Nous recevons aujourd'hui M. Michel Laurent, directeur général de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), ainsi que M. Jean-Joinville Vacher, adjoint au directeur général délégué à la science. Cette mission commune d'information a pour objectif de documenter l'action menée hors de France par l'Etat en matière de recherche et développement, domaine dans lequel l'IRD a acquis une certaine expérience depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Les recommandations que nous formulerons sur la base de cette documentation viseront à améliorer les partenariats que nous avons noués avec les pays du Sud.
L'IRD est un opérateur de recherche singulier dans le paysage académique français, car il hérite de soixante ans de présence dans les territoires d'Outre-mer et les zones tropicales. Érigé dans les années 1980 en établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST), il est placé sous la double tutelle du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et du ministre chargé du développement. Depuis la dernière décennie, il s'est affirmé sur la scène scientifique, comme en témoigne la quantité et la qualité de ses publications relatives à l'environnement, la biodiversité, la gestion de l'eau ou les questions de santé publique, ainsi que l'évaluation qu'en a fait l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES). Les unités mixtes de recherche de l'IRD font désormais partie de la communauté scientifique nationale.
Sa mission est toutefois tournée vers le Sud. Pour la remplir, l'IRD est doté du quatrième budget des EPST français derrière le CNRS, l'Inserm et l'Inra, avec 200 millions d'euros annuels, contre 2,5 milliards d'euros pour le CNRS. Nos fonds propres avoisinent les 30 millions d'euros. Nos 2 300 collaborateurs sont pour moitié des chercheurs, et des personnels techniques pour l'autre moitié - administratifs, ingénieurs, notamment. Près de 40 % de nos moyens humains sont employés hors de la métropole, outre-mer ou dans l'un des vingt-cinq pays méditerranéens, africains, latino-américains ou d'Asie du Sud-Est dans lesquels nous sommes implantés.
Les programmes que nous conduisons se rapportent tous aux éléments du triptyque suivant : formation, recherche, innovation. Nos domaines de prédilection exigent en effet une importante formation de cadres, supposent de conséquents transferts de technologie et la construction de chaînes d'innovation dont la nature varie selon le niveau de développement du partenaire et les moyens qu'il consacre à ces questions - celui du Mali n'étant pas celui du Brésil, par exemple.
Par un mécanisme d'extension de compétences, l'IRD a pu constituer un réseau à l'échelle mondiale : par exemple, la présence au Kenya est facteur de coopérations renforcées avec la Tanzanie. Avec des représentants permanents dans près de 47 pays, nous couvrons une zone significative du globe.
Nous développons depuis les années 2000 de nouveaux instruments de partenariat. Lancés en 2007-2008 pour une durée de 4 ans, les laboratoires mixtes internationaux (LMI) seront bientôt en phase d'évaluation. Un fort engouement pour ce type de structures a déjà été observé dans les pays du Sud, davantage habitués jusqu'alors à se voir imposer l'approche, les moyens et les compétences de son partenaire du Nord. Nos LMI fonctionnent différemment, puisqu'ils reposent sur la co-construction, en respect d'une Charte sur l'éthique du partenariat : la vision des enjeux, la direction de la structure, son pilotage et son évaluation sont entièrement partagés.
Cette approche nouvelle de la coopération est rendue possible par la présence physique que nous entretenons dans les pays partenaires. Sur nos 168 millions d'euros de masse salariale, 30 millions sont consacrés au support de l'expatriation. Parfois considérée comme un vestige du passé, la présence physique des ingénieurs et des chercheurs est pourtant indispensable à la construction de partenariats solides : l'élaboration d'une stratégie, la mise à niveau des partenaires, la formation de docteurs, requièrent trois à quatre ans de travail. 65 % à 70 % de la recherche française est aujourd'hui réalisée sur le mode de la coopération internationale. L'Allemagne est notre premier partenaire, les États-Unis notre premier partenaire hors d'Europe, mais les programmes que nous menons avec ces Etats ne s'appuient guère sur l'expatriation.
