Intervention de Raymonde Le Texier

Réunion du 13 juillet 2011 à 14h45
Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2011 — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Raymonde Le TexierRaymonde Le Texier :

Je vous remercie, monsieur le président.

Monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, la Grèce avec une dette de 350 milliards d’euros, représentant 152 % de son PIB, fait trembler l’Europe. La dette de la France, elle, devrait atteindre 90 % de notre PIB en 2012, 100 % en 2014, et les prévisions du rapport de la Cour des comptes à l’horizon de 2025 sont plus que sombres.

Face à une situation tendue en matière de finances, au sein de l’Europe, comme en interne, le Gouvernement aurait pu décider de faire de ce premier projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale une occasion de poser de vraies questions. La santé, économie socialisée, ne peut-elle être gérée que de manière libérale ? Peut-on mener une vraie réforme des retraites sans repenser le travail à travers les âges de la vie, sans permettre aux jeunes d’accéder au marché de l’emploi et aux seniors d’y rester ? Est-ce que, face à la dégradation des comptes sociaux, de vrais axes d’interventions politiques ont été définis ?

Non, nous ne sommes réunis aujourd'hui que pour créer une nouvelle niche fiscale pompeusement baptisée « partage de la valeur ajoutée ». Qualifier cela de rééquilibrage entre le capital et le salariat est difficile à entendre.

La résolution des conflits entre le capital et le travail se fera par la politique salariale et non par une défiscalisation qui ne touchera potentiellement qu’entre 8 % et 16 % des salariés, si seulement leurs patrons le veulent bien...

Pendant ce temps, l’accès aux soins diminue, l’hôpital est en crise, la médecine de ville est aux abonnés absents, les urgences sont saturées, les assurés sont pressurés... Mais la situation des finances sociales ne donne pas lieu à des réformes autres que financières, qui se résument en un coup de rabot généralisé nettement plus porté sur l’écrêtage des droits des assurés sociaux que sur une exigence de justice en matière de participation des plus aisés aux sacrifices exigés de tous.

Le déficit social n’a pas atteint cette année les 20, 5 milliards d’euros prévus et ne s’élève « qu’à » 19, 5 milliards d’euros. Certes, mais faire un trou de moins dans la coque ne signifie pas qu’il faille se réjouir de l’état du bateau. Même si notre rapporteur, Alain Vasselle, sait dire les choses qui fâchent d’un ton patelin, il n’en reste pas moins que son propre constat n’est guère optimiste. Il l’a souligné lui-même : « Les trajectoires de déficit ne sont pratiquement pas modifiées ». Il précise que, dans le meilleur des cas, « le déficit du régime général […] s’élèverait encore à 17, 7 milliards d’euros en 2014 », lequel alimentera une nouvelle dette sociale, « ce qui n’est pas soutenable dans la durée ».

Notons, toutefois, que ce même discours a déjà servi à chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale. Depuis le temps qu’un nouveau transfert n’est plus soutenable, mesdames et messieurs de la majorité, pourquoi en proposer systématiquement un ?

Mais il est vrai que cette prise de conscience n’était pas l’objet de ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.

La commission mixte paritaire ne s’y est pas trompée. Un seul article faisait débat, celui sur l’instauration de la énième prime de circonstance, vendue comme un moyen de modifier le rapport entre le capital et le travail en faveur du travail. Comme si donner des étrennes avait le même sens que négocier une politique salariale dans une entreprise, comme si donner des étrennes en année préélectorale effaçait le bilan, remettait tous les compteurs à zéro et garantissait la réélection !

C’est ainsi que, sous couvert de justice sociale, vous vendez une prime qui ne concernera in fine au mieux que 4 millions de salariés sur les 25 millions de salariés que compte notre pays, une prime dont le montant dépend autant de la bonne volonté du patron que d’un calcul complexe aux variables aléatoires. En ne versant qu’une gratification, d’un montant allant de 1 euro à 1 200 euros, à un salarié sur six, vous occultez la situation réelle du marché du travail aujourd’hui et vous évacuez la question de la négociation salariale.

De surcroît, rien dans l’instauration de cette prime ne répond aux vrais problèmes de fonctionnement du marché du travail : les jeunes piétinent à sa porte, les seniors en sont éjectés avant soixante ans, et toute la productivité repose sur le segment des 24-59 ans, qui voient, à chaque bout de la chaîne, leur avenir se dégrader – réforme des retraites, précarisation de l’emploi, baisse du pouvoir d’achat, difficulté d’accès au service public...

Le tapage fait autour d’une « carotte » potentielle, qui ne toucherait qu’un sixième des salariés, mais ferait glisser le débat autour du partage de la valeur ajoutée de la question des salaires à celle d’une prime d’intéressement liée aux dividendes, est déjà un beau bénéfice pour les tenants de la droite dite « décomplexée ». Et de fait, elle l’est !

De plus, pour ne pas effaroucher les derniers esprits chagrins du MEDEF, les conditions qui accompagnent le versement de la prime sont peu astreignantes... Ainsi, une firme comme Total, par exemple, qui a réalisé un profit de 10 milliards d’euros en 2010 et qui ne paie pas d’impôts ne serait même pas concernée par le nouveau régime d’obligations !

Au cas où les mailles « adaptables » du filet auraient leurs limites, le montant de la prime est assorti de critères modulables : l’ancienneté, le niveau de salaire, le nombre de marche pour descendre à la cantine... voire peut-être, un jour, le mérite ! Ce serait alors l’aboutissement du nouveau partage de la valeur ajoutée pour le gouvernement de Nicolas Sarkozy !

Enfin, cette nouvelle prime ajoute une niche fiscale au dispositif boursouflé et complexe des niches fiscales et sociales dans leur ensemble, gouffre pour les finances publiques, qui se caractérise par des évaluations plus que légères et une efficacité très relative en matière d’emploi.

Grand pourfendeur de niches dans ses discours, le Gouvernement est bien plus timoré dès lors qu’il s’agit de mettre fin à des rentes de situation, timoré au point d’en créer de nouvelles…

C’est ainsi que, pour donner un semblant de contenu au bilan du Président de la République en matière de pouvoir d’achat, un instrument comme le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale est mobilisé. Face au péril de nos finances sociales, en revanche, le texte est muet : choix de priorité révélateur…

J’aurais préféré, pour ma dernière prise de parole dans cet hémicycle, que ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale vise des objectifs de solidarité face à la maladie, à la vieillesse, au chômage. Au lieu d’une ambition et d’une responsabilité gouvernementale à la hauteur, vous optez de nouveau, simplement, pour un effet d’annonce.

Malheureusement, le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale qui nous est soumis aujourd'hui est l’antithèse de ce dont la France a besoin. Le groupe socialiste votera donc contre.

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