Le troisième point sur lequel je voudrais insister c’est que nous, nous souhaitons, à Bercy, que la justice puisse disposer de moyens supplémentaires pour poursuivre, et qu’elle poursuive aussi souvent que cela est nécessaire.
L’administration fiscale a non seulement besoin des juges pour poursuivre lorsqu’elle constate des infractions, mais elle a confiance dans la justice pour pouvoir aller au bout des instructions et des sanctions qui doivent être mobilisées pour appliquer le droit car des infractions ont été constatées.
Tout ce que nous avons voulu faire avec Mme la garde des sceaux, ensemble plutôt que d’opposer nos administrations l’une à l’autre, c’est de faire en sorte que, par l’effort de transparence dont je vous ai parlé d’abord, par la recomposition de la Commission des infractions fiscales ensuite, par la mise en place du parquet financier par ailleurs, et par la possibilité que nous donnons au Parlement de contrôler les conditions dans lesquelles tout cela se met en œuvre, il n’y ait plus aucun espace laissé au fraudeur dès lors que celui-ci veut échapper à la justice.
C’est cette articulation, qui est exigeante, nouvelle, que nous voulons mettre en œuvre, plutôt que d’opposer la justice à l’administration fiscale.
Enfin, je veux terminer en revenant sur un argument que j’ai entendu et qui mérite d’être pris en compte et analysé. Je dirai à M. le sénateur Bocquet, qui a également évoqué cet argument, que nous l’avons à l’esprit lorsque nous raisonnons sur de telles questions.
Vous avez indiqué que, dès lors que la justice et l’administration fiscale peuvent poursuivre, aucune opportunité n’est donnée au fraudeur de profiter du temps supplémentaire qui lui est accordé pour s’échapper.
Je veux simplement dire que, à partir du moment où nous opposerions l’administration fiscale à l’administration judiciaire ou à la justice, dès lors que nous donnons la possibilité à la justice et à l’administration fiscale de poursuivre ensemble, l’administration fiscale ne pourrait plus appliquer aucune amende sur des dossiers sur lesquels la justice s’est saisie elle-même.
Entre le moment où l’administration fiscale constate un manquement et le moment où elle applique les sanctions éventuelles, il s’écoule en moyenne six mois. Le temps judiciaire est long, pour des raisons qui tiennent au fait qu’il protège nos libertés, qu’il donne la possibilité à celui qui est mis en cause de se défendre, qu’il existe des procédures permettant l’intervention d’un avocat – nous y tenons, car nous sommes, Mme la garde des sceaux et moi-même, attachés aux libertés publiques –, parce qu’il y a des procédures en appel et en cassation, aux termes desquelles il est possible de percevoir l’amende, mais sans lesquelles il n’est pas possible de la percevoir.
Aussi longtemps que le temps judiciaire court, il n’est pas possible, si l’administration fiscale n’a pas été saisie en premier et si c’est le juge qui a été actionné, de percevoir les amendes dont le contribuable est redevable.
Je ne pense pas, par conséquent, qu’il soit juste de dire qu’il est neutre de mettre en concurrence les deux administrations sur l’efficacité du dispositif et la capacité de l’administration fiscale à percevoir ce qui lui est dû, car le temps de l’administration fiscale et le temps de la justice sont différents. Si nous nous mettons en concurrence, nous perdrons toute l’efficacité de l’articulation entre ces deux administrations. C’est pourquoi je ne pense pas qu’il faille le faire.
Enfin, pour terminer sur ce point, il est souvent avancé que cela existe dans d’autres pays d’Europe et que nous serions bien inspirés de regarder ce qui se passe ailleurs pour l’importer chez nous.
Monsieur le rapporteur général, vous avez pris l’exemple de l’administration fiscale italienne poursuivant la fraude, la Guardia di Finanza, qui dispose de pouvoirs d’enquête fiscale dont l’administration fiscale française ne dispose pas.
L’administration fiscale italienne dont vous avez parlé et loué l’efficacité est effectivement efficace, parce qu’elle est une espèce de « mix », dans les moyens qu’elle peut mobiliser, entre l’administration fiscale française et la police judiciaire française, mais il s’agit là d’un modèle très différent de celui qui prévaut chez nous et, par conséquent, très difficilement transposable, sauf à revoir complètement l’organisation des choses dans notre pays.
Par ailleurs, dernier point, tout ce qui peut s’exercer en termes de contrôles sur l’administration fiscale ne peut pas s’exercer sur des pouvoirs constitués pour des raisons qui tiennent à la séparation des pouvoirs.
Montesquieu disait : « Il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Par conséquent, vous aurez énormément de difficultés à procéder à des contrôles sur le juge, soucieux de son indépendance autant que nous le sommes nous-mêmes, et qui, parce qu’il est dans un système de séparation des pouvoirs renforcé, n’a pas à rendre de comptes devant vos assemblées des conditions dans lesquelles il exerce sa mission.
Il me semble important que, à un moment donné, le Parlement dispose d’une capacité de contrôle sur la manière dont ces affaires sont traitées par l’administration.
Je vous dis tout cela simplement pour rappeler que, sur ces sujets, nous avons intérêt – c’est ce que nous avons voulu avec Mme la garde des sceaux – à reconnaître à la fois le travail des juges et le travail de l’administration fiscale, car nous avons confiance dans les juges et l’administration fiscale pour leur permettre d’avancer de concert. C’est la raison pour laquelle nous voulons articuler leurs interventions, plutôt que de les rendre plus difficiles en opposant l’administration fiscale et l’administration judiciaire.
