Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 12 avril 2005 à 16h00
Droits des malades et fin de vie — Adoption définitive d'une proposition de loi

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il n'est pas simple, dans notre société, de parler de la mort. Il n'est pas simple non plus de légiférer sur la fin de vie. Quant au droit des malades, il reste encore balbutiant en dépit des premières avancées qu'ont constituées la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs et la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

La proposition de loi dont nous allons débattre se place dans la continuité de cet effort de reconnaissance du droit des malades, mais également sur le chemin qui, peut-être, nous mènera vers la reconnaissance d'un droit à mourir dans la dignité.

S'il n'appartient pas au législateur de répondre aux questions ultimes que se posent nos contemporains sur la mort, celui-ci est cependant dans son rôle en légiférant lorsqu'il s'agit de passer de la pénalisation d'un acte à sa reconnaissance en tant que droit.

Si nous discutons aujourd'hui de cette proposition de loi, c'est parce que nous avons tous en tête les événements de l'an dernier : l'exemple de Vincent Humbert, qui avait demandé au Président de la République le droit de mourir, le combat de sa mère et le courage du docteur Chaussoy ; plus récemment, l'exemple de Terry Schiavo aux Etats-Unis ; aujourd'hui, celui d'Eddy de Somer et de tant d'autres, qui ne sont pas sous les feux des médias. C'est également parce que nous sommes de plus en plus nombreux à être confrontés dans nos vies personnelles à des situations dramatiques similaires, et parce que nous savons très bien à quel point nous sommes désemparés face à des personnes aimées, pour lesquelles nous préférons une mort douce et digne plutôt que de les voir partir dans la souffrance.

La médecine a fait d'énormes progrès au cours des dernières décennies ; elle est capable de sauver de la mort des nouveau-nés, des accidentés, et de repousser les limites de la vie des personnes malades d'un âge très avancé. S'il faut bien sûr se réjouir de toutes ces vies sauvées ou allongées, des inconnues demeurent.

Nous ne répondons pas à la situation qu'a vécue Vincent Humbert, ni à celle que vit aujourd'hui le jeune Eddy de Somer. Celui-ci, comme Vincent Humbert, a été sauvé de la mort après son accident de la route, mais il est presque totalement paralysé, et aucune science ou médecine ne pourra lui redonner le dynamisme et la joie de la jeunesse perdus un jour tragique. Eddy de Somer, sa mère et ses médecins se heurtent actuellement aux mêmes obstacles que Vincent Humbert et ses proches. Lui, et tant d'autres encore, attendent donc beaucoup de cette proposition de loi : ils attendent qu'on leur permette de mourir dans la dignité, tout simplement.

A l'heure actuelle, si le code de déontologie des médecins rappelle que le médecin « n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort », il précise également que le médecin fera « tout pour soulager les souffrances » et « ne prolongera pas abusivement les agonies ».

Le texte de la proposition de loi propose un critère de la fin de vie inspiré de la définition donnée par l'Agence nationale d'accréditation des établissements de santé, définition sur laquelle nous pourrons nous appuyer.

Des malades, ou une personne de confiance qu'ils auront désignée, pourront s'en prévaloir dans certains cas afin de prévenir un acharnement thérapeutique ou une prolongation déraisonnable des actes médicaux, voire de l'alimentation.

Chacun est alors renvoyé à lui-même, face au silence de la loi - voire à la loi du silence - sur les pratiques cachées ou secrètement connues des uns et des autres.

C'est ainsi que, en réanimation, 50 % des patients décèdent après décision médicale : c'est le médecin qui décide, souvent seul, d'arrêter un appareil ou de ne pas en ajouter un autre.

Quoi de plus normal, quoi de plus humain que de refuser la douleur et la souffrance des malades liées à la dégradation physique et mentale, de récuser l'acharnement thérapeutique quand l'espoir n'est plus là ?

Il était temps de mettre fin au non-dit, de rendre ces pratiques transparentes. Il est temps de sortir le médecin de son isolement. Pour cela, nous souhaitons voir instaurer un véritable système de codécision entre le malade, la famille et l'équipe de médecins, afin de faire prévaloir le dialogue et la transparence.

Non, ce texte ne répondra pas à toutes les situations. C'est pourquoi les sénateurs Verts et socialistes présentent des amendements pour répondre aux attentes de tous ces malades et accidentés qui, aujourd'hui, souffrent en silence.

J'espère, pour ma part, qu'il sera possible d'aller plus loin encore et de concevoir les droits d'une personne à mourir comme une liberté individuelle, au même titre que, dans le passé, la représentation nationale a permis l'interruption volontaire de grossesse comme un droit des femmes à la maîtrise de leur corps. Je pense que l'opinion publique y est prête, mais que ce sont les hiérarchies sociales, politiques, médicales, voire religieuses, qui s'y refusent aujourd'hui.

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