Le combat contre la fraude fiscale ne date pas d’hier. Au tournant des années 2000, l’administration fiscale récupérait chaque année environ 13 milliards d’euros grâce aux contrôles dans les entreprises et chez les particuliers.
Dix ans plus tard, en 2011, ce sont 16, 5 milliards d’euros qui ont été récupérés en une année.
Le travail effectué et les grandes innovations réalisées en matière de lutte contre la fraude fiscale lors de la précédente législature doivent être rappelés.
En effet, entre 2007 et 2012, ce sont plus de soixante mesures d’intensité différente qui ont été prises pour lutter contre les fraudes, que ce soit dans le domaine fiscal, social ou douanier ; vingt-trois mesures concernaient tout particulièrement la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
D’abord, en ce qui concerne la régulation des flux financiers internationaux, et notamment des activités bancaires suspicieuses, 776 conventions fiscales nouvelles ont été signées entre 2008 et mars 2009, sans oublier trente-six conventions d’assistance administrative permettant d’échanger des renseignements. À cela doit être ajouté le travail du précédent exécutif à l’occasion des réunions du G20, qui ont permis de prendre de nombreuses mesures de rétorsions applicables aux opérations économiques avec des États et territoires non coopératifs.
Dans une démarche similaire, signalons que la fraude fiscale a été incluse dans le champ des infractions prises en compte par le groupe d’action financière, plus connu sous le nom de GAFI, qui, comme chacun sait, est un organisme international chargé de promouvoir des politiques de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Toujours dans l’objectif de détecter l’évasion fiscale, rappelons la création, par un arrêté du 25 novembre 2009, d’EVAFISC, qui recueille les informations laissant présumer la détention de comptes bancaires hors de France par des particuliers ou des entreprises. On peut également évoquer EUROFISC pour lutter contre les fraudes internationales à la TVA. Concrètement, cette politique a très rapidement porté ses fruits. En effet, alors que seulement 25 000 comptes détenus par des Français à l’étranger avaient été déclarés en 2007, près de 80 000 l’ont été pour l’année 2012. Ces nouveaux instruments sont donc à l’origine de grands progrès.
Faut-il également rappeler l’instauration de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, créée par un décret du 4 novembre 2010 ? Cette brigade, plus connue sous le nom de « police fiscale », permet à l’administration fiscale de déposer plainte avant même que le délit fiscal soit caractérisé. Elle intervient notamment dans le cas des fraudes fiscales sophistiquées impliquant des montages fiscaux dans des États « à fiscalité privilégiée ». Grâce à des agents bénéficiant d’une formation croisée et dont les pouvoirs comparables à ceux de la police judiciaire, cette brigade mixte, composée de policiers et d’inspecteurs des impôts, a su trouver sa place dans la lutte contre la délinquance fiscale.
Il faut enfin évoquer le droit de communication, qui permet à l’administration fiscale d’obtenir de toutes les banques installées en France des informations sur les opérations de transferts de fonds réalisées à l’étranger. Le dispositif a concerné plus de 500 banques pour plus de 40 000 virements détectés, et ce uniquement pour la période 2006-2008.
Ces mesures de détection ont bien sûr été accompagnées d’un renforcement des sanctions et d’un allongement du délai de prescription pour les avoirs détenus à l’étranger et non déclarés, de trois à dix ans pour tous les pays sans distinction.
Une telle liste de nouvelles dispositions n’est évidemment pas exhaustive, et toutes les principales données statistiques ne peuvent pas être présentées.
Cependant, la progression des résultats, s’agissant aussi bien de la détection de l’évasion fiscale, de la réussite de la cellule de régularisation ou du nombre de plaintes déposées pour fraude fiscale, montre que le dispositif actuel de lutte contre la fraude fiscale a fait ses preuves.
À cette réussite comptable, il faut ajouter le respect d’un équilibre précaire entre, d’une part, l’octroi de davantage de moyens pour l’administration fiscale et la justice et, d’autre part, la protection des libertés fondamentales.
Les textes qui sont aujourd’hui soumis à notre examen doivent, en harmonie avec les règles existantes, être conçus comme une phase complémentaire d’adaptation de notre droit à de nouvelles formes de fraudes et de criminalité financière, qui ont été décrites par le rapporteur.
Veillons à ce que nos initiatives et nos innovations atteignent leurs objectifs : mieux cerner les terrains propices à la fraude, quantifier l’étendue de cette dernière et améliorer les outils qui permettent de la combattre, voire de la prévenir, tout en restant dans notre culture sociale et juridique, empreinte d’un souci profond du respect des libertés individuelles fondamentales.
