Intervention de Pierre Frogier

Réunion du 23 juillet 2013 à 15h00
Actualisation de la loi n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la nouvelle-calédonie diverses dispositions relatives aux outre-mer — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique et d'un projet de loi dans les textes de la commission

Photo de Pierre FrogierPierre Frogier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, je vous remercie touts et toutes de votre présence dans cet hémicycle, qui témoigne de votre intérêt pour la Nouvelle-Calédonie. Permettez-moi tout de même, monsieur le ministre, de regretter que le calendrier choisi - la fin du mois de juillet - pour l’examen d’un texte de cette importance, comme vous l’avez souligné, ait empêché que cet hémicycle soit mieux garni.

Il s’agit en effet d’une actualisation, ou d’une modification, de la loi organique de 1999, relative à la Nouvelle-Calédonie. Cela n’est pas anodin.

Si l’on se réfère à l’article 77 de la Constitution, cette loi organique est censée transposer juridiquement l’accord de Nouméa et n’a donc pas vocation à être modifiée ou révisée sans discernement.

Je constate pourtant que le texte statutaire a déjà été modifié à neuf reprises - le ministre et Mme le rapporteur l’ont rappelé - et que seules deux modifications avaient réellement pour objet de garantir la mise en œuvre et l’application de l’accord de Nouméa : la première, en août 2009, pour préparer et réussir les transferts de compétences dont, principalement, le transfert de l’enseignement du second degré ; la seconde, en juillet 2011, lorsqu’il s’est agi d’éviter que l’accord de Nouméa ne soit dévoyé en raison de l’instabilité institutionnelle causée par une formation politique locale, qui avait détourné à son profit le mécanisme de l’article 121 de la loi organique en organisant des démissions à répétition du gouvernement local.

La dixième modification du statut de la Nouvelle-Calédonie qui nous est proposée aujourd’hui est d’un autre ordre : elle ne porte pas sur des changements de fond mais a été décidée pour permettre la mise en œuvre de décisions prises lors du dernier comité des signataires, réuni le 6 décembre 2012. Son objectif est d’accompagner au mieux le transfert des compétences, en dotant les institutions calédoniennes d’instruments de gouvernance modernes en matière budgétaire et financière.

Elle vise aussi, comme cela a été rappelé, à la création, par la Nouvelle-Calédonie, d’autorités administratives indépendantes locales.

Il s’agit donc essentiellement de dispositions techniques que la commission des lois – je tiens d’ailleurs à vous remercier, madame le rapporteur, pour la qualité de votre rapport - a complétées et dont elle a évidemment amélioré la rédaction.

En clair, nous sommes tous conscients que la loi organique doit être aménagée et adaptée. Toutefois, l’a-t-elle toujours été sans voir ses fondamentaux dénaturés ? Il faut bien constater que, vingt-cinq ans après la provincialisation, la copie actuelle de la loi statutaire s’écarte de plus en plus de l’esprit de Matignon, qui avait inspiré l’organisation et le fonctionnement institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Je veux profiter de cette occasion pour vous en donner ne serait-ce qu’un seul exemple.

Vous vous souvenez que ces institutions originales que sont les provinces ont été créées, au sortir des affrontements, pour assurer le rééquilibrage politique. La provincialisation est véritablement un acquis déterminant des accords de Matignon. À l’origine, les provinces disposaient d’une compétence de droit commun et constituaient des collectivités de premier plan. Michel Rocard, premier ministre de l’époque, voyait en elles un embryon d’organisation fédérale au sein de la République française.

Cette réalité a, malheureusement, été complètement battue en brèche et, avec le temps, nous assistons à une restriction des attributions et des prérogatives des provinces. Les compétences de droit commun qui leur étaient conférées ont été vidées de leur substance.

Cette dérive est essentiellement due au Conseil d’État. Dès le début de la provincialisation, il a apporté des limites à la compétence de droit commun des provinces, afin que celles-ci n’empiètent pas sur le champ de compétences dévolu à l’État.

À la rigueur, une telle logique pouvait se comprendre à l’époque de la loi référendaire de 1988. Elle n’a plus de sens aujourd’hui, dans le cadre de l’accord de Nouméa, d’autant que la lecture extensive des compétences ne profite désormais qu’à une seule collectivité : la Nouvelle-Calédonie.

L’exemple le plus significatif à cet égard est peut-être l’avis rendu par le Conseil d’État, en mai dernier, sur la répartition des compétences en matière de logement. Alors qu’il avait reconnu, en 2009, que Saint-Pierre-et-Miquelon pouvait réglementer les rapports locatifs au titre de sa compétence en matière de logement, le même Conseil d’État dénie aujourd’hui pareille capacité aux provinces qui, pourtant, sont, elles aussi, compétentes en matière de logement.

