Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 23 juillet 2013 à 15h00
Actualisation de la loi n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la nouvelle-calédonie diverses dispositions relatives aux outre-mer — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique et d'un projet de loi dans les textes de la commission

Victorin Lurel :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, en cette année 2013, qui marque les vingt-cinq ans de la signature des accords de Matignon, sous le gouvernement de Michel Rocard, et les quinze ans de la signature de l’accord de Nouméa, sous le gouvernement de Lionel Jospin, nous engageons aujourd’hui, devant le Sénat, le débat parlementaire devant aboutir au vote d’une dixième modification de la loi organique relative à la Nouvelle Calédonie.

Le nombre de modifications intervenues depuis la promulgation de cette loi organique, le 19 mars 1999, pourrait laisser penser que nous sommes engagés dans un processus de modification devenu presque banal. Ce n’est pas le cas !

La lecture des dispositions du projet de loi qui vous est soumis pourrait aussi laisser penser qu’il s’agit là d’un texte purement technique. Ce n’est pas davantage le cas !

Le projet de loi a en effet pour objet de contribuer à un meilleur fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie, une amélioration d’autant plus nécessaire au moment où ce territoire va entrer dans une nouvelle phase cruciale pour son avenir.

Si nous sommes en mesure aujourd’hui d’étudier sereinement et posément cette dixième modification du texte régissant le statut de la Nouvelle-Calédonie, c’est parce que nous nous inscrivons pleinement et résolument dans le respect de l’esprit et de la lettre de l’accord de Nouméa.

Il nous appartient en effet de faire vivre cet accord quotidiennement, sur le terrain, mais aussi en améliorant le texte fondamental qui en est la déclinaison, au fur et à mesure que les questions se posent et que les problèmes pratiques doivent être résolus.

La loi organique statutaire est effectivement la transcription pratique, dans notre droit positif, des engagements pris par les signataires historiques, tous les signataires historiques, notamment ceux qui ne sont plus parmi nous. Je pense, bien sûr, à Jacques Lafleur et à Jean-Marie Tjibaou dont la poignée de main historique a rendu possible le meilleur, après que les passions des hommes eurent rendu réel le pire.

Je dois le dire avec force, cet hommage n’est pas un passage obligé, un lieu commun que tout ministre se doit de répéter à l’envi. Non, il est d’actualité, car les jeunes générations, ici et, surtout, en Nouvelle-Calédonie, pourraient être oublieuses du passé. Elles pourraient ne pas voir que si, aujourd’hui, ce territoire est apaisé, si les hommes travaillent ensemble pour le bien commun, c’est aussi parce qu’ils ont connu la haine et la violence civile et qu’ils savent dès lors que les efforts pour préserver cet équilibre fragile doivent être constants, sans cesse renouvelés.

L’un des signataires historiques siège parmi vous : il s’agit de Pierre Frogier. Il sait combien d’efforts le chemin de la réconciliation a nécessités, et combien d’autres encore en exigera la préservation de la concorde.

à ce titre, qu’il me soit donc permis aujourd’hui de rendre hommage à tous les signataires historiques. Ils nous obligent tous ! Si nous sommes en mesure aujourd’hui de débattre de façon apaisée, c’est parce que notre chemin est balisé par eux.

La modification de la loi organique que j’ai l’honneur de présenter devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, reprend les demandes exprimées lors du dernier comité des signataires de l’accord de Nouméa, qui s’est tenu à Paris, le 6 décembre dernier, sous la présidence du Premier ministre.

À cette occasion, les partenaires calédoniens de l’État avaient notamment attiré l’attention du Gouvernement sur la nécessité de prendre en compte les conséquences pratiques des derniers transferts de compétences effectués en faveur de la Nouvelle-Calédonie. Le périmètre de certains domaines transférés devait être davantage précisé, des instruments modernes de gouvernance devaient être confiés aux institutions du territoire pour leur permettre de mettre en œuvre ces compétences.

Le Gouvernement a donc entendu ce souhait et a voulu y donner une suite favorable et rapide, car c’est là la vision que nous avons du rôle de l’État dans le processus calédonien : appuyer la Nouvelle-Calédonie, l’accompagner dans ses projets et lui apporter, quand cela se révèle nécessaire, l’expertise de l’État, en particulier s’agissant des transferts de compétences en cours et à venir.

