Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelles que soient nos références philosophiques, religieuses ou politiques, la vie est dans les démocraties et dans notre pays un droit inaliénable et sacré.
Proclamé dans l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, qui énonce : « Tout individu a droit à la vie », repris dans l'article 2, alinéa 1, de la Convention européenne des droits de l'Homme de 1950, réaffirmé dans l'article 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union, inséré dans le Traité établissant une Constitution pour l'Europe, ce droit à la vie est un principe fondateur de nos sociétés modernes.
La proclamation de ce droit et la protection dont-il bénéficie n'ont cependant pas empêché des évolutions législatives importantes ; je pense, notamment, aux textes relatifs à l'interruption volontaire de grossesse.
En effet, au moment où l'on aborde la fin de vie, comment ne pas établir un parallèle avec le commencement de cette même vie, alors que l'interruption d'une vie en devenir est acceptée depuis trente ans, au nom des principes de liberté et de dignité ? Pourquoi accompagner un malade en fin de vie, vers une issue que l'on sait fatale, pose-t-il tant de problèmes à nos consciences ?
D'ailleurs, s'agit-il vraiment d'une question de conscience ? Ce malaise ne traduit-il pas davantage la crainte de l'homme moderne de la déchéance générée par la maladie, la peur de mourir ou, pire, la peur du déclin ?
Dans notre société actuelle, où l'apparence règne en maître, la mort est passée sous silence. Sujet tabou, la fin de vie n'est que très peu abordée dans le cadre intime ou familial. Alors, plutôt que de l'affronter, on se réfugie dans l'occultation, on laisse le malade, sa famille, le corps médical faire face, seuls, à des situations douloureuses.
La liberté de disposer de son corps serait-elle réservée aux seuls bien portants ? Libre à eux de se suicider, libre à elles d'avorter, même si ces deux actes ont des conséquences humaines et sociales importantes ; ils sont admis, ils sont légitimes, ils sont légaux.
En revanche, la dépendance générée par la maladie aliène le patient qui, en l'état actuel de la législation, ne peut plus être entendu dans sa volonté exprimée de mourir dignement.
L'article 3 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union énonce pourtant, en écho au droit à la vie : « Toute personne a droit à son intégrité physique et mentale ». Il s'agit bien d'un droit à l'intégrité physique. Dès lors, comment permettre le respect de ce droit sans entacher le droit à la vie ? Peut-être, tout simplement, en s'interrogeant déjà sur les droits des malades en fin de vie.
Offrir, en effet, des conditions optimales de soins pour, à défaut de guérir, adoucir la souffrance, est l'un des enjeux de la médecine de demain. Après un XXe siècle de la science triomphante du progrès médical qui permettait de prolonger la vie, le XXIe siècle s'ouvre sur un nouveau défi, celui de retrouver une médecine humaine, qui replace l'homme, soignant ou patient, au centre de la relation, au centre de la préoccupation.
Rompre l'isolement du malade en fin de vie, épargner le désarroi à la famille, éviter la culpabilité des personnels soignants, tel est l'objectif de cette loi, si je l'ai bien comprise. « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde », disait Albert Camus. Aussi, sur un sujet aussi sensible que celui-ci, aussi chargé en émotion, nous avons l'obligation d'être modestes et précis : précis dans les mots, précis dans les réponses, précis dans les motivations.
Il ne s'agit pas d'ôter la vie. Le médecin n'est d'ailleurs pas formé pour abréger la vie. Il s'agit, bien davantage, de rendre la mort plus douce et, paradoxalement, d'une certaine façon, plus « naturelle ». Le médecin doit rendre sa dignité et la sérénité à celui qui se trouve en fin de vie.
Lors de la Journée mondiale de la jeunesse à Denver, le 14 août 1993, le pape Jean-Paul II a rappelé que culture de la vie signifie respect de la vie humaine, depuis le premier moment de la conception jusqu'à son terme naturel, précepte qu'il s'appliqua d'ailleurs à lui-même, refusant une dernière hospitalisation et optant pour une mort dans la dignité, entouré des siens.
Puisque la seule certitude de cette vie humaine réside dans la mort, il est de notre devoir d'homme de l'accepter, car seule l'acceptation permet de la traiter avec lucidité et objectivité, à titre tant personnel que collectif. Si la mort relève de la sphère la plus intime, le passage de la maladie à la mort intéresse la société, d'où ce besoin de légiférer.
Bien entendu, le texte présenté ne s'appliquera, s'il est adopté, qu'aux personnes en fin de vie ayant manifesté leur volonté de voir interrompre tout traitement, de refuser « tout acharnement thérapeutique ». C'est, d'une certaine façon, la reconnaissance d'un contrat entre le patient et son médecin, dans lequel tous deux sont à égalité. Il doit s'agir d'un souhait librement formulé, mûrement réfléchi.