Nos 200 millions d'euros comptent pour 2,4 % de l'aide publique au développement de la France, ce qui nous confère un fort sentiment de responsabilité. Mais il faudra un jour s'interroger sur la compatibilité de notre stratégie nationale de recherche, conduite aujourd'hui par Mme Fioraso dans le cadre de la stratégie européenne « Horizon 2020 », avec notre politique d'aide publique au développement.
Venons-en à la recherche proprement dite. Auparavant, les programmes de recherches étaient conduits par des chercheurs à titre individuels, parfois dans plusieurs pays à la fois. L'on pouvait alors se targuer de conduire 2 500 programmes dans le monde, ce qui n'était guère éclairant. Nous avons rationalisé tout cela en une dizaine de programmes pilotes régionaux : l'un est par exemple conduit avec les Etats de la bande sahélienne, un autre en partenariat avec l'Agence panafricaine de la grande muraille verte, destinée à lutter contre la désertification. En rationalisant nos chantiers, nous rassemblons nos partenaires sur le principe d'un copilotage.
La participation financière que nous engageons est soutenue par l'Agence nationale de la recherche (ANR). Celle-ci ne peut en effet financer directement les pays du Sud, donc nous sommes obligés de recourir à un artifice faisant de ces derniers nos prestataires de service, ce qui n'est pas admissible. De nombreux programmes bénéficient en outre du 7e programme cadre de recherche et de développement (PCRD) de l'Union européenne. L'IRD anime également des chantiers de recherche conduits dans le cadre des programmes Era-net (European research area network) et Inco-net (International cooperation network) en Amérique latine, en Asie et dans le Pacifique.
Nous ne sommes pas habilités à délivrer de diplômes. Or nos partenaires sont demandeurs d'investissements dans la formation, au niveau master et doctorat. Nous finançons donc des bourses, 85 nouvelles par an. Les lauréats réalisent la moitié de leur thèse dans un laboratoire français ou européen, l'autre moitié chez eux, afin de ne pas rendre trop difficile leur retour au pays. Notre réseau d'anciens, ou d'alumni comme l'on dit désormais, réunit près de 600 docteurs des pays du Sud. De nombreux ministres de ces pays ont été formés par des chercheurs de l'IRD, à l'instar du nouveau commissaire de l'Union africaine pour le développement humain, les sciences et la technologie, en remplacement de Jean-Pierre Ezin. Mais peu connu, quoique très efficace à moyen et long terme, ce réseau est encore insuffisamment exploité.
Nos partenaires évoquent plus spontanément la « recherche et développement », lorsque nous parlons de « recherche pour le développement ». Nous avons donc évolué dans notre approche des choses. En Afrique de l'Ouest, nous avons créé avec les six universités publiques sénégalaises le premier incubateur public, destiné à donner les moyens à des porteurs de projets d'entreprise de les concrétiser. Le programme d'aide à la création d'entreprises innovantes en méditerranée (Paceim), porté par la France après avoir été aidé à ses débuts par l'Union européenne, a pour ambition de soutenir, grâce à une bourse financée pendant deux ans, 100 étudiants créateurs d'entreprise innovantes dans les pays du Maghreb et au Liban.
Dans le cadre du grand emprunt, en partenariat avec le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et l'Institut Pasteur, nous soutenons un projet de valorisation de brevets vers les pays du Sud, thématique délaissée au niveau national. Doté de 10 millions d'euros, ce programme court sur dix ans. Il réunit les brevets dormants dans les organismes français de recherche et développement pour les constituer en grappes, et les valoriser auprès d'industriels dans les marchés du Sud. Notre portefeuille se compose aujourd'hui d'une centaine de brevets dont le retour sur investissement comble les coûts d'entretien. En outre, dans 20 % des cas, la propriété du brevet est partagée entre l'IRD et son partenaire. Nous espérons porter ce chiffre à 50 %.
Les statuts de l'IRD ont été modifiés en 2010, au terme d'un processus enclenché en 2005, date à laquelle un comité ministériel avait proposé de faire de l'Institut une agence. L'Agence inter-établissements de recherche pour le développement (AIRD) est portée par le Cirad, le CNRS, l'Inserm, l'IRD, l'Institut Pasteur et la conférence des présidents d'universités. Peu soutenue financièrement, l'AIRD ne peut avoir de véritable fonction de financement et se cantonne à l'ingénierie de programmes de recherche.
