Intervention de Marie-Thérèse Hermange

Réunion du 12 avril 2005 à 16h00
Droits des malades et fin de vie — Adoption définitive d'une proposition de loi

Photo de Marie-Thérèse HermangeMarie-Thérèse Hermange :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, tout en remerciant MM. Nicolas About et Gérard Dériot de la façon dont ils ont organisé ces débats, à l'heure où le Gouvernement nous soumet un texte d'une grande importance sur le plan sociétal, texte qui relève du médical, du judiciaire, mais aussi de l'anthropologique, je reste encore perplexe et dubitative.

Certes, nous partageons tous le champ d'axiomes suivant : oui, la phase ultime de la vie interpelle la responsabilité thérapeutique du médecin.

Oui, le devoir de vérité au malade en phase terminale exige du personnel soignant discernement et tact : c'est le principe de proportionnalité.

Oui, il existe un droit pour la personne d'être informée.

Oui, cette vérité communiquée ne la ferme pas à l'espérance.

Oui, la médecine actuelle dispose de moyens susceptibles de retarder artificiellement la mort : à coup d'acharnement thérapeutique, on peut, à tort, la faire reculer.

Oui, la compassion suscitée par la douleur, la souffrance d'enfants handicapés, de personnes atteintes de maux incurables n'autorise aucune euthanasie directe, active ou passive.

Oui, il convient de procurer au malade en phase terminale les traitements médicaux susceptibles d'alléger le côté pénible de la mort et de la souffrance par des soins palliatifs adéquats.

Oui, il existe, Mme le secrétaire d'Etat l'a souligné, une différence radicale entre « donner la mort », acte qui supprime la vie, et « accepter la mort ».

Oui, la fin de vie encadrée, technicisée, peut bouleverser le dialogue singulier entre le médecin et le patient : pour le patient qui s'en rapporte au médecin comme à celui qui peut lui assurer la mort ; pour le médecin qui n'est plus l'absolu garant de la vie.

Oui, devant le mystère, et au-delà de nos engagements, acceptons que certains conçoivent la mort comme un « voyage au pays de l'ombre », que d'autres disent, comme Jean-Paul II, « N'ayons pas peur ! » ou, comme Jean Guitton, « La mort est un voyage épatant que l'on va faire dans un pays merveilleux ! »

Ces considérations d'évidence, nous les partageons tous et certaines sont traduites dans la présente proposition de loi. Nous partageons, je suppose, aussi une autre considération d'évidence : devant l'inconnu, devant le singulier, toutes les certitudes humaines ne chancellent-elles pas ?

Alors, madame la secrétaire d'État, pourquoi légiférer en instituant, d'une certaine façon, une norme générale de comportement ? Pourquoi légiférer sur l'heure de la séparation, sur l'heure de la mort ? Etait-ce nécessaire ? Est-ce possible ? N'est-ce pas présomptueux ?

D'abord, était-ce nécessaire compte tenu du corpus de textes existants ?

L'article 1er de la présente proposition de loi dispose : « Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autres effets que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ».

Mais l'article L.1110-05 du code de la santé publique énonce déjà : « Les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté ». Cela ne correspond-il pas à la formulation proposée, d'autant que le même article du code de la santé publique prévoit, dans son troisième alinéa : « Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur » et, dans son quatrième alinéa : « Les professionnels de santé » assurent « une vie digne jusqu'à la mort » ?

L'article 2 de la présente proposition de loi prévoit que si le médecin constate qu'il ne peut soulager la souffrance d'une personne qu'en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger la vie, il doit en informer le malade.

Mais l'article L.1111-4 du code de la santé publique ne stipule-t-il pas que le médecin doit respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix, ce qui est développé longuement à l'article L.1112 et à l'article L.1116du code de la santé publique ?

L'article 5 énonce : « Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement [...] ne peut être réalisé sans respecter la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale ».

Au-delà d'une réécriture redondante de l'alinéa 4 de l'article L.1111-4 du code de la santé publique, au delà surtout du fait que cet article ne mentionne pas les termes « fin de vie », dans la mesure où la procédure collégiale est déjà définie dans le code de déontologie médicale, pourquoi y revenir ? De plus, l'article L.1111-4 du code de la santé publique précise que : « Les dispositions du présent article s'appliquent sans préjudice des dispositions particulières relatives au consentement de la personne ». N'est-ce pas une formulation plus large, plus souple que la directive anticipée, dont on ne comprend pas très bien, au travers des articles 8 et 9 de la proposition de loi, comment la personne de confiance sera saisie au moment décisif ?

Je pourrais continuer la démonstration. Il aurait suffi de préciser les articles 36, 37 et 38 du code de déontologie médicale. Cela aurait permis d'introduire plus de souplesse pour peu que le maillage des structures de soins palliatifs en milieu hospitalier, comme à domicile, soit présent sur l'ensemble du territoire.

Telle est ma première interrogation.

Ensuite, est-il possible de légiférer ?

L'acte législatif est une construction soumise aux conditions de toute construction : un axiome singulier, traduit ici par un fait médiatisé, et une proposition du possible, ici la directive anticipée, la personne de confiance et le staff médical - désormais dénommé procédure collégiale - trois éléments devant entrer en étroite relation à l'heure de la séparation.

