Séance en hémicycle du 17 juillet 2013 à 14h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

Source

La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Mes chers collègues, je vous rappelle que, par courrier en date du 20 juin 2013, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L.O. 297 du code électoral, M. Jean-Pierre Michel, sénateur de la Haute-Saône, en mission temporaire auprès de Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice.

Cette mission portera sur les missions et l’organisation de la protection judiciaire de la jeunesse.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

J’informe également le Sénat que les commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique et du projet de loi relatifs à la transparence de la vie publique ne sont pas parvenues à l’adoption d’un texte commun.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande que l’ordre du jour des séances des mardi 23 juillet, mercredi 24 juillet et jeudi 25 juillet soit modifié comme suit :

Mardi 23 juillet 2013

À 9 heures 30 :

1°) Questions orales

À 15 heures :

2°) Projet de loi organique portant actualisation de la loi du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie (texte de la commission n° 778, 2012-2013) et projet de loi portant diverses dispositions relatives aux outre-mer (texte de la commission, n° 779, 2012-2013)

À 21 heures 30 :

3°) Suite éventuelle de l’ordre du jour de l’après-midi

4°) Proposition de loi fixant le nombre et la répartition des sièges de conseiller de Paris (texte de la commission, n° 781, 2012-2013)

Le délai limite de dépôt des amendements de séance pourrait être fixé au lundi 22 juillet à douze heures et le temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale serait d’une heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Mercredi 24 juillet 2013

À 14 heures 30 :

1°) Proposition de loi relative au fonctionnement des réseaux de soins créés par les mutuelles et aux modalités de mise en œuvre des conventions conclues entre les organismes de protection sociale complémentaire et les professionnels de santé (texte de la commission, n° 776, 2012-2013)

À 21 heures 30 :

2°) Suite éventuelle de l’ordre du jour de l’après-midi

3°) Nouvelle lecture du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2012

Le délai limite de dépôt des amendements de séance pourrait êt re fixé ce même jour à dix-sept heures et le temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale serait d’une heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Jeudi 25 juillet 2013

À 9 heures 30 :

1°) Trois conventions internationales en forme simplifiée

2°) Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France (texte de la commission, n° 769, 2012-2013)

Le temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale serait d’une heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

3°) Conclusions des commissions mixtes paritaires ou nouvelles lectures du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et du projet de loi organique relatif au procureur de la République financier

Le temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale commune serait d’une heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

À 14 heures 30 et, éventuellement, le soir :

4°) Suite éventuelle de l’ordre du jour du matin

5°) Nouvelle lecture du projet de loi et du projet de loi organique relatifs à la transparence de la vie publique

Le temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale commune serait d’une heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Il n’y a pas d’observation ?...

Il en est ainsi décidé.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La parole est à M. Éric Bocquet, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon rappel au règlement se fonde sur l’article 36 de notre règlement, relatif à l’organisation de nos travaux.

Mme Nathalie Goulet et moi-même, en tant que membres de la commission d’enquête sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux, avons participé ce matin, à l’Assemblée nationale, à une conférence de presse qui faisait suite à l’arrestation de M. Pierre Condamin-Gerbier.

Ancien banquier associé de la compagnie Reyl, à Genève, M. Condamin-Gerbier a été arrêté et incarcéré en Suisse, au début du mois de juillet, sur la demande du procureur de la Confédération : c’est dire si cet événement nous plonge d’emblée au cœur du débat que nous allons entamer dans quelques instants !

Les motifs de cette arrestation, impliquant une garde à vue susceptible d’être transformée, au fil du temps, en détention provisoire, sont connus : Pierre Condamin-Gerbier est incriminé pour des délits contre l’État, plus précisément pour « service de renseignements économiques » et « vol et falsification de documents ».

Ce qui est reproché à Pierre Condamin-Gerbier est connu de chacun d’entre nous : c’est d’avoir transmis à la justice française des éléments prouvant l’existence de revenus et de patrimoines dissimulés par le secret bancaire helvétique, mais détenus par un certain nombre de nos compatriotes, dont plusieurs personnalités politiques.

Pierre Condamin-Gerbier avait été entendu, le 12 juin dernier, par la commission d’enquête sur les banques, les acteurs financiers et la fraude et l’évasion fiscales, dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur. Il a également été entendu par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les circonstances ayant conduit à la révélation du dossier Cahuzac.

Nous n’avons, selon moi, aucun jugement de valeur à porter sur les affirmations et déclarations de M. Condamin-Gerbier ; son témoignage constituera, au même titre que l’ensemble des auditions organisées par notre commission d’enquête, un élément de réflexion et d’appréciation des situations, ainsi que, peut-être, l’origine d’une proposition.

Pour le reste, quoi qu’on en pense, il est certain que la place de Pierre Condamin-Gerbier n’est pas au fin fond d’une prison, fût-elle helvétique, mais au côté de nos administrations judiciaire et fiscale, pour les aider à repérer et à combattre la fraude et l’évasion fiscales dans notre pays.

C’est pourquoi je demande que la France intervienne, au niveau nécessaire, pour que la liberté soit rendue à Pierre Condamin-Gerbier : celui-ci doit retrouver la pleine liberté de ses mouvements, de ses actes et de sa parole !

Alors même que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est devenue une priorité internationale – et j’espère que les travaux du Sénat auront contribué à ce que, en la matière, la parole de la France soit entendue dans le concert des nations –, l’attitude de la Suisse dans cette affaire semble montrer que, hélas ! de fortes résistances demeurent face aux exigences grandissantes de transparence, sensibles dans les opinions publiques aussi bien qu’au niveau des États et des gouvernements.

Mes chers collègues, la France doit obtenir, dans les plus brefs délais, la libération de Pierre Condamin-Gerbier !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC . – Mme Marie-Noëlle Lienemann, M. François Marc et M. François Trucy applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Monsieur Bocquet, acte vous est donné de ce rappel au règlement.

La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

– touche à l’organisation de nos travaux et se fonde sur l’article 29 bis de notre règlement.

Je reprendrai les observations qu’a présentées ce matin notre collègue Catherine Troendle, lors de la réunion la commission des lois au cours de laquelle celle-ci a examiné le rapport de M. Roger Madec – qui va plus vite que son ombre ! – sur la proposition de loi fixant le nombre et la répartition des sièges de conseiller de Paris.

La genèse de cette proposition de loi est originale et hybride ; son texte est issu d’un savant mélange entre les travaux de l’Assemblée nationale, la volonté du Gouvernement de contourner l’avis du Conseil d’État et l’impératif de légiférer imposé au Parlement.

Certains ont parlé d’un processus baroque. Pour ma part, j’aime trop l’art baroque et, surtout, la musique baroque pour utiliser ce qualificatif : je dirai donc qu’il est biscornu ! §

Le Gouvernement, pris par l’urgence après que, dans sa décision du 16 mai dernier, le Conseil constitutionnel eut invalidé le tableau, annexé au code électoral, relatif à la répartition des sièges de conseiller de Paris, a décidé que nous devions légiférer sur ce sujet. Il faut dire que les délais se raccourcissent de jour en jour puisque cette nouvelle répartition devra s’appliquer aux prochaines élections municipales, en mars 2014.

Or le Gouvernement, qui a pourtant une grande habitude du recours à la procédure accélérée, a omis de la mettre en œuvre §pour la proposition de loi dite Urvoas, soumise à l’examen du Parlement au cours de la session extraordinaire, en vertu du décret du Président de la République du 14 juin dernier, sous le nom de « proposition de loi relative à l’élection des conseillers de Paris ».

Ainsi, le Gouvernement, avec la négligence dont il est coutumier, et qui trahit son grand amateurisme

M. Bruno Sido acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Alors, on a essayé de trouver une solution… Le président Sueur a contribué à la résolution de ce problème…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

… en déposant une nouvelle proposition de loi, frappée, elle, du sceau gouvernemental de l’urgence, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

… dont le contenu est identique à celui de la proposition de loi Urvoas, déjà adoptée par l’Assemblée nationale, mais dont il a habilement changé le nom.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

En définitive, on soumet à notre examen une vraie-fausse proposition de loi Urvoas, version Sueur !

Monsieur le président, mes chers collègues, nous sommes face à un nouveau cafouillage qui pourrait prêter à sourire s’il ne s’agissait pas d’une méthode de gouvernance.

L’affaire est d’autant plus grave que cette proposition de loi, soumise à l’examen de la commission des lois ce matin, n’a été inscrite qu’hier soir à l’ordre du jour de la session extraordinaire – l’annonce nous en a été faite à la fin de la séance – puisqu’elle ne figurait pas dans le décret du 14 juin dernier convoquant le Parlement en session extraordinaire.

Il est vrai que nous avons déjà connu pire, avec les projets de loi dits Duflot… On ne s’étonne plus de rien !

Outre que les conditions dans lesquelles nous devons travailler sont honteuses pour la démocratie, la constitutionnalité des procédures que nous subissons est sujette à caution. Nous refusons d’être les complices de ces manipulations §destinées à rattraper des erreurs majeures dans l’organisation des travaux législatifs.

Cet épisode est une nouvelle preuve que le Gouvernement méprise le Parlement et qu’il navigue sans boussole, ou peut-être sans gouvernail !

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Mon cher collègue, acte vous est donné de ce rappel au règlement.

La parole est à M. le président de la commission des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur Hyest, vos observations ont déjà été présentées par Mme Catherine Troendle, ce matin, en commission des lois ; je constate que vous voulez leur donner une très large publicité, ce qui est votre droit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mon cher collègue, que celui qui n’a jamais commis d’erreur jette la première pierre !

Exclamations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Chers collègues de l’opposition, je vais vous expliquer exactement ce qui s’est passé.

Une erreur a été commise.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je veux rappeler que, si nous devons légiférer à nouveau concernant le Conseil de Paris, c’est d’abord parce que le groupe UMP a saisi le Conseil constitutionnel, ce qui était au demeurant son droit le plus strict.

Cela étant, comme l’a dit Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, le résultat de votre saisine, mes chers collègues, ne correspond pas tout à fait à vos attentes !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Parlons vrai : je ne suis pas sûr que la nouvelle répartition des sièges entre les arrondissements soit exactement conforme à ce que vous souhaitiez…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Ce n’est pas du tout de la cuisine ! Vous le savez, mon cher collègue, quand le Conseil constitutionnel prend une décision, nous n’avons pas à la commenter : elle s’applique à toutes les autorités de l’État.

Dans la mesure où cette décision contraint le législateur à légiférer à nouveau, il était logique qu’une proposition ou un projet de loi fût déposé.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur Hyest, les deux possibilités sont prévues par la Constitution.

Une proposition de loi a donc été déposée par M. Jean-Jacques Urvoas, notre estimé collègue député, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, afin de répondre le plus strictement possible aux considérants du Conseil constitutionnel.

Une erreur a donc été commise, je ne le nie pas, qui a consisté, pour le Gouvernement, à ne pas engager la procédure accélérée sur ce texte ; un point, c’est tout ! Vous vouliez que cela se sache : maintenant, cela est su !

Dans les circonstances que j’ai rappelées, que fallait-il faire ? Vous le savez parfaitement, lorsque la procédure accélérée n’est pas engagée, six semaines doivent s’écouler entre le dépôt du texte et son examen ; c’est la règle.

Par ailleurs, vous en conviendrez, il est juste que la loi qui s’appliquera aux prochaines élections municipales à Paris soit adoptée dans les meilleurs délais, ne serait-ce que pour que chacun sache dans quel cadre se dérouleront ces élections.

Ainsi, pour que ce texte soit voté le plus rapidement possible, j’ai en effet aidé à trouver une solution en signant une proposition de loi pratiquement identique à celle de M. Urvoas – à l’exception du titre –, qui a été inscrite par M. le Président de la République, par la voie d’un décret complémentaire, à l’ordre du jour de la session extraordinaire. Le dépôt de ce texte a donné lieu à la nomination d’un rapporteur, M. Roger Madec, qui avait déjà préparé son rapport. Il l’a présenté ce matin à la commission, laquelle l’a approuvé parce que sa position respecte très strictement, tout comme le texte que j’ai eu l’honneur de présenter, la décision du Conseil constitutionnel. Le Sénat examinera cette proposition de loi, puis l’Assemblée nationale l’examinera à son tour.

L’erreur sera ainsi réparée et nous aurons tiré toutes les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel. §

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (projet n° 690, texte de la commission n° 739, rapport n° 738, avis n° 730) et du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au procureur de la République financier (projet n° 691, texte de la commission n° 741, rapport n° 738).

La conférence des présidents a décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à Mme la garde des sceaux.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous présente aujourd’hui le projet de loi ordinaire relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et le projet de loi organique contenant les dispositions d’adaptation rendues nécessaires par la création d’un parquet financier à compétence nationale, en ce qui concerne les conditions de nomination et de durée de mandat du procureur financier à compétence nationale.

Ces textes sont issus d’une volonté très forte, exprimée par le Président de la République au cours de sa campagne électorale et à nouveau dès le début de cette législature, de lutter avec détermination contre les corruptions et les fraudes.

Le 10 avril dernier, le Président de la République affirmait qu’il fallait mener une lutte implacable contre les dérives de l’argent, la cupidité et la finance occulte. Il a rappelé que, l’exemplarité de la République étant la condition de son autorité, il importait de faire en sorte que la lutte contre la fraude convainque nos concitoyens de la nécessité, d’une part, d’accepter l’impôt dans sa progressivité, conformément au principe d’égalité, et, d’autre part, d’éradiquer les paradis fiscaux, qui nuisent à l’emploi.

L’actualité de ces derniers mois a conduit le Gouvernement à accélérer un calendrier mis en œuvre depuis juin 2012, de façon à apporter une réponse forte et lisible à un acte de fraude fiscale et de corruption auquel il a été confronté.

Ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement doit faire face à la corruption, à la fraude et à divers actes d’atteinte à la probité. Selon certains ouvrages de philosophie et de droit, la corruption et la fraude sont des maux inhérents à la démocratie ; il existe en tout cas un courant de pensée pour lequel la démocratie va de pair avec la corruption. Je vois là une idée assez désespérante, car je ne peux pas croire que le fait d’organiser le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple soit de nature à induire inévitablement des actes de corruption.

Michelet, quant à lui, qualifiait la corruption de « mal naturel ». Pour ma part, je dirai que ces maux remontent malheureusement en tout cas à l’Antiquité, ainsi que l’attestent, notamment, Platon et Cicéron.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que, dans le droit romain, la corruption était, comme la concussion, punie d’une manière extrêmement sévère puisqu’elle entraînait la condamnation à mort.

Cependant, du droit romain nous tenons aussi un mot qui nous est cher, celui de candidat. Le terme candidatus signifiait que la personne se présentant aux suffrages des citoyens avait, en blanchissant sa toge, fait montre de son désintéressement et de son intention de se dévouer à l’intérêt général et aux affaires communes.

En tout état de cause, la corruption est un mal qui a traversé les siècles, mal auquel les gouvernements divers ont apporté des réponses également diverses.

Dès le code pénal de 1810, promulgué par Napoléon Bonaparte, la corruption est qualifiée de crime et punie de la peine du carcan ainsi que d’une amende. En 1832, la peine du carcan, considérée comme infamante, est remplacée par la dégradation civique, la peine d’amende étant maintenue.

Au fil du temps, des affaires retentissantes ont donné lieu à l’élaboration progressive d’un arsenal pénal, apportant des réponses au fur et à mesure que des formes de fraude et de corruption étaient révélées.

En 1887, l’affaire des décorations conduit à la démission de Jules Grévy, dont le gendre faisait attribuer des décorations, et donne lieu à la définition, par la loi d’août 1889, adoptée en pleine effervescence boulangiste, du délit de trafic d’influence.

Cela n’empêche pas, en 1892, le scandale de Panama, qui ruine plus de 85 000 souscripteurs, mais aussi et surtout la réputation des milieux politiques et médiatiques, se traduisant par des démissions de ministres, l’élimination d’un tiers des élus et une désaffection à l’égard du suffrage universel : le scrutin qui a suivi n’a mobilisé que 29 % des électeurs.

En 1934, c’est l’affaire Stavisky, qui se conclut par le vote, en août 1935, d’une loi créant le délit d’abus de biens sociaux.

La période plus récente n’a pas été épargnée.

Nous avons connu, à partir des années 1970 et 1980 un certain nombre de scandales immobiliers. En 1988, un trafic d’armes avec l’Iran est à l’origine d’une loi instaurant le principe du financement public des partis politiques. En 1990, le scandale lié aux conditions d’attribution des marchés publics donne lieu à la loi Rocard, qui limite les dépenses électorales. En 1993, la loi Sapin rend obligatoire la publicité et la mise en concurrence pour l’attribution des marchés publics et, en 1995, diverses affaires conduisent au vote de la loi Balladur, qui interdit le financement des partis politiques et des campagnes électorales par les personnes morales.

Ainsi, toute une série de textes sont venus répondre à des situations diverses de corruption et de fraude.

La réflexion n’a pas été en reste puisqu’un certain nombre de rapports ont été rendus sur ce sujet : le rapport Vedel de 1993, le rapport Rozès de 1994, le rapport Sauvé de 2010 et le rapport Jospin de 2012. Tous ont examiné ces actes de corruption et d’atteinte à la probité et ont proposé un certain nombre de solutions.

Tout cela signifie que nous ne sommes pas dans une situation de non-droit. Nous disposons d’un arsenal répressif pour faire face à un certain type de corruption. Néanmoins, nous sommes obligés de constater une sorte de fragilité intrinsèque de l’État, son incapacité à anticiper, prévenir et entraver la corruption et la fraude.

Cette situation est essentiellement liée aux types de réponses apportées à toutes ces situations. Chaque fois, elles ont été très ciblées : on a créé des incriminations nouvelles, on a renforcé les sanctions pénales, en essayant de courir après des astuces mutantes, dont la plasticité s’avérait absolument phénoménale.

Aujourd’hui, le choix du Gouvernement est d’une autre nature. Je vous l’ai dit, notre travail a été profondément mûri. Il s’agit non pas de réagir, en courant après la corruption et les atteintes à la probité, dont les métamorphoses sont multiples et permanentes, mais de concevoir une politique pénale globale, qui soit capable sinon d’éradiquer totalement les atteintes à la probité, les corruptions et les fraudes, au moins de les rendre plus difficiles, plus risquées, socialement stigmatisantes et, surtout, financièrement extrêmement coûteuses.

C’est la raison pour laquelle ce travail particulièrement novateur, issu d’une réflexion nourrie et de nombreuses consultations, menées pendant plusieurs mois, s’appuie sur des réformes structurelles.

Il faut répondre, d’abord, à la nécessité de détecter ces infractions le plus tôt possible, et cela quel que soit leur degré d’élaboration, de sophistication. Pour ce faire, il convient d’être armé, ce qui justifie la création d’un office central de lutte contre les atteintes à la probité.

Le Gouvernement a également choisi de spécialiser le ministère public, de façon qu’il soit en capacité de répondre à ces fraudes et corruptions d’une grande complexité, dissimulées grâce à d’incroyables astuces. Le projet de loi organique vise ainsi à créer un procureur financier au sein d’un parquet financier à compétence nationale.

Au-delà, il est également nécessaire de structurer davantage encore la politique pénale et la politique fiscale, de veiller à une meilleure coordination entre l’une et l’autre, indépendamment de leur cohérence interne, de mieux adapter notre arsenal répressif. Il importe aussi que le ministère public et les juges puissent requérir et prononcer des sanctions dissuasives, et que les tribunaux aient les moyens de les faire exécuter.

Il s'agit donc d'un projet global, structuré, qui vise à traiter ces infractions en amont avec la plus grande efficacité. En amont, pour rendre les moyens d'enquête plus performants, nous allons créer cet office central regroupant des officiers de police judiciaire ayant des profils professionnels diversifiés. En aval, nous veillerons, au-delà même du prononcé des sanctions, à rendre celle-ci dissuasives dans leur exécution.

Ce projet de loi a donc été travaillé en profondeur, comme l’attestent les conditions de sa maturation et de son élaboration. Dès le mois de juin 2012, j'ai mobilisé les services de la Chancellerie, précisément la direction des affaires criminelles et des grâces et le service central de prévention de la corruption. Nous avons également travaillé avec le pôle économique et financier du tribunal de grande instance de Paris, de même qu’avec l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, l’AGRASC. Nous avons ainsi élaboré un plan d'ensemble de lutte contre la corruption.

J'ai également auditionné des magistrats instructeurs, des procureurs, des universitaires, de façon à apporter des réponses qui soient non pas simplement ponctuelles et ciblées, mais structurelles, dont l’efficacité soit durable.

Le 24 octobre 2012, dans ma réponse officielle au rapport de l'OCDE sur la lutte contre la corruption, j'ai fait savoir que la France non seulement prendrait en compte les préconisations qui y étaient contenues, mais encore introduirait certaines dispositions dans son code pénal et conférerait aux associations de lutte contre la corruption les droits réservés à la partie civile, de façon à leur permettre de dénoncer les actes de corruption et de fraude.

Par ailleurs, le Gouvernement a fait le choix d'articuler son action autour de cette nécessaire lutte contre la corruption, la fraude, la grande délinquance économique et financière en assurant d'abord l'indépendance de la justice.

C’est dans cette cohérence d'ensemble, dans le cadre de cette mobilisation du Gouvernement pour lutter avec détermination contre les infractions en général, contre ce type d’infractions en particulier, que s’inscrivent un certain nombre de textes de loi qui vous ont été soumis récemment : le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature, le projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique, que vous avez adopté hier.

C'est également dans ce but que j’ai diffusé, le 19 septembre 2012, une circulaire de politique pénale générale.

Notre action s’inscrit donc dans un plan d'ensemble, qui consiste à mettre un terme aux instructions individuelles – et donc à l'immixtion du pouvoir exécutif, du pouvoir politique, dans l'action judiciaire –, à aligner les règles de nomination des magistrats du ministère public sur celles qui sont applicables aux magistrats du siège, en respectant l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature pour la nomination des procureurs et des procureurs généraux.

Des garanties sont ainsi données aux magistrats pour assurer la neutralité et l'impartialité de leur action. Surtout, nos concitoyens auront la certitude que le pouvoir politique ne s'immisce pas dans les affaires pénales en donnant éventuellement des consignes de non-lieu, de relaxe, de prononcé de peine ou d'appel, si une sanction pénale lui apparaît trop lourde.

Cette politique du Gouvernement, dont je viens de souligner la cohérence, se décline à travers les diverses initiatives qu’il a prises. La logique qui sous-tend cette démarche est liée à sa détermination à lutter contre les multiples formes de fraude et de corruption, contre les actes de blanchiment, contre les escroqueries financières et fiscales, toutes infractions généralement commises en bande organisée.

Ces infractions ne sont pas seulement des fautes morales, et ce n’est pas un combat moral que nous menons ; certes, ce sont chaque fois des faits graves, mais nous considérons que c’est aussi une véritable violence qui est faite à la société, à nos concitoyens, dans une période difficile pour eux, dans une période de fragilisation économique et professionnelle généralisée, dans une période où existent des risques de déclassement social.

Je rappelle que pas moins de 8, 5 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté dans notre pays et que même ceux qui ont un emploi et perçoivent un revenu – ceux qu’on appelle les travailleurs pauvres – peuvent être fragilisés. À une période où tant de personnes sont confrontées à de telles difficultés, vivent de telles angoisses, il n'est pas tolérable que la fraude fiscale puisse échapper à toute vigilance et donc à toute sanction pénale. Il n’est pas supportable que les fraudeurs puissent donner l’impression qu’ils bénéficient d’une quelconque clémence ou complaisance.

Nous considérons que ces actes de fraude, ces actes de corruption, ces atteintes à la probité sont de nature à fragiliser les fondements mêmes de la démocratie, remettent en cause le contrat social, dans une période de vulnérabilité générale, et ébranlent gravement le pacte républicain. C’est pourquoi il est essentiel d'apporter des réponses structurées et durables.

D’ailleurs, l’étymologie du verbe « corrompre » traduit bien l'agression contre la société que constitue la corruption, puisque, en latin, corrumpere signifie « rompre avec l'ensemble » : c’est en effet casser le contrat, le pacte qui lie l’ensemble. La corruption est bien de nature à défaire le lien social. C’est pourquoi, je le répète, cette lutte n'est pas seulement morale, il ne s’agit pas simplement de combattre une infraction pénale ; il s'agit de mettre un terme à des comportements et des actes qui agressent la société tout entière, qui font violence à ceux qui, dans notre société, sont en situation de fragilité.

Le texte de loi qui vous est présenté contient des dispositions dont certaines – les articles 3, 10 et 11 –, intéressent essentiellement le ministère de l'économie et des finances ; Bernard Cazeneuve vous en entretiendra tout à l’heure. Ainsi, le quantum de peine a été modifié en cas de fraude fiscale complexe et le champ des techniques spéciales d'enquête est élargi à certains délits de fraude fiscale commis en bande organisée ou aggravés par des circonstances mentionnées au livre des procédures fiscales.

Par ailleurs, je l’ai dit, le projet de loi permet aux associations agréées de lutte contre la corruption de jouir de tous les droits reconnus à la partie civile. Nous consolidons ainsi une jurisprudence de la Cour de cassation aux termes de laquelle des associations peuvent déclencher l'action publique contre les actes de corruption.

Un certain nombre de dispositifs sont créés afin de rendre plus dissuasives les sanctions pénales : elles sont aggravées significativement et, surtout, les conditions de leur exécution sont renforcées.

Nous créons un parquet financier à compétence nationale, qui, parmi ses attributions, sera chargé de la lutte contre toutes les atteintes à la probité, lesquelles couvrent les actes de fraude et de corruption, mais également les infractions de favoritisme, de détournement de fonds publics, les conflits d'intérêts et ce qu'on appelle le « pantouflage », ce comportement que l’on rencontre au terme de l'exercice de certaines fonctions publiques.

Le parquet financier sera également chargé de lutter contre les infractions à la TVA, dont nous savons à quel point elles pèsent sur les recettes publiques, sur la capacité de l'État, de la puissance publique au sens large, à financer les services publics, particulièrement nécessaires, en cette période de crise, de difficultés économiques et sociales, pour soulager les personnes à faibles revenus, notamment celles qui perçoivent des revenus de solidarité.