Vingt-sept.
Comment leurs sujets de recherche sont-ils choisis ? Comment leurs équipes sont-elles constituées ? Quelle est la genèse de ces laboratoires ? Y a-t-il un équilibre entre chercheurs, ingénieurs et doctorants des pays du Nord et du Sud ? Selon quelle logique administrative fonctionnent-ils ? Quel est leur poids financier et quelles sont leurs perspectives ?
Les LMI sont les figures de proue de notre politique de coopération en matière de recherche, qui permettent aux pays du Sud de passer du statut d'hébergeur à celui de partenaire de projets de recherche. La réflexion a commencé en 2007, et le premier appel d'offres a été lancé en 2008. Notre présence physique nous a garanti une bonne connaissance des acteurs.
Les LMI sont adossés à des unités mixtes de recherche, aujourd'hui au nombre de 58. Les universités sont présentes dans plus de 70 % d'entre elles, et le CNRS est notre premier partenaire. Grosses machines, souvent composées de plus d'une centaine de chercheurs, les unités mixtes de recherche transmettent dans les pays du Sud leur force de frappe au moyen des LMI. Ainsi, certaines universités d'abord réticentes à s'y engager, comme Paris VI ou Montpellier II, y ont finalement vu un moyen d'accroître leur visibilité dans les pays du Sud.
La première année, nous finançons un LMI sur nos ressources propres. Ces laboratoires regroupent généralement une dizaine de chercheurs du Nord et entre cinq et dix du Sud. En fonctionnement, donc hors coûts d'expatriation et moyens consacrés à la conduite du projet, ils coûtent 40 000 à 50 000 euros, ce qui, pour nous, n'est pas négligeable. Ces moyens sont confiés à la codirection du laboratoire. Ils devraient être investis intégralement au Sud. Actuellement, les fonds que nous engageons dans les structures présentes sur le territoire français servent pour partie à leur fonctionnement. Or nos fonds sont portés intégralement au crédit de l'aide publique au développement. Les règles pourraient être revues, comme l'OCDE et la BEI semblent l'admettre.
Il est rare que les LMI accueillent plus de deux ou trois chercheurs expatriés. Nous n'en avons pas les moyens. Mais il n'y a pas de laboratoire sans expatriés. Les établissements de recherche qui ont une structure en réseau n'ont pas de laboratoires aussi structurés que les nôtres. Les LMI sont constitués pour quatre ans, bientôt cinq par souci de cohérence avec les unités de recherche françaises. Leur fonctionnement exige un engagement sur deux fois cinq ans, délai indispensable à ce que l'investissement dans la formation des docteurs et dans leur intégration au tissu économique international produise ses fruits.
Oui. J'étais la semaine dernière au Vietnam, deuxième exportateur mondial de riz. L'un de nos LMI y travaille sur la culture du riz. Le changement climatique, la salinisation des terres et l'apparition de maladies font en effet craindre de nombreux problèmes économiques auxquels la recherche doit apporter une réponse. Nous travaillons ensemble : le président de l'académie nationale vietnamienne des sciences agronomiques a souhaité cofinancer les projets du laboratoire - tandis qu'auparavant, les pays du Sud attendaient que nous investissions. Nous dialoguons également sur les enjeux de fond : le Vietnam souhaitait l'étendre à la filière café, nous nous y sommes opposés.
Nous avons cinq LMI au Maroc, à la demande du ministre marocain de l'enseignement supérieur et de la recherche, au nom des relations étroites qui unissent nos systèmes respectifs d'enseignement supérieur. Mais nous ne pourrons pas déployer 200 laboratoires dans le monde, car ce n'est pas notre vocation.
Les LMI ne fonctionneraient-il pas mieux dans des pays dont le niveau de développement se situe dans une tranche intermédiaire-supérieure ?
En 2008, les LMI se sont développés très vite en Amérique latine, et surtout au Brésil car le niveau de base est en effet plus élevé. Mais les LMI se déploient désormais partout dans le monde, Afrique centrale et de l'Ouest comprise.
