pour un certain nombre de dossiers fiscalement complexes. Par ailleurs, elle transmet à la CIF des dossiers de plus en plus sophistiqués, nécessitant des enquêtes de plus en plus poussées, susceptibles de justifier la mobilisation du juge.
Ce n’est donc pas le nombre de dossiers transmis à la CIF, qui reste stable, qu’il faut considérer, mais leur nature, qui a évolué vers une plus grande complexité. Un très grand nombre d’entre eux justifient des compléments d’enquête que seule la justice se trouve en situation d’engager.
J’estime donc quelque peu pervers le raisonnement selon lequel le maintien du monopole de l’administration constituerait une raison suffisante pour rejeter la création du parquet financier.
En réalité, le maintien de ce monopole pour ce qui concerne les poursuites apportera la garantie d’une application très rapide de l’amende après qu’un certain type d’infractions fiscales aura été constaté. En même temps, le juge doit pouvoir aller au-delà de ce que fait l’administration fiscale, grâce aux compétences qui sont les siennes, pour des affaires extraordinairement complexes, et il en est un nombre de plus en plus significatif.
C’est la raison pour laquelle la garde des sceaux et moi-même vous présentons ce texte ensemble. Nous tenons à cet équilibre, que vous auriez grand tort de rompre en ne donnant à cette loi qu’une partie des moyens dont elle a besoin pour aller au bout de l’ambition qu’elle porte, à savoir la lutte résolue contre la fraude fiscale.
En guise de conclusion, je dirai que ce parquet spécialisé est nécessaire pour doter la justice de moyens qu’elle n’a pas toujours eus. En ne lui permettant pas de mener ses investigations à leur terme, nous donnerions aux fraudeurs le sentiment qu’ils peuvent continuer d’agir en toute impunité.
Si nous n’avons pas souhaité remettre en cause le monopole de saisine de l’administration fiscale, c’est pour ne laisser subsister aucun interstice dans lequel les fraudeurs auraient l’impression de pouvoir s’engouffrer. C’est la même raison qui nous conduit à vous demander, mesdames, messieurs les sénateurs, de donner au parquet spécialisé les moyens de conduire son action. Si vous ne le créez pas, vous donnerez une seconde fois le sentiment aux fraudeurs qu’il existe un chemin leur permettant d’échapper à la sanction.
Tel est l’équilibre de ce texte. Il y a une cohérence entre la logique de ce que vous avez nommé le « verrou », qui est celle de Bercy, et celle de l’« écrou », défendue à l’instant par Mme la garde des sceaux.
Ces deux éléments clefs fondent l’équilibre de ce texte. Je vous demande donc, mesdames, messieurs les sénateurs, de ne pas dénaturer ce texte en le privant de l’une de ses deux dimensions, qu’il s’agisse de la capacité de Bercy d’engager les contrôles et d’appliquer les sanctions ou de la capacité de la justice de faire son travail lorsqu’elle peut et doit pouvoir conduire ses propres investigations.