Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Réunion du 23 juillet 2013 à 15h00
Actualisation de la loi n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la nouvelle-calédonie diverses dispositions relatives aux outre-mer — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique et d'un projet de loi dans les textes de la commission

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour ce qui concerne le projet de loi portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, je concentrerai mon propos sur la ratification, d’une part, des ordonnances relatives aux collectivités uniques de Guyane et de Martinique et, d’autre part, de l’ordonnance adaptant à l’outre-mer la réforme de la pêche de 2011. Elles illustrent l’économie et les carences de la politique concernant les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution.

Deux des ordonnances complètent la loi du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique. Il s’agit de régler trois questions laissées en suspens : les règles financières et comptables des nouvelles collectivités, les conditions de transfert des personnels et celles des patrimoines.

Pour chacun de ces sujets, les ordonnances proposées se contentent de prévoir le strict minimum. Or la fusion en une collectivité unique des départements et de la région en Martinique et en Guyane n’a jamais été, à elle seule, une solution aux difficultés sociales, économiques, environnementales, sécuritaires et culturelles que ces deux collectivités territoriales subissent.

Vous en êtes convaincu, monsieur le ministre, car, à ce jour, vous n’avez pas envisagé cette voie pour la région Guadeloupe.

La simplification d’une partie du millefeuille administratif est cependant un outil pour une meilleure conduite des politiques publiques à l’échelon de ces territoires. Mais sans compétence nouvelle, sans levier de financement nouveau, sans reconnaissance des spécificités et des besoins de chacun des territoires, la collectivité unique n’apporte aucune solution miracle.

Ces ordonnances ne fournissent, hélas ! pas davantage de réponse.

Concernant la fusion des personnels, l’ordonnance n° 2012-1398 prévoit l’addition des personnels du département et de la région au service de la collectivité unique. Il ne s’agit que de la transcription d’une condition sine qua non de la fusion des collectivités : aucune des personnes œuvrant pour un échelon territorial ne devait faire les frais d’une économie et d’une rationalisation des moyens.

Que dire alors des disparités qui subsistent entre les quelques territoires où ne s’applique pas la loi de séparation des Églises et de l’État ? Ainsi, alors que l’Alsace-Moselle bénéficie de la prise en charge par l’État des rémunérations des membres du corps ecclésiastique, cette dépense, d’un montant annuel de près de 1 million d’euros, reste inscrite au budget du conseil général de Guyane et sera donc supportée, à terme, par celui de la future collectivité unique.

Par ailleurs, le maintien du niveau de régime indemnitaire antérieur plus favorable et celui des avantages individuels collectivement acquis doivent être portés au crédit de ces ordonnances. Les personnels issus des anciennes collectivités peuvent être rassurés sur ce point. Cependant, une carence apparaît immédiatement à la lecture de ces textes : comment s’opérera la fusion des services au sein de la nouvelle collectivité ?

L’ordonnance ne prévoit aucune consultation en vue de l’élaboration d’un nouvel organigramme. L’idée de créer un « comité technique commun » permettant de faire rapidement émerger une représentation syndicale légitime commune aux deux collectivités appelées à fusionner a fait long feu. Elle devait accompagner le souhait d’avancer le plus possible dans la direction d’une fusion des services avant la mise en place de la collectivité unique. Qu’en est-il sur ce sujet ? L’inquiétude des personnels, en particulier dans les services fonctionnels, est-elle prise en compte ?

L’addition des fonctionnaires et des contractuels est une réponse à la crainte d’une économie par mutualisation des moyens humains, mais rien n’apparaît cependant quant à la préparation de la nouvelle organisation.

La fusion des patrimoines présente un caractère absolument identique : dans l’opération d’addition des patrimoines du département et de la région, un grand silence règne quant à l’affectation des biens de ces collectivités au bénéfice des services de l’État.

L’arrêté interministériel du 30 juin 1948 portant répartition des biens de l’ancien domaine colonial dresse une liste de biens appartenant au département, mais échappant totalement à sa maîtrise, aussi longtemps que les services de l’État en ont usage.

Deux anomalies apparaissent aujourd’hui.

La première est le régime juridique singulier réservé à ces biens des collectivités d’outre-mer mis à la disposition des services de l’État, par rapport à la situation que connaissent les départements métropolitains à cet égard.

En métropole, par exemple, un bail de longue durée et à titre gratuit est conclu entre l’État et les collectivités décentralisées : ainsi, leur propriété est respectée. Ce n’est malheureusement pas le cas lorsque le pouvoir réglementaire édicte l’affectation du patrimoine des personnes publiques ultramarines.

La seconde anomalie est la condition exorbitante des biens domaniaux de l’État, en particulier en Guyane.

Je pourrais tout d’abord relever que, à l’occasion de la mise en place de la collectivité unique, l’ordonnance devrait prévoir un inventaire contradictoire portant sur l’affectation de ces biens, leur gestion par l’État, le respect par celui-ci de ses obligations d’entretien et un possible retour en pleine propriété, assorti d’une soulte, à la collectivité unique.

Mais je veux également mentionner le cas du domaine privé de l’État : un foncier domanial non exploité, non constaté, qui n’est pas évalué et permet à l’État, dans le seul département de la Guyane, d’échapper à la taxe sur le foncier non bâti sur l’ensemble de son domaine privé.

La seule fusion des patrimoines, qui est l’objet légal de l’ordonnance, pourrait inviter à l’élaboration d’un projet de loi portant diverses dispositions relatives à l’outre-mer permettant de régler plus largement la question de la dévolution des patrimoines fonciers publics. Il n’en est rien, et je le regrette.

L’ordonnance n° 2012-1397 déterminant les règles budgétaires, financières et comptables applicables aux collectivités uniques de Guyane et de Martinique témoigne encore de quelques imperfections.

Le cadre budgétaire et comptable du département diffère de celui de la région : il était nécessaire de déterminer celui qui réglerait la future collectivité unique. On pouvait espérer que le renvoi à une ordonnance ouvrirait sur un choix plus audacieux, par la programmation d’un système ad hoc, que la simple copie du modèle régional.

Par exemple, des dispositions concernant le préfinancement à 100 % des projets de la collectivité unique ou des collectivités locales auraient pu compléter le dispositif afin de prendre en compte les difficultés que rencontrent ces territoires, dans la structure même de leurs ressources budgétaires, pour réaliser les projets qui leur sont nécessaires.

La troisième ordonnance, celle qui porte sur la pêche, offre en revanche des avancées pour les outre-mer.

En plus des compétences attribuées aux comités régionaux des pêches, elle dote la région d’une compétence en matière d’aménagement de l’aquaculture. Il faut saluer cette confiance accordée aux collectivités décentralisées dans un domaine de compétence relevant de l’autorité déconcentrée en métropole.

Pourtant, dans un projet de loi contenant des dispositions sur la pêche, il est regrettable qu’aucun élément nouveau ne vienne répondre aux préoccupations actuelles relatives à la pêche en outre-mer : la lutte contre le pillage illégal de la ressource halieutique, l’accès à cette ressource pour des pêcheurs aux moyens inadaptés à une activité de plus en plus hauturière, la mobilisation des moyens financiers nécessaires pour accompagner la structuration d’une véritable filière aquacole…

D’une manière plus générale, puisque ce texte tend à rendre définitivement applicable, au moins sur le plan législatif, la collectivité unique en Guyane et en Martinique, c’est encore un silence gêné qui répond aux demandes réitérées de mise en place d’un fonds d’accompagnement financier qui soit à la mesure exacte des enjeux liés à cette évolution.

Je rappelle enfin que la Guyane est le seul département ne comptant aucun établissement de formation aux métiers de la mer.

La mutualisation des moyens permettra certainement, à plus long terme, de réaliser des économies d’échelle. Cependant, des mesures financières préalables sont à prévoir, notamment en termes de formation, de prestations et de services extérieurs – audit, communication –, de frais d’harmonisation des moyens de gestion.

Mais puisque nous parlons de recettes budgétaires pour les futures collectivités uniques, qu’en est-il de la fiscalité sur les ressources fossiles et minérales ? Qu’en est-il des puits de carbone ? Qu’en est-il encore de la dotation globale de fonctionnement, dont la part superficiaire est plafonnée dans le seul département de la Guyane ? Qu’en est-il enfin du prélèvement de 27 millions d’euros sur le produit de l’octroi de mer qui est opéré depuis 1974 au détriment des communes, de manière unilatérale, sans compensation, là aussi uniquement pour la Guyane ?

Toutes ces questions ne peuvent être résolues au travers de ce projet de loi, les dispositions financières relevant d’un autre véhicule législatif, mais le service minimum assuré par le biais des ordonnances prises ne rend pas optimiste quant à la politique de soutien aux collectivités d’outre-mer. Ces ordonnances sont nécessaires, il faut donc les ratifier ; mais il est également nécessaire et urgent de mener une politique ambitieuse de développement en faveur des outre-mer. La réunion de travail organisée hier par vos soins, monsieur le ministre, nous permet finalement d’être optimistes.

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