Il y a une plateforme de bon niveau : la cellule franco-indienne de recherche en sciences de l'eau (Cefirse).
Les LMI ne sont pas présents que dans les pays émergents. Les pays un peu moins avancés donnent une importance croissante à la recherche et à l'enseignement supérieur, et ils sont nombreux à souhaiter un accompagnement. Les LMI, instruments de copilotage de ces politiques, sont pour ces Etats des outils tout à fait adéquats.
Comment inscrivez-vous votre action dans la stratégie européenne en matière de recherche ?
Dans le cadre du 7e PCRD et du partenariat euro-méditerranéen, nous avons lancé un certain nombre d'initiatives avec nos partenaires allemands. Dans le cadre du partenariat franco-allemand, nous avons en outre développé des programmes en direction de l'Afrique. Nous avons porté un appel d'offres de recherches, pas aussi ambitieux que nous l'aurions souhaité, notamment dans sa partie financement.
Nous essayons, grâce à notre présence au sein des alliances - je suis vice-président d'AllEnvi - de considérer les pays du sud, non pas seulement comme terrains de science, mais aussi comme des sociétés dont l'identité doit être respectée. Ce n'est pas simple, mais les Allemands y parviennent : pourquoi la France ne mettrait-elle pas un point d'honneur à faire passer ce message ? C'est au ministère de l'enseignement supérieur de tenir ce discours, notamment au niveau européen. S'il ne le fait pas, cela complique notre tâche.
Les enjeux du changement climatique, de la biodiversité et des maladies émergentes appellent des réponses communes et une collaboration étroite entre le nord et le sud. Le sud doit être perçu comme un acteur complémentaire.
Aidez-vous les équipes de recherche dans les procédures très lourdes d'accès aux fonds européens de recherche et de développement ?
Oui. Notre cellule Europe se mobilise autour de deux actions. Elle accompagne les équipes chercheurs de l'IRD pour répondre aux appels d'offres dits du FP7 (7ème programme-cadre), et a remporté de jolis succès. Elle travaille également sur l'Era-net et l'Inco-net . Sur tous ces programmes coopératifs, nos résultats sont honorables et je suis fier que l'IRD coordonne cinq instruments de recherche, à comparer aux six du CNRS. Lorsque nous participons à la coordination de programmes comme Pace-net (Pacific Europe network for science and technology), programme de coopération européen à l'échelon du pacifique intégrant l'Australie, la Nouvelle-Zélande, ou des Etats insulaires pauvres comme le Vanuatu, nous sommes vraiment dans notre coeur de métier.
L'IRD organise au mois de juin à Marseille la rencontre officielle des points de contact nationaux pour la Méditerranée et l'Amérique latine. Nous sommes un peu le leader au niveau européen de la coordination scientifique.
Nous recevrons dans quelques semaines la conseillère en science et recherche de M. Barroso, Mme Anne Glover. Nous avons beaucoup d'échanges avec des Européens ; la plupart d'entre eux trouvent que l'IRD est un outil extraordinaire. En Europe, la majorité des instituts sont spécialisés, qu'il s'agisse de la santé, de la recherche en agronomie tropicale, et mobilisent une centaine de chercheurs, voire 150, sur un domaine précis. Avec ses 2 300 agents pluridisciplinaires, l'IRD fait envie.
Depuis 2007-2008, vous dites chercher des relations d'égal à égal avec vos partenaires, sans passer par des prestations de services. L'IRD est une petite structure dans le domaine de la recherche française et encore plus européenne. Cependant, à l'échelle des pays du sud, c'est un grand organisme. Dans ces conditions, comment une relation d'égal à égal est-elle possible ?
