Intervention de Jean-François Delfraissy

Mission d'information sur l'action extérieure de la France — Réunion du 22 mai 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-François delFraissy directeur de l'agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales anrs

Jean-François Delfraissy :

La France a toujours eu un engagement politique sur le VIH/Sida, soutenu par des résultats importants qui ont été obtenus (à commencer par le Prix Nobel décerné à Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier). L'Agence est dotée d'un budget de 45 millions d'euros, tout compris. Celui du National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID), notre équivalent aux Etats-Unis, s'élève à 3 800 millions de dollars, ce qui donne une idée des écarts - sans compter qu'il existe d'autres financements aux Etats-Unis pouvant bénéficier à la recherche sur le Sida, notamment le Centers for Disease Control and Prevention (CDC). La France est le deuxième producteur scientifique international en termes de publications, ce qui constitue un critère comme un autre. Globalement, dans la biologie « santé », la France est en 6ème position. Nous avons donc une sorte de pépite d'excellence dans le domaine du VIH et ce constat vaut aussi dans celui des hépatites. Ce résultat est à mon avis lié à deux éléments. En premier lieu, nous avons une communauté extrêmement soudée, avec de jeunes chercheurs qui témoignent toujours d'un très fort engagement dans la lutte contre le Sida (avec un engagement humain qui dépasse le strict engagement scientifique de chercheurs). La France, à travers ses différents gouvernements, a aussi fait le choix d'appuyer l'ANRS, qui est la seule agence européenne qui poursuive cette dynamique. Un tel instrument constitue un bon moyen de faire avancer les choses. Mes propos sont nécessairement biaisés, puisque je défends l'Agence que je dirige.

Je vois cependant les apports spécifiques permis par une institution qui porte un projet en s'inscrivant dans la durée, en s'appuyant sur une vision et une reconnaissance internationale fortes. Il existe bien sûr des enjeux stratégiques, en termes de recherche, sur le VIH et les hépatites. La recherche se construit au point de rencontre entre un pilotage « par le haut », via des scientifiques qui définissent des priorités pour les années à venir, et des idées qui émergent « par le bas », lorsqu'un groupe de chercheurs soumet une idée neuve, qu'il faut savoir saisir. Il y a donc un équilibre à trouver entre ces deux pôles d'alimentation de la recherche scientifique : un pilotage par le haut, qui doit être très souple, tout en ayant une colonne vertébrale formée par quelques grandes idées stratégiques en fonction de la compétition internationale, et les projets « libres » que la communauté peut déposer tous les six mois. Nous menons des actions sur la prévention, sur le vaccin avec le Sud, sur les traitements de deuxième et troisième ligne, sur l'homosexualité dans un certain nombre de pays africains, sur le passage de résultats scientifiques à des résultats opérationnels dans le cadre de la circoncision ou pour la prévention de la transmission de la mère à l'enfant. Nous avons tout un programme que nous pouvons décliner, construit avec la communauté et avec les chercheurs du Sud.

Je souhaiterais également vous dire quelques mots de la microbiologie et des maladies infectieuses en général. De nombreuses maladies infectieuses sont au Sud. Elles représentent la deuxième grande cause de mortalité au niveau mondial. Les diarrhées ou les pneumopathies chez l'enfant, par exemple, constituent des causes de mortalité très importante.

S'il existe, au niveau français, une construction autour d'une Agence, des financements, des choix stratégiques, il n'en est pas de même dans le domaine des maladies infectieuses en général : nous n'en sommes qu'aux balbutiements et la recherche avec les pays du Sud, sur ces sujets, n'a pas de source de financement en France. Les chercheurs qui travaillent sur les mutants de la grippe ou sur le coronavirus, par exemple, se heurtent à de grandes difficultés pour financer leurs projets. L'ANR (Agence nationale de Recherche) finance la recherche au Nord mais ne peut, pour des raisons statutaires, financer des équipes au Sud. Le PHRC (programme hospitalier de recherche clinique) ne peut pas non plus financer la recherche au Sud. Autrement dit, il manque un guichet pour ce pan de l'activité. L'ANR objecte à ce constat qu'elle est prête à financer des équipes françaises travaillant avec la Corée, par exemple, pourvu que celle-ci finance les équipes coréennes, et ainsi de suite dans les autres pays. Qu'advient-il cependant lorsque nous travaillons avec des pays qui n'ont pas les moyens d'apporter ces financements, alors même qu'un certain nombre d'infections émergentes (tuberculose multi-résistante, bacilles multi-résistants, nouveaux virus émergents) proviennent des pays du Sud. Il n'existe pas de frontière dans ce domaine : la microbiologie et les maladies infectieuses constituent un domaine universel. Comment mettre en place un guichet sur projet qui permette de financer des projets ? Des aménagements sont possibles, au travers de mécanismes assez complexes. L'ANR a cependant une très faible marge de manoeuvre. Ce constat vaut d'ailleurs pour la recherche au Sud d'une façon générale. Seuls les financements européens permettent de contourner cette difficulté mais ils ne suffisent pas, d'autant plus qu'ils ne permettent pas de construire la recherche translationnelle avec de grandes cohortes ou des équipes étoffées.

Il faut également promouvoir une meilleure visibilité et une meilleure coordination des acteurs français qui travaillent dans ces domaines, en particulier dans la recherche et développement. Il existe l'IRD, qui est un EPST (établissement public scientifique et technique) dont 25 % du budget sont consacrés à la santé. A l'intérieur de cette enveloppe, 70 % ou 80 % des fonds sont consacrés aux maladies infectieuses. C'est aussi une des raisons pour lesquelles nous ne pouvons éluder ce sujet.

L'Inserm conduit de nombreuses études avec le Sud mais il s'agit plutôt d'opérations ponctuelles, notamment du fait de liens noués « de chercheur à chercheur ». L'Institut Pasteur joue un rôle fondamental, notamment au travers de son réseau, très hétérogène. Sur les 30 sites de Pasteur, il n'existe plus que trois sites de l'Institut Pasteur stricto sensu, les 27 autres étant des instituts nationaux. Marc Jouan, qui dirige la recherche au Sud à Pasteur, vous confirmera qu'il ne dispose d'aucun guichet. L'Institut Pasteur ne finance pas de nombreux projets qui sont menés au Sud.

Nous avons essayé de combler ce manque à travers Aviesan, alliance autour de la recherche en biologie « santé », pilotée par André Syrota. Nous nous efforçons de construire un groupe « Aviesan Sud » qui regroupe l'ensemble des acteurs impliqués dans la recherche au Sud. Ce groupe rassemble des acteurs institutionnels et des chercheurs. Il vise à mieux s'organiser sur de grandes thématiques.

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