Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me revient avant toute chose de remercier les rapporteurs, Martial Bourquin et Alain Fauconnier, qui ont effectué avec talent et opiniâtreté un travail très important. Ce travail, qui date d’avant les vacances d’été, nous permet d’avoir aujourd’hui ce débat fort intéressant malgré un calendrier législatif contraignant.
Comme cela a été dit, le projet de loi comporte une dimension véritablement historique, car il se propose ni plus ni moins que de conforter le consommateur dans ses droits, en inscrivant pour la première fois ces droits dans un texte qui regroupera, selon un éventail relativement élargi, toutes les embûches et tous les pièges auxquels le consommateur est confronté au quotidien.
Le consommateur est, chacun le sait, un acteur central de notre système économique. Il reste, maintenant plus que jamais, particulièrement vulnérable. Précédemment, notre collègue François Calvet a évoqué l’insécurité juridique ; j’ai l’impression qu’une réflexion de bon sens devrait nous inciter à penser que, si insécurité juridique il y a, c’est plutôt du côté du consommateur qu’il faut la chercher. Ce sera du reste beaucoup moins vrai désormais grâce à la création de l’action de groupe à la française, qui est sans doute la mesure la plus emblématique du projet de loi.
Monsieur le ministre, je veux également saluer votre travail, qui a permis de créer les conditions nécessaires à la réalisation de l’une des promesses de campagne de François Hollande. Le texte que vous nous présentez aujourd’hui, amendé par l’Assemblée nationale, témoigne de votre détermination à lever les obstacles, à passer à travers un maquis d’intérêts contradictoires pour finalement aboutir à la mise en place de mesures très attendues par les Français, qui ont compris qu’elles étaient aussi destinées à les protéger.
Pour ma part, il est cependant un sujet dont je déplore qu’il soit abordé de façon relativement discrète, même si nous en avons déjà parlé cet après-midi : il s’agit de l’obsolescence programmée, sujet qui devrait, à mon sens, trouver toute sa place dans ce débat. Cela permettrait à votre projet de loi de répondre encore mieux aux attentes des consommateurs que je viens d’évoquer.
J’ai du reste déjà eu l’occasion de m’exprimer ici même sur ce sujet, à l’occasion de la question orale avec débat inscrite à l’ordre du jour sur l’initiative de nos collègues du groupe écologiste. Le constat que je faisais, mais que je n’étais pas le seul à faire, puisqu’il semblait largement partagé, était celui d’une dimension véritablement sociétale sur laquelle nous devons nous pencher. Nous semblons en effet collectivement victimes d’une sorte de fatalité qui nous pousse vers un consumérisme aveugle, dépourvu de sens et de conscience, qui prend malheureusement de plus en plus d’ampleur.
Cette tendance nous entraîne lentement mais sûrement dans une impasse avec, à la clé, l’appauvrissement des ressources et l’affaiblissement très préoccupant des écosystèmes dans le cadre d’un fonctionnement économique qui apparaît de plus en plus dépassé, en tout cas pas en mesure d’affronter les enjeux du XXIe siècle. Ce constat révèle en fait une incapacité à inventer un modèle économique qui soit non seulement plus vertueux, plus porteur d’innovations, mais également plus créateur d’emplois, comme vous le souhaitez, monsieur le ministre.
L’innovation consiste aujourd’hui à proposer des solutions aux consommateurs, aux entreprises et à la puissance publique susceptibles de satisfaire non plus les objectifs définis unilatéralement par le marché et le profit, mais ceux qui le sont par les peuples, lesquels marquent de plus en plus leur attachement à une consommation davantage raisonnée et donc durable. Cela pourra se faire en réalisant des efforts bien plus importants en ce qui concerne l’éco-conception des produits de consommation, tout en préservant la dynamique de nos filières industrielles. Ce défi de taille passe par une nouvelle relation qui doit exister entre les consommateurs, les distributeurs et les industriels.
Pour nous engager dans cette voie, nous devons d’abord identifier les pratiques douteuses au moyen d’un diagnostic le plus précis possible et les sanctionner lorsqu’elles constituent une démarche pénalisante vis-à-vis du consommateur. Tout le monde aura compris que je fais ici précisément allusion aux stratégies dites d’obsolescence programmée : il s’agit de l’ensemble des techniques qui visent à mettre sur le marché un produit dont la durée de vie ou l’utilisation potentielle est délibérément raccourcie, notamment par sa conception, afin d’en augmenter le taux de remplacement.
Au cours des débats, j’espère – j’en suis même sûr – que nous aurons l’occasion d’y revenir de manière plus approfondie, car il y a là une réalité que chacun a le sentiment d’avoir vécu, sans pouvoir toujours en démontrer l’existence.
Au passage, je précise que je ne fais pas de procès d’intention aux entreprises vertueuses, nombreuses, qui se comportent bien ou à celles qui commercialisent des produits technologiquement très performants que leur extrême sophistication est susceptible de rendre fragiles.
En revanche, quel que soit le niveau de fabrication, il ne saurait servir à dissimuler des pratiques, que je qualifierai, pour être sympathique, d’expéditives et de simplistes, afin d’en raccourcir la durée de vie. Ces comportements existent, et nous avons tous en tête de nombreux exemples. Le cas le plus typique et le plus banal se présente lorsque nous achetons un produit électroménager tout en sachant, en sortant du magasin, qu’il ne fonctionnera plus dans trois ans et que l’idée même de sa réparation éventuelle ne nous traversera pas l’esprit. À mon sens, c’est une insulte au bon sens et à l’intelligence.
Quelles en sont les conséquences ? Je pense bien sûr, comme il a été dit précédemment dans le débat, à l’épuisement des ressources naturelles, qui s’accompagne d’un renchérissement du prix des matières premières. Je pense également à la saturation de l’environnement par la surproduction de déchets toxiques et son corollaire qui est le coût croissant du retraitement.
Lutter contre l’obsolescence programmée, c’est aussi, dans un registre beaucoup plus positif, promouvoir le secteur de la réparation. Monsieur le ministre, vous avez démontré votre attachement à ce sujet en expliquant que, plutôt que d’échanger ou de remplacer dans le cadre d’une garantie, il convenait avant tout d’essayer de réparer. À la clé, c’est le maintien, voire la création d’emplois qui est en jeu. On sait d’ailleurs que, lorsque des professions n’existent plus, on atteint le seuil de l’irréversibilité.
Pour toutes ces raisons, et parce qu’il importe d’atteindre ces objectifs, votre texte est un outil précieux. Nous devons donc l’étudier non seulement avec le souci d’en préserver l’équilibre initial, mais également avec celui de l’enrichir, autant que faire se peut. Au reste, j’ai cru comprendre que, dans le registre que je viens d’évoquer, à savoir l’obsolescence programmée, vous étiez disposé à entrouvrir la porte. J’espère que cet état d’esprit permettra de laisser toute sa place au débat, notamment sur ce sujet éminemment sociétal.