Dans les pays avec lesquels nous travaillons, nous avons souvent des accords de siège avec le ministère des affaires étrangères. Nous signons dans la plupart des cas une convention avec le ministère de l'enseignement et de la recherche. De manière générale, un accord-cadre avec un ministère est presque systématique. Nous avons également des accords particuliers avec les institutions et les universités. Dans le continent africain, celles-ci explosent, souvent dans des secteurs d'excellence. Ce qui importe n'est pas tant le volume que la singularité et le caractère innovant de notre offre. Ce qui fait la différence, c'est notre réseau. Dans le cadre du forum mondial sur l'eau à Marseille et de la Conférence des Nations unies Rio+20, nous avons noué un partenariat fort, visible et emblématique avec le Brésil. Celui-ci s'est considérablement ouvert à l'international ces dernières années et se montre très intéressé par l'Afrique. Lorsque les Brésiliens ont compris nos activités en Afrique, ils ont voulu développer un grand partenariat tripartite. Nous avons lancé un appel d'offres, cofinancé par les Brésiliens, l'agence panafricaine de la grande muraille verte et l'agence inter-établissements de recherche pour le développement (AIRD). Autre particularité de notre action : dans ces pays, nous travaillons avec les universités et les instituts mais également dans le cadre d'un partenariat à l'échelle du pays. Aucune université en France ne peut le faire.
Les stratégies régionales permettent de réduire les déséquilibres. Ainsi, nous avons monté un groupe avec le Pérou, l'Equateur et la Colombie pour travailler sur les séismes et le volcanisme, qui concernent toute la région andine. La régionalisation permet notamment d'atteindre une masse critique de chercheurs de part et d'autre.
Quels sont les succès emblématiques de l'IRD en termes de contribution au développement ?
Comme le démontre son rapport d'activité, l'IRD est singulier à deux titres. Sa première spécificité est de mener des activités de recherche pour le développement dans le sud, activités qui ne constituent absolument pas une recherche de seconde zone. Ses succès scientifiques sont incontestables : l'IRD publie chaque année 12 à 15 articles dans les trois plus grandes revues mondiales : Nature, Science et PNAS (Proceedings of the National Academy of sciences). Pour un institut ne comptant que 750 chercheurs actifs, c'est un bon indicateur de performance. Si nous pouvons comprendre le sida, la biodiversité, le changement climatique, c'est parce que nous étudions ces enjeux de façon globale, à partir du sud.
Tous nos indicateurs ont progressé de 2000 à 2010. Autre spécificité de l'IRD : plus de 50 % de nos publications sont cosignées par des chercheurs du sud.
Un exemple : les équipes de l'IRD étudient au Pérou le grand courant de Humboldt, qui concerne 10 à 15 % des ressources halieutiques de la planète. L'Imarpe (El Instituto del Mar del Perú ), institut de recherche péruvien sur la pêche, commençait à y travailler. Nos équipes se sont installées à l'Imarpe et ont étudié cet écosytème particulier. Désormais, la flotille compte 2 600 bateaux et le Pérou est devenu le premier producteur d'anchois au monde en 2007 ou 2008. Or, l'autorisation de pêcher des anchois dépend directement du ministère de la pêche péruvien, qui s'appuie lui-même sur l'Imarpe. C'est un exemple de décision publique impactée par les résultats de la recherche partenariale en LMI.
Autre exemple : dans les années 1995-1997, une unité de l'IRD a fait breveter Plumpy nut, une pâte à base d'arachide pour lutter contre la malnutrition infantile. Le brevet a été acheté par Nutriset, un industriel français qui produit aujourd'hui 55 000 tonnes de produits par an, et a sauvé 7 millions d'enfants. Il y a deux ans, des journaux américains nous ont accusés de faire du business avec la malnutrition infantile. Cela nous a perturbés, et nous avons décidé de rendre la licence gratuite en Afrique: toute entreprise peut désormais se la procurer sur internet. La polémique a cessé immédiatement.
Avez-vous des relations particulières avec l'Agence française de développement (AFD) ? Vous arrive-t-il de jouer l'interface entre des porteurs de projets issus de la recherche ?
Depuis deux ans, nos relations sont régies par une convention cadre. L'AFD finance le développement dans les pays du sud et nous y développons une activité de recherche : il est logique que nos activités se croisent, notamment dans le cadre du fonds français de l'environnement mondial (FFEM), géré par l'AFD. Nous menons ensemble des opérations emblématiques : l'IRD investit dans le sud, et l'AFD finance les mécanismes de restitution de la dette. Ainsi, l'AFD est partie prenante aux accords de haute technologie que nous avons conclus avec le Gabon et Haïti dans le domaine des images satellitaires.
