Intervention de Catherine Tasca

Réunion du 23 juillet 2013 à 15h00
Actualisation de la loi n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la nouvelle-calédonie diverses dispositions relatives aux outre-mer — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique et d'un projet de loi dans les textes de la commission

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le projet de loi organique soumis aujourd’hui à l’examen du Sénat, et que j’ai l’honneur de présenter au nom de la commission des lois, s’inscrit pleinement dans la lignée de l’accord de Nouméa, en assurant la poursuite du processus calédonien, exemplaire à de multiples égards.

Nous célébrons cette année le quinzième anniversaire de l’accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998. Lors de la signature de cet accord, qui allait devenir la « feuille de route » des institutions calédoniennes, Lionel Jospin, alors Premier ministre, notait à propos des précédents accords de Matignon-Oudinot, de 1988 : « Certes, ces dix années auront passé plus vite qu’on ne l’imaginait au début du processus, le temps a semblé s’accélérer à la fin de la période et beaucoup ont eu le sentiment que le temps avait manqué pour accomplir ce qui aurait dû l’être. Pourtant, le travail réalisé a été considérable. »

Pour atteindre les objectifs fixés en 1998, des étapes restent à franchir, notamment d’ici à l’échéance de 2014. C’est dans cette perspective que se place la réforme proposée par le Gouvernement.

On aurait tort de ne voir dans les deux textes qui sont soumis à l’examen de notre assemblée qu’une série de dispositions techniques visant à améliorer le fonctionnement des institutions calédoniennes et à mettre en œuvre les transferts de compétences à venir. De fait, cette dixième modification du statut de la Nouvelle-Calédonie fixé par la loi organique du 19 mars 1999, qui avait été alors rapportée par notre collègue Jean-Jacques Hyest, est une étape supplémentaire, et importante, conduisant la Nouvelle-Calédonie sur le chemin d’une plus large autonomie, en attendant le choix final entre indépendance ou autonomie dans la République.

Selon l’article 217 de la loi organique, le référendum d’autodétermination devra intervenir au cours du mandat du congrès, entre 2014 et 2020. « L’avenir doit être le temps de l’identité, dans un destin commun », affirme de préambule de l’accord de Nouméa. Le choix des Calédoniens et de l’État, choix qui les honore, est de conduire ce processus dans le dialogue et la concorde, processus long mais ô combien nécessaire pour aboutir à une solution pacifiée.

Le rapport d’information de notre collègue Christian Cointat et de notre ancien collègue Bernard Frimat sur la Nouvelle-Calédonie, de juin 2011, a rappelé ce cheminement politique et institutionnel.

Le transfert irréversible de compétences se poursuit donc, conformément à l’article 77 de la Constitution : après la compétence pour l’enseignement primaire privé et secondaire, le 1er janvier 2012, c’est la police et la sécurité de la circulation aérienne et maritime intérieure qui ont été confiées à la Nouvelle-Calédonie, le 1er janvier 2013, puis le droit civil, les règles d’état civil et le droit commercial, le 1er juillet 2013 ; ce sera, le 1er janvier 2014, le tour de la sécurité civile.

Je veux relever la méthode originale et efficace d’accompagnement par l’État de ces transferts de compétences. Saluons la récente initiative du Gouvernement de créer un dispositif interministériel d’accompagnement pour faciliter, dans une approche transversale, l’application concrète des transferts de compétences.

Dans ce contexte, le comité des signataires, réuni à dix reprises depuis le 2 mai 2000, joue un rôle majeur dans l’évolution politique de la Nouvelle-Calédonie, dans la recherche du compromis et de la concertation, afin de surmonter les difficultés, forcément nombreuses. La dernière réunion du comité, le 6 décembre 2012, en présence du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a mis en lumière la nécessité de « toiletter » la loi organique du 19 mars 1999 : c’est l’objet du présent projet de loi organique.

Issus d’une large discussion avec les institutions et les partis politiques calédoniens, ces textes ont d’ailleurs reçu un avis favorable du congrès de la Nouvelle-Calédonie, le 24 juin dernier.

Comme vous l’avez confirmé, monsieur le ministre, une véritable attente locale existe pour l’adoption de la disposition emblématique que contient cette réforme autorisant la création d’autorités administratives indépendantes afin de répondre aux nouveaux enjeux, notamment économiques, de la Nouvelle-Calédonie. Cette réforme est, au fond, la poursuite, en Nouvelle-Calédonie, de la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer ; elle procède, en tout état de cause, du même esprit.

En effet, l’économie de la Nouvelle-Calédonie, grâce à la richesse des ressources minières, est en plein développement. Cependant, les spécificités locales et de fortes disparités ont fait naître des difficultés sociales certaines.