Nous avons également fait le choix de faciliter la dénonciation des actes de fraude et de corruption. Ainsi, certaines associations, je l’ai dit, disposeront des droits reconnus à la partie civile. De même, nous créons un dispositif de protection des lanceurs d'alerte. Nous étendons le mécanisme d’exemption ou de réduction de peine applicable aux « repentis », ce qui permettra de repérer et de démanteler des réseaux. Nous élargissons le champ des sanctions prévues pour certaines infractions financières et douanières.

Nous veillerons en outre à ce que les sanctions soient réellement dissuasives, et leur alourdissement financier se conjuguera à cet égard à la stigmatisation sociale. Le projet de loi aggrave donc considérablement le montant des amendes encourues. Certaines d’entre elles passent de 30 000 euros à 200 000 euros, d’autres de 70 000 euros à 500 000 euros.

Surtout, nous alignons le régime des personnes morales sur celui des personnes physiques en ce qui concerne les saisies des avoirs criminels. Dorénavant, les montants susceptibles d’être saisis seront identiques dans les deux cas et ces saisies pourront porter sur la totalité du patrimoine. Cette disposition est extrêmement importante et, mesdames, messieurs les sénateurs, si vous le souhaitez, je pourrai vous fournir des éléments d’information détaillés sur les saisies effectuées par l’AGRASC. Sachez en tout cas que, en moins de trois ans, celle-ci a accompli un travail considérable dont nous pouvons tous nous réjouir. Cette agence s’est dotée de compétences extrêmement diversifiées, a acquis une expertise très pointue et une forte capacité, dans ses interventions visant à réaliser des saisies d'avoirs criminels, à travailler en synergie. Je rappelle que c’est à l'unanimité qu’avait été votée sa création en 2010.

Les saisies ont un effet dissuasif incontestable et, grâce à la possibilité qu’offre ce projet de loi de saisir, par exemple, des contrats d'assurance vie et de viser l'intégralité du patrimoine des personnes morales – comme c'est déjà le cas pour les personnes physiques –, nous pourrons faire mieux encore.

Ainsi, le Gouvernement est déterminé à apporter une réponse structurée et durable à toutes les formes d'atteinte à la probité. Le projet de loi ordinaire et le projet de loi organique s’articulent autour de trois axes : premièrement, la création d'un parquet financier national avec des moyens spécifiques, puisque nous avons prévu la création d'une cinquantaine de postes, dont vingt-deux postes de magistrat au parquet, une dizaine de postes de juge instruction, des postes de juges du siège, mais également une cinquantaine de postes de greffiers ; deuxièmement, le renforcement des compétences et des moyens du service central de prévention de la corruption ; troisièmement, la diversification et le renforcement des moyens d'enquête, avec la création de l’office central de lutte contre les atteintes à la probité.

Cette détermination se traduira dans les faits et nous allons passer d'un temps où l’impuissance publique était volontaire et organisée par l'État à un temps où celui-ci se donnera les moyens de son efficacité et de sa performance, de la détection des incriminations jusqu'à l'exécution des sanctions.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Lorsque je parle d'impuissance volontaire, je ne tiens pas là un propos polémique. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre 2007 et 2011, le nombre de magistrats à la section financière du parquet de Paris est passé de huit à onze ; dans le même temps, le nombre d'informations judiciaires ouvertes a chuté des deux tiers. L’effectif des enquêteurs spécialisés a baissé dans la même proportion.

En janvier 2009, lors de l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, le Président de la République d'alors avait annoncé la suppression des juges instruction.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Les brigades spécialisées ont perdu trente-sept enquêteurs spécialisés. C’est la raison pour laquelle, en janvier 2013, j’ai interrogé la Cour d’appel de Paris afin de connaître les besoins en enquêteurs économiques et financiers. Avec les affaires en cours, c’est-à-dire à contentieux égal, il faudrait soixante-dix enquêteurs économiques et financiers supplémentaires !

La faiblesse des moyens est donc patente, alors que les sections spécialisées doivent agir le plus rapidement possible contre la fraude et les infractions à la probité.

La réalité que je décris s’est donc traduite dans des chiffres, les réductions budgétaires conduisant au démantèlement de services, à la fragilisation générale de chaînes d’instances intervenant contre la corruption. Mais elle s’est accompagnée d’un discours : ces actes ont été justifiés par des paroles où il était question de dépénalisation, voire de déjudiciarisation des affaires.

Le résultat ne s’est pas fait attendre : la France est tombée au vingt-deuxième rang du classement de Transparency International.

C’est pourquoi le gouvernement actuel a décidé de lutter de façon structurée et durable contre les atteintes à la probité et la corruption, en engageant des réformes structurelles inscrites dans ce texte de loi, avec des moyens spécifiquement dédiés à cette lutte, et en suscitant une mobilisation de l’opinion publique, des citoyens.

Nous estimons en effet que nous devons concilier des actions diverses et les faire converger en vue de la réfection du lien social, de la reconstitution du contrat social, en proclamant clairement notre conviction que le pacte républicain garde toute sa vertu, qu’il est solidement ancré dans des valeurs, parmi lesquelles figure notamment la justice sociale.

Au cours de la discussion, je compte vous fournir des informations et des précisions sur la façon dont nous allons coordonner, avec une plus grande efficacité, la politique pénale et la politique fiscale ainsi que sur les moyens par lesquels nous allons introduire de la transparence dans les actions conduites à la fois par les services judiciaires et par l’administration fiscale.

Je vous exposerai comment nous ferons en sorte que l’action de l’État soit cohérente et coordonnée, afin d’amplifier son efficacité et de parvenir enfin à apporter une réponse stable, efficace et dissuasive à cet acte d’agression insupportable que constitue l’atteinte à la probité, quelles que soient ses multiples formes et l’ingéniosité de ceux qui décident de s’y livrer.

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais, en complément de ce que vient d’indiquer excellemment Mme la garde des sceaux, dire quelques mots sur le projet de loi qui est destiné à montrer la détermination, à la fois du Gouvernement et de la représentation nationale dans son ensemble, à lutter efficacement contre la fraude fiscale.

Depuis la première lecture de ce texte à l’Assemblée nationale, votre commission des lois et votre commission des finances ont accompli un travail important, que je veux dès à présent saluer.

Je voudrais notamment remercier les deux rapporteurs au fond, Alain Anziani et, pour le projet de loi organique, Virginie Klès, ainsi que M. le rapporteur général, François Marc, de leur implication en vue d’améliorer le contenu des deux projets de loi qui vous sont soumis. Même s’il est quelques questions sur lesquelles nous ne sommes pas nécessairement en accord, je ne peux nier que chacune et chacun d’entre vous s’est fortement investi pour que ce texte soit à la hauteur de l’ambition que porte le Gouvernement : lutter efficacement contre la fraude fiscale.

Je voudrais insister sur le fait que ce texte n’est pas la première manifestation d’une volonté. C’est particulièrement vrai pour ce qui concerne votre assemblée, dont on sait quelle attention elle a porté au cours des derniers mois et même des dernières années à la question de la lutte contre la fraude fiscale.

Je pense aux travaux conduits par vos multiples commissions d’enquête, plus particulièrement celle qui se consacre actuellement à la fraude fiscale et au rôle joué par les institutions financières et bancaires en la matière. Je veux d’ailleurs saluer le rapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, M. Éric Bocquet, qui a fait ces derniers temps un travail extrêmement important dont il nous faut nous inspirer si nous voulons donner à ce texte sa pleine et entière dimension.

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Cette commission a aussi un président ! Un peu de courtoisie ne nuit pas !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre délégué

Rassurez-vous, monsieur le sénateur, je vais avoir l’occasion d’évoquer amplement le travail qu’il a accompli. Ne vous énervez pas inutilement !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre délégué

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Vous aurez toutes les raisons de le faire pendant le débat ! Gardez donc vos forces !

Sourires et applaudissements

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre délégué

De son côté, le Gouvernement n’a pas attendu ce texte pour s’engager résolument dans la lutte contre la fraude fiscale.

Dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2012 et du projet de loi de finances initiale pour 2013, nous avons pris des dispositions qui sont de nature à opposer à ceux qui se livrent à la fraude fiscale un certain nombre de mesures très dissuasives.

Je pense tout d’abord à la décision d’inverser la charge de la preuve concernant les transferts de bénéfices. Il appartenait jusqu’à présent à l’administration fiscale d’apporter la démonstration que les transferts de bénéfices étaient dictés par des intentions d’optimisation fiscale ou par la volonté de ceux qui se livraient à ces transferts d’échapper à l’impôt. Aujourd’hui, il appartient davantage aux représentants des entreprises d’expliquer les raisons pour lesquelles ils ont procédé à ces transferts et d’apporter la démonstration qu’ils ne l’ont pas fait pour des raisons d’optimisation fiscale ou pour des motifs qui tiennent à la volonté d’échapper à l’impôt.

Je veux également rappeler la décision de prélever 60 % des sommes versées sur des comptes à l’étranger dès lors qu’il est impossible de rétablir la traçabilité des sommes versées sur ces comptes. C’est, là aussi, un progrès très considérable par rapport à l’état du droit antérieur.

Je ne peux pas ne pas évoquer la loi bancaire, qui a été amplement discutée au sein de votre assemblée et qui a été l’occasion, pour le Gouvernement, de montrer sa détermination dans la lutte contre la fraude fiscale en obligeant les institutions financières et leurs filiales à déclarer la totalité de leurs activités à l’étranger et de préciser, pour chacune des filiales qu’elles mobilisent à l’étranger, les moyens utilisés, les personnels recrutés.

Il s’agit là d’une évolution très importante du droit, qui est de nature à rétablir la traçabilité des fonds, de la même manière que la disposition qui a été prise en loi bancaire obligeant les institutions financières à signaler à TRACFIN tous les mouvements étranges ou anormaux de fonds constatés.

Tout cela procède de la même logique, de la même volonté, qui est de lutter efficacement et durablement contre la fraude fiscale.

Je rappellerai aussi un certain nombre de travaux, de réflexions conjointes du Gouvernement et du Parlement, qui permettent, par-delà le projet de loi, ou pour en préparer le contenu, d’aller plus loin que les quelques exemples que je viens de donner pour exposer les ambitions que nous portons en commun.

Je pense à toute la réflexion qui est conduite concernant la fiscalité des entreprises numériques, et je veux souligner à cet égard l’excellent travail du président de la commission des finances du Sénat, Philippe Marini, travail dont il a su tirer des conclusions très intéressantes et pertinentes.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre délégué

Je le rappelle, ces travaux sur la fiscalité des activités numériques, vrai sujet d’éviction du produit fiscal par un certain nombre de grandes entreprises, rejoignent les préoccupations de la communauté internationale exprimées au sein non seulement de l’OCDE mais également de l’Union européenne, dans le cadre des réflexions autour de l’érosion des bases fiscales.

Il s’agit, à travers les réflexions sur le projet BEPS – en français : « érosion des bases d’imposition et transfert des bénéfices » – de faire en sorte que les grands groupes ne puissent pas procéder à l’érosion de leur assiette fiscale en faisant échapper à l’impôt un certain nombre d’activités qui justifieraient d’être taxées.

Permettez-moi d’insister, à cet égard, sur le travail important effectué par l’inspection générale des finances à travers le rapport sur les prix de transfert, qui concerne plus particulièrement les modalités d’optimisation fiscale émanant des entreprises. Je sais que ce travail a inspiré nombre de réflexions de l’Assemblée nationale et du Sénat, qu’il a pu également nourrir des amendements qui nous seront soumis au cours de ce débat.

Ce sont là des questions essentielles et éminemment stratégiques, sur lesquelles il nous faut légiférer en prenant le temps de la concertation avec les entreprises et, surtout, en prenant le temps de nous assurer que les dispositifs que nous aurons arrêtés sont juridiquement pertinents et efficaces.

Nous aurons à évoquer de nouveau ces questions au cours la discussion générale et à l’occasion de l’examen des amendements.

Je veux, en quelques mots, insister sur quelques dispositions le projet de loi et évoquer le parti qui a été le nôtre au moment où nous en avons élaboré, en étroite liaison avec la garde des sceaux, l’architecture globale.

Je dirai d’abord que la force de ce texte est qu’il n’oppose pas l’administration fiscale et l’administration de la justice ; au contraire, il crée les conditions d’une meilleure articulation entre ces deux administrations, afin que le fraudeur n’ait aucun espace lui permettant d’échapper au contrôle et à la sanction lorsque celle-ci est justifiée.

Ce parti que Mme la garde des sceaux, Pierre Moscovici et moi-même avons décidé de prendre doit nous permettre de donner davantage de moyens à nos administrations et faire en sorte que ces dernières, ensemble, soient plus fortes qu’elles ne l’ont jamais été pour lutter efficacement contre la fraude, notamment la fraude fiscale de grande ampleur.

D’abord, comme l’a rappelé Mme la garde des sceaux à l’instant, pour contrer les systèmes de fraude qui mobilisent soit des sociétés écrans, soit des comptes à l’étranger, soit des trusts – c'est-à-dire des procédés qui ajoutent de l’opacité à l’opacité, permettant ainsi au fraudeur d’échapper au contrôle et à la sanction –, nous devons mettre en place des dispositifs d’enquête spéciale qui, jusqu’à présent, ne pouvaient pas être mobilisés pour ce type d’infractions.

C’est ainsi que la police judiciaire d’enquête fiscale pourra désormais disposer de moyens nouveaux pour aller au bout de ses investigations. Aussi bien l’administration fiscale que l’administration judiciaire pourront mobiliser ces moyens, dans le cadre d’une coopération renforcée, d’une meilleure articulation entre l’administration fiscale et le juge judiciaire, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.

Le deuxième point sur lequel je voudrais insister est l’intérêt que représente, pour la lutte contre la fraude fiscale, la mobilisation d’informations qui, jusqu’à présent, ne pouvaient pas être utilisées.

Le rapport récemment élaboré par M. le rapporteur général du budget de l’Assemblée nationale, Christian Eckert, concernant les conditions dans lesquelles ont pu être utilisées les informations comprises dans la liste HSBC, a montré que la difficulté à laquelle nous avions été confrontés résultait de l’impossibilité, pour nous, d’utiliser des éléments qui nous avaient été communiqués par des procédés licites à partir du moment où la source de ces informations n’était pas licite. Une décision de la Cour de cassation nous avait ainsi empêchés d’exploiter la totalité des éléments de la liste HSBC.

Par conséquent, nous avons décidé de rendre possible l’utilisation d’éléments communiqués de façon licite à l’administration, notamment à l’administration fiscale, y compris lorsque la source ne l’est pas. C’est là un progrès absolument considérable, dont nous saurons faire le meilleur usage lorsqu’il s’agira de traquer les fraudeurs.

Le troisième élément très important est le renforcement des sanctions pénales de toute nature qui seront opposées au fraudeur dès lors que ses agissements auront été découverts.

La garde des sceaux a indiqué tout à l’heure que les amendes seraient alourdies – elles pourront aller jusqu’à 2 millions d’euros –, ainsi que les peines d’emprisonnement – jusqu’à sept ans.

Notre volonté est également de faire en sorte que les personnes morales – notamment les entreprises qui sont à l’origine de fraudes de grande ampleur – puissent voir leurs biens saisis, y compris les sommes déposées sur des comptes d’assurance vie. Il s’agit là de mesures de confiscation qui n’existaient pas jusqu’à présent et qui pourront désormais être mises en œuvre dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale.

Voilà les quelques éléments du présent texte sur lesquels je tenais à m’appesantir.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les travaux des commissions ont permis d’améliorer sensiblement ce projet de loi. Je songe aux cinq articles supplémentaires, à caractère fiscal ou douanier, qui sont notamment dus au travail de M. le rapporteur général de la commission des finances, François Marc.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre délégué

Toutefois, sur quelques sujets, les modifications introduites pourraient, si nous n’y prenions garde, désarticuler la relation que nous avons entendu construire entre l’administration fiscale et la justice. Je veux parler de la mise en concurrence des administrations fiscale et judiciaire, dès lors qu’il s’agit de poursuivre un fraudeur. Il s’agit, en l’espèce, de l’amendement déposé par M. le rapporteur Alain Anziani.

Puisque nous sommes ici pour débattre et que cet amendement nous en donne l’occasion, j’exposerai la position du Gouvernement tout aussi clairement que M. Anziani a défendu son point de vue en présentant cet amendement à la commission.

Pourquoi ne sommes-nous pas favorables à cette mise en concurrence ?

Il ne s’agit en aucun cas du regard que ces deux administrations peuvent porter l’une sur l’autre puisque nous considérons qu’elles sont toutes deux légitimes à traquer le fraudeur et à lui infliger des peines dès lors que la fraude a été détectée. Si le Gouvernement souhaite rendre leur action conjointe, c’est dans un seul but : ne laisser au fraudeur aucun interstice pour échapper à la sanction, cet interstice risquant de lui être offert du fait d’une concurrence que nous aurions organisée entre les services habilités à le poursuivre.

Tout d’abord, je souligne que la justice a désormais la capacité d’engager elle-même des poursuites dans le cas d’infractions complexes, méritant des sanctions lourdes. Je songe à tout ce qui relève du blanchiment de fraude fiscale, aux termes de l’arrêt Talmon.Rendu il y a déjà quelques années, cet arrêt donne à la justice la possibilité de lancer des poursuites, une fois identifiés des processus de blanchiment de sommes issues de fraude fiscale.

Néanmoins, dans l’articulation que nous avons choisi de mettre en œuvre, ce qui compte, c’est l’efficacité des deux administrations combinant leurs moyens.

L’administration fiscale est déjà armée contre la fraude fiscale, qui nécessite la mobilisation de moyens techniques, des analyses approfondies et des réflexions cursives sur les conditions dans lesquelles tel ou tel dispositif fiscal a pu être détourné en vue d’échapper à l’impôt. Cette administration est techniquement dotée, car il s’agit là de son cœur de métier. Surtout, elle n’est pas soumise aux mêmes règles que le juge, qui agit dans le cadre d’une procédure judiciaire : à partir du moment où l’infraction est constatée, elle est en mesure d’infliger au fraudeur une amende qui a valeur de sanction pénale. Ainsi, nous sommes en état d’assurer en permanence que la peine, notamment sous forme d’amende, interviendra aussitôt après que le délit a été établi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette réactivité est particulièrement souhaitable dans la période que nous vivons actuellement : alors qu’un très grand nombre de Français sont appelés à contribuer au redressement des comptes publics, d’autres ont délibérément décidé d’échapper purement et simplement à l’effort contributif en fraudant. Entre 2011 et 2012, en quelques mois, environ 2 milliards d’euros de titres et de pénalités ont été émis par l’administration fiscale au terme de fraudes constatées. Ce n’est pas rien ! Nous considérons en effet qu’il ne saurait y avoir, ici, ceux qui contribuent, car ils ont décidé d’accomplir leur devoir civique en acquittant l’impôt, et, là, ceux qui échappent à la contribution parce qu’ils ont décidé de frauder !

Je le répète, on ne peut pas tolérer de longs délais entre le moment où la fraude est mise au jour et celui où la sanction financière tombe. En effet, si nous nous installons dans le temps long, nous laissons au fraudeur, qui n’est pas dénué de moyens, la possibilité d’échapper à la peine qu’il mérite.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre délégué

Moi, je considère que le fraudeur doit être sanctionné aussi tôt que possible après que la faute a été détectée.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre délégué

C’est la première raison pour laquelle il ne faut pas organiser cette concurrence entre administration fiscale et justice, car elle reviendrait, tout simplement à allonger le délai entre la constatation de la fraude et sa sanction, …

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre délégué

… en alourdissant les procédures dans un domaine où, jusqu’à présent, ceux qui avaient voulu s’affranchir du paiement de l’impôt étaient contraints de payer. Dans le contexte contributif que vous connaissez, cela ne serait ni juste ni normal.

S’ajoute une seconde raison : nous avons besoin d’une intervention conjointe de la justice et de l’administration, l’une et l’autre, loin de s’opposer, articulant leur action. Une fois la faute pénale constatée par l’administration fiscale dans le cadre des contrôles qu’elle exerce, il est normal que la justice puisse poursuivre son travail sans que l’administration fiscale risque pour autant de ne pas percevoir immédiatement les sommes qui lui sont dues. Il faut à la fois que le juge puisse faire passer le droit et que l’administration fiscale puisse faire passer l’amende. Or, en organisant la concurrence, on allongerait le temps permettant de faire passer et le droit et l’amende. On donnerait au fraudeur un temps dont il ne doit pas disposer. Pour le fraudeur, le temps c’est de l’argent, …

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre délégué

… c’est une occasion d’échapper à la sanction qu’il mérite. Nous n’avons nul besoin de lui faire ce cadeau !

À cet égard, j’ai longuement réfléchi aux interrogations exprimées avec raison par un certain nombre de parlementaires et de magistrats. S’ajoutent à eux des journalistes, dont j’ai lu la tribune hier dans un excellent quotidien, et qui posent, eux aussi, cette question : dès lors que nous sommes soucieux de l’efficacité que je viens d’évoquer, comment assurer la transparence dont les citoyens et le Parlement ont besoin ?

Nous devons améliorer le dispositif existant. En effet, il est tout à fait normal que la représentation nationale – comme l’opinion publique, les associations, les organisations non gouvernementales – demande à connaître les critères et les conditions à partir desquels l’administration fiscale a procédé à l’examen des dossiers des contrevenants, puis sanctionné ces derniers. Il ne peut pas y avoir d’opacité en la matière : la transparence la plus grande doit exister.

De la même manière, il n’est pas normal que des interrogations et des doutes subsistent quant aux conditions dans lesquelles la commission des infractions fiscales transmet à la justice les dossiers que l’administration fiscale lui a adressés, sous prétexte qu’il n’y aurait aucun critère ou qu’aucun compte ne serait rendu à la représentation nationale !

Du reste, contrairement à ce que j’ai lu hier dans la presse, le ministre du budget n’est pas celui qui instruit les dossiers, puis les transmet à la commission des infractions fiscales selon son bon vouloir. Ce n’est pas l’état du droit ! Aujourd’hui, aux termes de circulaires qui ont été prises, et qui sont rigoureusement appliquées, le ministre du budget, quel qu’il soit, n’a pas à connaître des conditions dans lesquelles les contrôles sont menés.

De même qu’il est normal de donner à l’administration de la justice des orientations de politique pénale, il est normal que le ministre du budget dise à l’administration fiscale quels sont les critères sur la base desquels elle travaille, et qui ne sont d’ailleurs rien d’autre que la mise en perspective des lois que le Parlement vote. Mais le rôle du ministre du budget ne va pas plus loin. Si d’aventure tel était le cas, cela signifierait qu’il contrevient au droit ! Jamais aucun ministre du budget ne peut décider que tel ou tel dossier de fraudeur doit être transmis ou non à la commission des infractions fiscales avant d’être adressé à la justice. Nous ne le faisons pas et nous ne le ferons jamais !

Toutefois, pour que cette garantie soit bien claire, je propose que le Parlement reçoive chaque année un rapport par lequel l’administration fiscale lui rend compte des conditions dans lesquelles elle procède à ses contrôles et élabore ses sanctions.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre délégué

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce document permettra à chacune et à chacun d’entre vous de savoir quel est le nombre de dossiers traités, quels sont les critères appliqués et quelles sont les rentrées fiscales obtenues.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre délégué

Ainsi, nous garantirons une situation de transparence qui ne prévalait pas jusqu’à présent. Nous saurons comment fonctionne la commission des infractions fiscales.

Je suis même favorable à ce que la composition de cette instance soit modifiée, afin que des magistrats de l’ordre judiciaire puissent siéger en son sein.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre délégué

Jusqu’alors, cette commission n’était composée que de magistrats de la Cour des comptes ou du Conseil d’État.

Telles sont les propositions très concrètes que je souhaitais présenter à la Haute Assemblée.

Il n’y a pas, d’un côté, une administration fiscale molle et, de l’autre, un juge dur, ou une administration fiscale rapide et un juge lent ! Non ! Ce projet de loi traduit la volonté conjointe du garde des sceaux et de Bercy de faire en sorte que deux administrations rigoureuses puissent agir de concert, pour ne laisser aucun interstice aux fraudeurs : je le répète, ces derniers ne méritent pas ce cadeau. Tel est très précisément l’équilibre du texte que nous vous présentons aujourd’hui, et qui doit permettre une plus grande efficience de la lutte contre la fraude fiscale.

Je précise que cette transparence est déjà à l’œuvre. De fait, c’est devant la représentation nationale, et non dans la presse, ni même par une circulaire prise sous le manteau, que le Gouvernement a décidé de rendre publiques les conditions dans lesquelles sera opérée la mise en conformité au droit de ceux qui, depuis trop longtemps, fraudent.

Il n’y aura pas de cellule particulière dans l’administration fiscale, de structure « VIP » destinée à accueillir ceux qui, après avoir longtemps fraudé, désirent se mettre en conformité avec le droit.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre délégué

Ce sont les services de droit commun de l’administration fiscale, lesquels existent déjà – je songe notamment à la direction nationale des vérifications de situations fiscales – qui assureront l’accueil de ces contrevenants.

De plus, aucune transaction n’aura lieu dans l’opacité. Des barèmes seront définis, pour permettre à chacun de connaître les conditions dans lesquelles son cas sera traité. Le Parlement pourra, quant à lui, vérifier la conformité de ces barèmes aux dispositions mises en œuvre concrètement par l’administration face à chaque fraudeur désireux de régulariser sa situation.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre délégué

Enfin, toutes les pénalités seront appliquées conformément au contenu de la circulaire, et nous rendrons compte devant la représentation nationale des conditions dans lesquelles cette mise en conformité au droit a été accomplie.

D’ores et déjà, je peux vous annoncer que, depuis l’adoption de cette circulaire, c’est-à-dire en moins d’un mois, quelque 250 dossiers ont été adressés aux services de l’administration fiscale. Ce chiffre traduit une augmentation très significative, pour ne pas dire exponentielle, du nombre de cas qui nous sont soumis.

Voilà pourquoi je peux dès à présent saluer l’efficacité de cette politique, qui emprunte deux vecteurs : premièrement, celui de la loi, par les textes aujourd’hui présentés au Sénat, qui améliorent les conditions d’investigation des administrations judiciaire et fiscale, rendent les poursuites plus efficaces et durcissent les sanctions ; deuxièmement, celui de la transparence, quant aux conditions de mise en conformité des fraudeurs au droit. En effet, il est normal que nous puissions inciter ceux qui fraudent à s’engager dans la voie de la régularisation de leur situation.