Nous projetons également d'installer l'IRD à Marseille, aux côtés de l'AFD qui y possède déjà son centre de formation. Dans le cadre du projet métropolitain, nous avons développé un programme de cité de la coopération internationale où seraient représentées les institutions françaises et internationales, notamment la Banque Mondiale.
Nous cherchons également des partenaires pour garantir l'avenir du programme d'aide à la création d'entreprises innovantes en Méditerranée (Paceim) que nous ne pouvons financer que trois ans. Son succès phénoménal nous contraint à chercher un partenaire : Proparco (société de promotion et de participation pour la coopération économique), Oséo...
Quelles sont vos principales difficultés ? Quelles améliorations sont-elles souhaitables ?
Depuis deux décennies, l'IRD vit avec une épée de Damoclès. Pour faire bref, l'ex-Orstom (office de la recherche scientifique et technique outre-mer) était déjà accusé d'être l'héritier d'une posture postcoloniale. Moi-même, ancien président d'université, - je suis entrée à l'IRD en 2006 -, j'ai été associé aux instances d'évaluation du CNER (comité national d'évaluation de la recherche) à la fin des années quatre-vingt-dix : son jugement était alors peu amène... A la fin de la décennie, le président Lazare a mené une réforme pour faire passer l'IRD du statut d'institut physique, scientifique et technique à celui d'un véritable organisme de recherche ; nous sommes passés de 100 à 58 laboratoires. La décennie suivante a vu la science progresser et depuis quatre ou cinq ans, nous sommes plutôt exemplaires en matière d'éthique de partenariat. Lors des assises, un grand débat a eu lieu, avec les syndicats notamment. Aujourd'hui, l'IRD fait l'objet d'une inspection conjointe des ministères de l'enseignement supérieur et de la recherche et des affaires étrangères : commandée par les cabinets de Mme Fioraso et de MM. Fabius et Canfin, elle devrait rendre ses conclusions en juin, notamment au sujet d'un instrument que nous avons mis en place en 2010, l'agence, qui fait l'unanimité contre elle, notamment des chercheurs qui craignent qu'elle ne consomme leurs crédits. En revanche, nous commençons à obtenir de belles réalisations avec nos programmes pour le sud. Nous sommes habitués au débat, l'institut est bousculé tous les cinq ou dix ans... L'inspection, lancée en septembre dernier, dans un contexte national difficile, a cependant suscité une grande inquiétude, même si notre bilan est très positif. Lors de la clôture des Assises du développement et de la solidarité internationale, le président de la République a annoncé la tenue d'un comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) en juillet prochain. Notre fin y sera-t-elle annoncée ? Vous imaginez quelle peut être l'angoisse au sein de l'IRD.
L'agence a été créée en juin 2010 et mise en place au printemps 2011. L'inspection a été lancée dix-huit mois après : le coup a été rude ! Un laboratoire est d'ordinaire évalué au bout de quatre ou cinq ans... Pour un projet aussi complexe que l'agence, il aurait été logique d'attendre au moins l'échéance du contrat d'objectifs qui court jusqu'en 2015. Ce que nous regrettons, c'est de n'avoir jamais eu le moindre soutien financier. Le Sud n'est pas dépourvu de moyens : aux côtés des organisations internationales, il existe des fondations privées, souvent américaines. La France donne beaucoup pour le sida, mais les fonds vont aux organisations internationales, sans véritable idée du retour, malgré l'importance des sommes engagées. Si la décision politique était prise de doter l'agence de 5 à 10 millions d'euros en guise d'amorçage, les effets de levier seraient très importants au Sud.
A côté de cette inspection, nous avons également été évalués par une commission internationale d'experts du Sud, du Nord, et français. Elle a estimé notre positionnement original et indispensable, reconnu notre recherche de qualité et notre intégration dans le tissu scientifique français et européen. Nous ne sommes pas parfaits et demeurons ouverts aux améliorations. Cependant notre communauté scientifique s'interroge : jusqu'à quand devrons-nous nous justifier ?
On en demande beaucoup à cette communauté qui fait un travail honorable et qui a acquis une bonne visibilité. Des universités comme Paris 6 se rendent compte lorsqu'elles viennent au Brésil de l'intérêt qu'elles ont à utiliser nos outils. Nous sommes dans une dynamique : tout ne peut être réglé en douze ou quinze mois !
