Intervention de Michel Laurent

Mission d'information sur l'action extérieure de la France — Réunion du 28 mai 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Michel Laurent président directeur général de l'institut de recherche pour le développement ird

Michel Laurent, président directeur général de l'Institut de recherche pour le développement :

L'IRD est un opérateur de recherche singulier dans le paysage académique français, car il hérite de soixante ans de présence dans les territoires d'Outre-mer et les zones tropicales. Érigé dans les années 1980 en établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST), il est placé sous la double tutelle du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et du ministre chargé du développement. Depuis la dernière décennie, il s'est affirmé sur la scène scientifique, comme en témoigne la quantité et la qualité de ses publications relatives à l'environnement, la biodiversité, la gestion de l'eau ou les questions de santé publique, ainsi que l'évaluation qu'en a fait l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES). Les unités mixtes de recherche de l'IRD font désormais partie de la communauté scientifique nationale.

Sa mission est toutefois tournée vers le Sud. Pour la remplir, l'IRD est doté du quatrième budget des EPST français derrière le CNRS, l'Inserm et l'Inra, avec 200 millions d'euros annuels, contre 2,5 milliards d'euros pour le CNRS. Nos fonds propres avoisinent les 30 millions d'euros. Nos 2 300 collaborateurs sont pour moitié des chercheurs, et des personnels techniques pour l'autre moitié - administratifs, ingénieurs, notamment. Près de 40 % de nos moyens humains sont employés hors de la métropole, outre-mer ou dans l'un des vingt-cinq pays méditerranéens, africains, latino-américains ou d'Asie du Sud-Est dans lesquels nous sommes implantés.

Les programmes que nous conduisons se rapportent tous aux éléments du triptyque suivant : formation, recherche, innovation. Nos domaines de prédilection exigent en effet une importante formation de cadres, supposent de conséquents transferts de technologie et la construction de chaînes d'innovation dont la nature varie selon le niveau de développement du partenaire et les moyens qu'il consacre à ces questions - celui du Mali n'étant pas celui du Brésil, par exemple.

Par un mécanisme d'extension de compétences, l'IRD a pu constituer un réseau à l'échelle mondiale : par exemple, la présence au Kenya est facteur de coopérations renforcées avec la Tanzanie. Avec des représentants permanents dans près de 47 pays, nous couvrons une zone significative du globe.

Nous développons depuis les années 2000 de nouveaux instruments de partenariat. Lancés en 2007-2008 pour une durée de 4 ans, les laboratoires mixtes internationaux (LMI) seront bientôt en phase d'évaluation. Un fort engouement pour ce type de structures a déjà été observé dans les pays du Sud, davantage habitués jusqu'alors à se voir imposer l'approche, les moyens et les compétences de son partenaire du Nord. Nos LMI fonctionnent différemment, puisqu'ils reposent sur la co-construction, en respect d'une Charte sur l'éthique du partenariat : la vision des enjeux, la direction de la structure, son pilotage et son évaluation sont entièrement partagés.

Cette approche nouvelle de la coopération est rendue possible par la présence physique que nous entretenons dans les pays partenaires. Sur nos 168 millions d'euros de masse salariale, 30 millions sont consacrés au support de l'expatriation. Parfois considérée comme un vestige du passé, la présence physique des ingénieurs et des chercheurs est pourtant indispensable à la construction de partenariats solides : l'élaboration d'une stratégie, la mise à niveau des partenaires, la formation de docteurs, requièrent trois à quatre ans de travail. 65 % à 70 % de la recherche française est aujourd'hui réalisée sur le mode de la coopération internationale. L'Allemagne est notre premier partenaire, les États-Unis notre premier partenaire hors d'Europe, mais les programmes que nous menons avec ces Etats ne s'appuient guère sur l'expatriation.

Nos 200 millions d'euros comptent pour 2,4 % de l'aide publique au développement de la France, ce qui nous confère un fort sentiment de responsabilité. Mais il faudra un jour s'interroger sur la compatibilité de notre stratégie nationale de recherche, conduite aujourd'hui par Mme Fioraso dans le cadre de la stratégie européenne « Horizon 2020 », avec notre politique d'aide publique au développement.