Je tiens à saluer les travaux du rapporteur, qui ont été d’une grande qualité ; nous en soutenons les principales avancées. Mais, tout comme mon groupe, je persiste à craindre – j’y reviendrai dans mon propos de conclusion – que le projet du Gouvernement de créer un procureur financier de la République ou procureur de la République pour les affaires financières ne rompe avec l’équilibre existant.
J’émets cette remarque avec d’autant plus de bienveillance que j’ai un profond regret.
La commission d’enquête sur l’évasion des capitaux est en train de réaliser un véritable travail de fond pour diagnostiquer les dysfonctionnements et proposer des solutions. Il eût sans doute été plus pertinent d’en attendre les conclusions, annoncées au début du mois d’octobre, pour légiférer en la matière. Au demeurant, une loi pénale plus sévère ne peut pas s’appliquer aux situations en cours. Nous pouvions donc très bien patienter jusqu’à la fin des travaux de la commission, dont je suis le président et dont M. Bocquet est le rapporteur documenté et enthousiaste, un enthousiasme qui ne m'effraie pas. §
Disposant de pouvoirs d’investigation plus larges, nous recueillons chaque semaine des témoignages et des explications sur la fraude fiscale, les infractions économiques et les montages nouveaux qui apparaissent quotidiennement. La précédente commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion fiscale avait émis soixante et une propositions, qui ont été adoptées à l’unanimité ; l’actuelle parviendra, je n’en doute pas, à des conclusions tout aussi consensuelles.
Je crois, semble-t-il avec raison, que sur des enjeux aussi importants que la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, un travail de concertation, de recherche et d’audition comme celui que nous réalisons aurait permis d’appréhender plus largement cette vaste question, d’autant plus que certaines dispositions contenues dans le texte semblent intéressantes.
Nous aurions pu les enrichir, les renforcer et leur donner un champ d’influence sans doute plus large. Au nom de mon groupe, je le redis avec force et conviction : oui au renforcement de l'arsenal juridique contre la fraude fiscale, mais veillons à ce que le texte s'y emploie véritablement !
Nous devrions parvenir à un accord sur plusieurs points évoqués par le rapporteur et discutés en commission des lois.
Je pense ainsi à la prescription. Faire courir le délai à compter de la connaissance des faits revient à rendre le délit imprescriptible ; je ne suis pas le seul à refuser de m’y résoudre. Il serait d’ailleurs peu aisé de justifier un régime de prescription plus sévère pour les infractions financières que pour les atteintes aux personnes. Les travaux de la commission – je pense notamment, il faut bien le dire, à l'amendement du Gouvernement qu’elle a adopté sur le sujet – peuvent être salués.
De surcroît, si la fraude fiscale n’apparaît pas suffisamment réprimée et sanctionnée à l’heure actuelle, je suis au regret de constater, avec courtoisie, que l’administration fiscale en est en grande partie responsable.
Comme cela a été rappelé, ne viennent devant le tribunal correctionnel que les dossiers envoyés par l’administration pour examen à la Commission des infractions fiscales. De ce fait, l’administration, avec le ministère dont elle dépend, est juge de l’opportunité des poursuites. Depuis sa création, la commission est dénoncée de manière quasi unanime par la doctrine, les praticiens et les magistrats.
Le ministère des finances, qui semble moins attaché à la transparence en ce domaine qu’en d’autres, s’oppose à sa suppression, mais pour des raisons qui n’ont convaincu personne, pas même, je crois, notre rapporteur.
Certes, ce dernier a proposé une solution, inévitablement temporaire, mais qui, articulée avec les dispositions, assez souvent oubliées, de l’article 40 du code procédure pénale, devrait permettre aux magistrats du ministère public d’exercer leur mission dans le sens de la poursuite d’une plus large part des infractions de natures fiscales. Nous rejoindrons cette position par pragmatisme, espérant ainsi qu’elle pourra être tenue !
Par ailleurs, nous persistons à nous interroger sur le dispositif des lanceurs d’alerte, dont la portée a, certes, été limitée par les travaux de la commission. Le sujet est délicat. Si nous admettons un traitement particulier pour le repenti, la dénonciation doit être encadrée. La culture française n’apprécie guère les dénonciateurs, quel que soit le drapeau civique dont on les pare ! Les libertés individuelles, au premier rang desquelles figure le respect de la vie privée, en sont souvent les premières victimes.