Intervention de Gérard Dériot

Réunion du 12 avril 2005 à 16h00
Droits des malades et fin de vie — Adoption définitive d'une proposition de loi

Photo de Gérard DériotGérard Dériot, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n'est pas un débat tout à fait comme les autres que nous ouvrons aujourd'hui. Au-delà du dispositif législatif, technique dirais-je, qu'il nous faudra définir ensemble, nous allons entreprendre une réflexion infiniment plus large, qui touche au mystère de la vie et de la mort, au sacré, à l'intime, à la souffrance et à la peur, à l'espoir et à la paix. Je dois vous dire ma profonde émotion et ma grande humilité face à cette si lourde charge.

M. le ministre a rappelé le parcours très particulier du texte que nous examinons. Il émane d'une initiative parlementaire, ce qui me paraît un symbole fort. A cet égard, je voudrais saluer l'implication remarquable de Jean Leonetti qui, à l'Assemblée nationale, a conduit pendant plus d'un an une longue réflexion sur cette difficile problématique.

A partir de ce travail considérable, la commission a souhaité, à son tour, aborder le sujet de la fin de vie sans presse ni excès. Elle a organisé une trentaine d'auditions autour des grands thèmes qu'il évoque : celui de la conscience, en écoutant les religieux et les grands courants de pensée ; celui de la médecine, en consultant le milieu médical confronté directement, et parfois journellement, à l'accompagnement des patients en fin de vie ; celui de la justice, en étudiant le point de vue des juristes, pour réfléchir ensemble aux conséquences pénales qui peuvent résulter de la décision d'abréger la vie d'autrui, fût-ce avec des intentions remplies de compassion.

Nous savons combien nos sociétés modernes, en même temps qu'elles ont permis l'allongement de la vie et l'amélioration des soins médicaux, ont désormais du mal à vivre avec la mort et même à accepter le handicap ou à affronter la maladie.

Aujourd'hui, le plus souvent, on meurt à l'hôpital. Que celui-ci offre, en principe, le meilleur accompagnement en termes de prise en charge de la douleur n'empêche pas qu'il symbolise aussi souvent la mort solitaire et surmédicalisée que redoutent nos concitoyens. Cette considération ainsi que la survenance de cas individuels particulièrement douloureux ou la dénonciation de pratiques scandaleuses qui révoltent l'opinion publique justifient pleinement, à mon sens, l'intervention du législateur.

La solution qui nous a été proposée par l'Assemblée nationale me paraît équilibrée et raisonnable. Elle n'est certainement pas parfaite ; il est probable qu'elle ne résoudra pas la grande diversité des situations qui peuvent se présenter. Mais elle permet au moins d'affirmer que le malade est au centre du dispositif et qu'il a des droits jusqu'aux ultimes moments de sa vie : celui de gérer sa maladie, de décider des traitements qui lui seront appliqués ou de ceux qui seront limités ou interrompus, qu'il soit conscient ou hors d'état d'exprimer lui-même sa volonté.

La commission a très largement soutenu l'idée de n'intervenir que dans le cadre du code de la santé publique, sans apporter de modifications au code pénal. A l'instar de l'Assemblée nationale, elle juge préférable d'écarter du débat le terme « euthanasie », avec toutes les approximations sémantiques qu'il comporte et les confusions qu'il peut susciter dans les esprits. Ce mot recouvre en effet, dans l'opinion publique, des situations très diverses : le crime commis par compassion, le suicide assisté, l'abstention médicale ou l'interruption des traitements dès lors qu'on les juge comme étant devenus inutiles.

Dans tous ces cas de figure, on trouverait comme point commun l'intention de la personne qui fait le choix de donner la mort. Faut-il pour autant considérer, comme l'a fait malencontreusement le Comité national d'éthique, une « exception d'euthanasie » ? Nous ne l'avons pas souhaité, au nom de l'interdit de tuer, qui constitue le fondement de notre société.

Pour ce motif, certains ont considéré que le texte restait insuffisant et qu'il esquivait le vrai problème en ne réglant pas le cas des personnes qui, sans être médicalement parlant en situation de fin de vie, souhaitent pourtant y mettre un terme. Cette analyse n'est pas exacte.

D'abord, pour tous les malades, y compris ceux qui ne sont pas en fin de vie, la proposition de loi affirme pour la première fois l'interdiction de l'obstination déraisonnable, ce que l'opinion publique traduira par l'acharnement thérapeutique. L'objectif est d'autoriser la suspension d'un traitement, ou de ne pas l'entreprendre, si ses résultats escomptés sont inopportuns, c'est-à-dire inutiles, disproportionnés ou se limitant à permettre la survie artificielle du malade.

Reconnaître clairement les limites à respecter avant d'entreprendre un traitement permettra d'alléger la pression qui pèse sur les médecins, notamment sur les médecins réanimateurs, qui peuvent être aujourd'hui poursuivis pour non-assistance à personne en danger s'ils renoncent à intervenir, même pour de bonnes raisons.

