Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis l'origine du monde, la naissance est considérée comme un événement heureux, entourée de mille attentions. A l'inverse, dans l'inconscient collectif, la mort est considérée comme un scandale absolu - pour reprendre l'expression du philosophe Vladimir Jankélévitch -, que l'on arrive difficilement à apprivoiser.
La fin de vie nous pose des difficultés, elle nous dérange. Nous méditons sur elle. Il est temps que la société française comprenne et accepte qu'elle doit la même considération à celui qui va mourir et à celui qui va naître. C'est le respect de la dignité de la personne, de toute la personne, à tous les âges de la vie, qui est ici en jeu.
De la même façon que nous assurons à celui qui naît les conditions de son développement, nous devons à celui qui s'en va un accompagnement éclairé, dans le respect de ses convictions.
Ainsi, il ne devrait pas y avoir, d'un côté, des soins curatifs et, de l'autre, des soins palliatifs. C'est une même médecine qui est à l'oeuvre, pour la satisfaction de l'ensemble des besoins de la personne, à tous les âges de la vie et à tous les stades de la maladie. Les soins palliatifs et l'accompagnement donnent un sens à cette phase terminale de notre vie.
Je suis heureux de défendre aujourd'hui devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, un texte de loi d'origine parlementaire. La représentation nationale s'est mise unanimement d'accord pour légiférer sur le droit des malades en fin de vie. C'est à l'unanimité que l'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, le 30 novembre 2004, la proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie.
Cette proposition de loi, fruit du travail d'une commission spéciale présidée par le député Gaëtan Gorce et animée par le député Jean Leonetti, s'appuyait sur le rapport remarquable de Marie de Hennezel, réalisé à la demande du ministère. Permettez-moi tout d'abord de les remercier tous les trois.
Cette proposition de loi honore notre démocratie. Les parlementaires ont su proposer une loi qui dépasse tous les clivages politiques, car elle met l'homme au coeur du sujet. Le législateur, dans le courage et la persévérance du juste, a su parfaitement exprimer ce que la société attendait de lui.
La mort n'est pas un sujet auquel nous pensons avec facilité. Pourtant, si nous l'avons apprivoisée, elle finit toujours par imposer sa volonté. C'est l'un des paradoxes les plus troublants de notre existence et probablement la réalité la plus révoltante qui soit.
C'est une question que nos sociétés modernes se plaisent parfois à oublier. Car, aujourd'hui, la responsabilité du politique est engagée : le mourant du siècle dernier entouré par ses proches, dans le silence du recueillement, laisse parfois place à un excès de médicalisation de la mort. Avec le progrès de la médecine et le recul de la pensée religieuse, deux Français sur trois meurent désormais à l'hôpital, laissant croire incidemment que la médecine devrait en être tenue pour seule responsable.
Mais ce que l'on accordait à Dieu, dans la soumission, est difficilement acceptable d'un corps social, fût-il médical.
Nous avons voulu que cette loi sur la fin de vie garantisse aux personnes le droit de mourir dans la dignité en refusant l'obstination déraisonnable qu'autorise pourtant le progrès médical. La fin de vie en est devenue plus complexe. Le médecin peut prolonger la vie par toutes sortes de moyens, dans des conditions que les malades et les familles jugent parfois indignes. Il est devenu nécessaire de corriger les excès de la médecine, de permettre aux médecins d'arrêter ou de limiter des traitements devenus pénibles ou inutiles, quand le patient le demande et lorsqu'on sait que tout est fini.
En théorie, le code de déontologie des médecins, la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs et celle du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé interdisent aux médecins l' « obstination déraisonnable ».
Mais un article du code pénal sur la non-assistance à personne en danger peut être opposé à un médecin qui décide d'arrêter un traitement. C'est cette dysharmonie entre les textes, mesdames, messieurs les sénateurs, que la proposition de loi qui vous est soumise aujourd'hui tend à corriger.
Certaines voix se sont élevées en France pour que ce texte ouvre la porte à une autre loi, qui dépénaliserait l'euthanasie. Il faut prendre garde aux décisions hâtives et aux amalgames faciles.
La première erreur serait de dépénaliser l'interdit de tuer. Sur ce point, ne nous trompons pas : le « tu ne tueras point » du décalogue n'est pas seulement un principe religieux, il est aussi un fondement de notre organisation sociale. Les Françaises et les Français n'attendent pas de nous que nous légalisions le droit de donner la mort. La proposition de loi traduit cette volonté et elle répondra à leurs attentes dans l'immense majorité des cas.
Exceptionnellement, lorsqu'un malade qui n'est pas en fin de vie souhaite abréger ses souffrances et que l'un de ses proches effectue un geste de compassion, nos institutions laissent aux juges le soin de décider de la tolérance que la société est prête à leur accorder. Ne confondons pas le rôle de la politique et celui de la justice.
La société peut-elle, d'un seul trait de plume, décider que la vie de personnes souffrant d'un handicap ne vaut pas la peine d'être vécue ? Peut-on leur proposer la mort, alors que l'immense majorité d'entre elles ne souhaitent qu'une chose : vivre, lutter, se faire accepter dans le droit à la différence ? La loi ne doit pas et ne devra pas condamner ces vies à la mort.
Où Jean-Dominique Bauby et Philippe Vigand, enfermés dans leur corps inerte par le locked-in syndrome, dépendant des autres pour le moindre de leurs besoins, ont-ils trouvé la force et l'humour pour les faire vivre sinon dans l'amour qu'ils ont rencontré autour d'eux ? Si Jean-Dominique Bauby nous a quittés, il ne l'a pas vraiment cherché. Il a eu le temps de nous confier dans le Scaphandre et le papillon un émouvant et superbe message de dignité, d'amour et d'espoir. De même, Philippe Vigand continue, chaque jour, à nous donner une leçon de vie, une leçon de dignité et - pourquoi ne pas le dire ? - une leçon de courage.
Ceux qui réclament aujourd'hui une loi sur l'euthanasie vont au-delà de la volonté de nos concitoyens, qui souhaitent avant tout soutenir leurs proches dans la souffrance.
Respecter la vie, c'est aussi accepter la mort.
Je le répète donc : cette loi ne sera pas une loi sur l'euthanasie. Elle ne touche pas au code pénal. L'interdit de donner la mort demeure : laisser mourir, ce n'est pas donner la mort.
Je sais que certains pensent, puisque la mort est inévitable, qu'il est hypocrite de faire une différence entre donner la mort et ne pas l'empêcher. Je ne suis pas de cet avis, et d'ailleurs la grande majorité des professionnels de santé non plus.
La différence est éthique, elle est dans l'intention qui préside à l'acte. Permettre la mort, c'est s'incliner devant une réalité inéluctable, et si le geste d'arrêter un traitement - qui s'accompagne presque toujours d'administration d'antalgiques ou de sédatifs - entraîne la mort, l'intention du geste est de « restituer à la mort son caractère naturel » et de soulager ; elle n'est pas de tuer. C'est particulièrement important pour les soignants, dont le rôle n'est pas de donner la mort. C'est également essentiel pour la confiance qui lie le patient à ceux qui le soignent.
Je ne veux donc ni l'euthanasie ni le statu quo. Ainsi, la proposition de loi, en son article 2, autorise le médecin à augmenter les doses de médicaments antidouleur, même si cela peut entraîner la mort. Elle donne le droit au patient en fin de vie, dans son article 6, de refuser le traitement de trop, sans qu'aucun médecin n'ait le droit de s'y opposer. Elle permet, dans son article 9, à un collège de médecins, en consultant les proches, de laisser « partir » le malade inconscient, artificiellement maintenu en vie.
En modifiant le droit, ces trois avancées législatives majeures changeront la réalité demain.