Je voudrais remercier le rapporteur général M. François Marc, qui rappelait à juste titre l’ampleur des demandes de rectification spontanée.
La fraude fiscale, c’est le fait d’éluder l’impôt au détriment de l’administration. Une réparation pécuniaire de ce préjudice, qui a un caractère pécuniaire, peut, dans bien des cas, constituer une sanction suffisante. C’est d’ailleurs l’analyse des juridictions de jugement, puisque seules 10 % environ des condamnations comprennent des peines d’emprisonnement ferme, souvent parce que l’amende est jugée de nature à permettre la réparation.
Monsieur Bocquet, vous avez exprimé à plusieurs reprises, au cours de votre intervention, la préoccupation de voir le dispositif à l’égard des entreprises renforcé. Le rapport de l’Inspection générale des finances sur les prix de transfert, le travail que vous avez réalisé vous-même au sein de votre commission d’enquête témoignent de la nécessité de renforcer les dispositifs de contrôle à l’égard de l’optimisation fiscale des entreprises, qui, parfois, « tangentent » la fraude fiscale, et parfois même traversent la frontière entre optimisation et fraude.
Nous avons, sur ce plan, la volonté d’inscrire des dispositions en loi de finances plutôt que dans ce projet de loi, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, votre commission d’enquête n’a pas encore remis ses travaux. Or parmi les propositions auxquelles elle aboutira certaines pourront s’inscrire dans un ensemble d’éléments législatifs susceptibles de figurer en loi de finances.
Du reste, pour des raisons de cohérence globale, il est à la fois important et opportun de disposer d’un ensemble de mesures, au terme des travaux de votre commission, des études juridiques qui restent à mener et de la concertation avec les entreprises, avant d’introduire ces éléments dans le prochain projet de loi de finances.
Monsieur Bocquet, je vous le confirme d’ores et déjà, les amendements que vous avez déposés au titre du présent texte sont autant de pistes que nous avons à l’esprit et dont nous étudions la traduction dans le domaine législatif.
J’indique à M. Alfonsi que, sur la question de la licéité des preuves, nous tenons compte des remarques qu’il a formulées, afin de pouvoir utiliser des sources illicites dans le cadre des procédures d’investigation, dès lors que celles-ci ont été transmises de manière licite. Le présent projet de loi prend en compte ce cas de figure. Il était important que vous le rappeliez.
Je remercie Mme Benbassa de la qualité de son intervention, et lui dis à quel point nous sommes déterminés – comme elle en a émis le vœu – à faire en sorte que nous puissions, au cours des années à venir et dans le cadre du présent texte, renforcer la lutte contre les sociétés écrans, les trusts et l’utilisation de comptes non déclarés à l’étranger. Les combats que mène la France au sein de l’Union européenne pour l’échange automatique d’informations comme pour la création d’une liste d’États et de territoires non coopératifs à l’échelon communautaire sont autant d’éléments qui témoignent de notre volonté d’aller plus vite et plus loin, grâce à une ambition plus grande, en matière de lutte contre la fraude fiscale.
M. Pillet a raison de rappeler que la précédente majorité a créé de nouveaux instruments de lutte contre la fraude fiscale, dont la police fiscale. Toutefois, je souligne que ces outils ont été considérablement renforcés depuis un an, dans le cadre des deux projets de loi de finances rectificative pour 2012, de la loi de finances initiale pour 2013 et du texte aujourd’hui débattu. Au reste, pour notre part, nous n’avons jamais souhaité mettre en œuvre des dispositifs de type Rubik. Nous n’envisageons pas non plus de dispositions législatives organisant l’amnistie, mesures que certains parlementaires ont pu proposer au cours des derniers mois, de ceux qui se sont mis en contravention avec le droit.
Je ne m’attarderai pas sur l’ensemble des sujets que M. Rebsamen a détaillés et que je viens d’évoquer : ils sont, par leur contenu, en cohérence avec le présent projet de loi.
Je veux dire à M. Marini que nous avons apprécié ses propos dépourvus d’esprit partisan et la hauteur de vue qui a présidé à un certain nombre de ses prises de position. Concernant l’érosion des bases fiscales, les prix de transfert ou encore la fiscalité du numérique, nous souhaitons naturellement pouvoir travailler dans l’esprit qu’il a indiqué.
Mme Goulet ainsi que MM. Fortassin et Chiron sont intervenus sur un certain nombre de sujets sur lesquels nous menons un combat au sein de l’OCDE et de l’Union européenne. J’ai indiqué à l’instant, en répondant à Mme Benbassa, quel était notre agenda européen et international. Je confirme que nous restons très vigilants face à l’érosion des bases fiscales et à la nécessité de promouvoir l’initiative BEPS, ou base erosion and profit shifting, au sein de l’OCDE.
De même, madame Lienemann, nous veillerons attentivement à ce que l’Europe puisse appliquer en son sein et négocier, avec les pays tiers, des conventions de type FATCA.
Enfin, monsieur Arthuis, vous avez évoqué un certain nombre d’enjeux très importants et très intéressants, dont nous aurons à débattre en examinant des amendements que vous avez déposés. De nombreuses questions que vous soulevez comme celle des redevances sont autant de sujets que nous sommes prêts à étudier, et que nous traiterons lors de la discussion de vos amendements.