Dans le contexte des finances publiques qui prévaut actuellement, il serait tout de même paradoxal de dire aux fraudeurs : « Nous allons durcir la loi. Notre objectif est de vous mettre en prison. Surtout, dans l’attente de votre incarcération, n’acquittez pas les impôts que vous devez ! » Quel serait le sens d’une telle méthode ? Au nom de quoi faudrait-il attendre, dans une sorte de jubilation de l’enfermement, que les fraudeurs soient attrapés plutôt que de les inciter dès aujourd’hui à se mettre en conformité au droit en payant les pénalités dont ils sont redevables ?

Telle est, a contrario, la logique de notre démarche. Tel est l’esprit de ce projet de loi très sévère vis-à-vis des fraudeurs, à qui aucun interstice n’est laissé. À travers ce texte, la France pourra mener, en avant-garde et avec force, la lutte contre la fraude fiscale au niveau des institutions européennes.

C’est, du reste, ce à quoi nous nous employons lorsque, avec certains de nos partenaires, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, nous faisons pression pour que tous les pays de l’Union européenne acceptent de se lier les uns aux autres par des conventions d’échange automatique d’informations, en profitant de l’occasion offerte par la révision de la directive Épargne et la quatrième directive Anti-blanchiment.

C’est ce que nous faisons lorsque nous proposons à l’Union européenne de définir une liste d’États et de territoires non coopératifs, ou ETNC, afin de démontrer que l’Europe, dans son ensemble, a décidé de lutter contre ce fléau.

C’est ce que nous faisons, enfin, lorsque nous demandons à l’Union européenne de négocier avec les pays tiers des conventions de type FATCA, – Foreign Account Tax Compliance Act – afin que l’échange automatique d’informations devienne la règle au sein de l’Union dans son ensemble.

Voilà l’ambition que porte ce texte, voilà la détermination qui préside à l’action du Gouvernement ! Nous sommes face à un sujet qui concerne la nation dans son ensemble, qui renvoie à son intérêt supérieur. J’espère donc que vous voterez ce texte, sinon à l’unanimité, au moins de manière très largement rassemblée. §

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui l’autre volet des dispositions en faveur de la transparence : le volet financier. Il s’agit de tout ce qui touche à la lutte contre la grande délinquance économique et financière et la fraude fiscale, à travers deux projets de loi, l’une ordinaire, l’autre organique, qui traite du procureur financier.

Le projet de loi ne vise pas, comme j’ai pu l’entendre, à punir l’épicier du coin ou l’avocat qui n’aurait pas déclaré la totalité de ses honoraires. Il a pour objet de lutter contre une pieuvre qui déploie ses tentacules à l’échelle du monde, en recourant à des techniques très sophistiquées. D’une pression sur un bouton, les fraudeurs peuvent non seulement dissimuler des milliards, mais également encaisser des centaines de millions, par exemple au moyen des carrousels de TVA intracommunautaires.

Cette lutte est difficile, et le débat ne l’est pas moins. Ainsi, il y a peut-être un mois, une tribune comparait ce projet de loi aux grands textes de la Terreur, assimilant tous ceux qui l’approuveront, vous tous, vous-mêmes, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, à des petits Robespierre !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Notre volonté n’est pourtant pas de couper des têtes, mais, plus modestement, de rétablir l’égalité de tous devant l’impôt, comme le disait à l’instant M. le ministre du budget.

La fraude fiscale complexe n’est pas moins grave que le banditisme. Les deux vont d’ailleurs souvent de pair, l’une permettant de blanchir le produit frauduleux de l’autre. Elle donne naissance à une sorte de délinquance propre, sans cadavre ni violence, au moins à première vue.

Ses victimes sont pourtant nombreuses, et l’argent détourné se compte en milliards. Nous n’en connaissons pas le montant exact, mais il semble osciller entre 30 milliards et 80 milliards d’euros. Une estimation avance même le chiffre très impressionnant de 1 000 milliards à l’échelle européenne. Ce sont là des gisements de ressources qui permettraient de réduire la dette et de relancer la croissance.

Je voudrais donc commencer par féliciter Mme la garde des sceaux et M. le ministre du budget pour la somme considérable de travail que représentent ces deux textes et pour leur engagement déterminé et constant contre cette nouvelle forme de délinquance.

La commission des lois a renforcé les moyens d’enquête, alourdi les sanctions, créant en particulier une infraction de fraude fiscale en bande organisée, punie très lourdement, de sept ans d’emprisonnement et d’une amende de 2 millions d’euros ; elle a également soutenu toutes les mesures de recouvrement, perfectionnant, en particulier, les mécanismes de saisie.

Ces trois volets de mesures faisant l’objet d’un large consensus, je ne m’y attarderai pas, pour mieux me concentrer sur les trois grands points qui font encore débat.

Le premier d’entre eux porte sur diverses questions de procédure. Une interrogation les résume : les nouvelles règles de procédure respectent-elles l’équilibre entre les nécessités de la lutte contre la grande délinquance et les droits fondamentaux des citoyens, auxquels notre commission s’est toujours montrée attachée ?

À mes yeux, cet équilibre est respecté. Nous l’avons même renforcé.

Choquée par le renversement de la preuve en matière de blanchiment, qui imposait d’apporter une preuve négative, la commission l’a supprimé.

Nous avons également refusé de modifier les règles de prescription, auxquelles il ne faut toucher que d’une main tremblante, pour reprendre une expression ancienne mais qui inspire toujours la commission de lois.

Après de longs débats, nous avons approuvé l’extension des techniques spéciales d’investigation au délit de fraude fiscale en bande organisée. Cela n’allait pas de soi, notamment en ce qui concerne la garde à vue de quatre jours, appliquée aujourd’hui à la criminalité organisée.

Nous avons, encore, admis les preuves illicites, en maintenant toutefois la condition d’un visa de l’autorité judiciaire, qui nous paraît être une garantie indispensable.

Nous avons, enfin, tout à fait compris la nécessité d’un statut du repenti.

Parmi ces questions de procédure, demeure un point qui fera l’objet d’amendements et sur lequel je reviendrai donc plus amplement par la suite : la protection des lanceurs d’alerte.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Pour certains, il s’agit moins de dénonciation que de délation : le mot a été prononcé en commission des lois.

Il nous a semblé que le texte de l’Assemblée nationale était trop large. Nous avons donc essayé d’en réduire à la fois le champ, en le cantonnant aux délits et aux crimes et en en excluant les contraventions, et les cibles, en les limitant aux alertes lancées auprès de l’autorité judiciaire, conformément à l’article 40 du code de procédure pénale, ou d’une autorité administrative, alors que le texte de l’Assemblée nationale prévoyait que pouvaient aussi être prises en considération les alertes adressées à un média, voire à une entreprise concurrente.

Le deuxième point en débat a trait à la nouvelle organisation judiciaire, que Mme la garde des sceaux a bien voulu nous rappeler. Aujourd’hui, l’organisation est complexe, comprenant quatre niveaux : les tribunaux de grande instance, les pôles de l’instruction, les trente-six pôles économiques et financiers et les huit juridictions interrégionales spécialisées, les JIRS.

Les auditions nous ont permis de comprendre que cette complexité était dépassée et que certains pôles économiques et financiers devaient disparaître afin que leurs moyens servent à conforter les JIRS. Nous soutenons ce transfert.

Le procureur financier donnera certainement lieu à un grand débat. La commission des lois soutient sa création, même si des avis divergents se sont exprimés. Il nous paraît important d’afficher notre volonté de lutte en l’incarnant dans une personne. Cela garantira l’autonomie des moyens consacrés à cette lutte. Ce procureur sera, en outre, l’interlocuteur privilégié des services d’enquête nationaux et, à terme, européens, quand le parquet européen aura été créé.

Nous nous sommes beaucoup interrogés, comme vous, madame la garde des sceaux, sur la question de la coordination en cas de conflits de compétence. J’admire la confiance que vous placez dans l’intelligence de la justice, mais c’est naturellement conforme à votre rôle.

Nous avons prix acte de la suppression des instructions individuelles, effective depuis votre circulaire du mois de septembre. Toutefois, subsiste une sorte d’angoisse : que se passera-t-il si les conflits de compétence entre deux JIRS persistent ? Une solution pourra-t-elle être rapidement trouvée ? J’ai entendu que vous pourriez y contribuer au moyen d’une circulaire générale. On avance aussi que les procureurs maîtrisent l’art de la concertation.

Il nous est néanmoins apparu plus prudent de prévoir un mécanisme subsidiaire, qui pourrait, après la concertation, prendre la forme d’un arbitrage du procureur général de la cour d’appel de Paris. Il lui reviendrait alors de dire en dernier ressort si tel ou tel point est de la compétence de la cour d’appel de Lyon ou de celle de Marseille, par exemple. Nous serons très attentifs à ce que vous nous direz sur cette question.

Le dernier point en débat concerne ce que l’on appelle le « verrou de Bercy » ; je reprends cette expression usitée, tout en sachant que M. le ministre du budget ne la prise guère. Je voudrais d’ailleurs le remercier de la qualité de son exposé – elle est habituelle ! – comme de la hauteur de ses ambitions et saluer le travail qu’il a engagé depuis quelques mois pour le redressement de nos comptes publics : c’est un objectif que nous partageons tous.

Depuis 1920, s’est installée une tradition, bien française, qui consiste à interdire à l’autorité judiciaire d’engager ou de prolonger des poursuites pénales contre la fraude fiscale sans l’autorisation du ministère du budget. On en comprend le sens ; il vient encore d’être rappelé.

Il s’agit d’une question complexe et je ne vous ferai pas croire qu’elle n’appelle que des réponses simples. La commission des lois a confirmé, ce matin, l’orientation du texte en faveur de l’assouplissement de ce verrou, quand la commission des finances, cher François Marc, a pris une position contraire. Je sais également que le groupe socialiste, notamment, ne partage pas notre position.

Permettez-moi néanmoins d’avoir l’audace, sinon l’outrecuidance, d’insister, même si ma mission est de simplement rapporter. Nous avons été frappés par une question d’un magistrat que nous avons auditionné : le ministère du budget aurait-il porté plainte contre Jérôme Cahuzac ? Voilà une question ouverte !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Tous les grands scandales financiers récents ont été révélés par le biais du blanchiment de la fraude fiscale.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

M. le ministre du budget citait tout à l'heure l’arrêt Talmon et en tirait des conséquences. Pour ma part, j’en tire d’autres. Monsieur le ministre, Comment admettre que l’on puisse poursuivre le blanchiment de la fraude fiscale, mais pas sa source, la fraude fiscale elle-même ? Singulier paradoxe !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Si l’on est favorable aux poursuites en matière de blanchiment, pourquoi ne pas aller jusqu’à l’origine du blanchiment, c'est-à-dire la fraude fiscale ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Dans la situation actuelle, un point choque, me semble-t-il, de nombreux juristes. La plupart des magistrats que nous avons entendus, à l’exception de ceux de la délégation du ministère du budget, ne comprennent pas que, lorsqu’ils découvrent une fraude fiscale au cours d’une enquête sur un fait de corruption, un abus de biens, un crime ou un autre délit, ils ne puissent pas poursuivre l’auteur de la fraude fiscale en tant que tel et doivent transmettre l’affaire au ministère du budget. Je ne vois pas très bien ce qui nous empêche de réaliser des avancées sur ce point.

Par ailleurs, nous le savons, Bercy conclut des transactions, ce qui est une bonne chose – nous sommes toujours pour la transaction –, mais sans consulter le parquet, …

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

… ce qui est l’inverse de ce qui se pratique en matière de droits de douane, de concurrence ou de consommation. Pourquoi ce qui fonctionne dans ces domaines ne le pourrait-il pas s’agissant de fraude fiscale ?

Force m’est de le dire, ces dispositions proposées sont critiquées pour leur opacité – même si, monsieur le ministre, vous nous avez livré des éléments d’information – et parce qu’elle induise une inégalité devant la loi. Certains affirment aujourd'hui – je ne sais pas s’ils ont raison ! – que, dans notre pays, pour ne pas avoir affaire à la justice en matière fiscale, mieux vaut être un gros fraudeur qu’un petit fraudeur…

Ces dispositions sont également critiquées au regard de leur efficacité.

Dans un rapport récent, l’OCDE a souligné que, en dépit de la signature par la France, en 2000, de la convention sur la lutte contre la corruption, seulement 33 procédures judiciaires ont été diligentées dans des affaires liées à des pots-de-vin versés à des agents publics étrangers, contre 275 aux États-Unis, un pays certes plus grand que le nôtre, et 176 en Allemagne, un pays de taille comparable. L’OCDE a en outre relevé que 38 affaires n’ont « même pas donné lieu à l’ouverture d’une enquête préliminaire », alors que des sociétés françaises étaient citées.

À quoi cela tient-il ? Sans doute au fait que la justice n’est pas suffisamment formée. Et peut-être aussi au fait qu’elle n’est pas suffisamment sévère. Mais cela s’explique également par le fait que la justice n’a pas connaissance d’un certain nombre de faits de corruption lorsque les services de Bercy les découvrent. En l’espèce, l’article 40 du code de procédure pénale ne semble pas s’appliquer.

Je le sais, le débat est ouvert entre nous sur ce point. Mais, croyez-moi, tous ceux que j’ai entendus tiennent les mêmes propos que moi.

Dans son rapport annuel de 2010, la Cour des comptes a relevé les insuffisances de la procédure actuelle. Elle rappelle ce que nous savons tous, à savoir que l’administration ne remet in fine qu’un millier de dossiers à la commission des infractions fiscales, qui, elle-même n’en retient pas 10 %, et pour les meilleures raisons du monde. En réalité, elle n’en transmet donc que 900 à la justice, et ce toujours à la limite de la date de prescription. Les magistrats nous disent souvent que ces dossiers sont dans un état déplorable, qui les oblige à tout reprendre. Elle observe – remarque terrible ! – que le maçon portugais est davantage poursuivi que la holding internationale.

Je vous rends grâce d’une chose, monsieur le ministre : pour en avoir parlé avec le président de la commission des infractions fiscales, je sais que les choses évoluent depuis quelques mois, la doctrine devenant plus précise. Mais l’évolution est timide, car les statistiques d’aujourd'hui sont quasiment les mêmes que celles d’hier.

À ceux qui parlent d’efficacité la Cour des comptes répond : « Ce mode de pilotage peut conduire à sanctionner non pas les comportements les plus répréhensibles, mais les plus faciles à appréhender. En outre, si le contrôle est durablement moins dissuasif, son rendement budgétaire peut aussi baisser à terme. » Nous sommes là au cœur de la question de l’efficacité budgétaire.

Je comprends bien les arguments qui ont été avancés au sujet des 15 milliards d’euros, mais je ne vois pas en quoi nos propositions remettent en cause leur recouvrement, qui n’est que le résultat des contrôles réalisés. Vous semblez l’avoir oublié, monsieur le ministre, mais, à aucun moment, nous n’avons remis en question ce point.

Vous nous reprochez de vouloir mettre en concurrence l’administration fiscale et la justice. Pas du tout ! Il y a, d’un côté, la procédure fiscale et, de l’autre, la procédure pénale : elles sont indépendantes. Nous ne dépossédons pas le ministère du budget. Au contraire, nous le confortons ! Le ministère du budget pourra toujours procéder à des contrôles fiscaux, faire des redressements et infliger des pénalités.

Nous souhaitons, nous aussi, une meilleure articulation entre la justice et l’administration fiscale, et nous estimons que nous pourrions la trouver. En tout cas, le débat ne sera clos ni ce soir, ni demain, ni même dans les semaines qui viennent.

J’ajoute un point important. Vous avez l’impression qu’on enlève quelque chose, mais c’est faux, même en matière de transaction. Le procureur est, par définition, juge de l’opportunité des poursuites, et il est aussi, par définition – Mme la garde des sceaux ne me contredira pas ! –, un homme intelligent. Il y aura donc forcément une discussion, une négociation entre les deux administrations. Si l’administration fiscale explique à n’importe quel procureur de France qu’il lui faut un peu plus de temps pour parvenir à un meilleur résultat, il ne fera certainement pas obstacle à cette demande. Nous ne sommes pas en Allemagne, où s’applique le principe de légalité des poursuites, mais en France, où c’est le principe d’opportunité qui prévaut.

Si nous décidions d’avancer dans le sens que préconise la commission des lois, nous nous rapprocherions d’autres pays où la lutte contre la fraude fiscale permet d’obtenir des résultats éloquents. L’Italie, par exemple, recouvre des montants quatre fois supérieurs à ceux de la France – il est vrai que nous avons quelque retard en la matière.

Cette bataille nécessite sans doute une entente internationale, et d’abord européenne. Je tiens d’ailleurs à saluer l’accord du G8, conclu en Irlande du Nord le 18 juin dernier, qui favorisera l’échange de données entre les services fiscaux. D’autres règles doivent régir le déplacement des profits dans des pays à fiscalité avantageuse ou contraindre les sociétés écrans et les trusts à davantage de transparence.

La lutte contre la délinquance économique et financière nécessite un ensemble de mesures nationales et internationales – j’y insiste parce que ce point a été souligné en commission – et la coopération de toutes les forces de l’action publique. §

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que rapporteur sur le projet de loi organique, je devrais me contenter de vous parler d’un alinéa supplémentaire à l’article 38-2 de l’ordonnance 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature et, éventuellement, de l’article 28-3 de la même ordonnance.

Toutefois, cela aurait été, me semble-t-il, quelque peu réducteur. Le parquet financier que nous créons fait partie d’un ensemble, comme l’ont souligné Mme la garde des sceaux et M. le ministre.

Cet ensemble aborde de nombreux sujets, appartenant à des domaines différents, des frontières, qu’on aimerait faire bouger, des histoires différentes, des cultures différentes, des compétences différentes, des modes de fonctionnement différents. Il est question non pas, monsieur le ministre, de mettre en concurrence deux administrations, mais de trouver de nouveaux équilibres dans toutes ces compétences différentes, dans toutes ces valeurs et ces références différentes, avec, pour seul intérêt commun – et Dieu sait s’il est important ! –, l’intérêt général et la justice.

Pour ce qui concerne le parquet financier, il faudra retrouver l’équilibre au sein de l’organisation des juridictions. Il faudra aussi trouver, ou retrouver, un équilibre entre les impératifs financiers, pour faire rentrer de l’argent, et les impératifs de justice, de façon que les citoyens n’aient pas l’impression que certains délinquants sont traités différemment des autres.

Il faudra également retrouver nécessairement un équilibre entre les libertés publiques, que l’on a un petit peu bousculées, pour redonner plus de moyens à la lutte contre la délinquance, et les moyens à mettre en œuvre en faveur de cette action.

Concernant l’organisation de nos juridictions, le parquet financier, avec le procureur de la République financier, a des compétences concurrentes. Oui, nous parlons bien ici de compétences concurrentes, car il s’agit de sécuriser les procédures tout au long de leur cheminement.

Le dispositif tel qu’il est proposé par le Gouvernement est calqué, certes sous une forme adaptée, sur un dispositif existant, connu, qui fonctionne, celui qui est aujourd'hui en vigueur en matière de terrorisme.

Moi aussi, je fais confiance à l’intelligence des procureurs et des procureurs généraux pour qu’ils se coordonnent et traitent correctement le dessaisissement des uns ou des autres, y compris d’ailleurs pour ce qui concerne les magistrats du siège.

La complexité des affaires ne devrait pas non plus poser de problème dans l’attribution du dossier aux uns ou aux autres. Le procureur de la République financier me semble indispensable dans des affaires parfois complexes, où il est nécessaire d’avoir une vision nationale, voire internationale, des choses.

Bien évidemment, nous sommes très favorables à la nomination d’un parquet financier tel qu’il nous est proposé, même s’il aurait peut-être fallu aller encore plus loin. Toutefois, nous ne vivons pas dans un monde idéal ; nous vivons avec les moyens dont l’État, dans la République française, dispose aujourd'hui. Dans ces conditions, le dispositif proposé est, pour la commission des lois, le meilleur qui soit.

Quant à l’équilibre entre la commission des finances et la commission des lois, entre Bercy et la Place Vendôme, entre les finances et la justice, je ne reprendrai pas l’ensemble des propos de mon collègue Alain Anziani, car je les partage, d’autant que nous avons travaillé ensemble.

On s’attaque aujourd'hui, il est vrai, à une habitude séculaire. On donne l’impression de bousculer les frontières. Et pourtant, on ne les bouscule, me semble-t-il, pas tant que cela !

En effet, les deux procédures sont indépendantes : on a la possibilité de faire rentrer de l’argent tout en coordonnant plus l’action avec le ministère de la justice, en œuvrant plus en liaison avec le procureur, tout en lui laissant plus de possibilités quant à l’opportunité d’engager des poursuites. En matière de finances et de fiscalité, on peut faire peser un poids supplémentaire sur le délinquant financier, en arguant qu’on peut discuter avec le procureur et décider, avec lui, d’engager des poursuites ou non si l’on opte pour une résolution financière, avec une amende, des arriérés. Nous pensons qu’il était possible d’avancer encore.

Cela étant, puisque j’ai parlé d’équilibre et non pas de concurrence, force est de reconnaître les pas en avant. Un rapport sera présenté au Parlement. Une coordination ainsi qu’une information supplémentaire et meilleure entre le procureur et l’administration fiscale sont inscrites. Ce texte contient déjà de nombreuses dispositions. Sont aussi prévues des possibilités supplémentaires de saisie et des amendes supérieures à celles qui sont en vigueur à l’heure actuelle. Oui, on va dans le bon sens.

Pour autant, sommes-nous déjà arrivés à l’équilibre ou devrons-nous faire bouger encore ultérieurement le curseur pour parvenir à un équilibre plus fonctionnel, plus efficace ? C’est ce que nous aurons sans doute l’occasion de voir.

Quoi qu’il en soit, notre débat présente l’avantage de dire les choses, d’inscrire noir sur blanc les engagements des uns et des autres. On pourra y revenir pour voir qui avait raison – ou pas tout à fait – et pousser, éventuellement, les feux de la réforme, en faisant bouger encore les frontières.

Malgré tout, les modifications qui sont aujourd'hui proposées vont nécessairement faire bouger les habitudes. Peut-être sera-t-il alors plus facile d’aller plus loin, en suivant les propositions que la commission des lois soutient aujourd'hui !

Puisque je parle de frontières qui bougent et d’équilibre à retrouver, je veux ajouter une chose importante : la délinquance fiscale, autrefois appelée « délinquance en col blanc », a, elle aussi, évolué. Il ne s’agit plus aujourd'hui de délinquance en col blanc, ou alors le col n’est blanc qu’à l’extérieur et il est gris, voire noir, à l’intérieur. On ne peut pas aujourd'hui ignorer les liens qui existent entre la délinquance financière et la criminalité organisée, comme cela a été rappelé tout à l'heure par mon collègue Alain Anziani, pas plus que l’on ne peut ignorer les liens existant entre la délinquance financière et les systèmes mafieux. C’est pourquoi la commission des lois souhaiterait véritablement faire bouger un peu plus encore les frontières et ne pas dessaisir automatiquement la justice de certaines affaires dès lors que celles-ci sont connexes à des faits de délinquance fiscale.

Il ne faut pas oublier que la délinquance en col blanc n’existe plus ou quasiment plus. Le col n’est pas tout blanc.

Il ne faut pas non plus oublier que les citoyens aspirent, ainsi que vous l’avez relevé, monsieur le ministre, à ce que la justice soit la même pour tous, à ce que les sanctions soient transparentes. Ils ne doivent pas avoir l’impression que certaines personnes sont traitées différemment des autres, mieux que d’autres, qu’il suffit parfois d’avoir de l’argent pour échapper à la justice.

Veillons à l’image que nous donnons, veillons au symbole, veillons au respect de cette transparence. Les citoyens ont soif de justice, d’une justice identique et égale pour tous.

Pour avancer sur cette délinquance que j’appelle « en col gris » ou « en col noir et blanc », ce texte trouve un équilibre – qui fait plus consensus que les équilibres précédents, sans doute plus fragiles – entre les libertés publiques et les moyens supplémentaires que l’on compte redonner aujourd’hui à l’administration fiscale, à l’administration douanière, à la justice, à la chaîne pénale, pour lutter contre cette délinquance. C’est ce que j’appelle les « techniques spéciales d’enquête », à savoir la garde à vue prolongée pendant quatre jours et l’utilisation possible d’une preuve illicite à partir du moment où elle est transmise de façon régulière – la commission des lois a tout de même voulu encadrer un peu les choses – par l’administration judiciaire, fiscale ou douanière.

Il est vrai que des libertés publiques se trouvent ainsi quelque peu entamées, mais ces mesures sont bien contrebalancées et encadrées par le dispositif qu’a prévu la commission des lois, à la suite au travail déjà important réalisé par l’Assemblée nationale sur le sujet, pour faire en sorte que l’équilibre soit respecté, mais aussi que des moyens supplémentaires soient accordés pour lutter contre cette délinquance en col gris.

Je ne reviens pas sur l’ensemble des dispositions qu’Alain Anziani a décrites. Je dirai simplement en conclusion que quelque chose a sans doute manqué jusqu’à présent à nos travaux : peut-être aurions-nous dû nous intéresser davantage à l’article 1741 du code général des impôts ; peut-être est-ce là qu’il reste un nœud à défaire, à démêler, dans la définition de la fraude fiscale, afin de laisser des moyens et une autonomie à Bercy sur certains points, tout en donnant des moyens accrus à la Place Vendôme, pour que la justice ait plus de liberté et d’indépendance en matière de poursuites.

Cela étant, ce travail ne pourra se faire qu’après évaluation, retour sur expérience, analyse des rapports et de l’évolution de la situation, au bout d’un an, pour commencer, et sans doute encore après plusieurs années. Car, à mon avis, nous n’avons pas fini de travailler sur le sujet pour atteindre les trois équilibres que j’ai cités : équilibre entre libertés publiques et moyens de lutte contre la fraude, équilibre entre nos juridictions et équilibre entre Bercy et Vendôme. Nous aurons besoin d’y revenir à plusieurs reprises parce que, effectivement, à sujet complexe, il n’est pas de réponse simple. §

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet loi que nous examinons aujourd’hui a les apparences d’un texte foisonnant puisque son volume s’accroît au fil des différentes étapes de la procédure législative – mais il en est souvent ainsi ! Il n’en constitue pas moins un texte important, car il permet notamment de renforcer l’information et les prérogatives des administrations fiscale et douanière pour mieux cibler les contrôles, déceler les fraudes et, bien entendu, les sanctionner.