Vous avez eu dans le passé d'excellentes relations avec les écoles d'agronomie françaises. Leur restructuration a-t-elle eu un impact sur l'IRD, notamment en termes de flux d'étudiants ?
Notre partenariat est très important : nous avons cinq laboratoires mixtes avec le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et six avec l'Institut national de la recherche agronomique (INRA). Les autorités de tutelle ont créé Agreenium (Consortium national pour l'agriculture, l'alimentation, la santé animale et l'environnement) pour développer une communauté agronomique française à l'international, conformément aux orientations du CICID. Cela empêche en réalité les rapprochements entre deux établissements ayant les mêmes tutelles, l'IRD et le CIRAD. A Montpellier, nous travaillons dans les mêmes laboratoires, mais au Laos, au Vietnam ou en Afrique, nous sommes concurrents ! Heureusement, nous nous entendons avec la nouvelle direction du Cirad et nous avons un dialogue, mais Agreenium reste un mur qui freine les synergies. Nous ne partageons aucun représentant avec le Cirad, alors que dans le Sud, nous avons parfois un seul représentant avec la conférence des présidents d'université (CPU), le CNRS... Nos partenaires du sud n'y comprennent rien. L'AIRD a été créée pour fédérer le portail français de l'offre Sud. C'était une belle idée, cependant le verrou demeure.
Ma question n'était pas totalement naïve et vous y avez parfaitement répondu.
Quels sont les avantages er inconvénients de la double tutelle ? Sont-elles plutôt complémentaires ou observez-vous des dissonances ?
Le budget de l'IRD est géré par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, ce qui est légitime pour un établissement public scientifique et culturel. Nous sommes aussi sous la tutelle du ministère des affaires étrangères. Poser la question de la double tutelle, c'est aussi poser celle de l'existence de l'IRD. Tout ceci relève d'un choix politique : quelle visibilité souhaite-t-on donner à notre action ? Pour ma part, je considère que le ministère des affaires étrangères doit s'investir beaucoup plus. Si les diplomates ont pris conscience de l'existence d'une diplomatie scientifique, ils nous connaissent mal et sont peu à mêmes de nous défendre. Ils n'ont pas été formés à cela.
Mon expérience diplomatique me permet d'affirmer que cette cotutelle est indispensable. Grâce à elle, nous nous sommes considérablement rapprochés des ambassades. Ce que je regrette, c'est que les ambassades se focalisent sur le nombre de leurs conseillers scientifiques, et oublient les 5 000 chercheurs-enseignants de l'enseignement supérieur qui travaillent directement avec le sud. La France a un outil exceptionnel et original, et il est dommage que la diplomatie scientifique ne le revendique pas davantage. Lors des Assises, le président de la République a repris à son compte le débat sur la cohérence des politiques publiques de développement et il a eu raison : il faut une cohérence entre la politique du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et la politique de développement.
Nous avons eu d'importants chantiers au Tchad et au Mali ; nous menons deux grands programmes emblématiques dans le Tchad, dont une expertise internationale sur le lac Tchad, que nous souhaitons remettre en automne aux autorités. Nous y faisons un certain nombre de préconisations, notamment sur la mise en valeur économique du site, soumis depuis des millénaires à des variations du niveau d'eau. Cette mission s'effectue dans des conditions complexes ; nos chercheurs doivent être protégés par des véhicules blindés et nous faisons tout pour éviter les prises de risque.
Au Mali, nous disposons d'une représentation permanente à Bamako. En raison de son statut en zone rouge, elle fonctionne aujourd'hui avec des emplois locaux, et un seul chercheur de l'IRD. Les chantiers sont nombreux : santé, environnement, eau. Du point de vue politique, dans ces pays en conflit, la science, la recherche, peuvent aider à passer à une autre phase. Les Maliens sont très demandeurs ; le ministre de la recherche apprécie notre présence et nous le fait savoir. Nous pouvons représenter un des éléments de la contribution à la paix et au développement, mais nous avons du mal à faire entendre notre message.