En 2011, la Nouvelle-Calédonie a connu des mouvements sociaux conduisant à la constitution d’un groupe de travail entre l’intersyndicale et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, mais les effets de ses préconisations étant jugés minimes, des blocages de l’aéroport et du port de Nouméa s’en sont suivis, heureusement sans violences. Le 27 mai dernier, un protocole a été signé sous l’égide de l’État, en vue de faire baisser les prix des produits de première nécessité, notamment. Or ces mesures, certes nécessaires, ne sont que transitoires, et des réformes structurelles s’imposent.

Pour renforcer la lutte contre « la vie chère » sur place et répondre aux mouvements sociaux de mai 2013, le congrès a adopté une loi du pays, le 25 mai 2013, pour sanctionner les comportements anticoncurrentiels, loi qui implique, pour sa mise en œuvre concrète, la création d’une autorité de la concurrence. L’article 1er du projet de loi organique autorise donc la Nouvelle-Calédonie à la créer en lui conférant des pouvoirs de réglementation, de sanction et d’investigation.

Conformément à l’avis rendu par le Conseil d’État le 22 décembre 2009, l’article 1er du projet de loi organique entend donner les moyens à la Nouvelle-Calédonie de lutter en profondeur contre la cherté de la vie par le biais d’une autorité administrative indépendante chargée de veiller à la régulation économique et de lutter contre les pratiques entravant la concurrence, par exemple les ententes. Toutes les autorités locales ont manifesté leur attente forte et sont unanimes quant à l’urgence de la création d’une telle autorité.

L’article 1er de la loi organique vise donc à ce que les autorités administratives indépendantes soient créées à l’initiative de la Nouvelle-Calédonie, par le vote d’une loi du pays. Cependant, un consensus se dégage localement pour que l’État reste le garant de leur indépendance.

En application de l’article 21, l’État conserve, au demeurant, des compétences qui ont un lien direct avec les missions des autorités administratives indépendantes, puisqu’il lui revient d’encadrer les pouvoirs de l’autorité qui pourraient mettre en cause les libertés publiques ou qui heurteraient la liberté individuelle ou le droit de propriété. Il lui revient également de déterminer les voies de recours contre les décisions de l’autorité. L’articulation des compétences implique donc une collaboration étroite entre l’État et la Nouvelle-Calédonie.

Pour assurer cette indépendance, la commission des lois a adopté, sur ma proposition, un amendement prévoyant que les membres des autorités administratives indépendantes ainsi créées bénéficient de gages d’indépendance. Tout comme il s’applique à la loi, ce principe s’appliquera aussi à la loi du pays qui créera chaque autorité, et il reviendra le cas échéant au Conseil constitutionnel saisi d’une telle loi de veiller au respect de cette règle.

En outre, la commission a prévu un mode de nomination des membres des autorités administratives indépendantes qui assoie leur légitimité en requérant un accord large et transpartisan autour des noms proposés par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Les candidats pressentis devront ainsi être soumis à une audition publique et recueillir un avis positif, à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés par le congrès de Nouvelle-Calédonie.

Enfin, adoptant un autre amendement que je lui proposais, la commission a prévu l’irrévocabilité des membres de ces autorités, sauf en cas d’empêchement ou de manquement à leurs obligations constatés par leurs pairs. Ce principe transpose, pour les autorités administratives calédoniennes, ce qui existe actuellement pour les autorités administratives nationales.

Par ailleurs, le projet de loi organique clarifie les compétences entre les institutions calédoniennes et facilite leur fonctionnement, notamment à la suite des transferts de compétences.

L’article 2 tend à renforcer les moyens juridiques de la Nouvelle-Calédonie pour les exercer en reconnaissant au président du gouvernement un pouvoir de police administrative générale, dans le respect de celui qui est accordé à d’autres autorités locales, ainsi qu’un pouvoir de réquisition, qui pourrait se révéler particulièrement utile lorsque la Nouvelle-Calédonie exercera, au 1er janvier prochain, la compétence en matière de sécurité civile.

Votre commission des lois a cependant souhaité mieux encadrer le pouvoir de subdélégation, jugeant que les actes les plus importants du président du gouvernement devaient en être écartés, afin de conserver un sens et une réalité au pouvoir de contrôle sur l’usage de la délégation puis de la subdélégation.

L’article 3 précise, quant à lui, le pouvoir de police administrative spéciale du président de l’assemblée de province en matière de circulation routière sur le domaine provincial.

Enfin, l’article 4 du projet de loi organique vient consacrer explicitement la compétence de la Nouvelle-Calédonie et plus spécialement du congrès de la Nouvelle-Calédonie en matière de réglementation des « éléments de terres rares ».

En outre, plusieurs dispositions organiques visent à faciliter le fonctionnement des institutions calédoniennes sans remettre en cause les équilibres institutionnels. Ainsi, avec l’article 5, le Conseil économique et social serait dénommé, si vous adoptez ce texte, comme celui qui existe au niveau national, « Conseil économique, social et environnemental », sans que soit néanmoins supprimé le Comité consultatif de l’environnement prévu, depuis 1999, à l’article 213 de la loi organique.