En effet, si 80 % des Français, quand ils sont en bonne santé, souhaitent que leur médecin puisse les aider à mourir, seulement 1 % des patients en fin de vie expriment une volonté de mort aidée par les soignants. Ces chiffres témoignent de toute la prudence qu'il est nécessaire de déployer pour traiter au mieux le délicat problème de la fin de vie. C'est la raison pour laquelle il convient d'entourer l'expression de la volonté de certaines précautions.
Quels peuvent être les modes d'expression du consentement ?
En ce qui concerne les directives anticipées, ces instructions par lesquelles le malade a préalablement exprimé son souhait de ne pas bénéficier d'un traitement, ou seulement d'un traitement limité, doivent avoir été établies moins de trois ans avant la survenance de l'état d'inconscience de la personne.
S'agissant de la volonté exprimée par un malade conscient, cette manifestation de la volonté doit conduire le médecin à entamer un dialogue avec le patient. Il doit tout mettre en oeuvre pour le convaincre d'accepter les soins indispensables. Le cas échéant, il pourra même désormais faire appel à un confrère, et le refus de soins devrait être réitéré dans un délai raisonnable.
Dans l'hypothèse où le malade en fin de vie est dans l'incapacité d'exprimer sa volonté, il sera possible de s'adresser à la « personne de confiance » ou à la famille, dont l'avis primera sur tout autre, en l'absence de directives anticipées du malade.
Renoncer à l'acharnement thérapeutique, éviter l'obstination déraisonnable, tel est donc l'enjeu de cette proposition de loi.
En revanche, ou plus exactement en contrepartie, le texte affirme la reconnaissance de la place des soins palliatifs dans l'accompagnement des pathologies graves, voire incurables. Faire entrer les soins palliatifs dans les services hospitaliers constitue une avancée notable, une « révolution culturelle », dans la mesure où cela traduit l'acceptation des limites de la « médecine curative ». Une telle reconnaissance rappelle chacun à l'humilité, et cela est déjà, en soi, un grand progrès. Accepter notre condition de mortels tout en refusant la douleur rédemptrice, telle est la philosophie qui, je le pense, sous-tend ce texte.
Dans La Dernière Leçon, Noëlle Châtelet relate la mort choisie de sa propre mère. A l'approche du moment fatidique, elle écrit les phrases suivantes :
« J'ai pensé. En d'autres temps, dans une société grandie d'avoir réfléchi autrement à la mort, j'aurais pu être auprès de toi, à tes côtés vraiment, pas seulement en pensée. J'aurais tenu ta main et posé sur ton front le baiser de l'adieu. »
Rompre cette solitude, disais-je tout à l'heure ; si cette proposition de loi pouvait y contribuer, nous aurions, je crois, franchi un pas, modeste mais réel, dans la voie du réconfort apporté au malade, qui désormais pourra être écouté, entendu et accompagné.
Cette écoute constitue un élément majeur de la dignité, en nous restituant notre place d'être doué d'intelligence et de volonté. La dépendance et la fin de vie sont suffisamment douloureuses en elles-mêmes pour que l'on n'y rajoute ni mépris ni infantilisation.
Ce texte, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, n'est donc pas un texte sur l'euthanasie telle que comprise selon l'acception courante. Il s'agit non pas d'ôter la vie, mais de diminuer la durée d'un passage au terme inéluctable. Il s'agit non pas de provoquer la mort intentionnellement, mais de la laisser venir naturellement.
Cette proposition de loi n'est sans doute qu'une étape. Ses auteurs ne prétendent pas répondre à toutes les interrogations, à tous les cas de figure. Ce qui est supportable pour une personne ne l'est pas nécessairement pour une autre. Nul ne vit la douleur de la même façon qu'un autre ; chacun perçoit sa déchéance au travers d'un prisme qui lui est propre.
Soyons donc modestes et prudents, car il y a danger, comme l'a dit tout à l'heure le président Nicolas About. Le véritable effort que nous devrons accomplir sera de prouver notre capacité à traiter avec humanité, dans l'avenir, les personnes âgées, qui seront de plus en plus nombreuses, de plus en plus âgées et donc de plus en plus dépendantes, et les personnes handicapées, qui vieilliront de plus en plus et dont le handicap sera de plus en plus grave avec l'âge.
Le problème est, on le voit, complexe ; sa solution ne peut être unique. L'adoption de cette proposition de loi permettrait de tracer un cadre juridique plus clair, qui n'ouvre pas la porte à de possibles abus. Comme M. Jean-Philippe Wagner l'a exprimé lors de son audition devant la commission des affaires sociales du Sénat, c'est à cette aune que se mesure la dignité d'une société.