Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en tant que président du groupe d’amitié France-Syrie du Sénat, je me félicite que nous ayons ce débat.
La France a choisi très tôt la reconnaissance de l’opposition syrienne et, dès lors, l’équilibre de l’ensemble de la région et les intérêts de notre pays ne peuvent laisser place aux jeux partisans.
Lors des premières manifestations de ce qui allait devenir le « printemps arabe », peu de chancelleries imaginaient un soulèvement en Syrie et les analyses ne cesseront d’être continuellement en décalage par rapport à une réalité qui aura fini par déboucher sur un état de guerre civile.
La Syrie qui, certes, n’était pas l’exemple de la démocratie avec la toute-puissance d’un parti Baath, parti socialiste, laïc et nationaliste créé en 1953, avait su pourtant préserver la liberté des minorités et de multiples populations et religions en étant un des seuls États arabes a avoir inscrit la laïcité dans sa constitution et à garantir un égal accès aux fonctions publiques et privées.
Si les premiers soulèvements populaires et pacifiques pouvaient laisser entrevoir et espérer une ouverture institutionnelle du régime, très rapidement hélas ! la répression enclenchera son processus inexorable d’escalade.
L’excuse des groupes radicaux, qui marqua le début du processus répressif, devint hélas encore ! la réalité d’une présence croissante de djihadistes et d’extrémistes qui ne cessèrent de progresser, renforçant l’escalade et la déstabilisation du pays, tout en concourant à l’affaiblissement des mouvements d’opposition et à leurs difficultés à se donner la légitimité et la force nécessaires.
Aux frontières de cette poudrière, Israël, de façon constante, ne cessera de revendiquer le respect de son territoire et d’affirmer sa ferme résolution à s’opposer à tout débordement.
Le Liban, dont on connaît la situation particulière avec la Syrie, verra son gouvernement adopter très rapidement une position, qui a pu surprendre certains, consistant à considérer que la situation syrienne était extérieure, comme pour dire qu’elle ne le concernait pas : une façon de s’isoler par les mots et de ne pas être entraîné dans un conflit, même si le Hezbollah a fini par l’y amener.
À l’intérieur, les Kurdes, après avoir obtenu la reconnaissance de droits réclamés depuis longtemps, engagèrent une réaction vigoureuse contre les djihadistes qui tentaient de s’installer sur leur territoire.
Sans aller plus loin dans la complexité, cette situation n’est pas sans rappeler les propos du général de Gaulle qui, dès 1945, précisait : « L’Orient, dont fait partie la Syrie, se trouve en présence de populations qui ont toujours constitué pour le monde un problème très délicat. »
Oui, c’est dans ce contexte et dans une région au sujet de laquelle le spécialiste du Moyen-Orient Antoine Sfeir a très tôt évoqué le risque d’un nouveau conflit mondial pouvant résulter d’une confrontation entre les chiites et les sunnites qu’il convient d’apprécier la position de la France.
Si la non-intervention militaire de la France a été rapidement affichée, elle doit être réaffirmée fortement, au moment où le Parlement est saisi de la question de la réaction de notre pays à l’usage des armes chimiques.
Au risque de surprendre, monsieur le ministre, et alors que je suis fermement opposé à toute intervention militaire sur le sol syrien, je le dis très clairement : une réaction immédiate concertée et ferme à l’usage d’armes chimiques aurait eu mon assentiment total. Oui, l’usage d’armes chimiques, par qui que ce soit, doit être une ligne rouge.
Or force est de constater que le trouble grandissant de l’opinion publique, comme des politiques, d’ailleurs, n’est pas sans lien avec la confusion, les hésitations et le flou qui ont progressivement entouré ce qui a été qualifié très tôt d’« action coup de semonce ».
Comment se fait-il que, quelques mois après une première alerte, qui aurait exigé d’ailleurs plus de transparence déjà, la communauté internationale n’ait pas été capable d’arrêter une position qui lui aurait permis d’agir immédiatement et non de se discréditer dans des débats où l’argument juridique devenait l’excuse à l’absence de décision en semant le trouble dans une opinion déjà dubitative ?
Oui, la définition et les contours d’une doctrine d’intervention nous auraient épargné les difficultés rencontrées aujourd’hui et nous auraient permis de nous interroger sur l’étape suivante.
Hélas ! la communauté internationale n’ayant pas de doctrine, elle ne peut avoir de stratégie. Et, quand on n’a pas de stratégie, on n’a pas prise sur les événements ; ce sont les événements qui ont prise sur vous.
Voilà la question.
Je me garde bien de parler, en le regrettant d’ailleurs, du silence assourdissant de l’Europe, elle qui avait pourtant laissé entrevoir sa volonté de s’investir fortement sur les enjeux de la Méditerranée.
Dès lors, faut-il aujourd’hui que le Parlement se prononce par un vote ? Si la question pouvait se poser hier, la réponse s’impose aujourd’hui : elle s’impose pour des questions tant d’ordre juridique que d’ordre politique.
