Intervention de Philippe Marini

Réunion du 17 juillet 2013 à 14h30
Lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière – procureur de la république financier — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, notre débat comprend deux volets et je m’abstiendrai de commenter le texte relatif au parquet financier, étant hostile à cette mesure de circonstance. Je bornerai donc mes propos au projet de loi relatif à la fraude fiscale, sujet qui me semble dépasser très largement les clivages partisans.

Le projet de loi comprend des mesures utiles. À vrai dire, il prolonge tout d’abord le travail engagé précédemment, notamment à travers le collectif budgétaire de la fin de l’année 2011 et la première loi de finances rectificative pour 2012. Il s’agissait déjà de renforcer les sanctions applicables à la fraude fiscale, en particulier en cas de dissimulation d’actifs à l’étranger.

Ce texte est, certes, utile, mais ce n’est certainement pas le « grand moment » de travail législatif que le Gouvernement nous avait annoncé. La réforme, qui a commencé avec une dimension modeste, s’est au demeurant nourrie à l’Assemblée nationale d’un assez grand nombre d’initiatives que je qualifierai, selon la formule consacrée, de « puisées à bonne source ». Tout cela est d’ailleurs en général utile, notamment s’agissant des dispositifs douaniers.

Au total, le texte sur la fraude fiscale ressemble dans une large mesure aux dispositions que nous sommes habitués à examiner dans les collectifs de fin d’année.

Mes chers collègues, nous le savons, dans le domaine de la lutte contre la fraude, il faut trouver et préserver un bon équilibre. L’État ne doit pas être naïf : la fraude s’adapte sans cesse.

Cela étant dit, il est deux bornes à ne pas franchir : d’une part, celle qui préserve les libertés publiques, préoccupation par excellence de notre commission des lois ; s’autre part, celle qui délimite l’attractivité du territoire, sujet auquel notre commission des finances est naturellement très sensible.

Tout ne tient pas dans le droit, mais son application est souvent tout à fait décisive. Je relèverai que la commission des lois est intervenue de manière tout à fait heureuse et légitime, par exemple pour assurer l’intégrité de la notion de délai de prescription, pour éviter le renversement de la charge de la preuve en matière de blanchiment ou encore pour faire en sorte que les avocats ne soient pas assimilés à des complices de fraudeurs.

Le projet de loi permet – c’est certainement une nécessité – le recours à ce que l’on appelle de manière générique les « techniques spéciales d’enquêtes » en matière de lutte contre la fraude fiscale, et notamment les sonorisations de lieux ou encore la captation de données informatiques. Il faut s’adapter aux technologies existantes. Les fraudeurs, eux, savent les utiliser, voire les manipuler avec une très grande efficacité.

Ces techniques, conçues à l’origine pour lutter contre la seule criminalité organisée de grande complexité, ont été progressivement étendues à la délinquance économique et financière, alors même, je le souligne au passage, qu’elles ne sont pas réellement ouvertes aux services de renseignement intervenant en dehors du cadre judiciaire.

J’observe également que le projet de loi conforte la place des « lanceurs d’alerte », pratique inspirée d’autres droits nationaux, notamment anglo-saxons, et à la vérité non dénuée de points de rencontre avec certains éléments traditionnels de notre droit, en particulier l’article 40 du code de procédure pénale. Encore faut-il trouver, là aussi, le bon équilibre. Je crois que la commission des lois y a veillé, en s’attachant à ce qu’une personne faisant son devoir ne puisse pas être exposée à des mesures redoutables de rétorsion, tout en évitant d’encourager par principe, dans une entreprise ou un service public, toute calomnie ou manœuvre personnelle. L’équilibre est assurément délicat à trouver. J’espère toutefois que nous parviendrons à l’atteindre.

Je souhaite également noter que les difficultés du projet de loi, dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois, à éviter la tentation – je dirais même le péril – du « tout pénal ». Ce point nourrira assurément nos débats. L’article 2 ter remet en cause, à mon sens de manière malencontreuse, les compétences du ministère du budget en matière de poursuite de la fraude fiscale.

Vous le savez, mes chers collègues, à la différence des autres délits, le délit de fraude fiscale n’est pas, jusqu’à présent, poursuivi d’office par le procureur de la République. Ce dernier ne peut mettre en mouvement l’action publique que dans la mesure où l’administration a préalablement déposé une plainte.

Je vous précise – cela ne vous étonnera pas – que je partage totalement l’analyse sur ce point de l’excellent rapporteur pour avis de la commission des finances, le rapporteur général François Marc.

Le droit actuel en la matière me semble devoir être maintenu. La fraude fiscale est déjà lourdement sanctionnée par l’administration fiscale. Celle-ci peut, vous le savez, appliquer des sanctions administratives susceptibles d’atteindre 100 % des droits éludés, à l’issue de procédures qui, au demeurant, respectent les règles tirées de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier le principe du contradictoire.

Par ailleurs, l’engagement de l’action publique parallèlement à une procédure de redressement fiscal risquerait, je le souligne, d’encourager les démarches dilatoires des contribuables poursuivis, retardant un peu plus le recouvrement de l’impôt. La commission des finances ne peut qu’être très sensible à un tel argument, qui a notamment été utilisé à juste titre par M. le ministre du budget. C’est la raison pour laquelle il semble préférable de ne recourir aux poursuites pénales, comme c’est le cas aujourd’hui, que dans le cas des fraudes les plus graves, comme le blanchiment de capitaux.

Enfin, la fraude fiscale affiche une complexité croissante, qui réclame tout à la fois une expertise et des moyens humains dont ne saurait disposer, à ce jour, la seule autorité judiciaire. C’est pourquoi l’examen préalable des dossiers par l’administration fiscale me semble constituer un gage d’efficacité et d’effectivité de la sanction, indispensable en cas de manquement grave.

Pour toutes ces raisons, j’ai déposé un amendement visant à la suppression de l’article 2 ter. J’ai observé avec plaisir que mon amendement était loin d’être isolé…

À la surenchère en matière de sanctions de la fraude fiscale, il faut préférer, me semble-t-il, une démarche plus simple et apaisée, consistant à s’interroger sur les besoins concrets de l’administration pour lutter efficacement contre les pratiques abusives.

Je voudrais à cet égard évoquer la preuve, sujet qui va sans doute constituer une étape intéressante de notre débat. En matière de lutte contre la fraude fiscale, aucun moyen, dès lors qu’il est légal et proportionné, ne saurait être écarté.

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