Intervention de Martial Bourquin

Commission des affaires économiques — Réunion du 23 juillet 2013 : 1ère réunion
Consommation — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Martial BourquinMartial Bourquin, rapporteur :

Ce texte restera comme l'une des principales réformes économiques du quinquennat. Nous avons travaillé collectivement avec les rapporteurs pour avis et les chefs de file des différents groupes et réalisé de nombreuses auditions. Elles ont montré que, dans l'ensemble, cette réforme était bien acceptée, y compris des entreprises qui la considèrent comme équilibrée.

S'agissant du chapitre Ier du projet de loi, l'introduction de l'action de groupe en droit français fait débat depuis près trente ans. De nombreuses propositions ont été avancées, comme la proposition de loi déposée en 1984 par Bernard Stasi ou le rapport Calais-Auloy de 1990, au nom de la commission pour la codification du droit de la consommation. En effet, dans le secteur de la consommation, les modes individuels de réparation des dommages ne sont pas satisfaisants : « alors que les dommages y présentent un caractère de masse, puisqu'ils se répètent à l'identique pour tous les consommateurs placés dans la même situation et qu'ils trouvent leur origine dans le même manquement du professionnel à ses obligations, ils ne font pas l'objet d'une indemnisation en conséquence », écrivaient nos collègues Richard Yung et Laurent Béteille dans leur rapport fait au nom de la commission des Lois en mai 2010. Le consommateur peut certes intenter une action individuelle mais souvent, le gain potentiel n'en vaut pas les inconvénients.

Le débat sur l'action de groupe a été relancé dans les années 2000. En 2003, le rapport Chatel recommande la mise en place d'un recours collectif. En 2005, le Président Chirac évoque une modification de la législation afin de permettre aux associations d'intenter les actions collectives contre des pratiques abusives rencontrées sur certains marchés. En septembre 2006, le Conseil de la concurrence se déclare favorable à des actions de groupe en matière de concurrence. Des propositions de loi ont été déposées par tous les groupes : proposition de loi Bricq en avril 2006, proposition de loi Terrade en décembre 2007. En novembre 2006, le Gouvernement dépose un projet de loi instituant l'action de groupe - qui ne sera pas examiné pour cause d'élections. Enfin, en mai 2010, la commission des lois du Sénat publie un rapport qui fait référence, « L'action de groupe à la française : parachever la protection des consommateurs », et introduit en décembre 2011 un dispositif d'action de groupe dans le projet de loi Lefebvre.

L'article 1er du présent texte s'en inspire, sous réserve de quelques modifications. L'action de groupe est confiée aux seize associations de défense des consommateurs représentatives et agréées. Seuls les préjudices matériels sont concernés. Les consommateurs concernés doivent être placés dans une situation similaire. Le préjudice doit avoir pour cause un manquement d'un professionnel à ses obligations légales ou contractuelles à l'occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services ou résulter de pratiques anticoncurrentielles. Autrement dit, seuls les secteurs de la consommation et de la concurrence sont concernés. Le juge rend un jugement unique - c'est là une des différences avec le texte adopté par le Sénat en 2011 - par lequel il juge de la recevabilité de la requête, de la responsabilité du professionnel et détermine le montant du préjudice subi. Les consommateurs lésés adhèrent au groupe une fois le jugement sur la responsabilité rendu, selon le principe de l'opt in, pour bénéficier de l'indemnisation. L'association requérante peut participer à une médiation afin d'obtenir réparation. Enfin, en matière de concurrence, l'action ne peut être engagée que sur le fondement d'une décision constatant une pratique anticoncurrentielle devenue définitive, qu'elle ait été prononcée par une autorité nationale ou européenne.

Les députés ont adopté de nombreux amendements à cet article - 36 en commission et 13 en séance publique - à commencer par l'introduction d'une action de groupe simplifiée, qui fait l'objet de beaucoup d'interrogations : dans le cas où les consommateurs sont identifiés, le juge pourra condamner le professionnel, le cas échéant sous astreinte, à indemniser directement et individuellement les consommateurs lésés. Les consommateurs seront alors informés afin qu'ils puissent accepter d'être indemnisés.

L'institution de l'action de groupe est une avancée importante - 80% de nos concitoyens y sont favorables - et le dispositif proposé me parait équilibré. Le filtre des associations de consommateurs, la limitation à la réparation des préjudices matériels, le système de l'opt in sont autant de garanties contre toute dérive à l'américaine. Il ne me parait toutefois pas souhaitable d'étendre cette procédure aux domaines de la santé et de l'environnement, car la prise en compte de préjudices moraux ou corporels nécessite une individualisation de l'évaluation et de l'indemnisation. La ministre de la santé présentera prochainement un dispositif d'action de groupe en matière de santé ; une réflexion sera également lancée en matière d'environnement.