La commission des finances s’est saisie pour avis de ces parties du texte, celles touchant aux dispositions pénales ou à l’organisation judiciaire relevant pleinement du champ de compétence de la commission des lois. Le texte de la commission des lois a ainsi intégré dix amendements de la commission des finances, dont quatre articles nouveaux.

Si ce texte constitue une étape importante dans la lutte contre la fraude, il convient toutefois de souligner qu’il s’inscrit dans un mouvement qui a pris de l’ampleur ces deux dernières années puisque pratiquement toutes les lois de finances rectificatives que nous avons eu à examiner depuis deux ans ont comporté des volets importants de lutte contre la fraude fiscale. Cela montre que celle-ci ne constitue pas fondamentalement un sujet de clivage politique.

Certes, des nuances existent, comme nous avons pu le voir ces dernières semaines sur la question du retour en France des avoirs non déclarés à l’étranger, puisque, d’un côté, une proposition de loi a été déposée par quelques députés UMP en faveur d’une amnistie tandis que, de l’autre, le ministre du budget a, dans une circulaire du 21 juin, annoncé l’application du droit commun et, « pour tenir compte de la démarche spontanée du contribuable », une réduction de la majoration pour manquement délibéré et de l’amende. Il s’agit de faire preuve d’une relative clémence en comparaison des dispositions qui seront appliquées une fois que le présent projet de loi sera entré en vigueur, de manière à inciter les « évadés fiscaux » au retour en France.

Ce dispositif concilie donc la sanction de la fraude et l’incitation au retour. Il a déjà démontré son efficacité puisqu’il a produit un effet sensible sur les déclarations d’avoirs à l’étranger. On nous indique en effet que les avocats fiscalistes constatent depuis quelque temps un afflux de clients souhaitant régulariser leur situation – on ne peut que s’en réjouir –, craignant l’alourdissement des sanctions prévues par le texte et comprenant qu’il deviendra de plus en plus difficile de dissimuler leurs comptes à l’étranger.

La détermination accrue à lutter contre la fraude fiscale, largement partagée, me semble-t-il, résulte de la crise financière. Dans une période où chacun est appelé à participer au redressement de nos comptes publics, il est indispensable d’éviter que des revenus échappent frauduleusement à l’impôt. À cela s’ajoute le fait que nos concitoyens peuvent parfois avoir le sentiment que l’État est plus prompt à combattre la « petite fraude ordinaire » qu’une fraude complexe, habile, astucieuse et mondialisée, pour laquelle l’administration ne dispose pas toujours des moyens d’investigation adaptés ou de sanctions suffisamment dissuasives.

Il était donc nécessaire, madame la ministre, monsieur le ministre, d’agir rapidement, car la fraude fiscale traduit un comportement de « passager clandestin ». Elle va à l’encontre des fondements de notre idéal républicain : la contribution commune doit, selon la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, être « également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés », et non en fonction de leur habileté à échapper aux règles.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Nous n’en avons sans doute pas fini avec le développement de notre arsenal législatif pour lutter contre l’évasion et la fraude fiscales, car il faut sans cesse adapter nos moyens à une délinquance très organisée et mobile. Le Parlement dans son ensemble, mais tout particulièrement la commission des finances du Sénat, entend prendre toute sa place dans ce travail. Je veux souligner aussi toute l’utilité des travaux de nos commissions d’enquête, celle sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France, emmenée par nos collègues Éric Bocquet et Philippe Dominati, ayant inspiré plusieurs dispositions du texte qui nous est soumis.

Notre législation sera également influencée par les développements de la coopération européenne et internationale, qui a fait des progrès considérables en quelques mois, et dans laquelle le Gouvernement a joué un rôle moteur. Chacun le constate : la lutte contre la fraude n’est pas un sujet propre à la France et ne sera pleinement efficace que lorsque nous aurons installé un système d’échange automatique d’informations permettant de mettre fin aux zones d’ombres qui permettent aux fraudeurs d’être à l’abri.

Le secret bancaire a d’ores et déjà été considérablement fragilisé au cours des dernières semaines, mais il reste des étapes importantes à concrétiser pour qu’il ne couvre plus des agissements frauduleux.

Je souhaite donc que le Gouvernement continue de peser en faveur d’un aboutissement rapide des différentes initiatives internationales et européennes, que ce soit dans le cadre de la révision des directives relatives à la fiscalité de l’épargne et à l’assistance administrative, ou dans celui du développement d’un système généralisé d’échange automatique d’informations. Les amendements concernant la liste des États et territoires non coopératifs ainsi que la mise en place d’un système comparable au FATCA américain, seront probablement l’occasion de faire un point sur ces sujets dans la suite du débat.

Sans entrer dans le détail du projet de loi, je veux simplement évoquer ici deux questions importantes.

La première concerne le monopole de l’administration pour les poursuites pénales en matière de fraude fiscale. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de la discussion de l’article 2 ter. J’estime, pour ma part, que la réparation de la fraude fiscale doit d’abord porter sur le préjudice commis à l’égard des finances publiques. La lutte contre la fraude a des visées dissuasives et répressives, mais toujours avec pour but premier de faire revenir dans les caisses de l’État l’argent qui aurait dû y entrer. À cette aune, une intervention plus systématisée de la justice ne me paraît pas la solution idéale pour préserver le rendement du contrôle fiscal.

L’enjeu, on le sait, est considérable, puisque le montant total des droits rappelés et des pénalités s’est élevé pour l’année 2012 à plus de 18 milliards d’euros, en très sensible augmentation – de près de 2 milliards – sur ce qui avait été collecté en 2011, comme nous l’indiquait à l’instant M. le ministre.

Certes, les procédures doivent préserver les libertés publiques ainsi que l’équité de traitement des contribuables, mais il me semble que, sur ce point, le texte comporte un certain nombre d’avancées. Je pense notamment au rapport annuel de la commission des infractions fiscales et à celui portant sur la politique de remises et de transactions, qui pourront faire l’objet d’un débat devant les commissions des finances.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Ils constituent un progrès important en termes de transparence.

La commission des finances était attachée à cet équilibre initial du texte, qu’elle n’avait pas modifié. J’ai déposé, à titre personnel – mais je crois pouvoir dire que cela reflète une opinion largement partagée au sein de la commission des finances –, un amendement visant à la suppression de l’article 2 ter, introduit par la commission des lois.

La seconde question concerne la recevabilité des preuves. C’est un sujet sensible, sur lequel les opinions peuvent diverger. Le problème peut être posé en termes simples : l’administration fiscale doit-elle être mise en capacité d’exploiter tous les renseignements dont elle dispose, y Ce point est important.

Bien sûr, il ne s’agit pas de donner du crédit à toutes les informations, dont certaines seraient nécessairement fausses, voire malveillantes, ni de les acheter, ce qui poserait alors d’autres types de questions.

Toutefois, mon homologue de l’Assemblée nationale, le rapporteur général Christian Eckert, a très récemment exposé, dans un rapport d’information publié voilà quelques jours, les obstacles juridiques auxquels a été confrontée l’administration fiscale pour exploiter la fameuse liste HSBC. Christian Eckert a ainsi montré que l’administration ne pouvait pas opposer ces données aux contribuables compte tenu de leur origine, alors même qu’il était avéré que 30 % de ces derniers niaient posséder des avoirs non déclarés.

Ainsi, comme indiqué dans le rapport, l’administration fiscale était « tributaire de la volonté de la personne concernée de régulariser sa situation ».

Reconnaissons qu’il y a aujourd’hui une forme de paradoxe : l’administration fiscale peut exploiter une information achetée à un individu l’ayant lui-même volée quand elle est transmise par une autorité judiciaire ou étrangère, mais pas quand elle est directement communiquée par un particulier !

Il est, me semble-t-il, utile d’avoir un débat sur la licéité de la preuve en séance publique. Nos concitoyens ont des difficultés à comprendre que l’administration puisse disposer d’une liste de noms sans être en mesure d’opérer des redressements fiscaux sur son fondement faute d’en avoir eu transmission par les fameux « canaux autorisés ».

En outre, je vous présenterai, au nom de la commission des finances, un amendement tendant à réécrire l’article 11 bis D, qui institue une obligation de transmission à l’administration, par les grandes entreprises, d’une documentation justifiant leur politique de prix de transfert.

Il s’agit d’un sujet important, les prix de transfert constituant un outil majeur pour l’évasion et la fraude fiscale des entreprises multinationales. Au-delà de la perte de ressources pour le budget de l’État, c’est un facteur de concurrence déloyale à l’égard des petites et moyennes entreprises. La question sera abordée à l’occasion de l’examen d’autres amendements, mais nous en débattrons également à l’automne, le Gouvernement ayant annoncé que des mesures nouvelles figureraient dans le projet de loi de finances pour 2014.

Je voudrais souligner un autre élément. Le déroulement de l’affaire de la « liste HSBC » montre l’utilité très concrète des évolutions de notre législation face à la fraude fiscale. Prenons toutefois garde à certains excès : il convient de rester mesuré en matière de sanction de la faute, mais aussi de prescription et, éventuellement, d’inversion de la charge de la preuve. Les dispositions doivent être dissuasives, ce qui n’a pas toujours été le cas, mais également proportionnées à la nature du délit.

La même exigence doit s’appliquer aux contraintes pouvant être imposées à tous pour améliorer l’information de l’administration fiscale et son rendement attendu. C’est d’autant plus important que nous souhaitons par ailleurs simplifier les normes et les procédures, notamment pour les entreprises.

Au regard des critères que je viens de rappeler, certains amendements me semblent aller trop loin. C’est ce qui expliquera l’avis que j’émettrai à leur sujet en qualité de rapporteur pour avis de la commission des finances.

Notre commission étant favorable aux articles dont elle s’était saisie pour avis, je vous invite à approuver l’ensemble du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale. Le dispositif permettra à l’administration d’être mieux armée pour déceler et sanctionner les fraudes, en particulier les plus complexes. C’est un message fort qui envoyé : le Gouvernement est déterminé à développer un arsenal juridique et procédural permettant à la lutte contre la fraude de contribuer pleinement au redressement de nos finances publiques !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre délégué

Blowin’ i n t he w ind ?

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Je fais référence à un titre de 1964, The t imes t hey a re a - c hangin’, qui signifie dans notre langue : « Les temps sont en train de changer ».

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Il n’y était pas du tout question de lutte contre la grande délinquance financière et la fraude fiscale, mais les termes choisis prennent une signification très particulière dans notre débat d’aujourd’hui. Qu’on en juge :

« Allez sénateurs, membres du Congrès,

« De grâce, entendez cet appel

« Ne restez pas sur le seuil

« Ne bloquez pas l’entrée

« Car celui qui se blesse

« Sera celui qui se sera dérobé

« Il y a une bataille dehors

« Et elle fait rage

« Bientôt elle fera trembler vos fenêtres

« Et ébranlera vos murs

« Car les temps, ils sont en train de changer ! ».

Oui, mes chers collègues, les temps changent ! À l’évidence, l’évocation de la lutte contre la fraude fiscale recueille aujourd’hui un écho beaucoup plus large dans l’opinion publique, en France et ailleurs. L’évasion fiscale suscite effarement et indignation. On attend des élus de la République, garants du seul intérêt général, qu’ils s’attaquent résolument à ce que nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à percevoir comme un scandale lourd de dangers pour nos démocraties.

Nous sommes face à un chantier immense. Notre première commission d’enquête, ainsi que les travaux de nombreux journalistes, de magistrats et d’organisations non gouvernementales menés depuis plusieurs années ont pu mettre en évidence l’ampleur du phénomène. Plusieurs dizaines de milliards d’euros manquent chaque année au budget de la nation pour notre pays, le chiffre atteignant 1 000 milliards d’euros pour l’Union européenne. Non, mes chers collègues, dans cette affaire, la France n’est pas victime de sa fiscalité « délirante » ou « confiscatoire », pour reprendre les termes de certains responsables politiques ! Tous nos partenaires et voisins sont touchés par l’évasion fiscale.

Immense, le chantier l’est par la complexité des systèmes, de l’ingénierie à l’œuvre au sein des cabinets de conseils et autres avocats fiscalistes. Il l’est également par la très grande prégnance de l’industrie financière, jusqu’au cœur de nos institutions.

Et, tout comme les temps changent, la perception d’une telle réalité dans l’opinion évolue à grande vitesse depuis le début de la crise financière de 2008, qui entraîne la mise en œuvre de politiques d’austérité. La fraude fiscale pour les un signifie l’austérité pour tous les autres, par défaut de recettes. Évasion fiscale et austérité sont donc les deux faces d’une même pièce !

Par conséquent, l’enjeu de la bataille qui doit s’engager est non seulement financier et budgétaire, mais également politique, tant sont considérables les dégâts causés dans l’opinion publique après les nombreuses révélations, au cours de la dernière période, sur des responsables politiques de premier plan, certains ayant même occupé des fonctions au sein du gouvernement de la République… Chacun ici ne sait que trop qui se nourrit d’une telle situation !

Ayons ces éléments contextuels à l’esprit dans nos réflexions, nos débats à venir et lors de la présentation de nos propositions finales. C’est, je le crois, à ce prix que nous pouvons envisager de redonner à nos concitoyens la confiance indispensable dans nos institutions républicaines.

Plusieurs textes nous sont donc soumis : projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, projets de loi organique et ordinaire relatifs à la transparence de la vie publique, projet de loi relatif à la déontologie et à la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique… Tous participent de cette finalité de l’action publique que doit être la transparence.

Rappelons ici, comme l’a fait Mme la garde des sceaux, que, selon Transparency International, notre pays se classe au vingt-deuxième rang mondial des États perçus comme les moins corrompus. Notre groupe travaillera à faire en sorte que le texte aille plus loin que le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, dont le contenu ne nous paraît pas à la hauteur des enjeux.

Nous notons les avancées quant au régime des peines applicables, ainsi que le renforcement significatif des capacités de contrôle de l’administration fiscale et, plus largement, des moyens de lutte contre la fraude aux finances publiques. Toutefois, il nous faut regretter les 2 564 suppressions de postes prévues par Bercy au budget de 2014, qui viendront aggraver les chiffres de 15 % de baisse des effectifs en dix ans, au sein de la direction générale des finances publiques. Il serait très regrettable que de telles suppressions affectent les moyens dédiés à la lutte contre la fraude fiscale.

Il est grand temps de poser plus largement le débat sur les moyens dont nous voulons nous doter pour nous attaquer à la source de la gangrène financière qui ronge nos économies et nourrit la spéculation et les trafics. Investir aujourd’hui dans les moyens de la lutte contre la fraude fiscale permettra d’obtenir demain des recettes nouvelles.

L’enjeu de la France dans ce domaine dépasse largement nos propres frontières. Le sommet du G8 qui s’est tenu en Irlande du Nord les 17 et 18 juin derniers n’a débouché sur aucune échéance, aucun calendrier, se contentant une nouvelle fois d’afficher une dizaine de déclarations d’intentions ; ce n’est pas cela qui empêchera l’évasion fiscale ! L’action déterminée et audacieuse de notre pays pourrait aider à changer la donne au sein même de l’Union européenne.

Vous le savez, mes chers collègues, les paradis fiscaux prospèrent sans vergogne sur notre vieux continent, à nos portes, au cœur même de l’Union. Comment peut-on accepter plus longtemps l’attitude schizophrène de nos partenaires du Luxembourg et de l’Autriche quant à la transmission automatique des données ?

Il n’est pas possible de s’attaquer à la fraude fiscale en France sans prendre en compte le contexte international et européen qui favorise ces pratiques. Ne faut-il pas remettre à plat nos traités européens, qui sanctuarisent la libre circulation des capitaux et la concurrence libre et non faussée ? Ces règles s’appliquent bien évidemment aussi à la fiscalité…

Ne faut-il pas remettre en question la règle bloquante de l’unanimité sur toutes les décisions relatives à la fiscalité ? À l’échelon européen, d’autres thématiques se traitent bien à la majorité qualifiée.

N’est-il pas temps d’ouvrir le chantier de l’harmonisation fiscale au sein de l'Union européenne, surtout pas sous forme d’un dumping fiscal ou d’une course au moins-disant fiscal, mais en fixant l’objectif politique à terme d’une fiscalité juste et progressive – il ne suffit pas de la décréter – sachant apporter une réponse adaptée aux nouveaux géants de l’économie numérique ? Je pense à ces grands groupes tels que, entre autres, Google, Amazon, Apple, présents partout, mais taxés nulle part ! C’est un sujet sur lequel des propositions ont été formulées, notamment dans le rapport de MM. Pierre Collin et Nicolas Colin, ou ici même, au Sénat, en particulier par notre collègue Philippe Marini.

Trop de failles existent dans notre système. Elles permettent, voire facilitent la fraude et l’évasion.

Selon nous, une telle situation ne doit rien au hasard. Elle ne peut pas être considérée comme un dysfonctionnement d’un système économique par ailleurs en mesure de répondre à tous les défis humains de notre siècle… La dérive de la finance s’est considérablement accélérée au cours des années quatre-vingt. Souvenons-nous de l’arrivée sur la scène politique de Margaret Thatcher en 1979 au Royaume-Uni et de Ronald Reagan en 1980 aux États-Unis. Certains parlèrent à l’époque de « révolution conservatrice ». Ce fut le lancement d’une libéralisation généralisée de l’économie dans le monde, le recul de la sphère publique, le big-bang des bourses à Londres, à Paris, et, au fond, le début d’une certaine forme de dépérissement des États.

Tous ces débordements se sont accompagnés d’un discours néolibéral selon lequel chacun profiterait d’une telle croissance financière dérégulée, mondialisée, débridée… L’histoire montre bien aujourd’hui les limites de cette logique.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Tous les États semblent vouloir faire marche arrière, et l’on reparle de la nécessaire régulation de la sphère financière. La question est de savoir si l’on s’en donne véritablement les moyens, au-delà des discours volontaristes des G20 successifs, qui n’ont jamais enrayé le système.

On ne peut plus accepter les distinctions byzantines entre « fraude fiscale » et « évasion fiscale », comme s’il existait un bon et un mauvais évitement fiscal. Pour nous, c’est clair, c’est l’évitement fiscal sous toutes ses formes qu’il faut combattre. C’est la source qu’il convient de tarir.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

C’est d’abord une question de justice, de respect de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui assigne à chacun l’obligation de s’acquitter de ce qu’il doit en fonction de sa capacité contributive.

Le consentement à l’impôt s’appuie sur deux piliers. Premièrement, la fiscalité doit être équitablement répartie ; il faut que le boulanger du village ne soit pas plus taxé, proportionnellement, que les grands groupes du CAC 40, contrairement à ce qui se passe aujourd'hui. Deuxièmement, une personne en capacité d’acquitter l’impôt ne peut jamais échapper à ses devoirs. C’est la condition sine qua non de la pérennité de notre pacte républicain. Cela a déjà été souligné, et je partage complètement ce point de vue.

C’est aussi, chacun le mesure, une exigence budgétaire. Les études les plus sérieuses menées dans le cadre de commissions d’enquêtes parlementaires, de plateformes associatives de lutte contre la fraude fiscale ou réalisées par des économistes reconnus font état de sommes comprises entre 50 milliards d’euros et 80 milliards d’euros de moins-values de recettes fiscales pour notre pays et, cela a été rappelé, de 1 000 milliards d’euros pour les vingt-sept pays de l’Union européenne.

Face à de tels enjeux, comment comprendre la dégradation de notre système de retraite solidaire pour économiser 7 milliards d’euros ? Geler le point d’indice des fonctionnaires, corseter les budgets des hôpitaux et des collectivités territoriales… Monsieur le ministre, nous sommes en désaccord fondamental sur ces points !

Tout montre au fil des mois qu’une telle politique mène dans une impasse. Lorsque la sphère publique réduit ses dépenses, elle réduit en même temps, mécaniquement, ses recettes. L’austérité ne peut tenir lieu de projet politique progressiste. C’est essentiellement du côté des recettes qu’il faut rechercher des pistes : la lutte contre l’évasion fiscale en est une, considérable !

Les textes qui nous sont proposés aujourd’hui concernent principalement la poursuite et la répression des fraudes avérées. C’est une étape indispensable, mais les quelque 2, 5 milliards d’euros de recettes supplémentaires que le Gouvernement attend de ces mesures soulignent la nécessité d’élargir le débat à l’optimisation fiscale dans son ensemble. Par exemple, les prix de transfert constituent sans conteste la masse considérable de l’évasion fiscale.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Nous sommes nombreux à attendre des avancées sur de tels sujets. Nos débats permettront, je n’en doute pas, de progresser en ce sens.

Certes, pour être efficaces, beaucoup de décisions ne pourront évidemment être prises qu’aux niveaux européen et international. Mais nous considérons que la France doit jouer un rôle moteur, en faisant preuve d’une très grande audace.

C’est pour cette raison que nous regrettons, comme d’autres, que le présent projet de loi n’offre pas plus de souplesse au plan procédural. Nous déplorons également que la mise en œuvre du texte ne s’accompagne pas de moyens suffisamment renouvelés en termes de personnels et, compte tenu du rôle joué par la technologie, de matériels.

Nous appelons de nos vœux, entre autres, une véritable séparation bancaire. Nous avons la volonté de doter notre pays d’un arsenal de dispositions contre les produits spéculatifs les plus toxiques, tous ces instruments qui font de l’ingénierie financière l’adversaire, et non l’alliée, de l’économie réelle.

À notre sens, la situation exige également de redonner au politique le pouvoir de création monétaire. Car si la Banque centrale européenne est indépendante des autorités politiques, donc du peuple, elle ne l’est nullement à l’égard des banques, ni des marchés financiers. Or ce n’est pas le moindre des paradoxes que de la voir contribuer désormais par l’injection massive de liquidités à la reconstitution d’une bulle spéculative risquant d’éclater un jour ou l’autre, avec les conséquences que l’on sait pour les peuples d’Europe.

C’est dans cet esprit déterminé, lucide et confiant que nous porterons des amendements tendant au renforcement des sanctions, dont nous pensons qu’elles doivent avoir un effet dissuasif fort. Nous défendrons également des dispositions marquant notre volonté de voir le Parlement associé à ce travail de reconquête et nos concitoyens mieux informés au sein des entreprises concernées. Nous considérons en effet que les questions fiscales intéressent tout le monde. Elles ne sont en aucun cas l’apanage d’experts, de spécialistes ou des seuls économistes. Enfin, nous serons vigilants à l’égard ce qu’il est convenu d’appeler le « monopole » du ministre du budget sur les poursuites consécutives à des signalements en matière de fraude fiscale.

Mes chers collègues, nous devons veiller à faire en sorte que la réforme atteigne les objectifs affichés et qu’elle ne soit pas une simple réaction à des événements survenus dans l’actualité récente, comme nous l’avons trop souvent connu au cours du quinquennat précédent. Tout doit nous conduire à traiter le problème sur le fond et dans la durée. J’ai bien entendu vos propos sur ce sujet, madame la garde des sceaux.

Les membres de l’actuelle commission d’enquête sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux, dont je salue le président, François Pillet, ici présent, auraient trouvé judicieux d’attendre les conclusions de leurs travaux, qui auraient pu utilement être intégrées au projet de loi. Cela dit, nous savons qu’un tel travail s’inscrit dans la durée et qu’il nécessitera les efforts convergents de toutes les forces décidées à créer les conditions de la transparence pour la seule défense de l’intérêt général.

Le rassemblement est indispensable, au-delà de ce qui peut nous diviser. D’ailleurs, le rapport de la première commission d’enquête avait été voté à l’unanimité. Il est des sujets qui peuvent nous réunir !

À ce propos, les dizaines d’auditions menées depuis le mois d’avril 2012 par nos commissions d’enquête nous ont permis de rencontrer autant de personnalités venant de tous les horizons. Il s’agit de syndicalistes, de magistrats, de fonctionnaires, de militants associatifs, de journalistes d’investigation ou d’économistes qui, tous à la place qui est la leur, s’engagent dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

Nous pensons qu’une telle force doit s’organiser, témoigner et s’engager dans notre combat commun. Elle sera le point d’appui indispensable pour les législateurs et les gouvernants d’aujourd’hui et de demain. Le Sénat doit jouer tout son rôle, dans l’intérêt de nos concitoyens et de la justice sociale.

C’est dans cet esprit que le groupe CRC s’engage dans le débat. Nous déterminerons notre vote à l’issue de l’examen du texte, avec comme objectif suprême la reconquête par le politique du terrain qu’il n’aurait jamais dû céder à la finance ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi du Gouvernement contient un certain nombre d’avancées.

Améliorer le renforcement de la lutte contre la fraude fiscale, rationaliser les juridictions spécialisées en supprimant les juridictions spécialisées par cour d’appel ou encore créer un Office central de lutte contre la corruption et la fraude fiscale, même s’il faudra vérifier que les moyens annoncés lui seront effectivement alloués, sont des éléments positifs.

Mais la création d’un procureur de la République financier ne peut pas recueillir notre assentiment. Force est d’ailleurs de constater qu’elle ne semble pas convaincre grand monde, toutes tendances politiques confondues, sans parler des magistrats ou des enquêteurs, des juristes, voire des services de la Chancellerie eux-mêmes si l’on s’en tient à l’insuffisance de l’étude d’impact…

Pourquoi si peu d’enthousiasme ? L’idée de « sanctuariser » un procureur spécialement dédié à la lutte contre la délinquance financière peut paraître intéressante. Mais la question à se poser est plutôt celle de l’efficacité. Selon nous, la réponse est sans appel : la création d’un procureur financier sera, au mieux, inefficace, au pire, contre-productive.

On aurait pu envisager la création d’une juridiction spécialisée, sur le modèle de l’Audiencia nacional espagnole. Mais outre le fait que celle-ci est également compétente en matière de criminalité organisée, une telle évolution aurait impliqué une réforme complète de notre architecture judiciaire, ce qui dépasse largement le projet du Gouvernement.

