Au cours des débats consacrés au présent texte, deux points nous ont particulièrement divisés : premièrement, le monopole de Bercy dans certaines procédures et, deuxièmement, la licéité des preuves ; c’est de ce second point qu’il est ici question.
Je commencerai mon propos par une réflexion générale : lorsqu’un événement très grave survient dans notre pays – un meurtre, par exemple –, il n’est pas rare de lire dans la presse que la police « s’efforce d’utiliser toutes les informations mises à sa disposition ».
On m’objectera qu’en matière de fraude fiscale il n’y a ni meurtre ni victime. Eh bien si, précisément, il y a des victimes ! De fait, la fraude fiscale représente 50 à 60 milliards d’euros de recettes en moins chaque année. Cet argent, il faut donc aller le chercher ailleurs, par exemple en relevant le taux de la TVA, en augmentant le tarif des cantines scolaires, etc. Nous sommes donc bien face à des faits suffisamment graves pour justifier qu’on utilise, dans cette lutte contre la fraude, toutes les informations disponibles.
Par cet amendement, il s’agit de permettre à l’administration fiscale d’exploiter tous les renseignements dont elle dispose dans le cadre des procédures de contrôle, d’imposition et de rectification.
En la matière, la commission des lois du Sénat a rétabli la rédaction initiale du présent texte, qui précise que seules pourraient être utilisées les preuves transmises par l’autorité judiciaire ou communiquées dans le cadre de l’assistance administrative internationale. Il s’agit là d’un rétrécissement significatif du champ des possibilités offertes à l’administration par rapport à la rédaction transmise par l’Assemblée nationale, qui intégrait, elle, les informations issues du droit de communication que l’administration fiscale peut exercer à l’égard d’autres administrations, d’autorités indépendantes ou de tiers.
Cet amendement tend, au contraire, à élargir le dispositif à tout mode de preuve. À cette fin, l’obligation procédurale de transmission régulière serait supprimée.
Il s’agit, notamment, de répondre à une situation, qui fut celle de l’affaire HSBC, dans laquelle des tiers transmettent directement et spontanément des informations à l’administration fiscale. En l’état actuel du droit, l’utilisation de ces informations est impossible, comme l’a montré mon homologue de l’Assemblée nationale, Christian Eckert, dans un récent rapport sur la liste HSBC.
Il y a là une forme de paradoxe : l’administration pourrait utiliser des informations volées puis achetées, pour peu qu’elles transitent par les institutions autorisées, mais ne pourrait pas en faire usage si elles lui sont remises spontanément et gratuitement ! L’amendement que je défends permettra de lever cette difficulté.
Rien, juridiquement, ne s’oppose à ce que l’administration puisse recourir à toute forme de preuve, quelle qu’en soit l’origine. La Cour européenne des droits de l’homme laisse une grande liberté en la matière. L’Allemagne, dont chacun peut convenir qu’il s’agit d’un État de droit, procède d’ailleurs depuis longtemps déjà à l’achat de listes de fraudeurs. L’amendement de la commission des finances ne va toutefois pas jusque-là.
Le principe de loyauté de la preuve ne s’applique que dans le cadre des procédures civiles. La chambre criminelle de la Cour de cassation considère ainsi comme recevables des preuves qui auraient été volées.
Il faut rappeler que l’administration des douanes dispose d’ores et déjà de la possibilité de rémunérer des aviseurs et, donc, de procéder à l’achat d’indications. L’amendement que je propose ne permettrait toutefois pas à l’administration fiscale de voler des informations ou d’encourager quelqu’un à commettre un tel vol pour son compte.
Il correspond à une réalité, car la transmission de listes par des particuliers ou des organisations privées n’est pas un cas de figure théorique : après la liste HSBC, il y a eu d’autres cas où des informations ont été dérobées et rendues publiques de manière désintéressée.
Le présent amendement serait donc efficace, et l’atteinte qu’il est susceptible de porter aux libertés publiques me paraît proportionnée à l’objectif d’intérêt général qu’il vise.