Le projet de loi reprend les principales recommandations formulées en décembre 2012 par le Conseil national de la consommation. Les associations de consommateurs auditionnées saluent le dispositif proposé par le Gouvernement, tandis que les organisations professionnelles reconnaissent qu'il est globalement équilibré. Je présenterai plusieurs amendements pour ajuster le dispositif issu de l'Assemblée et préciser les conditions dans lesquelles l'action de groupe simplifiée, qui a créé un certain émoi chez les professionnels, pourra être engagée.

S'agissant des pouvoirs de la DGCCRF, le projet de loi initial repose sur une idée force : renforcer les pouvoirs de la DGCCRF et rendre plus opérationnelle la loi de modernisation de l'économie (LME), qui fonctionne bien dans certains domaines, moins dans d'autres. Le chapitre V prévoit des amendes administratives en cas de non-respect du code de la consommation en matière d'informations précontractuelles, de publicité des prix, de publicité pour des ventes réglementées. Une amende administrative pourra également sanctionner une clause abusive interdite figurant sur la « liste noire ».

En dehors d'ajustements rédactionnels, les députés ont peu modifié cette partie du texte à l'exception d'un amendement qui porte de un à deux mois le délai octroyé aux professionnels pour présenter leurs observations dans le cadre de la procédure contradictoire engagée avec le contrevenant. Ils ont par ailleurs aligné les pouvoirs d'enquête des agents de l'Autorité de la concurrence sur ceux du ministère de l'économie concernant les commissions rogatoires, donné force probante aux constatations effectuées sur internet par les agents de la CNIL et prévu un rapport sur les mesures de blocage de sites internet qui peuvent être contournées, considérées comme attentatoires à la liberté d'expression ou avoir pour effets de rendre inaccessibles des sites parfaitement légitimes.

Enfin, le projet de loi renforce les moyens d'action de la DGCCRF et instaure des sanctions administratives comme alternative aux sanctions pénales et civiles en cas d'atteinte à la protection économique du consommateur et à la conformité et à la sécurité des produits.

Les auditions m'ont conduit à plusieurs réflexions. Tout d'abord, dans sa décision du 4 juillet 2013, le Conseil constitutionnel ayant déclaré inconstitutionnel le processus d'instruction et de sanction de l'ARCEP pour non-respect du principe de séparation, quelles en sont les conséquences pour la DGCCRF ? Toutefois, il ressort de nos échanges avec le cabinet du ministre qu'en matière de sanction, la logique n'est pas la même pour les autorités administratives indépendantes et pour l'administration. De plus, d'aucuns auraient souhaité la publication des sanctions administratives, car plus stigmatisante, mais elle risque de favoriser la multiplication des recours juridictionnels. Nos amendements visent à améliorer la rédaction du texte, à conforter le principe du contradictoire et à renforcer notre arsenal contre les ententes secrètes.

Le projet de loi traite également des délais de paiement, sujet particulièrement sensible et améliore également les relations interentreprises, qui sont particulièrement dégradées entre la grande distribution et les industries agroalimentaires, comme l'a montré le dernier cycle de négociations. Le projet de loi impose une renégociation en cas de variations importantes des prix des matières premières agricoles. Selon les professionnels de l'agroalimentaire, le problème vient surtout des politiques de groupement d'achat des grandes surfaces...

Sans remettre en cause l'équilibre du texte, je propose de fixer un seul délai de paiement à 45 jours fin de mois, calculé de la manière identique dans tous les cas, en neutralisant l'effet des procédures de réception des marchandises et en donnant plus de pouvoirs aux commissaires aux comptes pour informer sur ces délais de paiement - propositions issues du rapport que j'ai présenté devant la commission la semaine dernière. Dans le même esprit, je propose d'instaurer des contrats-types pour équilibrer les relations de sous-traitance. Deux amendements simplifient le dispositif adopté par l'Assemblée pour la négociation entre acteurs et la renégociation en cas de variation des prix des produits de base. D'autres amendements encadrent le processus de négociation prévu par la LME. Enfin, je suggère de resserrer l'amendement Brottes à l'article 62 bis en prévoyant que les magasins de producteurs ne vendent que des produits issus des productions des associés.

Le chapitre final porte diverses dispositions, de coordination, de simplification rédactionnelle mais aussi relatives à la réglementation des voitures de tourisme avec chauffeur et des motos-taxis... Le dernier article comprend, enfin, une habilitation à recodifier le code de la consommation par voie d'ordonnance - pour la troisième fois en cinq ans !

Les députés ont inséré une dizaine d'articles additionnels sur les jeux d'argent et de hasard qui améliorent la définition des loteries prohibées et luttent contre les sites ou maisons de jeux illégaux, l'addiction au jeu et les activités criminelles liées aux jeux en ligne. Je vous proposerai de mieux encadrer le champ de l'habilitation et d'améliorer la définition des loteries prohibée : trop large, il risquerait d'interdire des activités de fidélisation parfaitement légitimes, notamment de la part de magazines.

Nous espérons que notre commission adoptera à une large majorité le projet de loi, enrichi de nos amendements. Ce texte permet de mieux réguler l'économie de marché, en redonnant du pouvoir aux consommateurs qui en subissent les excès et en assurant un réel équilibre entre les intérêts des consommateurs et des entreprises.

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