La commission a poursuivi dans cette logique en étendant la compétence du Conseil en matière environnementale. Je vous proposerai par un nouvel amendement de mieux articuler celle-ci avec le Comité consultatif de l’environnement, afin de consolider la compétence du futur CESE sans nier le travail entrepris au sein du Comité consultatif.

Dans un souci de souplesse de la gestion quotidienne des affaires publiques, des dispositions existant dans le droit commun des collectivités territoriales sont étendues aux autorités locales, que ce soit la possibilité prévue à l’article 8 pour l’assemblée de province de déléguer son pouvoir à son président pour passer les marchés publics, la subdélégation de signature du président de la Nouvelle-Calédonie – autorisée par l’article 2 – aux agents de son administration ou encore la consécration du règlement intérieur du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie par l’article 9.

De même, pour prendre en compte l’évolution technologique, la version électronique du Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie serait valable pour la publication des actes, comme le prévoit l’article 11.

Dans le même esprit, les articles 12, 14, 15, 16, 17, 18 et 19 complètent le cadre juridique et financier de la Nouvelle-Calédonie, des provinces et de leurs établissements publics. Votre commission des lois s’est bornée à apporter des modifications marginales, mes chers collègues.

Enfin, plus formellement, le projet de loi organique, dans ses articles 6, 7 et 10, contient des dispositions de précision visant à remplacer des mentions qui devraient devenir obsolètes ou à lever des ambiguïtés rédactionnelles.

L’article 13 offre à la Nouvelle-Calédonie et aux provinces la faculté de créer des sociétés publiques locales, outils de l’intervention publique locale introduits dans notre droit sur une initiative sénatoriale adoptée à l’unanimité de notre assemblée en 2010. L’extension de ces dispositions à la Nouvelle-Calédonie est donc une évidence qui a été partagée et même prolongée par la commission, laquelle a adopté un amendement de notre collègue Daniel Raoul au projet de loi ordinaire afin d’ouvrir cette même possibilité aux communes calédoniennes. Je vous proposerai un amendement visant à parachever ce dispositif.

J’en viens enfin au projet de loi ordinaire qui appelle, en son article 1er, à la ratification d’ordonnances. Votre commission des lois y est favorable, les délais impartis et les procédures prévues aux articles 38 et 74-1 de la Constitution ayant été respectés.

Vous le savez, monsieur le ministre, le Sénat n’est pas favorable par principe aux ordonnances, mais il sait en reconnaître les mérites. Il les accepte avec parcimonie et les ratifie après un examen minutieux. Ce fut encore le cas pour ce projet de loi, ce qui m’a conduite à faire observer à la commission que deux ordonnances portant actualisation du droit civil en Nouvelle-Calédonie méritaient un examen particulier, puisque leur ratification soulève un problème de droit inédit.

En effet, ces textes ont été adoptés avant le 1er juillet 2013, à un moment où l’État était encore compétent en matière de droit civil. Or il nous est demandé de ratifier ces ordonnances après le transfert de cette compétence à la Nouvelle-Calédonie. Un doute pourrait donc exister sur la compétence du Parlement pour ratifier des ordonnances dans un domaine dont il a justement perdu la compétence au fond. Or la ratification de ces ordonnances est une condition de leur validité ; à défaut, elles deviennent caduques dans les dix-huit mois suivant leur édiction, comme le prévoit l’article 74-1 de la Constitution.

La commission des lois a estimé que le transfert des compétences n’a pas porté atteinte au pouvoir de ratification qui appartient au seul Parlement national. La procédure prévue à l’article 74-1 de la Constitution, qui s’achève avec la ratification, postule que le processus soit mené à son terme. En conséquence, il semble qu’il puisse être dérogé au principe du transfert irréversible de compétences prévu par l’accord de Nouméa et la loi organique sur ce seul point précis.

Le texte ainsi amendé par la commission des lois est très attendu localement. Les Calédoniens nous donnent jusqu’à ce jour une leçon de conciliation dans la diversité. J’ai bien sûr tenu à m’entretenir avec les parlementaires de Nouvelle-Calédonie, même s’ils étaient retenus loin de Paris. Je les remercie, en particulier notre collègue sénateur Pierre Frogier et le député Philippe Gomes, des contributions écrites qu’ils m’ont fait parvenir. Je sais que notre collègue Hilarion Vendegou, que j’ai entendu au Sénat lors de la préparation de mon rapport et qui ne peut être parmi nous aujourd’hui, suit nos débats depuis l’Île des Pins. Je souhaitais le remercier pour l’éclairage qu’il a apporté sur ces textes lors de son audition, tout comme je remercie Paul Néaoutyine de sa contribution lors de sa récente audition.

Comme vous, monsieur le ministre, je tiens à saluer en cet instant, et avec émotion, l’ensemble des signataires de l’accord de Nouméa, y compris ceux qui nous ont quittés depuis lors.

Compte tenu de l’ensemble de ces observations, je vous invite, mes chers collègues, à adopter le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire, ainsi que les amendements que je défendrai au nom de la commission.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion