Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, fallait-il légiférer ? J'avoue m'être posée cette question, mais je sais que je ne suis pas la seule. En effet, le code de déontologie médicale prévoit déjà, dans ses articles 36 et 37, que le médecin doit respecter la volonté du patient qui refuse « les investigations ou le traitement proposés. » Il dispose également que le « médecin doit s'efforcer de soulager les souffrances de son malade, l'assister moralement et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique », et ce en toutes circonstances.
Toutefois, le drame qu'ont vécu la famille Humbert et le personnel soignant a suscité un grand nombre de réactions. Le débat méritait d'être clarifié, le législateur se devait se prendre position.
Je remercie le président de l'Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, d'avoir permis à nos collègues députés d'effectuer leur travail dans la sérénité et le sérieux qui s'imposaient. Malgré la pression médiatique, ils ont su prendre le recul nécessaire et ne pas légiférer à la va-vite sur l'euthanasie. D'autant que, selon les sondages, les Français seraient, dans leur très grande majorité, favorables à l'euthanasie.
Evidemment, à une question du genre : « En cas de maladie grave et incurable et si vous souffrez de douleurs insupportables, souhaiteriez-vous que l'on vous aide à mourir ? », il est difficile de répondre que l'on veut vivre jusqu'au bout en supportant d'atroces douleurs.
En réalité, je pense sincèrement que le problème concerne non pas la dépénalisation de l'euthanasie, mais la prise en charge de la souffrance.
Nous assistons à une dérive douce de la société qui cite en exemple les Pays-Bas, où l'on prône la mort plutôt que la vie et où l'on banalise l'euthanasie. C'est pourquoi cette loi est nécessaire pour rappeler la position de la France à ce sujet. Le patient en fin de vie est au centre des préoccupations de ce texte, sa volonté est respectée, et les médecins sont protégés par une décision prise collégialement.
Mais quelle est réellement la volonté des personnes en fin de vie ? C'est non pas tant de mourir au plus vite, que de ne pas souffrir et de rester dignes. Les demandes d'euthanasie ne sont pas si nombreuses. Elles proviennent principalement de personnes seules ; cela a été rappelé tout à l'heure. Un accompagnement adapté, une écoute suffisent, dans la très grande majorité des cas, à les faire changer d'avis. L'entourage familial, le personnel soignant, mais aussi les bénévoles des associations, jouent un rôle primordial.
C'est pourquoi il apparaît que la seule façon de faire reculer les demandes de mourir et les passages à l'acte est de développer les structures de soins palliatifs, à l'hôpital, certes, mais aussi et surtout à domicile. Les équipes doivent intégrer des partenaires médico-psychosociaux et les professionnels doivent être mieux formés.
Je profite de l'occasion qui m'est donnée pour saluer l'un de mes amis le Dr Delbecque, de Dunkerque, qui oeuvre d'arrache-pied pour le développement des soins palliatifs et l'accompagnement, dans le département du Nord et, au-delà, à l'échelle nationale.
Au-delà de la peur de mourir dans la souffrance, il y a aussi celle de mourir à l'hôpital. Il semble nécessaire de « décentraliser » les soins palliatifs, de les faire sortir de l'hôpital pour permettre aux personnes, quand cela est possible, de mourir chez elles, entourées de leur famille.
Pour que ce système fonctionne, pour soulager la famille, mais aussi le médecin traitant, il est indispensable que des réseaux d'intervenants se constituent. Cela permet également d'anticiper les aggravations. En effet, au niveau national, entre 15 et 20 % des décès à l'hôpital ont lieu aux urgences.
Il arrive que la famille panique, et on peut la comprendre, lorsque la fin de vie est proche, que l'état de santé du malade se dégrade vite. Ne sachant que faire, elle appelle au secours les urgences. Dans ce cas, il y a de fortes probabilités pour que la personne décède soit au cours du transfert, soit aux urgences. Les derniers moments sont alors particulièrement pénibles. En période de forte activité, les urgences ne peuvent pas toujours accueillir dignement la personne mourante, et les familles sont parfois délaissées. La mise en réseau, qui devrait permettre de limiter fortement ce genre de situation, mérite d'être encouragée.
Mais si l'on veut vraiment permettre aux personnes de mourir chez elles, il faudra également consentir des efforts financiers pour la prise en charge du coût des gardes, des auxiliaires de vie sociale et des soignants.
Je souhaiterais évoquer, en outre, le problème du congé d'accompagnement. La loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs autorise un ascendant, un descendant ou la personne partageant le domicile de la personne en fin de vie, à bénéficier d'un congé d'accompagnement d'une durée maximale de trois mois, mais ce congé n'est pas rémunéré.
Le droit de mourir chez soi ne semble donc pas ouvert à tous pour le moment. Néanmoins, la proposition de loi va dans le bon sens : elle renforce les articles du code de déontologie médicale que je citais tout à l'heure. Si le médecin doit s'efforcer de soulager les souffrances de ses patients, il doit aussi être à l'écoute de leur volonté.
Quand il n'y a plus d'espoir, la prolongation artificielle de la vie n'a pas de sens. Personne ne peut vaincre la mort. Pourquoi, alors, vouloir la faire reculer de quelques heures ou de quelques jours ? Pourquoi continuer à administrer des traitements qui n'ont plus d'effet ?
Il est donc important de renforcer le principe d'interdiction de l'obstination thérapeutique déraisonnable. Il reste à savoir la manière dont cette « déraison » sera interprétée. Ira-t-on jusqu'à dire que l'hospitalisation, en tant que telle, d'une personne qui la refuse constitue une obstination thérapeutique déraisonnable ?
Je conclurai mes propos par un sujet qui a fait débat parmi certains de mes collègues, et qui concerne la volonté du patient hors d'état de s'exprimer ; il s'agit des directives anticipées.
Lors de son audition par la commission des affaires sociales, Jean Leonetti, député, président et rapporteur de la mission d'information, rapporteur de la proposition de loi qui nous est soumise, nous a fait part, à ma demande, de l'esprit de la loi à ce sujet. Selon lui, les directives anticipées ont une « prééminence molle » sur la personne de confiance, et l'objectif du législateur est de « favoriser l'émergence d'un consensus entre l'ensemble des parties concernées. »
Sans mettre en doute les propos de M. Leonetti, je reste assez perplexe, et je m'interroge sur l'utilisation de l'expression « à l'exclusion » qui figure dans l'article 8 de la proposition de loi. A mon sens, mais je peux me tromper, cela crée une hiérarchie, qui ne précise rien de sa « mollesse », entre les personnes susceptibles de donner un avis lorsque le patient lui-même est inconscient. Ses directives anticipées prédomineraient sur l'avis de la personne de confiance, puis de la famille, et, enfin, des proches.
Cela me gêne parce que - et je l'ai vécu - il n'est pas rare qu'une personne mourante change d'avis lorsqu'elle voit la mort approcher. Les directives anticipées sont écrites à un moment où la personne se sait malade, mais où elle est encore en pleine conscience. La situation au moment où les directives anticipées sont écrites et celle où la mort est imminente ne sont pas comparables. Je souhaiterais avoir des garanties sur l'utilisation « raisonnable » des directives anticipées.
En conclusion, je tiens à m'adresser au rapporteur, Gérard Dériot, pour le remercier et le féliciter de la qualité de son travail sur un sujet bien difficile, qui touche à notre vécu, à notre affectif. Je remercie aussi le président de la commission des affaires sociales, Nicolas About.