On aurait pu envisager de confier, à l’instar de ce qui existe en matière de corruption d’agent public étranger ou de terrorisme, une compétence concurrente au tribunal de grande instance de Paris pour connaître certains délits financiers, ou encore de prévoir une compétence de la juridiction interrégionale spécialisée, ou JIRS, de Paris pour des affaires dont l’étendue nationale conduit à rendre compétentes plusieurs de ces juridictions.

Mais, assez curieusement, alors même qu’un pôle financier existe déjà à Paris et connaît une activité particulièrement riche, telle n’est pas l’option choisie par le Gouvernement, qui propose une sorte de mouton à cinq pattes en termes d’organisation judiciaire. Il instaure un parquet spécifique à compétence nationale rattaché au parquet général de Paris, comme s’il s’agissait d’une nouvelle juridiction, mais sans créer la structure qui devrait l’accompagner.

Voilà donc un parquet « hors-sol » !

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Or un parquet n’est qu’un élément d’un ensemble comprenant également des juges d’instruction et des formations de jugement.

À titre liminaire, soulignons que le dispositif sera source de complexité sur le simple plan de la gestion du tribunal. Les tribunaux fonctionnent habituellement sur une dyarchie. Nous aurions ici une troisième juridiction, compétente rationae materiae, dont on peine à comprendre quelle serait la place. Le parquet en sortirait en tout état de cause divisé, donc affaibli.

Un tel projet traduit une méconnaissance de la réalité des phénomènes de fraude fiscale et de corruption, qui nécessitent au contraire une approche globale, et non segmentée, en raison des liens de plus en plus étroits entre toutes les formes de criminalité. Inversement, la force des JIRS est de disposer de tout le champ de compétences de la délinquance complexe, s’agissant aussi bien de criminalité organisée que de délinquance économique et financière stricto sensu.

Seule l’intégration de toutes les compétences au sein d’un même parquet permet une vision globale des phénomènes de criminalité, y compris financière, en garantissant une réelle cohérence dans le traitement des procédures judiciaires.

Il apparaît en effet que des liens particulièrement étroits existent entre la criminalité organisée et la délinquance financière, notamment via le blanchiment. Le plus souvent, avant d’appréhender des délits comme la corruption ou le détournement de fonds publics, des investigations doivent être menées en enquête préliminaire sur la base de suspicions d’abus de biens sociaux, d’abus de confiance, de faux ou d’escroquerie. Les premières investigations sont généralement faites sans que des éléments permettant d’envisager la saisine du procureur financier soient réunis. De même, il est impossible de considérer dès le départ que les éléments constitutifs de la bande organisée sont réunis.

L’architecture proposée par le projet de loi s’inscrit donc dans une vision obsolète, verticalisée et segmentée des processus de fraudes fiscales et de corruption. Ceux-ci reposent pourtant aujourd’hui sur des infractions complexes, transverses, imbriquées, nécessitant une vision globale et unifiée, ainsi que des réponses fondées sur un partage d’informations en temps réel et la mise en œuvre de synergies opérationnelles entre les différents intervenants : parquet, enquêteurs, administrations.

Une telle réforme sera source de dysfonctionnements majeurs entre le procureur financier et les juridictions de droit commun ayant initialement eu à connaître des procédures financières. Elle créera des difficultés sans fin pour déterminer qui, du procureur de droit commun ou du procureur financier, est compétent, et ce au seul bénéfice des délinquants, qui tireront profit de ces complexités procédurales et de ces découpages byzantins.

Alors même que la matière commande une circulation rapide des informations entre les différents intervenants et que les investigations exigent des décisions très rapides, la saisine éventuelle du parquet financier relèvera du parcours du combattant, notamment parce que celui-ci ne sera pas destinataire des plaintes initiales ou des dénonciations TRACFIN.

Cette situation, avec un ministère public morcelé, sera illisible tant pour les magistrats instructeurs, qui auront deux interlocuteurs à Paris, que pour les enquêteurs et les autorités et administrations partenaires de l’institution judiciaire, appelés à s’adresser tantôt au procureur de Paris, tantôt au procureur financier ! Ce dernier ne pourra pas recevoir les plaintes et dénonciations. Et quand bien même il en recevrait, il ne pourrait pas s’en saisir. Dès lors, les plaintes seront toujours reçues par les procureurs territorialement compétents, c’est-à-dire à 8o % par le parquet de Paris.

De plus, le projet de loi n’atteindra aucunement l’objectif affiché par le Gouvernement de renforcer l’indépendance de la justice : nommé selon les mêmes modalités que les autres procureurs de la République, le procureur financier ne sera ni plus ni moins indépendant. Or le Gouvernement propose par ailleurs une réforme du statut de la magistrature présentée comme renforçant l’indépendance de tous les procureurs de France ! Est-ce à dire qu’il ne croit pas à cette réforme ?

En raison de sa complexité, le dispositif conduira à faire trancher les conflits de compétence les plus sensibles par la Chancellerie !

En effet, quels critères complémentaires pourraient être prévus par le garde des sceaux pour arbitrer les conflits de compétence, qui, en toute hypothèse, se traduiront par des lourdeurs dans les échanges d’information et provoqueront des retards inhérents au traitement des procédures, dans une matière qui commande une circulation rapide des informations entre les différents intervenants et des décisions très rapides ? Le procureur général de Paris, à qui, semble-t-il, les arbitrages seraient confiés, au motif que le procureur financier dépendra de lui, n’aura pas l’information suffisamment tôt, ni l’autorité et le pouvoir pour trancher les conflits avec les procureurs généraux d’autres JIRS.

En réalité, la Chancellerie, par le biais de sa direction des affaires criminelles et des grâces, sera la seule à disposer des éléments sur les procédures, à travers les rapports d’information qui lui sont adressés par les procureurs généraux. Ce sera donc elle qui arbitrera les saisines du procureur financier, pourtant présenté comme totalement indépendant, et ce alors qu’elle se targue de ne plus donner aucune instruction sur des dossiers particuliers !

Le coût de cette réforme inutile sera en outre sans commune mesure avec le choix, plus pragmatique et efficace, qui consisterait en un renforcement des effectifs des JIRS, avec l’assurance que l’ensemble des postes de magistrats, de greffiers et d’assistants spécialisés, mais aussi des postes nécessaires au fonctionnement des services de police et de gendarmerie spécialisés en matière économique et financière soient bien pourvus.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Il faut vous diriger vers votre conclusion, mon cher collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

D’un point de vue strictement budgétaire, on ne peut que s’étonner des très maigres éléments figurant dans l’étude d’impact, où l’on semble avoir totalement oublié de chiffrer le coût de création et de fonctionnement de la structure envisagée !

Voilà pourquoi nous proposerons en séance publique, à titre principal, une série d’amendements tendant à supprimer les dispositions relatives au procureur financier.

Toutefois, notre démarche est constructive. À l’instar du Gouvernement, nous souhaitons améliorer la lutte contre la délinquance économique et financière. Ainsi, nous soumettrons également des amendements visant, d’une part, à charger spécifiquement un procureur de la République adjoint dans les JIRS financières du suivi de ces affaires et, d’autre part, à envisager une alternative.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

L’alternative serait la suivante : confier une compétence concurrente dans certaines matières au procureur de la République de Paris ou confier une compétence concurrente pour des infractions d’ampleur nationale et recouvrant le territoire de plusieurs JIRS à celle de Paris.

Nous réclamons la même chose que tous les professionnels qui se sont exprimés sur ce sujet ; ce sont probablement les mieux à même de nous apporter des avis éclairés.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Au lieu que de créer une nouvelle structure très perfectible, utilisons les outils dont nous disposons déjà !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Alfonsi

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, qui pourrait s’opposer au renforcement des moyens de l’administration et de la justice pour lutter efficacement contre la fraude fiscale ? Qui pourrait s’opposer à une meilleure complémentarité entre leurs actions ? À un durcissement des sanctions en matière de délinquance économique et financière ? Nous sommes tous favorables à de tels objectifs.

Pour autant, cette cause, aussi juste soit-elle, ne légitime pas tout. Il n’est pas acceptable, sous prétexte de lutter contre la fraude fiscale, de donner force de loi à des pratiques susceptibles de remettre en cause les principes fondateurs de notre droit et les libertés fondamentales, qui sont le ciment de notre démocratie.

Nous sommes en droit de nous indigner de la remise en cause des libertés fondamentales que constituent les écoutes pratiquées par les États-Unis dans le cadre du programme PRISM.

La lutte contre le terrorisme ne saurait justifier l’usage de pratiques illégales. La République doit se garder de tomber dans de telles dérives, quel que soit l’objectif visé.

Il me paraît opportun de le rappeler, car le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale suscite un certain nombre d’interrogations. Certes, l’Assemblée nationale a apporté plusieurs améliorations, mais nos collègues députés ont également introduit dans le texte des dispositions inquiétantes qui appellent une réaction forte et claire de la part du Sénat. Notre commission des lois, grâce à son rapporteur, a commencé le travail en ce sens.

Nous nous félicitons de l’adoption de l’amendement du rapporteur tendant à supprimer l’article 2 bis, qui inversait la charge de la preuve en matière de blanchiment. Nous nous réjouissons tout autant de la suppression des articles modifiant les règles de prescription. L’on ne peut pas, nous semble-t-il, manipuler impunément les fondements de notre droit pénal lors de l’examen de chaque projet ou proposition de loi.

Je partage les propos tenus ce matin par notre collègue Jean-Jacques Hyest : il ne faut pas bousculer en permanence les règles de prescription ou l’échelle des peines… Je n’irai pas jusqu’à vous inviter à relire Beccaria, mais je crois que nous devons avoir en permanence ces éléments à l’esprit.

Certes, nous connaissons les difficultés de la lutte contre la fraude fiscale, pratique qui repose sur la dissimulation. Mais elles ne sauraient justifier l’adoption de dispositions créant des crimes ou des délits imprescriptibles.

De plus, si la volonté de lutter contre les paradis fiscaux et de mettre en place l’échange automatique d’informations qu’affichent les chefs d’État et de gouvernement aussi bien au G8 que lors des conseils européens est réelle, il deviendra bientôt beaucoup plus difficile pour les particuliers ou les entreprises qui veulent échapper à l’impôt d’y parvenir.

Par conséquent, selon nous, c’est davantage dans une telle coopération internationale, véritablement ambitieuse, en faveur d’une transparence accrue que réside la clef de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

Toutefois, même si le texte de la commission est déjà beaucoup plus satisfaisant que celui de l’Assemblée nationale sur certains des points que je viens d’évoquer, notre groupe reste très réservé sur des dispositions qui demeurent.

Je pense à l’article 9 septies, qui vise à mettre en place une protection générale pour les « lanceurs d’alertes ».

De même, la possibilité pour l’administration fiscale et les douanes d’utiliser des « preuves illicites » nous semble préoccupante. Certes, l’affaire de la « liste HSBC » a montré les limites des dispositifs actuels. Mais il n’est pas anodin de généraliser la possibilité d’utiliser de telles preuves. La mesure mérite en tout cas d’être extrêmement encadrée. La commission des lois a rétabli un garde-fou essentiel que l’Assemblée nationale avait supprimé : l’intervention de l’autorité judiciaire.

Nos préoccupations portent également sur l’article 16, qui prévoit d’étendre aux délits de fraude fiscale en bande organisée ou aggravés les « techniques spéciales d’enquête » applicables à la criminalité organisée.

Je le rappelle tout de même, ces techniques spéciales comprennent les écoutes téléphoniques, la captation des données informatiques ou le prononcé de mesures conservatoires sur les biens de la personne mise en examen.

À cet égard, il faut se réjouir de l’initiative du rapporteur, qui a fait adopter en commission un amendement tendant à dresser explicitement la liste des infractions concernées. Comme le précise l’exposé des motifs, une telle énumération est indispensable en matière d’atteinte aux libertés individuelles.

Je souhaite également aborder plus précisément le titre III du projet de loi, qui porte sur les juridictions spécialisées en matière économique et financière.

J’observe que ce volet du texte a été ajouté avec une certaine précipitation. Il a été intégré par une lettre rectificative parue treize jours seulement après le dépôt du projet de loi !

Mais ce n’est pas tant la forme que le fond qui pose problème : une réforme comme celle qui est proposée au titre III mérite une plus grande réflexion.

J’en viens au projet de loi organique relatif au procureur de la République financier.

La création d’un procureur financier, dont les contours ont, semble-t-il, été tracés un peu grossièrement – notre rapporteur a tenté tant bien que mal d’améliorer le dispositif en commission des lois, notamment pour prévenir les conflits de compétences – renforcerait significativement, aux dires de ses promoteurs, la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière.

Pour reprendre les propos tenus par le procureur de la République de Paris, François Molins, lors de son audition devant notre commission des lois, nous craignons que « ce procureur financier, qui présente plus d’inconvénients que d’avantages, ne soit dans le meilleur des cas, inefficace, et, dans le pire, contre-productif ».

Car le procureur financier ne répond clairement pas aux besoins de la justice, qu’il méconnaît voire contredit, en matière d’efficacité de la lutte contre la fraude et la délinquance économique. La nouvelle institution va à l’encontre de la transversalité, pourtant indispensable face à des formes de délinquance – fraude fiscale, crime organisé et grand banditisme – qui sont souvent liées.

En outre, sa création rend plus complexe l’architecture des juridictions spécialisées en matière économique et financière et fait apparaître le risque de nouveaux conflits de compétences, malgré les améliorations adoptées en commission.

Madame la garde des sceaux, comme l’a souligné François Molins, ce dont les magistrats ont besoin pour être plus efficaces, c’est de plus d’enquêteurs – vous avez vous-même insisté sur l’importance que vous attachiez à la création d’emplois – et surtout de modes d’arbitrage opérationnels pour trancher les conflits de compétences.

Je me dirige vers ma conclusion, car le temps passe, et je connais l’extrême sévérité de M. le président. §

Nous soutiendrons sans doute les mesures de lutte contre la fraude fiscale qui figurent dans le texte. Mais le temps judiciaire n’est pas le temps médiatique, avec ses faits divers suivis d’annonces immédiates… La création d’un procureur financier vient troubler notre ordre institutionnel et juridique. C’est le sens de nos réserves.

Madame la garde des sceaux, je voudrais vous faire part de mes hésitations.

M. le ministre chargé du budget nous a exposé ses certitudes à propos du « verrou » de Bercy. Des amendements visant à le rétablir ont été déposés. J’ai indiqué ce matin en commission que j’étais dans l’incertitude. Les arguments de M. le rapporteur paraissent tout aussi irréfutables que les certitudes du ministre. C’est un débat entre efficacité et justice sociale, voire entre efficacité et justice tout court. Je crois que je finirai, après moult hésitations, par revoter le verrou de Bercy : l’argument de M. le ministre du budget me paraît quand même plus fort, et c’est probablement celui que retiendra la commission des finances. Jacques Mézard a déposé un amendement en ce sens. J’ai hésité à le cosigner, mais je pense que je le voterai finalement.

C’est sur ces réflexions que je conclus mon propos, en remerciant M. le président, qui m’a permis de dépasser de plus d’une minute le temps de parole dont je disposais, de son indulgence.

Applaudissements sur les travées du RDSE, sur certaines travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi qu’ au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour le groupe écologiste, la lutte contre la fraude fiscale recouvre un triple enjeu : économique et budgétaire, moral et politique. Il revêt une triple dimension : nationale, européenne et internationale.

L’enjeu économique et budgétaire est évident. Il s’agit pour l’État de collecter les milliards d’euros qui manquent chaque année à son budget.

Selon les estimations, le montant de la fraude fiscale dans notre pays se situe entre 40 milliards et 80 milliards d’euros par an, contre 20 milliards d’euros environ pour la fraude sociale. De quoi combler largement le déficit de la France, évalué à 68 milliards d’euros cette année !

L’ensemble des redressements de cotisations sociales opérés par l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, l’URSSAF, à la suite de fraudes, de négligences ou d’erreurs se montait à 1, 37 milliard d’euros en 2012 – c’est un nouveau record –, en hausse de 7 % par rapport à 2011.

De même, les redressements liés au seul travail au noir ont atteint 260 millions d’euros en 2012, en hausse de 19 % par rapport à 2011. Sur cette somme, 151 millions d’euros étaient liés au travail non déclaré, 38 millions d’euros à des heures dissimulées et 42 millions d’euros à une activité dissimulée.

En 2012, 18, 1 milliards d’euros ont été réclamés par le fisc en droits et pénalités à l’issue de contrôles fiscaux, soit une hausse de 10 % par rapport à l’année précédente.

Ces chiffres démontrent l’ampleur et la gravité du phénomène qu’il s’agit de combattre. Ils interpellent naturellement les écologistes, d’autant que l’enjeu économique et budgétaire se double ici d’un enjeu moral.

En effet, il est de toute évidence urgent de répondre à la crise de confiance qui s’ajoute à la terrible crise économique que traverse notre pays. Quand les plus riches échappent à l’impôt grâce à des montages financiers complexes, c’est l’un des principes fondateurs de notre République, l’égalité, qui se trouve atteint.

Face à un tel scandale, comment les simples citoyens pourraient-ils ne pas remettre en question le devoir d’acquitter l’impôt auquel ils sont soumis ?

Et la portée proprement politique de textes comme ceux dont nous débattons aujourd’hui est indissociable des autres enjeux. Ne s’agit-il pas de démontrer à nos concitoyennes et concitoyens que le législateur ne veut pas être, ne s’avoue pas et n’est pas impuissant face à ceux qui trichent ?

Cela étant, notre horizon dépasse, et doit impérativement dépasser très largement nos frontières nationales. À cet égard, permettez-moi de rappeler encore quelques chiffres.

Les 35 conventions d’échange de renseignements passés avec des États étrangers ont abouti à l’envoi de 777 demandes de renseignements en 2012, contre 300 en 2011. Les nouvelles mesures entrées en vigueur en 2012 ont alourdi les sanctions pour non-déclaration d’un compte bancaire à l’étranger, ce qui a eu son effet, avec un bond de 36 % des déclarations de comptes à l’étranger en 2012, soit 100 833 contre 79 680 en 2011 et 75 732 en 2010. Vous voyez tout de même l’évolution...

Selon l’Union européenne, ce sont 1 000 milliards d’euros qui échappent aux États membres, le manque à gagner fiscal représentant un coût annuel d’environ 2 000 euros par citoyen européen. La perte de revenus continue d’accroître les niveaux de déficit et de dette dans les États membres précisément au moment le plus décisif de la lutte contre la crise.

Du fait de la fraude et de l’évasion fiscales, les fonds disponibles pour encourager les investissements publics, la relance et l’emploi se font rares.

L’écart fiscal actuel en Europe met directement en danger la préservation du modèle social européen, qui est fondé sur des services publics universels et de qualité, et menace le bon fonctionnement du marché intérieur, conduisant à une grave perte d’efficacité et d’équité des systèmes fiscaux au sein de l’Union européenne. Le coût total de la fraude fiscale est plus élevé que l’ensemble des budgets de la santé cumulés de l’Union.

La fraude conduit à déplacer la charge fiscale sur les travailleurs et les ménages à moyens et bas revenus. Elle est multiforme. En dehors de toutes les activités mafieuses et criminelles, il y a les détournements de fonds publics et les abus de droit, c'est-à-dire l’utilisation aux marges de la légalité de dispositifs réglementaires. Il y a aussi la fraude à la petite semaine, à la TVA, aux charges sociales et à la sécurité sociale. Enfin, il ne faut pas oublier ceux qui, du fait de leur activité, ont placé dans des paradis fiscaux une partie de leur fortune.

La commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, dont Éric Bocquet était le rapporteur, diagnostiquait en 2011 « une culture de la faille aux mille visages » et soulignait que l’Europe restait trop en retrait sur le sujet. Or c’est au cœur même de l’Europe que l’on trouve les paradis fiscaux parmi les plus prospères, comme le Luxembourg, Jersey ou Monaco. Les 21 paradis fiscaux liés à l’Union européenne provoquent plus de 100 milliards de dollars de perte de recettes fiscales, le Royaume-Uni et les territoires relevant de son autorité représentant à eux seuls plus de la moitié des territoires offshore européens.

Selon certaines sources, 19, 5 % des dépôts mondiaux sont détenus dans les paradis fiscaux. Cela signifie que 14 000 milliards d’euros sont cachés par des particuliers dans des paradis fiscaux à travers le monde, soit une perte de plus de 120 milliards d’euros de recettes fiscales. Or les deux tiers de cette richesse mondiale offshore, l’équivalent de 9 500 milliards d’euros, sont dissimulés dans les paradis fiscaux liés à l’Union européenne.

Ce chiffre ne comprend pas la fraude fiscale des entreprises et des multinationales, dont on estime qu’elle coûte chaque année pour le seul continent africain environ 123 milliards d’euros. Or 55 milliards d’euros seraient nécessaires pour éradiquer l’extrême pauvreté, c'est-à-dire pour que chaque personne dans le monde puisse vivre avec environ un euro par jour.

Les États-Unis ont déjà « blacklisté » certains États membres de l’Union européenne, comme le Luxembourg et Chypre, mais l’Union européenne elle-même n’a pas suffisamment agi. Chasser l’évasion fiscale a, en outre, un coût pouvant conduire les administrations à renoncer. Il ne faut pourtant pas baisser les bras. Les écologistes estiment que, si l’on veut identifier et poursuivre un plus grand nombre de cas de fraude, il convient de protéger ceux qui informent les autorités compétentes de leur existence et qu’il est convenu d’appeler des « lanceurs d’alerte ». En revanche, une alerte lancée de mauvaise foi, avec l’intention de nuire ou en sachant, même partiellement, que les faits sont inexacts, serait sanctionnée.

Les dispositions prévues par les textes que nous examinons vont évidemment dans le bon sens. Je pense à l’extension à l’or et aux jetons, plaques et tickets de casinos de l’obligation de déclarer aux douanes tout transfert physique de sommes, titres ou valeurs d’un montant supérieur à 10 000 euros.

Bien des mesures envisagées sont nécessaires.

Comme vous, monsieur le ministre, nous souhaitons la mise en œuvre rapide d’un véritable « FATCA européen ». La loi américaine de 2010 dite FATCA, pour Foreign account tax compliance act, impose aux institutions financières et bancaires étrangères de déclarer les revenus de contribuables américains y ayant un compte. Ces déclarations sont confrontées à celles, annuelles, faites par les contribuables américains auprès de l’administration fiscale concernant leurs revenus à l’étranger. Le patrimoine et les avoirs à l’étranger doivent également être déclarés.

L’Union européenne cherche à mettre en place un nouvel instrument, effectif dès la fin de l’année 2013, qui étendrait la levée du secret bancaire aux revenus de l’épargne et autres revenus, comme certains contrats d’assurance-vie, pensions, biens immobiliers. En effet, si l’échange d’informations bancaires entre pays se fait aujourd’hui « à la demande », le système a montré son inefficacité : nombreux sont les États, en particulier les paradis fiscaux, à refuser de collaborer.

Les deux textes que nous examinons, le projet de loi ordinaire et le projet de loi organique, complètent et renforcent les dispositions déjà adoptées dans les deux derniers collectifs budgétaires de 2012. Certaines réserves ont pu être exprimées ici ou là quant au durcissement de l’arsenal répressif, comme la création, en cas de fraude fiscale aggravée, d’une garde à vue de quatre jours et l’autorisation de « techniques spéciales d’enquête ».

On peut ne pas souscrire à de telles réserves, mais il n’est sans doute pas interdit de les entendre. Ces textes ont été écrits sous le coup de l’émotion suscitée par l’affaire Cahuzac, tout comme ceux sur la transparence de la vie publique. Or l’émotion n’est pas toujours bonne conseillère.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

La légitimité des objectifs visés ne doit pas nous conduire à nous départir d’une certaine mesure dans le choix des moyens pour les atteindre. Veillons surtout en toutes circonstances, y compris dans la situation présente, à ne pas faire reculer les libertés, un capital certes non imposable, mais précieux et fragile en cette période de crise.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Mais elles ne reculent pas.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Cette parenthèse étant refermée, et pour clore mon propos, je ne dirai qu’une chose : les écologistes de cette Haute Assemblée, et moi avec eux serons bel et bien, sans faillir, aux côtés de la majorité pour mener la lutte contre la fraude fiscale dans notre pays et pour l’égalité devant l’impôt. Nous voterons donc d’une voix unanime les textes qui nous sont soumis.

Nous appelons malgré tout le Gouvernement à tempérer l’avalanche de projets de loi sous laquelle ploient depuis des semaines les parlementaires, de surcroît en procédure accélérée, ce qui ne nous laisse guère le temps de les travailler, …

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, en plus d’être un impératif moral, la lutte contre la fraude fiscale est une exigence budgétaire.

À ce titre, il convient de déclarer solennellement que cette lutte est, pour reprendre la motivation de certains amendements présentés par le groupe CRC ce matin en commission, un moyen de redresser nos comptes publics plus juste que la hausse des prélèvements obligatoires à laquelle nous avons assisté lors des deux dernières lois de finances rectificatives ; les propos du Président de la République me laissent d’ailleurs penser qu’il en ira de même dans les prochains collectifs budgétaires… C’est d’autant plus vrai que de telles hausses de prélèvements obligatoires, conjuguées à l’insécurité fiscale, constituent un terreau extrêmement fertile pour les pratiques d’évasion et d’optimisation fiscales.

Il faut donc veiller à ne pas créer les conditions futures d’une évasion fiscale, a fortiori d’une fraude fiscale massive – ce n’est pas la même chose –, et à ne pas nous laisser entraîner dans un cercle vicieux de déficit, d’augmentation des impôts, de glissement dans la fraude fiscale, et ainsi de suite.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Le combat contre la fraude fiscale ne date pas d’hier. Au tournant des années 2000, l’administration fiscale récupérait chaque année environ 13 milliards d’euros grâce aux contrôles dans les entreprises et chez les particuliers.

Dix ans plus tard, en 2011, ce sont 16, 5 milliards d’euros qui ont été récupérés en une année.

Le travail effectué et les grandes innovations réalisées en matière de lutte contre la fraude fiscale lors de la précédente législature doivent être rappelés.