Ensuite, deux articles - les articles 4 et 5 - concernent précisément le cas du malade qui n'est pas en fin de vie. S'il est conscient, il pourra demander la limitation ou l'interruption de tout traitement. S'il est hors d'état d'exprimer sa volonté, ces traitements pourront être limités ou interrompus après consultation des consignes qu'il aurait pu laisser, de la personne de confiance qu'il aurait pu désigner, et de son entourage - famille ou proches -, dans le respect d'une procédure collégiale.

Le deuxième point qui me semble devoir être mis au crédit du texte est celui de la recherche d'un équilibre, équilibre entre les droits du malade et la responsabilité du médecin, d'abord.

Ce texte prévoit l'information la plus complète du malade, directement s'il est conscient ou indirectement s'il ne l'est plus. Ce souci se retrouve pour la prescription des médicaments à « double effet » - la morphine, notamment - qui, en même temps qu'ils adoucissent les souffrances, peuvent aussi abréger la vie ; on le retrouve également dans le cas où le malade, conscient, refuse un traitement et met ainsi ses jours en danger, afin qu'il prenne sa décision en parfaite connaissance de cause ; on le retrouve enfin lorsque le malade est précisément en fin de vie et qu'il demande l'interruption des traitements pour maîtriser ses derniers instants.

La proposition de loi recentre par ailleurs la responsabilité du médecin sur ses véritables bases : celle de choisir le traitement approprié, avec le consentement de son malade ; celle de l'interrompre parfois, dans le respect des procédures prévues dans le texte - car il ne faut en aucun cas que cette charge repose sur la famille ou sur l'entourage du malade - ; celle, enfin, d'accompagner son patient dans ses derniers instants, grâce aux soins palliatifs appropriés à son état.

C'est d'ailleurs le troisième point que je voulais aborder. A ce texte - et ce n'est pas sa moindre vertu - a été adjoint un volet spécifique destiné à confirmer l'importance qu'il convient d'accorder aux soins palliatifs, qui sont indissociables de la fin de vie. La proposition de loi envisage non pas tant la création de services hospitaliers spécifiquement dédiés à ces traitements que la participation à cette démarche des différents services susceptibles d'accueillir des patients en fin de vie. On pense, bien sûr, à la cancérologie et à la gériatrie, mais n'oublions pas la pédiatrie et la maternité, car, parfois, donner la vie à un enfant, c'est lui donner la mort trop vite, et ces situations humainement dramatiques appellent aussi soutien et accompagnement.

Monsieur le ministre, il sera sans doute nécessaire de prévoir, au sein des facultés de médecine, la création de chaires pour l'enseignement de ces soins palliatifs.

Je ne voudrais pas achever mon propos sans évoquer trois questions, qui, je le sais, feront l'objet de débats lorsque nous examinerons plus précisément le contenu des articles.

Premièrement, le texte renforce le rôle de la personne de confiance. Celle-ci existe déjà dans la loi actuelle, mais son rôle est reconnu et renforcé lorsque le malade qui l'a désignée est hors d'état d'exprimer sa volonté. Je crois très utile l'intervention de ce tiers, qui peut permettre d'éviter certains conflits familiaux si l'entourage du malade est divisé sur la conduite à tenir.

Deuxièmement, le texte prévoit une innovation : les directives anticipées, par lesquelles une personne pourra faire connaître à l'avance ses consignes pour la fin de sa vie si elle se trouvait empêchée de s'exprimer elle-même. Je sais que ces dispositions seront largement discutées et qu'elles entraîneront des réactions diverses.

Troisièmement, nous allons parler des traitements qui peuvent être interrompus, de ce qu'ils recouvrent, et du fait que les travaux de l'Assemblée nationale y incluent l'alimentation artificielle. Je comprends les problèmes que cette conception peut poser lorsque l'interruption de ce traitement s'appliquera à une personne inconsciente. Je maintiens toutefois que l'alimentation artificielle doit vraiment être considérée comme un traitement, en se fondant notamment sur les avis médicaux.

Tels sont les premiers commentaires que m'a inspirés ce texte. Je suis très conscient des inquiétudes ou des regrets qu'il peut susciter. Je crois néanmoins qu'il prévoit la solution la plus raisonnable et la plus équilibrée que nous pouvions espérer aujourd'hui.

C'est la raison pour laquelle la commission n'a pas déposé d'amendements sur ce texte. Cela ne signifie pas pour autant qu'elle estime n'avoir rien à apporter à ce dossier si difficile, et je suis persuadé que nos débats témoigneront de la profondeur des réflexions que cette proposition de loi nous a inspirées.

Permettez-moi d'espérer que ce travail collectif, auquel chacun apportera sa sensibilité, nous conduise aussi à changer le regard que nous portons sur la fin de la vie, celle des autres et la nôtre.

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