La philosophie de cette loi, équilibrée et tolérante, n'est ni le dogme, ni la science, ni même la morale : c'est le respect de la personne humaine dans toutes ses dimensions. Le Comité national consultatif d'éthique, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, l'Eglise de France, et bien d'autres, ne s'y sont pas trompés en approuvant sans réserve le texte voté par les députés.
Les sociétés savantes travaillent à des recommandations, afin que les décisions prises en fin de vie le soient en toute transparence et collégialement, au terme d'une évaluation de la situation et d'un processus de réflexion partagée entre l'équipe soignante, la famille et, bien sûr, le patient. Ces décisions sont toujours assorties d'un accompagnement des équipes, de la famille et du malade.
Nombre de services de réanimation se sont déjà dotés de tels collèges. Ils associent les soignants ; c'est important, car la collégialité et la transparence favorisent une approche cohérente des modalités de mise en oeuvre de la décision et de l'accompagnement. Mesdames, messieurs les sénateurs, quand on a pris une décision ensemble, on a le sentiment de partager les mêmes valeurs. C'est ainsi que se tisse une culture du travail en équipe.
Cette proposition de loi n'instaure pas de procédure automatique « mort » ou « survie », choix qui a été fait par certains pays européens : elle organise le temps du dialogue entre le patient, ses médecins et ses proches. C'est dans cet échange humain et collectif que le malade atteint d'un cancer peut choisir de passer de la chimiothérapie à la morphine. A l'inverse, privé de ce temps, le médecin peut refuser le choix du malade qui s'opposerait à une transfusion sanguine aux urgences ou à une séance de dialyse.
Le respect de la vie, c'est d'abord le respect du temps de la décision humaine. C'est le modèle français de l'accompagnement en fin de vie, que nous saurons définir ensemble, loin des simplifications et des fausses alternatives.
Qui peut juger que le plaisir de vivre a totalement disparu chez un être humain ? Aujourd'hui, des milliers de personnes confrontées à leur vie finissante souhaitent vivre leurs derniers moments le plus dignement et le plus humainement possible. Ces personnes veulent mourir sans douleur, sans angoisse excessive, sans acharnement thérapeutique, recevoir les soins de fin de vie adaptés, ne pas être seules au moment de leur mort.
La personne très âgée qui a beaucoup souffert et qui continue de souffrir est en droit de se préparer à mourir. Paul Claudel l'explique admirablement dans son Journal quand il écrit : « Je suis en pourparlers avec la mort ; je pèse ses propositions ».
Ce qui est essentiel, c'est de rendre la vie supportable dans ses derniers moments, même si le médecin, en soulageant la douleur, peut hâter la mort, voire l'avancer de quelques jours. Comme le rappelle si justement le pasteur Alain Houziaux : « Respecter la vie, c'est aussi respecter le fait que nous ayons à mourir lorsque la vie elle-même nous quitte ».
Pour conclure, j'aimerais rappeler à tous ceux qui semblent l'oublier ce que la vie, même malade, même diminué, même différent, peut avoir de sacré.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'aurez compris, notre responsabilité est grande. Si la Haute Assemblée adopte le texte qui lui est proposé, notre pays sera doté de la législation la mieux équilibrée dont disposeront les pays développés. Ne nous y trompons pas : ce n'est pas la situation particulière qui n'entre pas parfaitement dans le cadre de la loi qui est en jeu ; c'est une vision de la société, de nos sociétés, de notre évolution éthique et morale.
Si la Haute Assemblée vote ce texte dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale, c'est un signal fort que nous donnerons à nos concitoyens, celui d'une représentation nationale rassemblée autour des grands, des vrais enjeux de société : les conditions de la vie, les conditions de la mort.
Désormais, avec la nouvelle loi que vous allez examiner aujourd'hui, la fin de vie en France aura un autre visage : elle sera un moment de choix et non plus de soumission.
Enfin, je tiens à rendre hommage à toutes celles et tous ceux qui, personnellement ou au travers d'associations caritatives, oeuvrent pour rendre la mort un peu plus humaine en accompagnant chaque jour l'autre dans ce passage difficile.