En effet, entre 2007 et 2012, ce sont plus de soixante mesures d’intensité différente qui ont été prises pour lutter contre les fraudes, que ce soit dans le domaine fiscal, social ou douanier ; vingt-trois mesures concernaient tout particulièrement la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

D’abord, en ce qui concerne la régulation des flux financiers internationaux, et notamment des activités bancaires suspicieuses, 776 conventions fiscales nouvelles ont été signées entre 2008 et mars 2009, sans oublier trente-six conventions d’assistance administrative permettant d’échanger des renseignements. À cela doit être ajouté le travail du précédent exécutif à l’occasion des réunions du G20, qui ont permis de prendre de nombreuses mesures de rétorsions applicables aux opérations économiques avec des États et territoires non coopératifs.

Dans une démarche similaire, signalons que la fraude fiscale a été incluse dans le champ des infractions prises en compte par le groupe d’action financière, plus connu sous le nom de GAFI, qui, comme chacun sait, est un organisme international chargé de promouvoir des politiques de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Toujours dans l’objectif de détecter l’évasion fiscale, rappelons la création, par un arrêté du 25 novembre 2009, d’EVAFISC, qui recueille les informations laissant présumer la détention de comptes bancaires hors de France par des particuliers ou des entreprises. On peut également évoquer EUROFISC pour lutter contre les fraudes internationales à la TVA. Concrètement, cette politique a très rapidement porté ses fruits. En effet, alors que seulement 25 000 comptes détenus par des Français à l’étranger avaient été déclarés en 2007, près de 80 000 l’ont été pour l’année 2012. Ces nouveaux instruments sont donc à l’origine de grands progrès.

Faut-il également rappeler l’instauration de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, créée par un décret du 4 novembre 2010 ? Cette brigade, plus connue sous le nom de « police fiscale », permet à l’administration fiscale de déposer plainte avant même que le délit fiscal soit caractérisé. Elle intervient notamment dans le cas des fraudes fiscales sophistiquées impliquant des montages fiscaux dans des États « à fiscalité privilégiée ». Grâce à des agents bénéficiant d’une formation croisée et dont les pouvoirs comparables à ceux de la police judiciaire, cette brigade mixte, composée de policiers et d’inspecteurs des impôts, a su trouver sa place dans la lutte contre la délinquance fiscale.

Il faut enfin évoquer le droit de communication, qui permet à l’administration fiscale d’obtenir de toutes les banques installées en France des informations sur les opérations de transferts de fonds réalisées à l’étranger. Le dispositif a concerné plus de 500 banques pour plus de 40 000 virements détectés, et ce uniquement pour la période 2006-2008.

Ces mesures de détection ont bien sûr été accompagnées d’un renforcement des sanctions et d’un allongement du délai de prescription pour les avoirs détenus à l’étranger et non déclarés, de trois à dix ans pour tous les pays sans distinction.

Une telle liste de nouvelles dispositions n’est évidemment pas exhaustive, et toutes les principales données statistiques ne peuvent pas être présentées.

Cependant, la progression des résultats, s’agissant aussi bien de la détection de l’évasion fiscale, de la réussite de la cellule de régularisation ou du nombre de plaintes déposées pour fraude fiscale, montre que le dispositif actuel de lutte contre la fraude fiscale a fait ses preuves.

À cette réussite comptable, il faut ajouter le respect d’un équilibre précaire entre, d’une part, l’octroi de davantage de moyens pour l’administration fiscale et la justice et, d’autre part, la protection des libertés fondamentales.

Les textes qui sont aujourd’hui soumis à notre examen doivent, en harmonie avec les règles existantes, être conçus comme une phase complémentaire d’adaptation de notre droit à de nouvelles formes de fraudes et de criminalité financière, qui ont été décrites par le rapporteur.

Veillons à ce que nos initiatives et nos innovations atteignent leurs objectifs : mieux cerner les terrains propices à la fraude, quantifier l’étendue de cette dernière et améliorer les outils qui permettent de la combattre, voire de la prévenir, tout en restant dans notre culture sociale et juridique, empreinte d’un souci profond du respect des libertés individuelles fondamentales.

Je tiens à saluer les travaux du rapporteur, qui ont été d’une grande qualité ; nous en soutenons les principales avancées. Mais, tout comme mon groupe, je persiste à craindre – j’y reviendrai dans mon propos de conclusion – que le projet du Gouvernement de créer un procureur financier de la République ou procureur de la République pour les affaires financières ne rompe avec l’équilibre existant.

J’émets cette remarque avec d’autant plus de bienveillance que j’ai un profond regret.

La commission d’enquête sur l’évasion des capitaux est en train de réaliser un véritable travail de fond pour diagnostiquer les dysfonctionnements et proposer des solutions. Il eût sans doute été plus pertinent d’en attendre les conclusions, annoncées au début du mois d’octobre, pour légiférer en la matière. Au demeurant, une loi pénale plus sévère ne peut pas s’appliquer aux situations en cours. Nous pouvions donc très bien patienter jusqu’à la fin des travaux de la commission, dont je suis le président et dont M. Bocquet est le rapporteur documenté et enthousiaste, un enthousiasme qui ne m'effraie pas. §

Disposant de pouvoirs d’investigation plus larges, nous recueillons chaque semaine des témoignages et des explications sur la fraude fiscale, les infractions économiques et les montages nouveaux qui apparaissent quotidiennement. La précédente commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion fiscale avait émis soixante et une propositions, qui ont été adoptées à l’unanimité ; l’actuelle parviendra, je n’en doute pas, à des conclusions tout aussi consensuelles.

Je crois, semble-t-il avec raison, que sur des enjeux aussi importants que la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, un travail de concertation, de recherche et d’audition comme celui que nous réalisons aurait permis d’appréhender plus largement cette vaste question, d’autant plus que certaines dispositions contenues dans le texte semblent intéressantes.

Nous aurions pu les enrichir, les renforcer et leur donner un champ d’influence sans doute plus large. Au nom de mon groupe, je le redis avec force et conviction : oui au renforcement de l'arsenal juridique contre la fraude fiscale, mais veillons à ce que le texte s'y emploie véritablement !

Nous devrions parvenir à un accord sur plusieurs points évoqués par le rapporteur et discutés en commission des lois.

Je pense ainsi à la prescription. Faire courir le délai à compter de la connaissance des faits revient à rendre le délit imprescriptible ; je ne suis pas le seul à refuser de m’y résoudre. Il serait d’ailleurs peu aisé de justifier un régime de prescription plus sévère pour les infractions financières que pour les atteintes aux personnes. Les travaux de la commission – je pense notamment, il faut bien le dire, à l'amendement du Gouvernement qu’elle a adopté sur le sujet – peuvent être salués.

De surcroît, si la fraude fiscale n’apparaît pas suffisamment réprimée et sanctionnée à l’heure actuelle, je suis au regret de constater, avec courtoisie, que l’administration fiscale en est en grande partie responsable.

Comme cela a été rappelé, ne viennent devant le tribunal correctionnel que les dossiers envoyés par l’administration pour examen à la Commission des infractions fiscales. De ce fait, l’administration, avec le ministère dont elle dépend, est juge de l’opportunité des poursuites. Depuis sa création, la commission est dénoncée de manière quasi unanime par la doctrine, les praticiens et les magistrats.

Le ministère des finances, qui semble moins attaché à la transparence en ce domaine qu’en d’autres, s’oppose à sa suppression, mais pour des raisons qui n’ont convaincu personne, pas même, je crois, notre rapporteur.

Certes, ce dernier a proposé une solution, inévitablement temporaire, mais qui, articulée avec les dispositions, assez souvent oubliées, de l’article 40 du code procédure pénale, devrait permettre aux magistrats du ministère public d’exercer leur mission dans le sens de la poursuite d’une plus large part des infractions de natures fiscales. Nous rejoindrons cette position par pragmatisme, espérant ainsi qu’elle pourra être tenue !

Par ailleurs, nous persistons à nous interroger sur le dispositif des lanceurs d’alerte, dont la portée a, certes, été limitée par les travaux de la commission. Le sujet est délicat. Si nous admettons un traitement particulier pour le repenti, la dénonciation doit être encadrée. La culture française n’apprécie guère les dénonciateurs, quel que soit le drapeau civique dont on les pare ! Les libertés individuelles, au premier rang desquelles figure le respect de la vie privée, en sont souvent les premières victimes.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Néanmoins, grâce aux limites posées par notre rapporteur, nous devrions pouvoir dégager un consensus sur le sujet après avoir nettement encadré cette inquiétante innovation et nous avoir, en tout cas, réservé l’examen de sa pérennité au retour de l’expérience.

Il y a peut-être un oubli ou, du moins, une insuffisance, dont nous avons d’ailleurs discuté en commission : l'absence de réflexions sur le développement des mesures techniques propres à mieux lutter contre la fraude à la TVA, pourtant importante dans notre pays, avec un manque à gagner annoncé de 30 milliards d’euros pour l’État.

Le problème est seulement abordé à l’article 3 bis A pour les cas suspects de demande d’un numéro de TVA. C'est, me semble-t-il, une bonne mesure. Mais cette disposition risque d’avoir peu d’effets, le centre de formalités des entreprises qui recevra les justificatifs ne disposant apparemment pas des moyens humains et techniques pour identifier en amont les fraudes.

Voilà donc un ensemble de points où les travaux du rapporteur, ceux de la commission des lois et les amendements proposés permettront de mieux atteindre, via le futur texte législatif, des objectifs constants visés depuis plusieurs mandatures.

Reste le projet de loi organique sur la création du procureur de la République financier, dont l’annonce vise peut-être à combler l’imaginaire populaire, mais certainement pas à compenser une lacune de notre organisation judiciaire !

Une telle mesure ne sera pas difficile à vendre chez les éditorialistes, peu enclins à se plonger dans les méandres des procédures pénale et fiscale ou dans les fondements muris des institutions judiciaires. En revanche, et je suis au regret de devoir le dire, c’est un désordre annoncé, anticipé en particulier par l’ensemble des praticiens, procureurs et magistrats du siège en tête. Le procureur de la République financier ne résoudra rien. Pire encore, il entraînera confusion et inefficacité !

C’est tout d’abord un insidieux bouleversement de l’organisation judiciaire qui introduirait le développement d’une spécialisation hiérarchique ; je ne suis pas le premier à le souligner à cette tribune. Une telle évolution commanderait tout aussi légitimement la création d’un procureur de la République à l’environnement, d'un procureur de la République pour la lutte contre la toxicomanie, d’un procureur de la République pour la lutte contre la pédophilie...

Au demeurant, le dispositif actuel ne fait pas obstacle à la résolution du problème de la fraude fiscale. L’organisation de la justice financière répond parfaitement aux défis posés par les auteurs d’infractions en matière économique et financière.

Il y a d’abord le tribunal de grande instance de Paris, qui se voit attribuer une compétence exclusive en matière économique et financière sur l’ensemble du territoire national pour la poursuite des délits d’initié, de manipulation de cours et de diffusion d’informations fausses ou trompeuses par l’article 704-1 du code de procédure pénale. Il y a ensuite le procureur de la République de Paris, qui se voit attribuer une compétence concurrente aux autres tribunaux pour les délits de corruption et de trafic d’influence internationaux.

Le projet de loi constitue une remise en question du travail des juridictions de droit commun, des juridictions spécialisées, ainsi que des JIRS.

À ce titre, quelle sera la nouvelle répartition des compétences entre les juridictions de droit commun, les juridictions spécialisées et l'éventuel procureur de la République financier ?

Ne nous faisons pas d’illusions, nous allons droit vers des conflits de compétences entre procureur et procureur financier. D’ailleurs, ces conflits ont été fort bien identifiés par M. le rapporteur, qui tente, probablement sans trop y croire, d’apporter une solution législative. La Chancellerie en sera inévitablement l’ultime arbitre, au risque, d'ailleurs involontaire, de contredire son aspiration affichée au refus d’instructions individuelles.

Concrètement, en instituant ce procureur de la République financier, nous créerons une division des autorités chargées des enquêtes et des poursuites qui entraînera une déperdition de l'information, mais également une certaine rivalité entre les parquets.

De fait, comme je l’ai déjà indiqué, le texte entraîne une spécialisation des magistrats et une verticalité dans l'architecture judiciaire qui seront manifestement inadaptées à la prise en charge d'affaires complexes, aux multiples ramifications.

Si vous souhaitiez absolument procéder à une réforme de notre ordre judiciaire, il eût été préférable d'étendre les compétences des juridictions interrégionales spécialisées, de leur associer un procureur adjoint spécialisé et de réserver à la JIRS de Paris l'examen des dossiers relevant de plusieurs juridictions spécialisées du territoire national. Nous vous proposerons un certain nombre d’amendements tendant à dessiner une telle organisation parallèle au cas où la création du procureur financier serait repoussée.

Mes chers collègues, notre ordre judiciaire, notre procédure pénale ne sont pas inadaptées à la lutte contre la fraude fiscale. Certes, des ajustements sont envisageables, ce que nous ne manquerons pas de souligner. Mais, avec une telle réforme, le Gouvernement prend le risque de désorganiser, partiellement mais de manière importante, l’appareil judiciaire.

Le problème n’est pas là ; vous le savez très bien. La fraude fiscale visée par le texte n’est pas celle des maçons portugais ; c’est celle des gros fraudeurs, c’est-à-dire la fraude internationale, assise sur des montages qui nous dépassent. La lutte contre cette fraude se joue hors de nos frontières, loin de notre assemblée, dans les rendez-vous internationaux. Elle dépend également des moyens que les Gouvernements donnent à leurs administrations, ainsi que de leur organisation.

En résumé, comme je l’ai indiqué en commission, nous aurions dû attendre la fin des travaux de la commission d’enquête en cours. Mais nous pouvons trouver des points de consensus sur des évolutions nécessaires. Nous en avons d’ailleurs discuté de manière très positive et substantielle en commission avec M. le rapporteur.

En revanche, vous aurez parfaitement compris que nous sommes fermement opposés à la création d’un procureur financier de la République. §

Debut de section - PermalienPhoto de François Rebsamen

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la droite ligne d'un texte que nous avons examiné dernièrement, le présent projet de loi s’inscrit dans un objectif de transparence et d'efficacité dans la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique ou financière. N’en disconvenons pas, il répond à des préoccupations financières immédiates. C’est d’ailleurs ce qui a conduit la commission des finances à s’associer au travail de la commission des lois.

Je voudrais féliciter la commission des lois et les rapporteurs de leur travail, à une exception près ; j’y reviendrai tout à l'heure. Leur action montre bien qu’une approche éthique est compatible avec le souci d'efficacité porté par la commission des finances.

Je souhaite également féliciter le Gouvernement, qui propose un tel renforcement des moyens d’action contre la fraude fiscale. La lutte contre ce fléau est à la fois un impératif de justice et une nécessité budgétaire. Dans un contexte d’effort partagé par tous les contribuables et toutes les administrations publiques, les dizaines de milliards d'euros de recettes perdues chaque année ne sont pas supportables.

Intensifier la lutte, cela signifie faire l’inverse – j’ai entendu des propos intéressants à cet égard – de ce que proposaient encore récemment certains membres de l’opposition à l’Assemblée nationale pour favoriser le retour des exilés fiscaux : selon eux, l'amnistie serait la meilleure réponse à la fraude. Nous pensons exactement le contraire, et nous sommes nombreux, semble-t-il, sur ces travées. Il faut raréfier l’espace des fraudeurs, au sein de l'espace tant national qu’européen. Il faut également limiter les échappatoires et intensifier les actions et les sanctions, afin de permettre à l’administration fiscale d’agir vite.

En effet, seules des procédures diligentes permettent d’assurer le recouvrement rapide des montants dissimulés et l’application de pénalités dissuasives.

C’est pourquoi le projet de loi accroît les moyens de l’administration fiscale pour mieux détecter la fraude, grâce à un contrôle fiscal plus efficace, et augmente la sanction en renforçant les peines. C’est, du moins, une conviction que je partage avec plusieurs collègues.

Toutes ces mesures s’inscrivent d’ailleurs dans le prolongement du renforcement opéré l’an dernier en loi de finances rectificative, texte qui avait déjà conforté les moyens humains et juridiques de l’administration, intensifié la lutte contre le transfert à l’international des bénéfices réalisés par les entreprises et rapatrié en France les charges venant diminuer le bénéfice taxable à des fins d’optimisation fiscale, voire de fraude.

Le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’optimisation fiscale des entreprises, qui a été publié la semaine dernière, souligne la nécessité d'une action internationale repose à la fois sur la réduction des disparités de taux d’imposition – rappelons d’ailleurs que j’avais déposé une proposition de loi en ce sens avec François Marc voilà quelques années – et sur un échange d’informations renforcé.

Le travail doit être poursuivi. L’ensemble des parlementaires socialistes s’associent ici aux positions du Gouvernement. J’ai cru comprendre qu’ils n’étaient pas les seuls, ce dont je me félicite.

Mais, pour imposer notre voix dans les négociations internationales, nous devons faire la preuve de notre volonté au niveau national, notamment en améliorant la coopération entre services administratifs et judiciaires. Les propos que Mme la garde des sceaux et M. le ministre ont tenus en ce sens tout à l’heure sont d’ailleurs tout à fait intéressants.

À ce stade de mon intervention, j’indique, au nom du groupe socialiste, que nous nous opposons au nouvel article 2 ter, introduit par la commission des lois.

Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de François Rebsamen

J’ai noté la position de M. le rapporteur ; elle est tout à fait estimable, mais ce n’est pas celle du groupe socialiste. Le renforcement de l’arsenal judiciaire, auquel il est sans doute nécessaire de procéder, ne doit pas conduire à affaiblir l’administration fiscale.

Nous ne voulons pas démobiliser les centaines de fonctionnaires de l’administration fiscale qui font aujourd'hui leur travail avec compétence et sérieux, cette administration ayant fait la preuve de son efficacité, grâce à un système de majoration pouvant aller jusqu’à 100 % ; vous l’avez rappelé, monsieur le ministre. C’est l’arme la plus opérationnelle et la plus dissuasive contre les fraudeurs.

En outre, les pénalités ont permis de rapporter 2, 5 milliards d’euros de recettes supplémentaires en 2012.

M. Jacques Mézard acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de François Rebsamen

Le monopole de l’administration sur l’engagement des poursuites permet d’aller au bout de la procédure administrative avant d’ouvrir une autre procédure, judiciaire celle-là, c’est-à-dire soumise à d’autres règles et à un autre rythme. Il est parfois perçu comme une mesure de défiance à l’égard des magistrats ou comme un instrument de secret. Point du tout ! C’est au contraire un gage d’efficacité au regard des spécificités de la matière fiscale : la complexité des infractions, la nécessité de maintenir des possibilités de régularisation, et les effets différents des poursuites pénales et administratives légitiment, je le crois, ce filtre préalable.

En premier lieu, l’examen préalable des dossiers de fraude par l’administration fiscale se justifie souvent par la complexité des mécanismes mis en œuvre pour échapper à l’impôt. Or les services fiscaux sont actuellement en mesure d’expertiser des fraudes complexes, leurs ressorts financiers et les dispositions applicables.

Donner au parquet la possibilité d’instruire directement impliquerait quasiment de dupliquer les services compétents, entraînant assurément un risque d’aléa juridique entre les dossiers selon le service saisi. Cela ne me paraît donc nécessaire.

En second lieu, le traitement préalable par l’administration fiscale avant l’ouverture de poursuites permet, le cas échéant, d’accélérer la procédure en permettant au contribuable de régulariser sa situation. La circulaire récemment publiée apporte d’ailleurs des garanties de transparence – nous en sommes tous très heureux – dans la procédure de régularisation des contribuables détenant des avoirs antérieurement non déclarés à l’étranger.

Enfin – faut-il le rappeler ? –, pour près de 1 000 plaintes déposées annuellement par l’administration, près des deux tiers des condamnations prononcées ne comprennent aucune peine d’amende ou d’emprisonnement ; il semble que, à ce jour, seule une personne soit incarcérée pour fraude fiscale. Il ne s’agit nullement de considérer que la justice ne ferait pas son travail ou que l’administration fiscale y parviendrait mieux ; il faut conserver les deux temps, les deux rythmes, et avoir le souci de l’efficacité.

Il paraît essentiel de maintenir la phase préalable de sanction administrative, au dénouement plus rapide et aux conséquences financières plus tangibles. Face à la seule menace pénale, essayez de négocier le paiement d’une amende !

Je comprends bien sûr dans quel esprit la commission des lois et son rapporteur, Alain Anziani, ont cherché à introduire une dérogation au monopole de l’administration fiscale. Je constate l’opposition entre la commission des lois, même si j’ai cru comprendre que celle-ci était très partagée, …

Debut de section - PermalienPhoto de François Rebsamen

… et la commission des finances, pour sa part unanime sur le sujet.

Au demeurant, la remise en cause de l’organisation actuelle aboutirait à réduire le contrôle démocratique. Le Parlement exerce un contrôle beaucoup plus restreint sur l’action judiciaire, au titre de la séparation des pouvoirs, que celui qu’il peut exercer sur l’administration fiscale, à travers les pouvoirs de contrôle sur place et sur pièces qu’il détient ; je sais que le président comme le rapporteur général de la commission des finances ne se privent pas de recourir à cette faculté. Le fait de retirer un tel pouvoir à nos représentants aboutirait, me semble-t-il, à une forme de dessaisissement du contrôle démocratique.

La possibilité pour le parquet d’engager des poursuites de son seul fait soulèverait d’ailleurs des questions délicates quant au traitement des contribuables désireux de régulariser spontanément – ils ne sont pas nombreux, mais ils existent ! – leur situation fiscale. À cet égard, la circulaire qui vient d’être publiée permet de préciser les conditions de rectification ; cela va dans le sens de la transparence que, les uns et les autres, nous appelons de nos vœux.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues – je m’exprime non pas en tant que membre de la commission des finances, dont je partage l’avis unanime, mais en tant que président du groupe socialiste –, je vous indique que nous défendrons l’amendement déposé par le rapporteur général du budget, François Marc, visant à ne pas permettre l’introduction d’une dérogation partielle au monopole de l’administration fiscale dans certaines affaires.

Debut de section - PermalienPhoto de François Rebsamen

Comme cela figure dans l’exposé des motifs, il s’agit finalement, dans ce projet de loi, d’un enjeu de souveraineté, de redressement des comptes publics et d’une condition essentielle pour faire respecter le principe d’égalité devant l’impôt.

Mettre en œuvre une nouvelle architecture pour le traitement de la délinquance économique et financière dans un souci d’efficacité, accroître la pression sur les fraudeurs et lutter plus efficacement contre la grande délinquance, tels sont les objectifs que vous vous êtes fixés, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre du budget. Le groupe socialiste vous en félicite et soutiendra pleinement les deux textes.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Mme Nathalie Goulet . Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce stade du débat, tout a déjà été dit ou presque. Aussi vais-je essayer de m’y retrouver dans les notes que j’ai complétées au fur et à mesure de la discussion…

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

La première question est de savoir à quoi servent nos commissions d’enquête. La saison 1 du travail de la commission d’enquête du Sénat, marquée par soixante et une propositions, n’a guère connu jusqu’à aujourd’hui de transcription dans notre droit positif ; je le regrette évidemment.

Votre texte, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, marque une volonté réelle et un affichage, mais il nous laisse quelque peu sur notre faim. Il est vrai que vous faites face à trop de fraude, trop d’évasion fiscale, trop de réglementation et, partant, trop de failles bien exploitées par trop de limiers trop bien formés, trop de carences en moyens humains et en formation, trop peu de moyens pour les parquets, trop peu de coopération internationale, trop d’insuffisances dans les échanges d’informations, trop d’organismes trop étanches aux missions trop séquencées…

J’hésite assez rarement, mais, très franchement, ce fut le cas s’agissant des axes de cette intervention. Je me contenterai à ce stade de vous citer deux auditions de notre précédente commission d’enquête et de vous inviter à réfléchir sur l’inversion de la charge de la preuve.

Lors de son audition, retranscrite aux pages 142 et suivantes du rapport de la commission d’enquête, M. Jérôme Fournel, ancien directeur général des douanes et des droits indirects, nous a déclaré avoir été récemment confronté au cas d’une personne circulant sur le périphérique avec 800 000 euros cachés dans la roue de secours de son véhicule. §

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Les gens sont vraiment distraits, me direz-vous…

Dans ce cas, nous a-t-il expliqué, « je ne suis pas nécessairement face à un manquement à l’obligation déclarative. Rien ne me prouve que cette personne ait voulu franchir une frontière. » Il est vrai qu’elle roulait simplement sur le périphérique…

M. Fournel poursuivait ainsi : « l’un des premiers enjeux pour les douaniers, même s’ils ont trouvé l’argent dans la roue de secours, c’est d’arriver à démontrer qu’il y a un lien. En soi, porter de l’argent et le faire circuler à l’intérieur du territoire n’est pas une infraction. Derrière, il faut juridiquement appuyer la distraction sur quelque chose de solide. Ce qu’on essaie de faire dans ces cas-là, c’est, éventuellement, via l’article 40, de renvoyer une enquête judiciaire pour une saisie, soit de la douane judiciaire, soit d’un autre service d'ailleurs, qui peut être un service de l’État, afin d’essayer d’arriver à démontrer que cet argent provient effectivement d’une opération de blanchiment ou d’une infraction sous-jacente. » En l’espèce, faute de preuves, l’argent a été rendu !

Au cours de son audition, M. Bock nous a, quant à lui, déclaré : « Je vais vous donner l’exemple d’une situation certes caricaturale, mais devant laquelle nous nous sommes trouvés il y a quinze jours : elle est d'ailleurs assez gênante. Nous avons intercepté des personnes se déplaçant entre les Pays-Bas, la France et l’Espagne, et transportant, chose tout à fait interdite, un montant excessif d’espèces imprégnées de cocaïne. » Il s’agissait en l’occurrence de 300 000 euros.

On a beaucoup parlé de notions théoriques, mais je suis un parlementaire de terrain ; je vous livre donc quelques exemples pratiques : 800 000 euros dans une roue de secours, 300 000 euros imprégnés de cocaïne… L’histoire s’est terminée de la manière suivante, précisait M. Bock : « On applique une amende de 25 % et on renvoie le reste […] Là, on atteint vraiment les limites du système. »

Je voudrais également évoquer les problèmes liés au remboursement de TVA au profit de personnes qui jonglent manifestement avec plusieurs passeports sans que quiconque puisse vérifier la réalité de leur domiciliation.

