La liberté de parole qui prévaut dans mon groupe me permet d’intervenir à titre personnel et d’émettre un avis totalement différent de celui d’un certain nombre de ses membres.
Le constat que je dresse est assez simple et repose sur deux éléments incontestables.
Le premier est qu’il sera impossible de démontrer techniquement que ce système n’aboutit pas à donner exclusivement à l’administration la faculté de décider de l’opportunité des poursuites. Aucune affaire de fraude fiscale ne peut passer en jugement devant un tribunal correctionnel si l’administration n’a pas saisi la Commission des infractions fiscales. Entendez-moi bien : ce n’est pas la CIF qui pose problème, c’est le fait qu’il revient à l’administration de décider de sa saisine.
Le second élément, factuel, a été donné par la Cour des comptes dans son rapport de février 2010. Le constat qu’elle dresse ne va pas dans le sens des objectifs affichés par ce texte : « Les plaintes pour fraude fiscale déposées par l’administration auprès des juridictions pénales sont passées de 860 en 2000 à 992 en 2008. Cependant, cette progression résulte entièrement de l’augmentation des plaintes visant des entrepreneurs du bâtiment […], qui représentent près du tiers des plaintes en 2008. Une part très élevée de ces plaintes concerne des maçons originaires d’un même pays méditerranéen dont la surreprésentation peut avoir deux causes : ils mettent en œuvre des schémas de fraude simples et, de fait, ils se défendent peu. »
J’ai entendu tout à l'heure que l’on défendait l’existence de la Commission des infractions fiscales et du monopole des poursuites de l’administration fiscale au motif qu’il ne faut pas créer de concurrence entre l’administration fiscale et le procureur de la République. Il s’agit d’une erreur ! On ne crée absolument pas de concurrence ! Imaginez-vous un procureur de la République entamer une enquête préliminaire ou même saisir un juge d’instruction en se privant de l’expertise de l’administration fiscale ? Ce n’est jamais le cas, en pratique.
En la matière, nous n’avons donc pas à craindre une guerre des administrations à l’image de la guerre des polices. Au contraire, les uns et les autres collaboreront évidemment à cette œuvre commune.
De plus, l’idée selon laquelle cela pourrait entraver le recouvrement des sommes dues me paraît techniquement fausse. Aussi bien le Conseil d’État que la chambre criminelle de la Cour de cassation ont toujours rappelé que les deux procédures étaient totalement distinctes.
À ce titre, on peut donc imaginer qu’une personne soit condamnée pour fraude fiscale avant que le tribunal administratif ait statué sur son recours en matière purement fiscale et que, à l’inverse, car cette solution existe, la personne soit condamnée pour fraude fiscale alors que le tribunal administratif, dans la même affaire, a annulé tous les redressements que l’administration avait engagés ou mis en recouvrement contre elle.
L’administration a toujours la possibilité de récupérer les sommes. Elle dispose d’ailleurs d’une arme extraordinaire du simple fait qu’elle crée son propre titre, à savoir l’avis de mise en recouvrement ou l’avis d’imposition. Il n’y a donc sur ce point aucune difficulté : l’administration pourra continuer à remplir les caisses de l’État !
Si l’on veut faire disparaître toute suspicion à l’égard de l’administration, il faut donner la parole au procureur de la République. Je crois d’ailleurs que ce dernier ne sera pas plus mauvais juge que l’administration en matière d’opportunité des poursuites…
Enfin, vous avez noté que la Commission des infractions fiscales se voit transmettre mille dossiers par an. Comment voulez-vous qu’elle en reçoive plus encore ? Elle ne pourra, de fait, en traiter davantage, au risque de créer un goulet d’étranglement.
En définitive, je pense que ces amendements ôtent une partie de leur crédibilité aux objectifs affichés par les promoteurs du projet de loi. Je souscris au texte rédigé par notre collègue Alain Anziani et adopté par la commission des lois. Cette rédaction avait le mérite de consacrer une première évolution - celle que vous évoquiez, madame Lienemann - vers un État de droit où, me semble-t-il, il appartient aux magistrats de décider et non à l’administration.