Intervention de Alain Anziani

Réunion du 17 juillet 2013 à 14h30
Lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière – procureur de la république financier — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Alain AnzianiAlain Anziani, rapporteur :

… ce qui est l’inverse de ce qui se pratique en matière de droits de douane, de concurrence ou de consommation. Pourquoi ce qui fonctionne dans ces domaines ne le pourrait-il pas s’agissant de fraude fiscale ?

Force m’est de le dire, ces dispositions proposées sont critiquées pour leur opacité – même si, monsieur le ministre, vous nous avez livré des éléments d’information – et parce qu’elle induise une inégalité devant la loi. Certains affirment aujourd'hui – je ne sais pas s’ils ont raison ! – que, dans notre pays, pour ne pas avoir affaire à la justice en matière fiscale, mieux vaut être un gros fraudeur qu’un petit fraudeur…

Ces dispositions sont également critiquées au regard de leur efficacité.

Dans un rapport récent, l’OCDE a souligné que, en dépit de la signature par la France, en 2000, de la convention sur la lutte contre la corruption, seulement 33 procédures judiciaires ont été diligentées dans des affaires liées à des pots-de-vin versés à des agents publics étrangers, contre 275 aux États-Unis, un pays certes plus grand que le nôtre, et 176 en Allemagne, un pays de taille comparable. L’OCDE a en outre relevé que 38 affaires n’ont « même pas donné lieu à l’ouverture d’une enquête préliminaire », alors que des sociétés françaises étaient citées.

À quoi cela tient-il ? Sans doute au fait que la justice n’est pas suffisamment formée. Et peut-être aussi au fait qu’elle n’est pas suffisamment sévère. Mais cela s’explique également par le fait que la justice n’a pas connaissance d’un certain nombre de faits de corruption lorsque les services de Bercy les découvrent. En l’espèce, l’article 40 du code de procédure pénale ne semble pas s’appliquer.

Je le sais, le débat est ouvert entre nous sur ce point. Mais, croyez-moi, tous ceux que j’ai entendus tiennent les mêmes propos que moi.

Dans son rapport annuel de 2010, la Cour des comptes a relevé les insuffisances de la procédure actuelle. Elle rappelle ce que nous savons tous, à savoir que l’administration ne remet in fine qu’un millier de dossiers à la commission des infractions fiscales, qui, elle-même n’en retient pas 10 %, et pour les meilleures raisons du monde. En réalité, elle n’en transmet donc que 900 à la justice, et ce toujours à la limite de la date de prescription. Les magistrats nous disent souvent que ces dossiers sont dans un état déplorable, qui les oblige à tout reprendre. Elle observe – remarque terrible ! – que le maçon portugais est davantage poursuivi que la holding internationale.

Je vous rends grâce d’une chose, monsieur le ministre : pour en avoir parlé avec le président de la commission des infractions fiscales, je sais que les choses évoluent depuis quelques mois, la doctrine devenant plus précise. Mais l’évolution est timide, car les statistiques d’aujourd'hui sont quasiment les mêmes que celles d’hier.

À ceux qui parlent d’efficacité la Cour des comptes répond : « Ce mode de pilotage peut conduire à sanctionner non pas les comportements les plus répréhensibles, mais les plus faciles à appréhender. En outre, si le contrôle est durablement moins dissuasif, son rendement budgétaire peut aussi baisser à terme. » Nous sommes là au cœur de la question de l’efficacité budgétaire.

Je comprends bien les arguments qui ont été avancés au sujet des 15 milliards d’euros, mais je ne vois pas en quoi nos propositions remettent en cause leur recouvrement, qui n’est que le résultat des contrôles réalisés. Vous semblez l’avoir oublié, monsieur le ministre, mais, à aucun moment, nous n’avons remis en question ce point.

Vous nous reprochez de vouloir mettre en concurrence l’administration fiscale et la justice. Pas du tout ! Il y a, d’un côté, la procédure fiscale et, de l’autre, la procédure pénale : elles sont indépendantes. Nous ne dépossédons pas le ministère du budget. Au contraire, nous le confortons ! Le ministère du budget pourra toujours procéder à des contrôles fiscaux, faire des redressements et infliger des pénalités.

Nous souhaitons, nous aussi, une meilleure articulation entre la justice et l’administration fiscale, et nous estimons que nous pourrions la trouver. En tout cas, le débat ne sera clos ni ce soir, ni demain, ni même dans les semaines qui viennent.

J’ajoute un point important. Vous avez l’impression qu’on enlève quelque chose, mais c’est faux, même en matière de transaction. Le procureur est, par définition, juge de l’opportunité des poursuites, et il est aussi, par définition – Mme la garde des sceaux ne me contredira pas ! –, un homme intelligent. Il y aura donc forcément une discussion, une négociation entre les deux administrations. Si l’administration fiscale explique à n’importe quel procureur de France qu’il lui faut un peu plus de temps pour parvenir à un meilleur résultat, il ne fera certainement pas obstacle à cette demande. Nous ne sommes pas en Allemagne, où s’applique le principe de légalité des poursuites, mais en France, où c’est le principe d’opportunité qui prévaut.

Si nous décidions d’avancer dans le sens que préconise la commission des lois, nous nous rapprocherions d’autres pays où la lutte contre la fraude fiscale permet d’obtenir des résultats éloquents. L’Italie, par exemple, recouvre des montants quatre fois supérieurs à ceux de la France – il est vrai que nous avons quelque retard en la matière.

Cette bataille nécessite sans doute une entente internationale, et d’abord européenne. Je tiens d’ailleurs à saluer l’accord du G8, conclu en Irlande du Nord le 18 juin dernier, qui favorisera l’échange de données entre les services fiscaux. D’autres règles doivent régir le déplacement des profits dans des pays à fiscalité avantageuse ou contraindre les sociétés écrans et les trusts à davantage de transparence.

La lutte contre la délinquance économique et financière nécessite un ensemble de mesures nationales et internationales – j’y insiste parce que ce point a été souligné en commission – et la coopération de toutes les forces de l’action publique. §

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