Il serait extrêmement intéressant de donner des moyens plus importants aux douaniers de Roissy pour qu’ils puissent procéder à des vérifications complémentaires. On nous a cité plusieurs remboursements de 750 000 euros, et même de 200 000 euros avec des doutes réels et sérieux sur la domiciliation des bénéficiaires, les remboursements s’effectuant quasiment automatiquement et sans contrôle.

Avant de conclure, je voudrais insister sur un point. La conférence de presse à laquelle nous avons assistée tout à l’heure à l’Assemblée nationale était intéressante. Il est en effet évident que ces sujets sont non seulement « transpartis », mais également « transassemblées » et que nous pouvons y travailler ensemble. En attendant le grand soir d’une autre grande loi fiscale, il faudrait tout de même essayer de mettre en place une cellule de suivi, même informelle, des diverses propositions de nos commissions d’enquête.

Les propositions formulées font rarement l’objet d’un suivi. Or il faudrait pouvoir remettre l’évasion fiscale au cœur du débat parlementaire. Le sujet est extrêmement mouvant ; nous sommes dans la guerre de l’obus et du blindage : le fraudeur va toujours plus vite que la législation ! Une commission d’enquête dure six mois. Nous avons eu la saison 1, nous sommes en train de réaliser la saison 2 et nous organiserons peut-être les saisons 3 voire 4, mais il n’y a pas de lien entre elles et le suivi en matière d’introduction dans notre droit positif n’est pas assuré. Il convient donc, comme nous l’avons suggéré dans le cadre de la commission d’enquête présidée par Philippe Dominati et rapportée par Éric Bocquet, de mettre en place une structure permanente de relation entre Parlement et Gouvernement.

Pour conclure, je voudrais attirer votre attention sur des questions loin d’être anecdotiques pour qui s’intéresse à la fraude fiscale. Je pense aux 4 500 euros joués nonchalamment en espèces par des joueurs de handball ou encore aux 100 000 euros offerts, toujours en espèces, par un jeu télévisé ! Alors que certains nous expliquent qu’il faut supprimer les billets de 500 euros et que la circulation d’espèces pose problème, avouez que l’attribution d’un lot de 100 000 euros en espèces dans un jeu télévisé aux heures de grande écoute devrait nous interpeller !

Il s’agit de sujets très graves. Le temps est trop court, trop de questions demeurent en suspens pour pourvoir être traitées au cours d’un débat faisant l’objet d’une seule lecture, en fin de session extraordinaire… Bref, vous n’aurez pas trop de quatre ans pour répondre à toutes ces interrogations, madame la garde des sceaux.

Je crois en tout cas que vous aurez le soutien de l’ensemble du Parlement. Pour ce qui me concerne, je voterai évidemment ces deux textes.

Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste . – M. Éric Bocquet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour lutter efficacement contre la fraude fiscale, il me paraît d’abord utile de tirer les leçons des échecs ou des initiatives inabouties de ces dernières années.

En 2009, le Président de la République de l’époque n’hésitait pas à déclarer de manière fracassante : « Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c’est terminé ! ». J’ai le sentiment que nous étions un peu comme l’armée polonaise partant à l’assaut des panzers allemands sur de fringants chevaux ou bien encore comme des gens extrêmement adroits attaquant des divisions blindées à l’aide seulement de lance-pierres ! Nous ne boxons pas dans la même catégorie, si vous me permettez cette expression.

Pourquoi alors un tel enthousiasme ? Rappelons quelle était notre situation en 2009. Comme de nombreux pays à travers le monde, nous étions durement frappés par la crise économique et financière. La croissance et les recettes de l’État s’étaient effondrées. Nombre de nos concitoyens ont alors perdu leur emploi, la majorité d’entre eux devant faire de nombreux sacrifices.

C’est dans ce contexte que le « club des riches », OCDE ou G 20, décide de mettre fin à un vaste système de fraude fiscale et d’optimisation s’appuyant sur ce que l’on appelle communément les « paradis fiscaux ». Par parenthèse, plutôt que d’« optimisation », il serait judicieux d’utiliser des termes un peu plus durs, comme « tricherie ». Au moins, tout le monde comprendrait de quoi il s’agit ; avec « optimisation », on semble faire référence à une solution trouvée par des gens intelligents et, par-dessus le marché, très honnêtes…

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

C’est tout de même un comble !

Nous avons fermé les yeux pendant trop longtemps sur la situation. La crise et les difficultés que connaissent nos concitoyens ont rendu l’ampleur de cette fraude et de cette tricherie fiscales véritablement intolérable. Les pertes de recettes peuvent être évaluées entre 40 et 80 milliards d’euros pour la France et sont certainement de l’ordre de 1 000 milliards d’euros à l’échelle de l’Union européenne.

Quelle a été la solution proposée à l’issue de ce G 20 de Londres en 2009, présentée à l’époque comme une rupture majeure ? Les fameuses « listes », noire ou grise, des États et territoires non coopératifs ! Celles-ci ont fait trembler les gens pendant à peu près deux semaines, à la suite de quoi ils se sont organisés et la crainte s’est évanouie.

Le principal obstacle dans la lutte contre la fraude fiscale tient bien entendu à l’opacité. Avec le recul, la solution proposée à l’époque paraît bien illusoire. Certes, il existe également un dispositif de contrôle dans le cadre du Forum mondial qui fonctionne assez bien, mais il est largement insuffisant pour mettre effectivement fin aux pratiques fiscales dommageables.

Finalement, entre 2009 et 2013, les banquiers suisses et les gestionnaires de trusts des Bermudes et autres territoires lointains ont continué à dormir sur leurs deux oreilles.

C’est seulement au printemps 2013 qu’a lieu un nouveau coup de tonnerre : les médias de trente-six pays s’associent pour révéler les dossiers contenant les noms de milliers de titulaires de comptes liés à des sociétés offshore ou à des trusts situés dans des paradis fiscaux.

La plupart des États, qui subissent les conséquences de la crise, se mobilisent à nouveau pour lutter contre la fraude et la tricherie fiscales. Mais si la France s’est illustrée avec la concomitance de la dramatique affaire Cahuzac, exemple de fraude fiscale spectaculaire commis par un ministre, il est non moins évident que les cas de fraude scandalisent peut-être davantage nos concitoyens qu’il y a quelques années.

Ces pratiques d’optimisation fiscale permettent à certaines grandes entreprises de réduire en toute légalité leur imposition, parfois à néant, dans des pays où elles ont pour la plupart une activité et des bénéfices significatifs.

L’optimisation est aujourd’hui une question centrale, très peu abordée dans le texte que nous examinons. Le sujet mérite toutefois que l’on s’y attarde, l’essentiel étant d’en parler et de continuer à marteler autant qu’il le faudra.

Tout le monde s’y intéresse, à commencer par l’OCDE, dans un récent rapport consacré à la lutte contre l’érosion des bases fiscales et le transfert de bénéfices. Il s’agit d’ailleurs d’un sujet que nous connaissons bien à la commission des finances : nous avons mis en lumière les montages fiscaux pratiqués par les géants du numérique, notamment grâce à l’action du président Philippe Marini, qui est spécialiste en la matière, non pas de l’optimisation fiscale

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Les membres de la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales ont rendu un excellent rapport, dans lequel ils ont bien souligné la frontière ténue entre fraude et optimisation. La seconde commission d’enquête, qui doit rendre son rapport en octobre prochain, apportera, je n’en doute pas, de nouveaux éclaircissements à cet égard.

Plusieurs de nos collègues de l’Assemblée nationale viennent également de rendre un rapport sur l’optimisation de la fraude fiscale dite « agressive » des grandes entreprises multinationales. Ce rapport commence ainsi : « L’impôt représente une charge pour les entreprises ; il n’est donc pas étonnant qu’elles cherchent à l’optimiser, c’est-à-dire à le réduire autant que le droit le permet ». Le dernier élément de cette phrase est intéressant et nous invite peut-être à retourner en notre faveur la manière d’aborder ce problème. En effet, c’est notre droit qui, grâce à un nombre incalculable de niches fiscales, permet aux entreprises et aux particuliers de réduire leurs impôts. C’est certainement là qu’il nous faut être le plus vigilant.

En 2013, les États, si l’on en croit les déclarations faites lors du récent G8, sous présidence britannique, sont déterminés à lutter pour de bon contre la fraude et l’évasion fiscales. Les États-Unis ont voté une loi qui impose l’échange automatique d’informations à des fins fiscales avec l’ensemble des établissements bancaires de la planète. L’Europe, quant à elle, avance à petits pas. Il existe d’ailleurs un certain nombre de pays, comme l’Autriche et le Luxembourg, qui soufflent en permanence le chaud et le froid et qui, surtout, évitent soigneusement de nous livrer leurs informations.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Si la France a raison de proposer des solutions à son niveau, comme elle le fait avec le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, il reste évident que la seule solution véritablement efficace se situe à l’échelle européenne et internationale.

Je tiens également à signaler le risque consistant à penser, comme en 2009 avec les listes de paradis fiscaux, que l’échange automatique d’information constituerait le remède miracle à tous nos maux. L’échange automatique n’a de sens que si nos services fiscaux et nos juges, ainsi que ceux des autres pays, ont les moyens de traiter cet ensemble d’informations et de sanctionner ceux qui ont fraudé.

Je prendrai un autre exemple pour illustrer la nécessaire coopération et harmonisation européenne, celui de la fraude à la TVA. Je me réjouis de voir que l’amendement proposé par notre collègue François Marc et adopté par la commission permet de mieux prévenir ce type de fraude.

Le problème étant éminemment européen, la solution à la fraude et à l’optimisation fiscales réside donc en grande partie dans l’harmonisation fiscale et le renforcement coordonné.

Le projet de loi que nous examinons va évidemment dans le bon sens ; le texte a d’ailleurs été enrichi par l’Assemblée nationale. En matière de fraude fiscale, nous devons faire preuve de volontarisme, d’activisme et, je dirais même, d’un certain zèle. La fenêtre d’opportunité est de nouveau ouverte au niveau international ; ne la laissons pas se refermer. Nous devons imposer à l’échelle mondiale des mesures véritablement ambitieuses, afin de mettre définitivement fin à l’opacité dont les fraudeurs font leur miel.

Aussi, madame la garde des sceaux, sur cette question très importante, vous savez pouvoir compter sur le groupe du RDSE. §

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, notre débat comprend deux volets et je m’abstiendrai de commenter le texte relatif au parquet financier, étant hostile à cette mesure de circonstance. Je bornerai donc mes propos au projet de loi relatif à la fraude fiscale, sujet qui me semble dépasser très largement les clivages partisans.

Le projet de loi comprend des mesures utiles. À vrai dire, il prolonge tout d’abord le travail engagé précédemment, notamment à travers le collectif budgétaire de la fin de l’année 2011 et la première loi de finances rectificative pour 2012. Il s’agissait déjà de renforcer les sanctions applicables à la fraude fiscale, en particulier en cas de dissimulation d’actifs à l’étranger.

Ce texte est, certes, utile, mais ce n’est certainement pas le « grand moment » de travail législatif que le Gouvernement nous avait annoncé. La réforme, qui a commencé avec une dimension modeste, s’est au demeurant nourrie à l’Assemblée nationale d’un assez grand nombre d’initiatives que je qualifierai, selon la formule consacrée, de « puisées à bonne source ». Tout cela est d’ailleurs en général utile, notamment s’agissant des dispositifs douaniers.

Au total, le texte sur la fraude fiscale ressemble dans une large mesure aux dispositions que nous sommes habitués à examiner dans les collectifs de fin d’année.

Mes chers collègues, nous le savons, dans le domaine de la lutte contre la fraude, il faut trouver et préserver un bon équilibre. L’État ne doit pas être naïf : la fraude s’adapte sans cesse.

Cela étant dit, il est deux bornes à ne pas franchir : d’une part, celle qui préserve les libertés publiques, préoccupation par excellence de notre commission des lois ; s’autre part, celle qui délimite l’attractivité du territoire, sujet auquel notre commission des finances est naturellement très sensible.

Tout ne tient pas dans le droit, mais son application est souvent tout à fait décisive. Je relèverai que la commission des lois est intervenue de manière tout à fait heureuse et légitime, par exemple pour assurer l’intégrité de la notion de délai de prescription, pour éviter le renversement de la charge de la preuve en matière de blanchiment ou encore pour faire en sorte que les avocats ne soient pas assimilés à des complices de fraudeurs.

Le projet de loi permet – c’est certainement une nécessité – le recours à ce que l’on appelle de manière générique les « techniques spéciales d’enquêtes » en matière de lutte contre la fraude fiscale, et notamment les sonorisations de lieux ou encore la captation de données informatiques. Il faut s’adapter aux technologies existantes. Les fraudeurs, eux, savent les utiliser, voire les manipuler avec une très grande efficacité.

Ces techniques, conçues à l’origine pour lutter contre la seule criminalité organisée de grande complexité, ont été progressivement étendues à la délinquance économique et financière, alors même, je le souligne au passage, qu’elles ne sont pas réellement ouvertes aux services de renseignement intervenant en dehors du cadre judiciaire.

J’observe également que le projet de loi conforte la place des « lanceurs d’alerte », pratique inspirée d’autres droits nationaux, notamment anglo-saxons, et à la vérité non dénuée de points de rencontre avec certains éléments traditionnels de notre droit, en particulier l’article 40 du code de procédure pénale. Encore faut-il trouver, là aussi, le bon équilibre. Je crois que la commission des lois y a veillé, en s’attachant à ce qu’une personne faisant son devoir ne puisse pas être exposée à des mesures redoutables de rétorsion, tout en évitant d’encourager par principe, dans une entreprise ou un service public, toute calomnie ou manœuvre personnelle. L’équilibre est assurément délicat à trouver. J’espère toutefois que nous parviendrons à l’atteindre.

Je souhaite également noter que les difficultés du projet de loi, dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois, à éviter la tentation – je dirais même le péril – du « tout pénal ». Ce point nourrira assurément nos débats. L’article 2 ter remet en cause, à mon sens de manière malencontreuse, les compétences du ministère du budget en matière de poursuite de la fraude fiscale.

Vous le savez, mes chers collègues, à la différence des autres délits, le délit de fraude fiscale n’est pas, jusqu’à présent, poursuivi d’office par le procureur de la République. Ce dernier ne peut mettre en mouvement l’action publique que dans la mesure où l’administration a préalablement déposé une plainte.

Je vous précise – cela ne vous étonnera pas – que je partage totalement l’analyse sur ce point de l’excellent rapporteur pour avis de la commission des finances, le rapporteur général François Marc.

Le droit actuel en la matière me semble devoir être maintenu. La fraude fiscale est déjà lourdement sanctionnée par l’administration fiscale. Celle-ci peut, vous le savez, appliquer des sanctions administratives susceptibles d’atteindre 100 % des droits éludés, à l’issue de procédures qui, au demeurant, respectent les règles tirées de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier le principe du contradictoire.

Par ailleurs, l’engagement de l’action publique parallèlement à une procédure de redressement fiscal risquerait, je le souligne, d’encourager les démarches dilatoires des contribuables poursuivis, retardant un peu plus le recouvrement de l’impôt. La commission des finances ne peut qu’être très sensible à un tel argument, qui a notamment été utilisé à juste titre par M. le ministre du budget. C’est la raison pour laquelle il semble préférable de ne recourir aux poursuites pénales, comme c’est le cas aujourd’hui, que dans le cas des fraudes les plus graves, comme le blanchiment de capitaux.

Enfin, la fraude fiscale affiche une complexité croissante, qui réclame tout à la fois une expertise et des moyens humains dont ne saurait disposer, à ce jour, la seule autorité judiciaire. C’est pourquoi l’examen préalable des dossiers par l’administration fiscale me semble constituer un gage d’efficacité et d’effectivité de la sanction, indispensable en cas de manquement grave.

Pour toutes ces raisons, j’ai déposé un amendement visant à la suppression de l’article 2 ter. J’ai observé avec plaisir que mon amendement était loin d’être isolé…

À la surenchère en matière de sanctions de la fraude fiscale, il faut préférer, me semble-t-il, une démarche plus simple et apaisée, consistant à s’interroger sur les besoins concrets de l’administration pour lutter efficacement contre les pratiques abusives.

Je voudrais à cet égard évoquer la preuve, sujet qui va sans doute constituer une étape intéressante de notre débat. En matière de lutte contre la fraude fiscale, aucun moyen, dès lors qu’il est légal et proportionné, ne saurait être écarté.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Si l’article 10 était voté dans sa rédaction issue des travaux de la commission des lois, l’administration fiscale ne pourrait pas exploiter une liste de fraudeurs qui lui serait transmise par un particulier, ce qui aboutirait à une situation analogue à celle que l’on a rencontrée au début de l’affaire dite de la « liste HSBC ».

Mes chers collègues, il est grand temps, me semble-t-il, de renoncer en ce domaine aux fausses pudeurs, qui me rappellent un peu le vieux Tartuffe ! Comme le montre le rapport du 10 juillet dernier rédigé par le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Christian Eckert, la liste HSBC a préalablement été remise à l’administration fiscale. Or le document n’a pu être exploité qu’après saisine par le parquet de Nice et transmission à la direction générale des finances publiques.

Par comparaison, je tiens à rappeler que, en vertu de l’histoire, les douanes disposent déjà d’un cadre juridique et de moyens financiers – M. le ministre du budget y sera sensible – pour rémunérer leurs « aviseurs » et, par conséquent, acquérir des preuves. On m’expliquait cela dès l’époque lointaine où j’étais inspecteur des finances, lors de la « tournée », où l’on mettait déjà en relief cette différence de droit procédural et de moyens financiers entre l’administration des douanes et celle des impôts.

Je pense donc, mes chers collègues, qu’il serait sage d’adopter l’amendement de François Marc, rapporteur pour avis de la commission des finances, ou, à tout le moins, son amendement de repli visant à revenir au texte de l’Assemblée nationale.

Pour conclure, je voudrais évoquer deux des amendements que j’ai déposés. Ils résultent de contrôles sur pièces et sur place que j’ai effectués auprès de la direction générale des finances publiques au début de l’année.

Il s’agit de tirer les leçons de l’examen des dossiers de procédure de contrôle fiscal que j’ai pu réaliser grâce à vos collaborateurs et avec leur pleine coopération, monsieur le ministre. Ces amendements visent à combler les lacunes que présentent aujourd’hui des instruments essentiels de la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales des entreprises multinationales dans deux domaines : d’une part, les procédures applicables aux prix de transfert et, d’autre part, l’abus de droit.

Le premier amendement tend à modifier l’article 57 du code général des impôts, afin d’introduire une présomption simple de transfert anormal de bénéfices en cas de transferts de fonctions et de risques hors de France. Ainsi, il est envisagé de retourner la charge de la preuve pour certaines situations « à risque », comme la restructuration d’entreprise, qui peut être motivée par des comportements fiscaux discutables.

Le second amendement vise à rectifier l’article L. 64 du livre des procédures fiscales pour renforcer la procédure de l’abus de droit, en élargissant son champ d’application aux cas où les actes mis en cause répondraient à un motif essentiellement, et non plus exclusivement, fiscal.

Ainsi, l’abus de droit permettrait de sanctionner les montages ayant pour « motif essentiel d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales » en s’appuyant sur une application littérale des textes, contraire à l’esprit de leurs auteurs.

C’est la leçon que je tire de l’examen des dossiers de contrôle fiscal que j’ai pu réaliser auprès de vos services, monsieur le ministre : dans le cadre de montages internationaux complexes, il me semble relativement aisé, pour un groupe lui-même complexe, de démontrer l’existence d’un élément économique, aussi faible et secondaire soit-il. Cela fait ainsi obstacle à l’application de l’abus de droit, qui suppose qu’il s’agisse d’un objectif exclusivement fiscal.

Les deux dispositifs que je propose ont été repris, et je m’en réjouis, dans le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’optimisation fiscale des entreprises, dit rapport « Muet-Woerth », dont le Gouvernement a d’ailleurs annoncé vouloir s’inspirer dans la perspective du prochain projet de loi de finances. Peut-être nous confirmerez-vous ce point, monsieur le ministre ?

En outre, j’ai pu constater que le groupe CRC avait déposé des amendements identiques aux miens. §

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Mme Nathalie Goulet. J’espère que ces amendements ont été présentés en premier !

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Je me réjouis de ce consensus technique, dont j’observe qu’il retient toute votre attention, mes chers collègues !

Pour conclure, je relève qu’un grand nombre d’initiatives présentées dans le cadre de l’examen du présent projet de loi révèlent une tendance à confondre fraude et optimisation fiscales.

Après avoir signalé une conjonction qui a étonné certains d’entre vous, …

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

… je voudrais rappeler que l’optimisation fiscale est légale, tandis que la fraude relève, elle, d’un comportement délinquant.

Les pratiques abusives, quelles qu’elles soient, peuvent aussi traduire les lourdeurs, la complexité ou l’arbitraire de la fiscalité. C’est là qu’il nous faut être particulièrement attentifs, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre : les dispositifs et les lois que nous élaborons doivent se fixer la borne de l’attractivité fiscale. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Chiron

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’avez rappelé, le contexte international que nous connaissons depuis plusieurs années rend la fraude fiscale, comme la délinquance économique et financière, chaque jour plus insupportable pour nos pays et leurs habitants. Cette délinquance en col blanc, cette injustice profonde, qui renforce encore les inégalités économiques et sociales, est l’une des sources de la défiance, en l’occurrence légitime, que ressentent nos concitoyens. Au-delà de la crise morale qu’il provoque, le phénomène a des conséquences ravageuses sur le modèle donné à notre jeunesse, comme sur notre système démocratique et politique, dont nous devons dans cette Haute Assemblée être les garants.

En cette période difficile, respecter les règles collectives et s’acquitter de sa part juste d’impôt est un devoir moral et citoyen. C’est surtout le moyen de maintenir et de renforcer nos services publics et notre système social, au bénéfice de ceux qui en ont le plus besoin.

Comment tolérer que de 60 à 80 milliards d’euros, soit l’équivalent du déficit du budget de l’État, échappent chaque année à la richesse nationale via l’évasion fiscale, alors que des efforts sont demandés aux Français pour redresser nos comptes ? Cette somme peut aussi être mise en perspective avec les 18 milliards d’euros que le contrôle fiscal permet de récupérer chaque année.

Comment accepter que des particuliers et des entreprises ne participent pas à la solidarité nationale, alors qu’ils bénéficient de la richesse nationale à travers la dynamique économique de la France ? Du reste, la même question peut être posée à l’échelle de l’Europe, puisque c’est principalement à cette échelle que la fraude fiscale se déploie.

Comment accepter que ceux-là mêmes qui s’exonèrent de la participation à la solidarité collective puissent ne pas être poursuivis et sanctionnés ?

Il est aujourd’hui établi que l’évasion fiscale internationale, dont l’essor au cours des dix dernières années résulte de l’action de gestionnaires financiers, et non de chefs d’entreprise, a été un facteur d’amplification et de pérennisation de la crise financière. C’est pourquoi il est temps de réagir en prenant, aux niveaux national et international, des mesures radicales et efficaces.

En fin de compte, on peut se réjouir, aujourd’hui, que certains événements récents aient mis de nouveau en lumière l’évasion fiscale internationale, phénomène ancien sur lequel, comme il a été rappelé, le Sénat travaille depuis deux ans. Ces événements ont favorisé une nouvelle prise de conscience internationale, qui débouche depuis plusieurs semaines sur des avancées notables aux échelles européenne et internationale.

De fait, le G8, le G20, le Conseil européen, la Commission européenne, l’OCDE, tous s’engagent sur la voie de l’échange automatique d’informations. Cette coopération permettra de franchir une étape décisive dans la lutte contre le secret bancaire et les paradis fiscaux.

Face à cette pression de la société internationale, plusieurs États refuges de l’optimisation fiscale – nous savons bien que la limite est ténue entre l’optimisation et la fraude –, ainsi que certains paradis fiscaux ou bancaires, ont également infléchi leurs positions.

Les auditions organisées par la commission d’enquête sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux font apparaître que les établissements bancaires seraient sur la voie d’une amélioration des pratiques. En effet, ils commenceraient à fermer un certain nombre de filiales dans les paradis fiscaux et dans les pays accordant de larges avantages d’optimisation.

En outre, ces établissements déclarent informer désormais les titulaires de comptes à l’étranger de leurs obligations à l’égard de leur pays de domiciliation fiscale ; du reste, ce changement d’attitude peut soulever des questions sur les pratiques antérieures.

Alors que la lutte contre l’évasion fiscale est maintenant à l’ordre du jour de nos principales instances de décision, transformons ces intentions en actes.

Tel est justement l’objectif du projet de loi présenté par le Gouvernement. Il vise à traduire dans les faits la volonté collective de mettre fin à une crise de l’imposition et de rétablir la puissance financière publique. Dans la continuité du projet de loi relatif à la séparation et à la régulation des activités bancaires, ce projet de loi est la traduction des annonces fermes du Président de la République en avril dernier.

Il répond en partie aux problèmes mis en évidence par les commissions d’enquête sénatoriales. Lors de nos travaux, nous avons pu constater les difficultés auxquelles on se heurte pour recueillir l’information et détecter les fraudeurs, ainsi que le manque de moyens pour les investigations et l’effet peu dissuasif des sanctions.

Ce projet de loi va enfin mettre en place des outils juridiques permettant d’accroître les moyens de l’administration fiscale. Ainsi, la fraude pourra être mieux détectée, les preuves pourront en être mieux établies et, le cas échéant, les sanctions pénales pourront être à la hauteur des infractions.

En effet, l’objectif prioritaire du projet de loi est de renforcer l’efficacité de nos services d’enquête, parfois démunis face à la complexité des structures et des montages financiers mis en œuvre par les fraudeurs, ou face à l’insuffisance des moyens dont ils disposent pour faire aboutir leurs procédures d’investigation.

En particulier, le projet de loi instaure un délit de bande organisée et ouvre la possibilité, qui existe déjà en Allemagne, en Espagne et aux États-Unis, d’exploiter des fichiers volés, quelle qu’en soit l’origine.

L’aggravation des peines encourues est une bonne nouvelle. En effet, grâce à ces sanctions renforcées, nous pourrons inverser la tendance et insécuriser les fraudeurs, en introduisant un doute dans le rapport entre les risques encourus et le bénéfice escompté de l’infraction.