Au sujet du conflit de 2003, qui est devenu pour l’opinion le syndrome irakien du mensonge d’État, François Hollande, à l’époque, réclamait à l’Assemblée nationale un vote par respect « de la primauté du droit » et du « rôle des Nations unies ».
Comment pourrait-on priver le Parlement de l’expression de ce droit, alors qu’aujourd’hui nous nous trouvons privés du soutien des Nations unies, que les deux principales puissances occidentales, les États-Unis et la Grande-Bretagne, se sont engagées à saisir leur parlement et que le premier ministre canadien vient de faire savoir que son pays n’entendait pas participer à une telle frappe militaire ?
Or c’est bien le sens de l’article 50–1 de la Constitution, qui précise très clairement que le Gouvernement « peut, de sa propre initiative […], faire, sur un sujet déterminé, une déclaration qui donne lieu à débat et peut, s’il le désire, faire l’objet d’un vote sans engager sa responsabilité ».
Il va sans dire que la France ne peut agir seule, mais la coalition, dont on parle de plus en plus, est-elle davantage une garantie ?
Quelle est la cohérence, monsieur le ministre, entre le Canada, qui a dit très tôt ne pas vouloir intervenir militairement, et la Turquie, pour qui la frappe correspond de toute évidence à une notion bien différente puisque, pour le chef du gouvernement turc, cette frappe doit être conduite de façon ferme et résolue avec pour seul objectif la chute de Bachar Al-Assad ?
Mais ce vote s’impose davantage encore pour des raisons politiques.
Si l’origine des tirs semblent aujourd’hui se confirmer, force est de constater que, lorsque la mission des Nations unies rendra ses conclusions, les frappes, qui devaient être dissuasives, vont devenir des frappes aléatoires sur des objectifs incertains et perdre leur effet militaire pour devenir un risque politique.
Hier, le coup de semonce devait être un avertissement ; aujourd’hui, le coup de semonce risque de devenir une déclaration de guerre.
Oui, monsieur le ministre, le risque de cette réaction est aujourd’hui trop grand pour qu’il n’y ait pas l’expression du vote du Parlement, face à une population nationale qui s’interroge et à une population syrienne qui exprime également de plus en plus son inquiétude devant une telle initiative.
Puis-je d’ailleurs souligner que, à ce jour, plus de 12 000 ressortissants français continuent de vivre en Syrie et nous écoutent avec l’attention que vous imaginez ?
Bien évidemment, monsieur le ministre, je ne vous poserai pas la question sur l’Irak : combien y a-t-il eu de morts avant l’intervention, combien de morts pendant l’intervention et combien de morts depuis ?
Or, monsieur le ministre, nos concitoyens se posent cette question.
Est-ce la voie du renoncement ? Non. Nos amis syriens nous disent : « Soit vous n’avez rien à dire, et vous vous taisez, soit vous avez quelque chose à dire, et vous l’assumez ! »
Deux messages nous sont ici adressés.
Le premier message est humanitaire : c’est d’abord la nécessité impérieuse d’une aide massive et urgente, sur le plan humanitaire et sanitaire, en faveur des populations déplacées ou réfugiées qui, selon le Haut-Commissaire de l’ONU, seraient passées en un an de 230 000 à 2 millions, dont plus de la moitié d’enfants.
La Syrie est un pays en ruine, avec une économie anéantie, un patrimoine historique et archéologique dévasté.
Nous sommes à quelques semaines de l’hiver dans une région, monsieur le ministre, où le climat est rigoureux. La communauté internationale ne peut pas laisser des centaines de milliers de Syriens démunis.
Cette question humanitaire est tout autant brûlante en ce qui concerne l’afflux des réfugiés syriens, qui peut devenir un facteur de déstabilisation des pays voisins. Nous pensons tous au Liban et à la Jordanie.
Le second message est politique : il y a quelques jours, le Président de la République affirmait que l’action de la France ne pouvait pas consister, dans un premier temps, à chasser Bachar Al-Assad. Recevant le chef de la coalition nationale syrienne, il précisait : « Tout doit être fait pour une solution politique, mais elle ne le deviendra que si la coalition de l’opposition est capable d’apparaître comme une alternative avec la force nécessaire. »
Oui, après plus de deux ans et demi de conflit, le moment est venu pour que toutes les grandes puissances, dont la France, usent de leur vraie capacité pour imposer à toutes les parties syriennes de se rencontrer.
Le moment n’est plus à poser comme préalable les questions qui doivent être l’objet même des discussions et de la reconstruction de la Syrie.
Oui, si les morts des armes chimiques demandent justice, les 100 000 morts et plus demandent tout autant de ne pas être morts pour rien. C’est un appel qui doit être entendu avant tout par la communauté internationale.
Permettez-moi, pour conclure, de rappeler cette règle de la médecine de la Méditerranée d’il y a plus de 2 000 ans, qui serait l’expression d’Hippocrate : « Être sûr avant d’agir de ne pas nuire par son intervention. »