Venons-en à la recherche proprement dite. Auparavant, les programmes de recherches étaient conduits par des chercheurs à titre individuels, parfois dans plusieurs pays à la fois. L'on pouvait alors se targuer de conduire 2 500 programmes dans le monde, ce qui n'était guère éclairant. Nous avons rationalisé tout cela en une dizaine de programmes pilotes régionaux : l'un est par exemple conduit avec les Etats de la bande sahélienne, un autre en partenariat avec l'Agence panafricaine de la grande muraille verte, destinée à lutter contre la désertification. En rationalisant nos chantiers, nous rassemblons nos partenaires sur le principe d'un copilotage.

La participation financière que nous engageons est soutenue par l'Agence nationale de la recherche (ANR). Celle-ci ne peut en effet financer directement les pays du Sud, donc nous sommes obligés de recourir à un artifice faisant de ces derniers nos prestataires de service, ce qui n'est pas admissible. De nombreux programmes bénéficient en outre du 7e programme cadre de recherche et de développement (PCRD) de l'Union européenne. L'IRD anime également des chantiers de recherche conduits dans le cadre des programmes Era-net (European research area network) et Inco-net (International cooperation network) en Amérique latine, en Asie et dans le Pacifique.

Nous ne sommes pas habilités à délivrer de diplômes. Or nos partenaires sont demandeurs d'investissements dans la formation, au niveau master et doctorat. Nous finançons donc des bourses, 85 nouvelles par an. Les lauréats réalisent la moitié de leur thèse dans un laboratoire français ou européen, l'autre moitié chez eux, afin de ne pas rendre trop difficile leur retour au pays. Notre réseau d'anciens, ou d'alumni comme l'on dit désormais, réunit près de 600 docteurs des pays du Sud. De nombreux ministres de ces pays ont été formés par des chercheurs de l'IRD, à l'instar du nouveau commissaire de l'Union africaine pour le développement humain, les sciences et la technologie, en remplacement de Jean-Pierre Ezin. Mais peu connu, quoique très efficace à moyen et long terme, ce réseau est encore insuffisamment exploité.

Nos partenaires évoquent plus spontanément la « recherche et développement », lorsque nous parlons de « recherche pour le développement ». Nous avons donc évolué dans notre approche des choses. En Afrique de l'Ouest, nous avons créé avec les six universités publiques sénégalaises le premier incubateur public, destiné à donner les moyens à des porteurs de projets d'entreprise de les concrétiser. Le programme d'aide à la création d'entreprises innovantes en méditerranée (Paceim), porté par la France après avoir été aidé à ses débuts par l'Union européenne, a pour ambition de soutenir, grâce à une bourse financée pendant deux ans, 100 étudiants créateurs d'entreprise innovantes dans les pays du Maghreb et au Liban.

Dans le cadre du grand emprunt, en partenariat avec le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et l'Institut Pasteur, nous soutenons un projet de valorisation de brevets vers les pays du Sud, thématique délaissée au niveau national. Doté de 10 millions d'euros, ce programme court sur dix ans. Il réunit les brevets dormants dans les organismes français de recherche et développement pour les constituer en grappes, et les valoriser auprès d'industriels dans les marchés du Sud. Notre portefeuille se compose aujourd'hui d'une centaine de brevets dont le retour sur investissement comble les coûts d'entretien. En outre, dans 20 % des cas, la propriété du brevet est partagée entre l'IRD et son partenaire. Nous espérons porter ce chiffre à 50 %.

Les statuts de l'IRD ont été modifiés en 2010, au terme d'un processus enclenché en 2005, date à laquelle un comité ministériel avait proposé de faire de l'Institut une agence. L'Agence inter-établissements de recherche pour le développement (AIRD) est portée par le Cirad, le CNRS, l'Inserm, l'IRD, l'Institut Pasteur et la conférence des présidents d'universités. Peu soutenue financièrement, l'AIRD ne peut avoir de véritable fonction de financement et se cantonne à l'ingénierie de programmes de recherche.

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