Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce texte nous met face à la question centrale de la vie : la mort, qui nous concerne immédiatement, car nous sommes tous en fin de vie sans le savoir.
Nous sommes particulièrement immatures sur ce sujet, car nous ne voulons pas nous prendre en charge et nous cultivons les paradoxes. Nous prétendons, bien à tort, nous affranchir des interdits ; mais, en même temps, nous développons des tabous, notamment à propos de la mort.
« Couvrez ce mot que je ne saurais voir,
Par de pareils objets les âmes sont blessées,
Et cela fait venir de coupables pensées. »
Notre angoisse est telle que nous nions la mort ; nous l'expulsons de la cité. Nous ne voulons plus la voir ni la montrer. Nous obliger à l'évoquer et à employer le mot de « mourants » constitue déjà l'un des mérites de ce texte.
En ces temps de « jeunisme » et de règne des apparences, nous voulons mourir en bonne santé, le plus tard et le plus rapidement possible. Nous voulons la mort sans nous en rendre compte, ce que l'on appelle « la belle mort ».
Ce déni de la mort est, me semble-t-il, une négation de l'humanité et de sa dignité. Nous nous devons de réfléchir à ce que signifie la « bonne mort », dans un monde où le discours, les rituels sociaux et les représentations symboliques de la mort sont effacés.
D'aucuns considèrent qu'il faut mourir dans la dignité, ce droit devant être un nouvel acquis sociétal, et envisagent le droit au suicide assisté ou à la « mort miséricordieuse », selon l'expression du sinistre docteur Brandt.
A quoi tient la dignité ? Nombreux sont ceux qui pensent que c'est l'image que l'on a de soi ou que l'on donne de soi. Même si le regard des autres peut créer ce sentiment, nous devons échapper à l'idéal totalitaire du corps parfait.
Un homme, même empêché dans l'exercice de ses fonctions les plus hautes, est toujours un homme et doit toujours être considéré comme une personne. Ce ne sera jamais un « légume » ! Le délabrement du corps et la dégradation mentale n'affectent en rien sa dignité. L'humanité ne se retire pas d'un corps parce que la vie le quitte. L'essence de la vie transcende toutes les conditions de notre existence, si difficiles soient-elles.
Si la qualité de la vie humaine devient le critère de la valeur de la vie humaine, cela nous conduit à nier le fondement naturel et culturel de l'égalité et à introduire une éthique dévastatrice de l'inégalité. Cela nous entraîne soit vers le désir de mort et éventuellement l'euthanasie, soit vers le refus de la mort et l'acharnement thérapeutique. Cela nous conduit à une mort médicalisée, technicisée, déshumanisée, en quelques sortes volée.
Nous reléguons les morts dans les coulisses, hors de la vue des vivants, et nous créons ainsi la solitude du mourant, un des grands drames de notre société. Aussi nous faut-il réapprendre à affronter la mort, à l'apprivoiser. Ce n'est facile pour personne : mourir sera toujours une souffrance. Notre société doit se réconcilier avec la mort, donc avec la vie.
Fallait-il légiférer ? Je ne le pense pas.
Sur le plan technique, puisqu'il s'agit de la sécurité juridique des médecins, il suffisait de clarifier le code de déontologie.
Sur le fond, la loi, quoi qu'il arrive, ne soulagera pas les consciences. A vouloir substituer la loi à la morale, quelle société allons-nous créer ? Aussi, je suis convaincu qu'il est regrettable que nous soyons devenus des maniaques de la loi, car elle ne réglera jamais tout. En outre, elle ne doit pas être fonction des sondages, c'est-à-dire des humeurs d'un instant.
Toutefois, le texte proposé a quelques mérites.
En effet, il refuse l'euthanasie ainsi que sa dépénalisation, ce qui est heureux et le moins que l'on puisse attendre. Les solutions adoptées dans certains pays proches comportent de très graves dangers.
L'interdiction de donner la mort est un principe fondateur de notre société. Le transgresser, même pour des raisons compassionnelles, créerait un précédent dont les dérives seraient incontrôlables. Par ailleurs, d'autres considérations, notamment économiques, apparaîtraient rapidement.