Mais, madame la secrétaire d'État, ce qui se tient dans cette fin de vie ne déborde-t-il pas inévitablement du lieu de pure logique, de pure procédure où vient se placer le législateur ? Le modèle ne risque-t-il pas de révéler ses illusions et ses faiblesses devant l'inconnu du champ d'anthropologie, devant l'imprévisible de l'expérimentation comme du progrès en matière médicale ?

Dans ces conditions, pourquoi ne pas accepter de faire le deuil du discours universel ? Dans ce qui se donne là, ne devons-nous pas nous contenter du fragmentaire ?

Certes, je comprends l'argument de la judiciarisation. Mais ce texte est-il de nature à anéantir la crainte de la judiciarisation puisque, dans des circonstances, ô combien diverses, le champ axiomatique de la directive anticipée et de la décision collégiale ouvre de multiples possibilités entre : « je n'ai pas entrepris de soins » et « j'interromps un traitement », entre « ne pas faire » et « ne plus faire ». Aussi, dans chaque circonstance, il faudra préciser le champ de validité de ce qui sera proposé. Mais l'ultime fin singulière est-elle de cet ordre ?

L'interstice possible, même avec un texte, n'existe-t-il pas pour conduire à telle ou telle interprétation dans le champ judiciaire ? N'est-on pas en droit de se demander si une telle législation ne conduira pas à l'effet inverse de l'objectif légitimement escompté et ne va-t-on pas voir, par exemple, naître des procès pour abandon de soins ?

Enfin, troisième interrogation, n'est-il pas présomptueux de légiférer sur l'heure de notre mort, de notre fin et de notre séparation ?

En effet, mes chers collègues, nous ne légiférons pas sur la mort à la troisième personne, celle qui est le destin commun de tout ce qui vit et respire, cet événement oecuménique auquel nul n'échappe et dont nul ne revient.

Mais, si nous ne pouvons pas légiférer sur ce destin commun, nous ne pouvons pas davantage légiférer sur la mort à la première personne, celle dont je ne peux parler puisque c'est ma mort. On en parle toujours lorsqu'on est vivant, mais elle n'est jamais là. « Je sais que je mourrai, mais je ne le crois pas profondément », dit Jacques Madaule. Et quand elle survient, c'est pour nous retirer de la terre des vivants ; nous ne pourrons plus rien en dire une fois que nous l'aurons connue !

Victor Hugo nous l'exprime en termes admirables : « Oh, est-il bien vrai que je vais mourir avant la fin du jour ? Est-il bien vrai que c'est moi ? [...] c'est moi qui vais mourir ! moi, le même qui est ici, qui vit, qui se meut, qui respire, qui est assis à cette table ? »

Si familière et si proche qu'elle soit, la mort demeure toujours une inconnue !

Mes chers collègues, ici aucun d'entre nous ne peut indiquer, en toute clarté, le jour et l'heure, la manière et les témoins de ce que sera sa propre mort. La poussée de la vie en nous demeure si vive que, même devant la mort des autres, nous nous prenons toujours à guetter, à veiller, à espérer. La terre entière, même sans référence explicite à Dieu, demeure comme en attente d'un mystère qui est toujours à déchiffrer.

Comme le dit très bien Jankélévitch, l'homme n'est pas fait pour connaître cette date : il est fait pour connaître l'entrouverture, sa vie est toujours entrebâillée par l'espérance, ce qui fait qu'il n'est jamais nécessaire de mourir.

C'est d'ailleurs cette espérance qui est refusée au condamné à mort. Cela est contre nature, inhumain, c'est un temps monstrueux : plus que deux heures, plus qu'une heure, plus que trente minutes, plus que vingt-neuf minutes...

Ni à la troisième personne, ni à la première personne, puisque c'est impossible, nous légiférons donc sur celle qui est tangente aux deux autres, celle qui ressemble le plus à la mienne sans être la mienne, sans être non plus la mort impersonnelle et anonyme du phénomène social. C'est un autre que moi, alors je survivrai ; je peux le voir mourir, c'est un autre que moi et, en même temps, c'est ce qui me touche au plus près. Au-delà, ce serait ma mort. C'est donc la mort à la deuxième personne.

La philosophie de la mort, la législation de la fin de vie qui nous est proposée, offrant ainsi une norme générale de comportement, est faite pour moi par celui qui est à mes côtés. N'est-ce pas, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, présomption de notre part, même si tout acte législatif se construit pour combler une béance ?

Celle-ci, vous en conviendrez, est bien particulière. Tout est fini et l'on pressent que tout continue, tout disparaît et l'on devine que tout transparaît. Ils sont toujours là, ceux qui ne sont plus, on évoque leur mémoire ; et voici que se vivent d'étonnants départs qui rassemblent les absences, qui rendent chacun si présent parce que, quelque part, il y a quelque chose d'autre qui ne peut jamais être nommé dans la loi : l'amour, l'affectivité qui fait aussi humanité et qui constitue bien le coeur de l'homme.

Autant d'interrogations qui, pour l'homme politique qu'est le ministre de la santé, mais aussi pour le médecin du coeur qu'il est, ont dû naître, auxquelles il a dû répondre et qui méritent qu'il les porte à notre connaissance pour qu'elles accompagnent notre décision.

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