C’est la preuve que, dans bien des domaines, l’intuition et la volonté parlementaires doivent pouvoir se poursuivre et être actualisées ; des décisions sont parfois prises sous l’effet de quelque fait d’actualité, alors qu’un travail sérieux du Parlement a eu lieu !
Je souhaite qu’on aille plus loin dans la même voie, mais je salue la grande avancée que constitue ce projet de loi.
Permettez-moi d’insister sur la caractérisation de l’évasion, de l’évitement et de la fraude, car toutes les auditions de la commission d’enquête font ressortir qu’il s’agit d’un virus mutant. Une loi est-elle adoptée qu’aussitôt certains, dans le monde financier international, inventent toute une série de systèmes pour la contourner.
Bien sûr, nous devons respecter les valeurs fondamentales de notre droit ; reste que, si les réponses publiques sont trop lentes et si les outils d’intervention de notre administration ne sont pas à la hauteur des capacités de mutation de la délinquance fiscale et de l’évitement fiscal, nous sommes condamnés, dans un monde en pleine mutation, à une forme d’impuissance qui met en cause notre démocratie !
C’est pourquoi, même si le projet de loi et le projet de loi organique sont extrêmement importants, il faut considérer qu’ils constituent une étape, qui devra être dépassée. À cet égard, je ne doute pas que certaines propositions de notre commission d’enquête seront reprises par le Gouvernement.
Si j’insiste sur les formes d’organisation, c’est parce que, au cours d’une récente audition, nous avons entendu un témoignage sur la manière dont, une directive européenne ayant été publiée qui pénalisait uniquement les personnes physiques, les banques, dans le quart d’heure suivant et avant même l’application de la mesure, ont déplacé l’argent sur de nouveaux produits associés à des personnes morales.
Cette mutation permanente impose la mise en place d’outils particuliers. J’ai d’ailleurs déposé un amendement en ce sens : à l’image de ce que font les banques, à savoir la constitution d’équipes « projets stratégiques », l’État, la puissance publique, dans le cadre d’une collaboration entre les ministères de la justice, de l’intérieur et des finances, doit mettre en œuvre des équipes comparables capables de s’adapter à ces formes de virus mutant, qui nous viennent souvent d’ailleurs.
On a parlé de mobilisation générale. J’insiste fortement sur le fait que celle-ci doit effectivement être générale et ne pas reposer uniquement sur l’État. On observe en effet que des collectivités publiques françaises versent des fonds publics à des sociétés dont le siège social est situé dans un paradis fiscal ou assimilé.
Par exemple, une collectivité souhaitant être desservie par une ligne aérienne à bas coût peut être amenée à financer l’organisme de communication de l’entreprise aérienne concernée, dont le siège social est à Jersey et qui ne possède aucun salarié sur le territoire français ! Si je peux comprendre le souhait d’une collectivité d’être desservie par une ligne aérienne, j’estime anormal que celle-ci verse des fonds publics, par le biais, notamment, de sociétés d’économie mixte, à des sociétés dont le siège social se trouve dans un paradis fiscal.
La mobilisation nationale, nous sommes en train de la réaliser. Pour ce qui concerne la mobilisation européenne, il y a tout de même un peu de retard à l’allumage. Dans bien des domaines, les directives européennes introduisent en effet des dispositions a minima par rapport à ce que décident les Américains. Je connais les contraintes de la décision à vingt-huit, mais il est inacceptable que l’Europe, qui devrait être au contraire un modèle social et économique, soit devenue l’un des hauts lieux du dumping social ! Heureusement que les Américains ont montré l’exemple à un certain nombre de pays amis européens, qui se sont enfin décidés à adopter des règles tout simplement incontournables dans une démocratie.
Il y a donc un combat européen et un combat mondial à poursuivre. Je le dis tout net : si l’administration américaine et le président Obama n’avaient pas pris l’initiative sur un certain nombre de sujets, il est à craindre que la puissance européenne et l’ensemble du monde auraient été beaucoup moins loin en matière de lutte contre la délinquance économique et financière.
Pourquoi les Américains agissent-ils ? Parce que nous sommes dans un système en crise ! L’évitement fiscal et la fraude fiscale, si faciles aujourd’hui, existent depuis fort longtemps. Mais en devenant quasiment systémiques, ils ont changé de nature. Nous sommes devant un système où tout est fait pour que les puissants, les forces économiques, puissent éviter la fiscalité, l’intervention publique. C’est même devenu un art et l’attribut d’une bonne gestion ! Quand nous avons libéralisé les mouvements de capitaux, nous n’avons mis en place aucune structure de régulation, de contrôle, d’intervention, susceptible de l’encadrer. Au moment où l’Union européenne a fait ce choix, elle aurait dû se doter d’outils adéquats. Mais c’était le temps du libéralisme tout-puissant et du laisser-faire. On a laissé filer les capitaux, et on en voit aujourd’hui les conséquences désastreuses. Nos pays et même les pays en voie de développement ne disposent pas des justes ressources qui leur permettraient de faire face à un développement harmonieux.
On le comprend, même si nous mettons en place des outils pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, nous aurons toujours un métro de retard par rapport aux fraudeurs, si nous ne nous attaquons pas au système financier transnational lui-même, en instaurant des régulations publiques et démocratiques.
Dans ce domaine, il faut faire preuve de volontarisme. Pour s’en convaincre, il suffit d’avoir conscience du laps de temps nécessaire à la mise en œuvre des réformes.
Rappelez-vous l’époque où nous étions une petite minorité, jugée suffisamment imprudente ou déraisonnable pour plaider en faveur d’une taxation des mouvements financiers. Je rappelle à cet égard que James Tobin lui-même était un libéral ! Simplement, il pensait que la taxation est un moyen de contrôler les flux financiers. Depuis lors, hélas ! la rapidité des modes de communication a rendu les choses encore plus complexes. À l’époque, on nous disait qu’une telle taxe ne pourrait jamais être mise en œuvre. Il a fallu attendre que le système dérive pendant quinze, vingt voire trente ans pour que l’on commence à penser que cette taxe constitue l’une des solutions possibles.
Il faut du volontarisme pour réguler le système financier et intervenir sur l’évitement, la fraude et la délinquance. Je félicite le Gouvernement de s’attaquer à ces sujets avec détermination, volonté et force.
Toutefois, j’estime que l’examen de ces textes par notre assemblée devrait permettre d’améliorer certaines de leurs dispositions.
Je suis attentivement les débats européens sur le fameux FATCA. Je pense que la France s’honorerait à inscrire dans ce projet de loi sa volonté de mettre en place un dispositif de même nature. J’ai d’ailleurs déposé plusieurs amendements en ce sens. Tout comme nous avions voté la taxe sur les transactions financières en amont des décisions européennes, il serait politiquement souhaitable que la France montre avec force, dans ce texte, son adhésion pleine et entière à ce système.
Un deuxième sujet me paraît extrêmement urgent, celui des prix de transfert.