Le passage à l'acte d'euthanasie n'est pas une réponse soignante. Soigner consiste à soulager une souffrance, non à faire disparaître le souffrant. Cela fait partie des tentations eugénistes dont on sait où elles ont conduit. Dès l'instant où l'on cesse de respecter l'ultime parcelle d'une seule vie, n'est-on pas entraîné infailliblement sur la pente qui conduit à les mépriser toutes ?
Ce texte refuse aussi l'exception d'euthanasie qui n'eût été qu'un permis de tuer et aurait entraîné la perte de confiance du malade à l'égard des médecins. C'est son second mérite.
Il refuse aussi, à juste titre, l'acharnement thérapeutique, les soins déraisonnables et disproportionnés, ce qui traduit l'acceptation de la condition humaine devant la mort. Toutefois, il faut être vigilant afin de ne pas tomber dans le refus ou l'abandon de soins ou dans des solutions accélérant le cours des choses. Cela ne relèverait plus alors du double effet non intentionnel. Les soins doivent donc être proportionnés.
La proposition de loi préconise de lutter contre la douleur et de développer les soins palliatifs pour une plus grande écoute du malade. Il s'agit évidemment d'une chose nécessaire.
Enfin, ce texte est de nature à rassurer, en partie, les médecins sans pour autant, naturellement, les dispenser de leur responsabilité pénale éventuelle.
Cela étant, ce texte n'est pas sans susciter quelques questions et réticences.
Je commencerai tout d'abord par évoquer l'importance accordée aux directives anticipées. Elles n'ont, me semble-t-il, aucun fondement moral et juridique.
Le désir de mort est un choix de bien portant. Le malade doit être en condition de choisir personnellement et à tout moment ; il ne doit pas subir les décisions ou les choix des autres. Il faut se méfier, à cet égard, des décisions humaines irréversibles. Pour ce qui est des tiers, ne présumons pas que les familles n'ont que des sentiments généreux à l'égard des leurs.
Se pose ensuite la difficile question de l'alimentation et de l'hydratation, que j'évoque dans un amendement que j'ai déposé. Les soins courants et les apports nutritifs doivent être, me semble-t-il, maintenus. L'alimentation n'est pas un traitement consubstantiel à la maladie, c'est un droit fondamental, tel que la toilette, inhérent à la dignité humaine.
Au demeurant, aucune loi ne peut lutter contre la culture de mort qui s'insinue progressivement parmi nous ni assurer la victoire du goût de vivre sur le désir de mort. Ce qui est posé, c'est la place de l'homme dans la société, son rapport à la vie et à la mort. Il nous faut resocialiser la mort, car la vraie dignité, c'est de mourir relié aux autres.
Le droit au respect de la vie est le premier des droits de l'être humain, particulièrement du plus faible. Ce qui est en cause, c'est la fragilité posée par la nature humaine durant toute la vie : un nouveau-né est fragile, un vieillard aux portes de la mort également. Le problème réside dans le regard que la société porte sur cette fragilité, qu'elle refuse de plus en plus. Une société qui ferait de la perfection des apparences, de l'état de santé, un critère de suicide est une société qui a perdu ses valeurs d'égalité devant la mort et la vie, de fraternité et de solidarité.
Il nous faut donc penser à tous ceux qui ont envie de vivre, qui se battent pour cela, notamment les handicapés les plus lourds. Il nous faut accepter la vérité sur la mort et la vie, ce qui est de nature à donner un sens à notre système de santé et à orienter ses choix.
Nous ne soulignerons jamais assez le courage et le dévouement du personnel soignant qui accompagne les personnes mourantes.
La réponse à la solitude du mourant n'est pas de tuer mais d'accompagner de la façon la plus proche possible. Chateaubriand disait : « Ils auraient mieux aimé de nous un sourire pendant leur vie que toutes nos larmes après leur mort ».
Une telle proposition de loi constitue donc pour moi un point extrême à ne pas dépasser ; toutefois, elle s'accompagne d'interrogations, interrogations que j'ai traduites dans les amendements déposés en mon nom.
Aussi, malgré le travail remarquable de notre rapporteur, Gérard Dériot, si le texte devait rester en l'état par souci d'assurer un vote conforme, je m'abstiendrais en redoutant qu'on n'ait ouvert une boîte de Pandore nous menant dans des directions que je ne saurais personnellement envisager.