Au travers de ses différentes dispositions élaborées en quelques mois, ce texte vise donc à permettre au territoire de relever les défis politiques, économiques et sociaux qu’il aura à affronter dans les années à venir, en améliorant le fonctionnement des institutions, en clarifiant les compétences des collectivités et de l’État, en modernisant les dispositions budgétaires, financières et comptables.

Plus particulièrement, le texte qui vous est soumis enrichit la loi organique statutaire de dispositions de deux ordres : les premières permettent d’améliorer l’exercice par le gouvernement local de ses compétences ; les secondes sont relatives au fonctionnement des institutions.

Parmi les dispositions améliorant l’exercice des compétences, il y a celle, emblématique, de l’article 1er, dont l’objet est de permettre à la collectivité de créer, dans les domaines relevant de sa compétence, des autorités administratives indépendantes – ou AAI – dotées de pouvoirs allant au-delà des fonctions de médiation, de recommandation et d’évaluation. Ces autorités administratives indépendantes pourront en effet réguler, mais aussi enquêter, sanctionner et régler des différends.

Cette disposition trouve son origine dans les discussions nourries qui ont été les nôtres, au Parlement notamment, lors de l’examen de la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, qui avait pour objectif de lutter contre la vie chère en outre-mer.

Nous avions alors mis l’accent sur les défaillances structurelles des marchés dans les outre-mer, défaillances qui empêchent l’exercice d’une concurrence effective, et nos partenaires calédoniens avaient alors souhaité pouvoir disposer d’une autorité de la concurrence locale de plein exercice.

Chacun le sait ici, la Nouvelle-Calédonie a connu, voilà quelques semaines, un mouvement social de grande ampleur, précisément sur la problématique de la vie chère. C’est dire combien une action forte est attendue sur ce sujet !

Avec les dispositions de l’article 1er, nous répondons à cette demande : la Nouvelle-Calédonie aura ainsi toutes les armes pour assurer une régulation des marchés, tout en garantissant l’impartialité et l’indépendance de l’autorité. La commission des lois du Sénat a été particulièrement attentive sur ce point, et je l’en remercie.

Je sais toutefois que certains d’entre vous, en commission, se sont interrogés sur la pertinence d’un recours à des autorités administratives indépendantes dans des territoires de taille et de population réduites.

Je comprends cette crainte, mais je dois souligner que les spécificités de ces territoires, singulièrement dans le Pacifique, justifient que de telles « déclinaisons », si j’ose dire, des AAI nationales puissent être envisagées. En effet, les règles et la jurisprudence nationales ne peuvent y être totalement opérantes : elles sont prévues pour des territoires de taille différente, qui sont mieux reliés à leur environnement et dans lesquels la concurrence peut donc mieux s’exprimer.

Bien sûr, dans les sociétés d’intercommunication ou, pour reprendre le terme employé par les sociologues, d’« interconnaissance » que sont les outre-mer – la Nouvelle-Calédonie n’échappe pas à cette règle –, il faudra veiller à l’impartialité de ces AAI, à leur indépendance envers le monde extérieur, mais aussi envers elles-mêmes, par le traitement de la question d’éventuels conflits d’intérêt.

Je crois pouvoir dire que votre commission des lois et sa rapporteur ont, sur ce point, fait œuvre utile en enrichissant cet article 1er.

Il faut aussi souligner que la Nouvelle-Calédonie et ses AAI pourront passer, avec les AAI nationales, des conventions d’assistance, à l’instar de ce qui avait été fait avec l’Autorité de la concurrence en 2012.

Cette faculté a son importance. J’en veux pour preuve un exemple récent.

Au début de l’année 2012, le gouvernement de Polynésie française a passé une convention d’assistance avec la Commission de régulation de l’énergie autour d’un rapport sur la régulation du système électrique dans le territoire. Ce rapport a été remis en décembre 2012 et a permis de faire un bilan très complet, que le gouvernement local aurait été en peine de produire seul.