Pour avoir rencontré, avec tous nos collègues membres des deux commissions d’enquête sur l’évasion fiscale, des agents du ministère des finances, d’autres des douanes judiciaires, des policiers et des magistrats, je suis persuadé que l’ensemble de ces nouvelles dispositions seront accueillies favorablement et qu’elles permettront de gagner en coordination, en réactivité et en efficacité.

À cet égard, sans doute nous faut-il aussi repenser la politique fiscale des entreprises ; l’OCDE en fait elle-même le constat. C’est ainsi que l’un de ses directeurs, Pascal Saint-Amans, écrit : « certaines règles ont été fondées sur le principe d’une imposition unique […]. Or, dans l’économie moderne mondialisée, cette hypothèse n’est pas toujours valable : les possibilités d’optimisation peuvent aboutir à aucune imposition des bénéfices, nulle part. Par ailleurs, le monde a changé. De nombreuses règles sont ancrées dans un environnement économique caractérisé par des actifs matériels, des usines et des équipements, et par un faible degré d’intégration économique internationale, alors que dans l’économie numérique d’aujourd’hui, les bénéfices sont souvent générés par des activités de prise de risque et par des actifs incorporels, comme les brevets et les marques ».

Ce constat vaut notamment pour les grandes multinationales de l’Internet et du commerce en ligne, à tel point que, dans les pays où l’activité économique a lieu, celles-ci ne paient plus ni la TVA, qu’elles acquittent dans d’autres pays, notamment au Luxembourg et en Irlande, ni l’impôt sur les sociétés, lequel est largement transféré dans les deux mêmes pays, ainsi que dans d’autres paradis fiscaux.

Mes chers collègues, force est ainsi de constater qu’en voulant agir, par le biais des conventions fiscales, pour éviter la double imposition, nous aboutissons parfois à un système de double non-imposition.

À cet égard, dans la continuité des travaux des deux commissions d’enquête du Sénat, il nous faut sans doute aller encore plus loin pour faciliter l’exercice du contrôle fiscal des entreprises, notamment de celles qui détiennent des filiales ou des actifs à l’étranger. En effet, une utilisation excessive de l’optimisation fiscale peut ouvrir la voie à l’évasion, puis à la fraude.

Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous invite à considérer avec attention, dans la discussion des articles des deux projets de loi, les différents amendements visant à faciliter l’exercice de ce contrôle.

Je vous signale particulièrement les amendements relatifs à la sécurisation du dispositif de délivrance du numéro de TVA intracommunautaire, à l’alourdissement des sanctions et des peines en cas de fraude, à la transparence dans la détermination des prix de transfert pratiqués par les entreprises et à l’obligation faite aux entreprises, en cas de contrôle, de donner copie de leur comptabilité informatisée, qualifiée de « dématérialisée », qu’on ne peut pas saisir aujourd’hui.

Mes chers collègues, je vous appelle à soutenir massivement le projet de loi et le projet de loi organique, en apportant éventuellement au projet de loi les quelques retouches que je viens de souligner pour aller encore plus loin dans la voie d’une meilleure transparence et d’une plus grande justice fiscale.

En effet, il est urgent d’amplifier au niveau national les avancées engagées aux échelles européenne et internationale, en dotant nos administrations fiscale et judiciaire d’outils pertinents et efficaces.

Il nous faut envoyer à tous les serviteurs de l’État qui travaillent dans ces administrations, ainsi qu’à tous les citoyens français, un message clair : celui d’un pays où les tricheurs et les fraudeurs n’ont pas le droit de faire porter par tous les autres le poids de leurs comportements irresponsables ; celui d’une nation unie où chacun contribue en fonction de ses moyens à la solidarité nationale ; bref, celui d’un pays où la justice fiscale existe !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et au banc des commissions . – Mme Esther Benbassa ainsi que MM. Éric Bocquet et Jean-Claude Requier applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite de la mobilisation du Gouvernement, du Parlement et, je l’espère, du pays tout entier contre l’évasion et la délinquance fiscales. De fait, la lutte non seulement contre la fraude fiscale, mais aussi contre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal est une grande cause et un enjeu majeur, car ces pratiques minent notre République en affaiblissant l’autorité de la loi, le principe d’égalité et la capacité de l’État à prélever les moyens nécessaires à son action au service de nos concitoyens. Bravo, donc, pour cette initiative !

M. Pillet a soutenu tout à l’heure que le précédent gouvernement avait agi contre la fraude fiscale. Sans doute, mais j’ai, pour ma part, le souvenir de certaines paroles qui ont marqué nos concitoyens : selon l’ancien président de la République, il fallait dépénaliser les faits économiques – suivez mon regard… Je ne crois pas qu’un tel discours ait fait honneur à la République !

Je me souviens également que certains de nos collègues de l’UMP, comme M. Rebsamen l’a rappelé, avaient déposé une proposition de loi visant à amnistier totalement les fraudeurs repentis.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, nous félicitons le Gouvernement de n’avoir pas fait ce choix, qui n’était pas non plus celui des Français !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Une mobilisation générale est nécessaire. En ce qui le concerne, le Sénat, dès le changement de majorité, a pris l’initiative de créer une commission d’enquête ; sous la présidence de Philippe Dominati et Éric Bocquet en étant le rapporteur, elle a travaillé sur l’évasion fiscale de manière très approfondie.

Les propositions de cette commission d’enquête constituent un terreau important et doivent permettre de doter la France de capacités d’intervention renforcées et efficaces ; le présent projet de loi en reprend certaines, mais pas toutes.

Je partage l’avis de Mme Goulet au sujet de la nécessité pour le Sénat de se doter d’outils permettant de donner des suites aux propositions ou aux suggestions formulées en son sein, qui, certes, méritent dans certains cas d’être approfondies, mais qui sont souvent très pertinentes.

Par exemple, au cours des travaux de cette commission d’enquête, nous avons débattu de la fameuse législation FATCA sur la transmission automatique des données. À l’époque, l’administration nous disait : ce n’est pas possible ! Malgré cela, tous les membres de la commission d’enquête sont convenus qu’il fallait demander la mise à l’étude du projet. J’observe que ce qui était impossible il y a huit ou dix mois devient aujourd’hui possible : le changement est possible, très bien !

Mme la garde des sceaux sourit.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

C’est la preuve que, dans bien des domaines, l’intuition et la volonté parlementaires doivent pouvoir se poursuivre et être actualisées ; des décisions sont parfois prises sous l’effet de quelque fait d’actualité, alors qu’un travail sérieux du Parlement a eu lieu !

Je souhaite qu’on aille plus loin dans la même voie, mais je salue la grande avancée que constitue ce projet de loi.

Permettez-moi d’insister sur la caractérisation de l’évasion, de l’évitement et de la fraude, car toutes les auditions de la commission d’enquête font ressortir qu’il s’agit d’un virus mutant. Une loi est-elle adoptée qu’aussitôt certains, dans le monde financier international, inventent toute une série de systèmes pour la contourner.

Bien sûr, nous devons respecter les valeurs fondamentales de notre droit ; reste que, si les réponses publiques sont trop lentes et si les outils d’intervention de notre administration ne sont pas à la hauteur des capacités de mutation de la délinquance fiscale et de l’évitement fiscal, nous sommes condamnés, dans un monde en pleine mutation, à une forme d’impuissance qui met en cause notre démocratie !

C’est pourquoi, même si le projet de loi et le projet de loi organique sont extrêmement importants, il faut considérer qu’ils constituent une étape, qui devra être dépassée. À cet égard, je ne doute pas que certaines propositions de notre commission d’enquête seront reprises par le Gouvernement.

Si j’insiste sur les formes d’organisation, c’est parce que, au cours d’une récente audition, nous avons entendu un témoignage sur la manière dont, une directive européenne ayant été publiée qui pénalisait uniquement les personnes physiques, les banques, dans le quart d’heure suivant et avant même l’application de la mesure, ont déplacé l’argent sur de nouveaux produits associés à des personnes morales.

Cette mutation permanente impose la mise en place d’outils particuliers. J’ai d’ailleurs déposé un amendement en ce sens : à l’image de ce que font les banques, à savoir la constitution d’équipes « projets stratégiques », l’État, la puissance publique, dans le cadre d’une collaboration entre les ministères de la justice, de l’intérieur et des finances, doit mettre en œuvre des équipes comparables capables de s’adapter à ces formes de virus mutant, qui nous viennent souvent d’ailleurs.

On a parlé de mobilisation générale. J’insiste fortement sur le fait que celle-ci doit effectivement être générale et ne pas reposer uniquement sur l’État. On observe en effet que des collectivités publiques françaises versent des fonds publics à des sociétés dont le siège social est situé dans un paradis fiscal ou assimilé.

Par exemple, une collectivité souhaitant être desservie par une ligne aérienne à bas coût peut être amenée à financer l’organisme de communication de l’entreprise aérienne concernée, dont le siège social est à Jersey et qui ne possède aucun salarié sur le territoire français ! Si je peux comprendre le souhait d’une collectivité d’être desservie par une ligne aérienne, j’estime anormal que celle-ci verse des fonds publics, par le biais, notamment, de sociétés d’économie mixte, à des sociétés dont le siège social se trouve dans un paradis fiscal.

La mobilisation nationale, nous sommes en train de la réaliser. Pour ce qui concerne la mobilisation européenne, il y a tout de même un peu de retard à l’allumage. Dans bien des domaines, les directives européennes introduisent en effet des dispositions a minima par rapport à ce que décident les Américains. Je connais les contraintes de la décision à vingt-huit, mais il est inacceptable que l’Europe, qui devrait être au contraire un modèle social et économique, soit devenue l’un des hauts lieux du dumping social ! Heureusement que les Américains ont montré l’exemple à un certain nombre de pays amis européens, qui se sont enfin décidés à adopter des règles tout simplement incontournables dans une démocratie.

Il y a donc un combat européen et un combat mondial à poursuivre. Je le dis tout net : si l’administration américaine et le président Obama n’avaient pas pris l’initiative sur un certain nombre de sujets, il est à craindre que la puissance européenne et l’ensemble du monde auraient été beaucoup moins loin en matière de lutte contre la délinquance économique et financière.

Pourquoi les Américains agissent-ils ? Parce que nous sommes dans un système en crise ! L’évitement fiscal et la fraude fiscale, si faciles aujourd’hui, existent depuis fort longtemps. Mais en devenant quasiment systémiques, ils ont changé de nature. Nous sommes devant un système où tout est fait pour que les puissants, les forces économiques, puissent éviter la fiscalité, l’intervention publique. C’est même devenu un art et l’attribut d’une bonne gestion ! Quand nous avons libéralisé les mouvements de capitaux, nous n’avons mis en place aucune structure de régulation, de contrôle, d’intervention, susceptible de l’encadrer. Au moment où l’Union européenne a fait ce choix, elle aurait dû se doter d’outils adéquats. Mais c’était le temps du libéralisme tout-puissant et du laisser-faire. On a laissé filer les capitaux, et on en voit aujourd’hui les conséquences désastreuses. Nos pays et même les pays en voie de développement ne disposent pas des justes ressources qui leur permettraient de faire face à un développement harmonieux.

On le comprend, même si nous mettons en place des outils pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, nous aurons toujours un métro de retard par rapport aux fraudeurs, si nous ne nous attaquons pas au système financier transnational lui-même, en instaurant des régulations publiques et démocratiques.

Dans ce domaine, il faut faire preuve de volontarisme. Pour s’en convaincre, il suffit d’avoir conscience du laps de temps nécessaire à la mise en œuvre des réformes.

Rappelez-vous l’époque où nous étions une petite minorité, jugée suffisamment imprudente ou déraisonnable pour plaider en faveur d’une taxation des mouvements financiers. Je rappelle à cet égard que James Tobin lui-même était un libéral ! Simplement, il pensait que la taxation est un moyen de contrôler les flux financiers. Depuis lors, hélas ! la rapidité des modes de communication a rendu les choses encore plus complexes. À l’époque, on nous disait qu’une telle taxe ne pourrait jamais être mise en œuvre. Il a fallu attendre que le système dérive pendant quinze, vingt voire trente ans pour que l’on commence à penser que cette taxe constitue l’une des solutions possibles.

Il faut du volontarisme pour réguler le système financier et intervenir sur l’évitement, la fraude et la délinquance. Je félicite le Gouvernement de s’attaquer à ces sujets avec détermination, volonté et force.

Toutefois, j’estime que l’examen de ces textes par notre assemblée devrait permettre d’améliorer certaines de leurs dispositions.

Je suis attentivement les débats européens sur le fameux FATCA. Je pense que la France s’honorerait à inscrire dans ce projet de loi sa volonté de mettre en place un dispositif de même nature. J’ai d’ailleurs déposé plusieurs amendements en ce sens. Tout comme nous avions voté la taxe sur les transactions financières en amont des décisions européennes, il serait politiquement souhaitable que la France montre avec force, dans ce texte, son adhésion pleine et entière à ce système.

Un deuxième sujet me paraît extrêmement urgent, celui des prix de transfert.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Non seulement ils privent la nation de justes recettes des richesses produites sur son territoire et par ses salariés, mais ils menacent la survie de certaines entreprises. Le calcul des prix de transfert est en effet un bon outil pour délocaliser une entreprise. Quand vous survalorisez ce que vous extrayez de la production locale par le biais des prix de transfert, vous placez artificiellement une entreprise rentable en déficit, …

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

… ce qui permet de justifier, notamment, plans sociaux et délocalisations.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Les prix de transfert ne sont pas uniquement dommageables aux ressources fiscales du pays, ils sont également néfastes à son redressement industriel et économique. Pour les grandes entreprises, ils constituent en effet un moyen de redistribuer leurs capacités productives en fonction de ce qu’elles jugent opportun : coûts fiscaux plus faibles ou coût du travail plus faible. Il y a donc une grande urgence à agir, en cohérence avec la volonté de redressement productif du pays.

Enfin, je l’ai dit, si l’on veut être opérationnel face à ce virus mutant, il faut mettre en place une cellule permettant un travail d’information, de suivi, de connaissance des systèmes informatiques, dans le cadre de compétences renforcées et, souvent, interministérielles. Elle devra nous permettre de mieux anticiper les nouvelles formes de délinquance qui s’installent en riposte à l’évolution de nos législations. Certes, j’ai bien noté, madame la ministre, l’apparition d’un parquet financier, qui permettra un certain type d’intervention.

Je terminerai mon intervention en évoquant la question du verrou de Bercy. Comme nombre de mes collègues, j’ai nourri de nombreuses hésitations sur ce sujet. Philosophiquement, je pense qu’il n’est pas légitime de maintenir ce verrou. Deux exigences de nature républicaine s’opposent. La première, c’est la recette de l’État, qui doit engranger au maximum les recettes dues. Un État faible dans ses ressources et son action ne peut pas être un État républicain efficace. La seconde exigence, c’est le principe d’égalité de traitement devant la loi, dont nous devons être les garants auprès de nos concitoyens.

Ne l’oublions pas, la négociation n’appartient pas à la réalité historique de notre pays. Nous ne sommes pas un pays anglo-saxon. Nous considérons que la légitimité du droit n’est pas la juste négociation de ce qui est acceptable par les uns et les autres. Le droit dit ce qui est juste, ce qui doit être respecté par tous de la même manière. Culturellement, la négociation ne correspond pas à notre philosophie, même si l’État français, de la royauté à la République, a toujours conservé, par pragmatisme, des espaces de négociation, dans la mesure où une loi trop rigide peut parfois entraîner de graves dérives.

Toutefois, le doute s’est aujourd’hui insinué s’agissant de l’égalité de traitement des citoyens devant l’impôt. Certes, j’ai bien entendu l’argument invoqué à la fois par François Rebsamen, François Marc et le ministre, selon lequel la négociation serait plus efficace. Je leur réponds : pas toujours !

Dans le cas, souvent très révélateur de nos fragilités, de la fraude à la TVA, notamment sur les quotas de CO2, une intervention judiciaire rapide est nécessaire. Elle permet d’établir la preuve qu’il y a bien eu fraude, de déterminer où elle a eu lieu et de découvrir la personne qui en est responsable.

Surtout, nos concitoyens doutent de la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement devant la loi. Personnellement, j’étais plutôt favorable à la position défendue par notre collègue Alain Anziani. Cependant, après avoir entendu les engagements pris par le ministre, qui s’efforcera de nous informer régulièrement des différents arbitrages rendus et de la mise en œuvre du suivi de la fraude fiscale, je suis conduite à réviser ma position. A priori, il vaut mieux une mutation lente, avec la forte mobilisation d’une administration fiscale motivée, plutôt qu’une confusion des responsabilités. J’aurais donc tendance à accepter de m’en tenir aux propositions du ministre. Néanmoins, si l’égalité républicaine s’avérait ne pas être garantie avec suffisamment de clarté, il faudrait bien finir par lever le verrou de Bercy.

Quoi qu’il en soit, nous sommes au début d’un grand mouvement, qu’il faudra mener avec beaucoup plus de volontarisme que par le passé. Comme je le disais tout à l’heure, la question de l’égalité devant l’impôt et des moyens de l’État doit faire partie de nos préoccupations si nous voulons défendre nos valeurs républicaines. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’impôt est au cœur du pacte républicain et du contrat social. La fraude fiscale et sociale, c’est-à-dire l’ensemble des manœuvres permettant d’échapper totalement ou partiellement aux prélèvements obligatoires, viole le principe d’égalité des citoyens devant la charge publique et porte atteinte à l’équilibre des finances publiques.

Selon certaines sources, la perte estimée varierait entre 40 milliards et 80 milliards d’euros par an. Dans le contexte actuel de déficit chronique, on pourrait être tenté de considérer qu’il suffirait de mettre un terme à ces fraudes pour rétablir l’équilibre de nos finances publiques. Méfions-nous toutefois de telles hypothèses. Si elles se vérifiaient, cela signifierait alors que la France aurait, avec un taux de prélèvements obligatoires de 50 % du produit intérieur brut, le taux le plus élevé qui soit.

Puisqu’il est question de fraude et d’optimisation, l’on me permettra de rappeler que, dans un passé qui n’est pas si lointain, à la fin de l’année 1992 – nous étions alors à l’époque du « ni-ni » – dans le cadre d’une loi de finances rectificative, le Sénat eut à délibérer sur la légalisation de pratiques douteuses initiées par l’État. Il s’agissait des repackaging de titres subordonnés à durée indéterminée, les TSDI, dans des territoires qualifiés de paradis fiscaux.

S’il est vrai que les pouvoirs publics ont besoin d’instruments juridiques efficaces, ils doivent également être dotés de moyens humains et matériels appropriés. Mais, avant tout, prenons le temps d’identifier les facteurs de développement de la fraude et d’encouragement à l’optimisation.

Ne perdons pas non plus de vue que les États se livrent à des assauts de concurrence et de dumping pour attirer la matière imposable sur leur territoire.

La globalisation et les moyens modernes de communication ont changé la donne. À l’intérieur même de l’Union européenne, la convergence tarde à prendre corps. La tolérance à l’égard des « paradis fiscaux » ruine, à tout le moins gêne grandement nos efforts. L’absence de coordination et d’engagement collectif autorise toutes les audaces.

Voilà peu de temps, nous avons vu les États européens se diviser. Un accord – l’accord Rubik – avait été signé entre la Suisse et l’Union européenne, qui autorisait les banques suisses à opérer sur les revenus des déposants une retenue à la source que les autorités helvétiques auraient livrée aux trésors publics des États concernés. Eh bien les Européens n’ont pas été capables d’adopter une position commune ! L’Allemagne a fait une tentative, mais le Bundesrat s’y est opposé. À ce jour, seuls l’Autriche et le Royaume-Uni ont signé de tels accords.

C’est dire à quel point les Européens se concurrencent mutuellement et ne parviennent pas à faire bloc. J’attends que l’Union européenne, s’inspirant du modèle FATCA – le Foreign Account Tax Compliance Act –, adopte un dispositif imposant aux institutions financières étrangères de déclarer à l’administration fiscale de chacun de ses membres les comptes des ressortissants européens qu’elles accueillent.

Mais, plus près de nous, observons que notre édifice législatif et réglementaire est devenu un accélérateur de fraude, et ce pour au moins deux raisons : d’une part, le niveau trop élevé des prélèvements obligatoires et, d’autre part, la complexité et l’instabilité de nos textes.

Soyons bien conscients que les excès d’impôt et l’hypercomplexité déchaînent les fraudes, les évasions fiscales, les optimisations sophistiquées et les schémas subtils.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Le poids des prélèvements obligatoires n’est pas neutre dans une économie mondialisée où les assiettes s’exilent aussi facilement que les flux financiers se dématérialisent et s’internationalisent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

La France devrait atteindre en 2014 le niveau record des 46 points de PIB de prélèvements obligatoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Mes chers collègues, il nous arrive d’être complices de ces incitations à la fraude et à l’optimisation en raison de la diversité, de la complexité et de l’instabilité des règles que nous votons ici même dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale ou des lois de finances initiales ou rectificatives. L’ensemble de ces dérogations, de ces régimes particuliers, de ces niches fiscales, de ces exonérations, de ces crédits d’impôt contribuent à l’optimisation et compliquent singulièrement les relations entre les contribuables et l’administration.

Je voudrais maintenant évoquer un cas particulier.

Depuis le début des années 2000, les centrales d’achat de la plupart des groupes de la grande distribution exigent de leurs fournisseurs établis en France, par l’intermédiaire d’officines implantées en Suisse, en Belgique ou au Luxembourg, le paiement de prestations diverses calculées en fonction du chiffre d’affaires. Les taux pratiqués vont de 2 % à 5 % selon les produits. Ces usages contreviennent évidemment à la législation sur les « marges arrière ».

La discrétion qui enveloppe ce système – on peut presque parler d’omerta – ne permet pas d’en connaître précisément l’ampleur, mais une estimation sommaire autorise à penser que le montant global de ces redevances excède désormais plusieurs milliards d’euros. De plus, les justifications des factures en cause prennent des intitulés les plus divers de manière à dissimuler la réalité d’un prélèvement additionnel, d’une ristourne.

C’est une part significative de l’assiette fiscale de l’impôt sur les sociétés qui se trouve délocalisée par des méthodes totalement critiquables au préjudice de nos finances publiques, mais aussi des fournisseurs, des industriels, voire des agriculteurs et des consommateurs.

J’aurai l’occasion, lors de la discussion du projet de loi ordinaire, de présenter un amendement pour tenter de mettre un terme à ces abus.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, au-delà de cette dérive que je vous invite à corriger, j’attends que vous régliez le sort des grands acteurs mondiaux du numérique, les Google et autres Amazon.

Déjà, en 1991, le Conseil d’État dénonçait le droit fiscal comme un droit « gazeux ». En 2006, ce même Conseil d’État estimait que 30 % du code général des impôts était réécrit tous les cinq ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

M. Jean Arthuis. Quiconque a osé ouvrir ce code ou le Livre des procédures fiscales est pris de vertige face à ces cathédrales de bavardes législations, dont l’interprétation reste sujette aux 40 000 pages d’instructions fiscales.

M. Gérard Longuet s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Le Parlement apporte lui-même sa contribution.

Si nous voulons lutter efficacement contre la fraude fiscale, contre les évasions, les optimisations, nous devons simplifier nos législations, …

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Revet

Ça c’est bien vrai, et il y a beaucoup de travail !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

C’est cette instabilité qui crée la fraude et qui rend si compliquée la constatation de dérives et peut-être même de délits.

Avant de transférer aux magistrats le sort de ces dossiers, …

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Histoire de rendre les choses plus compliquées encore !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

… il faudra être prudent.

L’expertise, en la matière, se trouve du côté de l’administration fiscale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Le projet de loi ordinaire que vous nous soumettez, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, s’inscrit dans une orientation judicieuse. Mais l’essentiel de ses dispositions auraient tout autant trouvé leur place dans un projet de loi de finances. C’est peut-être une question d’affichage : en ces temps, on aime à proclamer qu’on lave plus blanc que blanc. Mais attention : si les résultats ne tiennent pas les promesses de rendements annoncés, nous offrirons une nouvelle fois le spectacle de l’impuissance politique. Ce serait le pire des dangers pour notre démocratie.

Nous aurons l’occasion de nous exprimer lors de l’examen des différentes dispositions du projet de loi. Peut-être, même, pourrons-nous en infléchir le contenu. Sur le parquet financier, mon collègue Yves Détraigne a dit l’essentiel…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

M. Jean Arthuis. … et a fait part des critiques que nous formulons à son égard.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La parole est à M. le président de la commission des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, si cela est possible, et si cette demande vous agrée, je souhaiterais que la séance soit suspendue au plus tard à dix-neuf heures trente, et peut-être même quelques minutes auparavant.

En outre, pour la clarté de nos débats, et afin de permettre aux services du Sénat, le cas échéant, de se préparer, je demande dès à présent l’examen par priorité de l’article 15 du projet de loi, qui instaure le procureur de la République financier, avant les articles 13 et suivants, qui tirent les conséquences de cette création.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, lorsqu'elle est demandée par la commission saisie au fond, la priorité est de droit, sauf opposition du Gouvernement.

Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Avis favorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La priorité est de droit.

S’agissant de votre demande liminaire, monsieur le président de la commission, je m’en remets à la concision que voudront bien s’imposer Mme la garde des sceaux et M. le ministre dans leur réponse aux orateurs.

Vous avez la parole, madame la garde des sceaux.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Monsieur le président, les interventions des différents orateurs qui se sont succédé ont été d’une grande qualité et d’une grande densité. Aussi, compte tenu de la demande formulée par M. le président de la commission, et si le Sénat n’y voit aucun inconvénient, M. Cazeneuve et moi-même proposons de répondre aux intervenants à la reprise de la séance, afin de disposer de tout le temps nécessaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Madame la garde des sceaux, c’est bien volontiers que j’accède à votre demande.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 17 juillet 2013, qu’en application de l’article 61–1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le troisième alinéa de l’article L. 264–2 du code de l’action sociale et des familles (Élection de domicile) (2013–347 QPC).

M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 17 juillet 2013, qu’en application de l’article 61–1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 43 du code des pensions civiles et militaires de retraite (Pensions des fonctionnaires civils) (2013–348 QPC).

Le texte de ces deux décisions de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à vingt-et-une heures trente.