Intervention de Gilbert Barbier

Réunion du 12 avril 2005 à 16h00
Droits des malades et fin de vie — Adoption définitive d'une proposition de loi

Photo de Gilbert BarbierGilbert Barbier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie me plonge, je l'avoue, dans une certaine perplexité. Doit-on légiférer sur la fin de vie ? C'est une question simple à laquelle il est difficile de répondre.

L'émotion suscitée dans l'opinion publique et chez les médecins par un certain nombre de situations dramatiques, fortement médiatisées, méritait, certes, d'être entendue. La mission d'information de l'Assemblée nationale a permis cette écoute et je tiens à souligner la qualité du débat qui s'y est tenu.

Je crois que cette mission a finalement montré sans ambiguïté que la demande d'un droit à mourir s'enracine d'abord dans les peurs qui habitent le corps social, en particulier ceux qui ont été témoins d'agonies douloureuses et tourmentées, mal accompagnées. La figure du vieillard qui s'éteint doucement et paisiblement, « rassasié de jours », reste dans l'inconscient collectif comme la seule belle mort.

Angoisse de la mort qui vient, peur de souffrir, souci de ne pas peser trop longtemps sur ses proches, fantasme de l'acharnement, peur de se dégrader, c'est souvent l'absence d'information et le sentiment d'être passif à l'hôpital qui accentuent chez le malade le désir de maîtriser sa fin de vie. La demande semble être avant tout une provocation au dialogue et une ultime tentative de communication.

Si la loi autorise un jour les médecins à donner la mort à ceux qui la demandent, se donnera-t-on la peine de s'asseoir et de dialoguer afin de comprendre les désirs profonds de la personne ? Ne céderons-nous pas à la facilité ? Heureusement, le texte qui nous est proposé aujourd'hui n'est pas destiné à légaliser l'euthanasie active, et j'ose espérer qu'il n'est pas un premier pas en ce sens.

Mais alors, de quoi s'agit-il exactement ? De mettre fin à des pratiques clandestines abusives ? J'ai entendu à ce sujet des propos tout à fait choquants à la commission des affaires sociales. Des services hospitaliers, notamment en cancérologie et en gériatrie, pratiqueraient des euthanasies non voulues en fonction de critères comptables - coût des soins, nécessité de libérer des lits - ou de critères d'âge.

De tels actes sont intolérables ; ils ne peuvent être que tout à fait marginaux et, s'ils existent, ils doivent être dénoncés et faire l'objet de poursuites pénales, lesquelles sont d'ailleurs prévues par le code. Dans ces cas, il s'agit donc non pas de légiférer, mais plus simplement de sévir.

Pour ma part, je suis convaincu que les médecins ou les personnels soignants qui en sont arrivés à arrêter les traitements, à débrancher des respirateurs, voire à donner la mort à des patients en fin de vie, l'ont fait soit par compassion, soit par conscience d'un acharnement inutile ou disproportionné.

Veut-on, par cette proposition de loi, soulager de sa lourde responsabilité le corps médical qui serait, d'après M. Leonetti, surpris de sa puissance vis-à-vis de la mort et qui souhaiterait la partager ? Si les médecins se sentent seuls et démunis devant des fins de vie, aucune loi ne pourra diminuer leur solitude ou amender leur conscience : ni celle qui les autoriserait à donner la mort, ni celle-ci.

Je ne crois pas que la réponse soit dans la collégialité de la décision. Dans toutes les situations, et même en cas de directives anticipées du patient, c'est le médecin qui prend, en dernier ressort, la décision et qui endosse la responsabilité du choix. Il reste toujours face à sa conscience, à sa morale personnelle.

Quoi qu'il en soit, la collégialité ne risque-t-elle pas de devenir un alibi pour justifier certaines pratiques ? Et en cas de désaccord, aura-t-on recours à des personnes extérieures au service hospitalier ?

S'il s'agit enfin, par cette proposition de loi, de protéger le corps médical d'éventuelles poursuites judiciaires, cela me semble très illusoire. Comment empêcher un membre de la famille de contester le fait que le malade a été informé des effets secondaires d'un traitement ou l'interprétation de sa volonté qui aura été faite par le médecin lui-même ou la personne de confiance ? Lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté et qu'il n'y a pas de personne de confiance désignée, lequel des membres de la famille devra écouter le médecin ? Celui qui demande l'arrêt des traitements ou celui qui réclame leur poursuite ? Celui qui n'aura pas obtenu satisfaction pourra toujours poursuivre.

Reste que légiférer suppose une définition précise des mots. On parle de « fin de vie », mais qu'est-ce au juste ? Selon le texte, il s'agirait d'une personne en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable. Qui déterminera l'entrée dans cette phase ? Cela dépendra-t-il de l'âge, de l'état de conscience ou d'inconscience du patient, d'une situation d'urgence ? Pas de réponse !

Il faut mourir dans la dignité, dit-on. A partir de quand ou de quel degré de handicap physique ou cérébral un malade devient-il indigne ? Qui va en décider ? Finalement, est-ce nous ou les médecins, en tout cas les bien portants qui prononceraient l'indignité des autres ?

Toutes ces questions montrent bien la difficulté de légiférer sur la fin de vie.

La proposition de loi me laisse donc perplexe, d'autant qu'il n'y a pas en France, aujourd'hui, de vide juridique sur cette question. Le code de déontologie médicale fixe déjà un cadre en interdisant au médecin de provoquer délibérément la mort d'une personne ou de la soigner sans son consentement - sauf urgence ou impossibilité de consentir - et en posant le principe de proportionnalité. Les textes ont été complétés, d'une part, par la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs et, d'autre part, par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, qui affirme le droit au traitement de la douleur.

En définitive, on transfère le code de déontologie dans une loi formelle. Je le regrette, car ce qui est souplesse dans le premier peut devenir rigidité dans la seconde. En outre, la loi ne portera jamais que sur l'universel, alors que l'accompagnement de fin de vie sera toujours singulier.

La plupart des situations difficiles de fin de vie pourraient trouver réponse dans le cadre légal actuel, à condition que les pratiques soient améliorées, que les professionnels de santé soient formés au traitement de la douleur et que le maillage prévu de tout le territoire en structures de soins palliatifs se poursuive.

La proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui permet, certes, de clarifier les procédures qui se dérouleront dans la collégialité et la transparence. Mais, malgré tous nos efforts, il restera toujours des cas de souffrance ou de détresse, face auxquels certains se demanderont s'il n'est pas humainement légitime d'accéder au désir de mourir d'une personne.

Ces dilemmes éthiques font partie de la profession médicale, qui implique une certaine solitude. Ce métier n'est pas un métier de pur technicien ; si tout devait être réglé par des procédures ou des lois, cette dimension de l'humain, avec ses incertitudes et ses doutes, finirait par disparaître.

Pour ma part, je crois à la conscience professionnelle des médecins. C'est pourquoi je m'abstiendrai sur ce texte, qui, d'une certaine manière, rogne leurs prérogatives au profit de tiers. Remettons sur le métier le serment d'Hippocrate et rappelons que « science sans conscience n'est que ruine de l'âme ».

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