Inspiré par ce précédent réussi, j’ai demandé à la CRE, en janvier 2013, un rapport sur le prix de l’électricité à Wallis-et-Futuna. Le rapport remis en juin est excellent. Plusieurs problèmes y sont soulevés auxquels nous n’avions pas pensé, comme celui de la régulation des importations de carburants.

Pour revenir au texte, toujours parmi les dispositions permettant à la Nouvelle-Calédonie de mieux exercer ses compétences, l’article 2 vise à doter le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie des pouvoirs de police administrative lui permettant d’exercer pleinement les compétences récemment transférées, ou qui vont bientôt l’être. C’est le cas, plus particulièrement, de la sécurité maritime et de la circulation aérienne, transférées le 1er janvier dernier, mais aussi de la sécurité civile, qui, elle, sera transférée le 1er janvier 2014.

Sans ce pouvoir de police dans trois compétences pour le moins emblématiques, la Nouvelle-Calédonie n’exercerait en effet qu’une compétence virtuelle, alors qu’il s’agit là de domaines où la responsabilité des uns et des autres peut être engagée.

Parmi les dispositions relatives au fonctionnement des institutions, l’article 5 prévoit que le Conseil économique et social de la Nouvelle-Calédonie se verra ajouter la compétence environnementale, à l’instar des autres institutions de même nature dans les outre-mer. Je sais que Mme la rapporteur souhaite une meilleure articulation de ce conseil économique et social avec le Comité consultatif de l’environnement prévu à l’article 213 de la loi organique de 1999. Le Gouvernement ne verrait que des avantages à ce que le projet soit enrichi en ce sens.

Le statut de l’élu, quant à lui, subit quelques retouches.

Des dispositions concernent par ailleurs des simplifications en matière de règles des marchés publics.

Autre amélioration de la loi organique statutaire, le règlement intérieur de l’assemblée de Nouvelle-Calédonie se voit conférer une valeur juridique.

Enfin, plusieurs dispositions permettent de faire bénéficier les collectivités du territoire de la Nouvelle-Calédonie – gouvernement local et provinces – des facilités de gestion reconnues aux collectivités de droit commun : la possibilité pour la Nouvelle-Calédonie, les provinces et leurs établissements publics de créer des sociétés publiques locales, qui permettra de simplifier et rationaliser la réalisation de certaines opérations d’aménagement ; l’extension aux collectivités territoriales de Nouvelle-Calédonie des dispositions de droit commun relatives à la transparence financière des aides octroyées par les personnes publiques ; diverses dispositions budgétaires et comptables, notamment s’agissant de l’organisation du débat budgétaire, qui sera harmonisé entre le congrès et les provinces.

Nous examinerons tout cela plus en détail durant la discussion des articles.

Je tiens à remercier les sénateurs et, en particulier, Mme la rapporteur, la commission des lois et son président pour le travail remarquable qui a été conduit en des délais restreints.

Le texte a été significativement amélioré mais, surtout, je veux retenir l’approche apaisée et constructive qui marque nos échanges.

Le Premier ministre sera en Nouvelle-Calédonie à la fin de cette semaine ; je l’y suivrai moi-même demain. Jean-Marc Ayrault renouvellera à cette occasion les engagements pris par le Gouvernement lors du dernier comité des signataires. Il fera état, vous le lui permettrez, de la qualité de travail qui a été mené au sein de la Haute Assemblée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce que nous faisons là, aujourd’hui, je le redis, n’est ni banal ni technique. C’est au contraire éminemment politique, au sens le plus noble du terme.

Je ne terminerai pas sans aborder un point qui, je le sais, est cher aux parlementaires calédoniens. Je veux les rassurer : le propos du Gouvernement n’est pas, au fil des révisions successives, de dénaturer la loi organique statutaire, qui est la transcription pratique de l’accord de Nouméa, et donc son prolongement.

Il ne s’agit pas plus de faire de ce texte fondamental un texte de circonstance, au gré des envies des uns et des autres. Non ! Il s’agit d’enrichir ce projet de loi organique pour que tous, État et Calédoniens, nous disposions ensemble des outils les meilleurs pour faire vivre concrètement l’accord de Nouméa. C’est l’esprit dans lequel j’aborde cette discussion avec vous.

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