Et pour quel motif cette divergence d’appréciation ? Saint-Pierre-et-Miquelon dispose, en matière de logement, d’une compétence d’attribution et non pas d’une compétence de droit commun. Les provinces en Nouvelle-Calédonie ne jouissent donc pas de l’intégralité des matières qui découlent de leur compétence de droit commun : elles exercent leurs attributions, tel le logement, sous réserve de celles qui sont exercées par l’État et la Nouvelle-Calédonie.

Cette évolution jurisprudentielle nous éloigne immanquablement de l’esprit qui a prévalu à la création des provinces.

Puisque nous n’avons pas d’autre choix que de subir les décisions du Palais-Royal, faisons au moins en sorte, monsieur le ministre, de ne pas totalement détricoter ce qui reste de la volonté des signataires !

Ce risque existe, en effet. Le texte que nous examinons aujourd’hui sera ensuite discuté à l’Assemblée nationale. J’attire votre vigilante attention, monsieur le ministre, sur les propositions qui pourraient être faites par l’autre chambre. Vous les connaissez comme moi : elles circulent déjà. Je pense, notamment, à la volonté de conférer au congrès la capacité d’avoir recours au référendum, réservé aux seuls citoyens calédoniens, pour faire adopter des délibérations ou des lois du pays, à l’introduction d’un droit de pétition, similaire à celui qui est mentionné à l’article 72-1 de la Constitution, lui aussi réservé aux seuls citoyens calédoniens, ou encore à la possibilité que des secteurs de l’administration ne soient pas attribués à un membre du gouvernement n’ayant pas souhaité disposer du secteur que lui confie le gouvernement collégial.

Ces dispositions seraient, bien sûr, inacceptables. Elles viendraient rompre le consensus qui s’est dégagé autour de la présente modification de la loi organique.

Monsieur le président, mes chers collègues, la Nouvelle-Calédonie revient de loin. Il faut être très prudent quand on s’en occupe, quand on touche à son organisation institutionnelle.

Après nous être violemment affrontés, nous avons choisi la voie de la réconciliation et de la paix. Nous avons décidé de construire ensemble notre avenir.

Les récentes célébrations du vingt-cinquième anniversaire de la poignée de mains entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou et de la signature des accords de Matignon et d’Oudinot nous ont rappelé le contexte et les origines du processus exemplaire dans lequel nous sommes engagés.

Notre débat d’aujourd’hui s’inscrit dans ce cheminement particulier. Alors que nous arrivons à un moment déterminant de cette histoire, je voudrais que chacun d’entre vous en ait bien conscience.

Depuis vingt-cinq ans, ensemble, indépendantistes et partisans du maintien dans la France, nous travaillons au sein des institutions.

Depuis vingt-cinq ans, nous avons compris, les uns et les autres, que l’avenir de notre territoire ne passait pas par l’affrontement et la violence.

Depuis vingt-cinq ans, nous savons que l’avenir se construira par le dialogue et la recherche du consensus.

Cela n’allait pas de soi, mais c’est bien cette voie du dialogue qui nous a permis, depuis deux décennies, de sauvegarder la paix et de permettre le développement et la prospérité de la Nouvelle-Calédonie.

Alors que nous approchons du terme prévu par l’accord de Nouméa, nous n’avons pas le droit de remettre en cause, de fragiliser ou de dénaturer le précieux équilibre édifié par les signataires des accords. Nous avons, au contraire, l’ardente obligation de nous inscrire dans la continuité, dans le prolongement de cette recherche du consensus et de travailler à son aboutissement.

Le temps nous est compté, mes chers collègues.

L’année 2014 sonnera le début de la dernière mandature de l’accord. En Nouvelle-Calédonie, cette échéance alimente d’ores et déjà bien des fantasmes, bien des inquiétudes. J’ai la conviction que l’État, monsieur le ministre, partenaire de cet accord, a le devoir de rassurer les Calédoniens et de participer à la définition des solutions qui leur seront proposées.

C’est ce à quoi je me suis personnellement engagé ces dernières années.

J’ai proposé la création des comités de pilotage, destinés à préparer cet avenir. Depuis 2010, ils se réunissent régulièrement, pour dresser le bilan de l’accord de Nouméa, pour réfléchir à l’avenir institutionnel et pour définir un schéma industriel et métallurgique.

L’essentiel, pour moi, c’est de créer les conditions d’une nouvelle solution consensuelle. J’ai la conviction en effet qu’il n’y a pas d’autre choix, que c’est la seule voie qui s’offre à nous.

C’est la raison pour laquelle j’ai proposé, en 2010, que le drapeau identitaire kanak flotte à côté du drapeau tricolore.

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