Intervention de Raymond Vall

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 11 septembre 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Gilles-Pierre Lévy président de la 2e chambre de la cour des comptes sur les conclusions du rapport public thématique consacré à la politique de développement des énergies renouvelables

Photo de Raymond VallRaymond Vall, président :

Nous sommes très heureux de pouvoir entendre ce matin Gilles-Pierre Lévy, président de la 2e chambre de la Cour des comptes, accompagné par ses collègues Henri Paul, Michel Babeau et Jean-Luc Tronco. Vous avez rendu public le 25 juillet dernier un rapport consacré à la politique de développement des énergies renouvelables. Cette audition marque la reprise de nos travaux parlementaires, et coïncide avec la poursuite de plusieurs démarches, dont la conférence environnementale. La présentation de vos conclusions nous sera donc très utile.

M. Gilles-Pierre Lévy, président de la 2e Chambre de la Cour des comptes. - Je vous remercie de nous offrir l'opportunité de présenter les travaux que la Cour a réalisés sur ce sujet. La France, vous le savez, s'est engagée depuis plusieurs années dans une politique d'évolution énergétique. Le président de la République a réaffirmé un objectif allant nettement au-delà des objectifs précédents en ce qui concerne la part de la production électrique d'origine nucléaire dans la production totale d'électricité. De multiples débats sont aujourd'hui en cours. Ce rapport vise donc à fournir aux décideurs quelques éléments de fait.

En introduction, je formulerai deux remarques de méthode et une remarque sur le champ du rapport. Il n'appartient naturellement pas à la Cour de se prononcer sur les objectifs et sur les moyens de les atteindre. En revanche, il entre dans sa mission constitutionnelle d'information des décideurs et des citoyens d'apporter un éclairage sur le bilan de cette politique jusqu'à aujourd'hui, ainsi que sur les choix à faire et les moyens à engager pour tenir les objectifs fixés pour l'avenir. C'est sa manière de contribuer au débat sur la transition énergétique, sans en être un acteur. La Cour a appliqué pour ce rapport la même logique que dans l'étude qu'elle avait livrée en janvier 2012 sur les coûts de la filière électronucléaire. Elle s'est entourée d'un comité d'appui composé d'experts. Ce travail est la synthèse d'une dizaine de travaux menés par la Cour sur les différentes politiques de soutien à des filières, ainsi que sur l'analyse des comptes d'entreprises qui travaillent dans le secteur. Le rapport n'aborde pas le sujet des biocarburants, car la Cour a livré un rapport d'évaluation sur ce sujet en janvier 2012.

Les énergies renouvelables sont trop souvent associées à la seule électricité produite à partir de sources renouvelables. Or, la production d'énergies renouvelables est orientée majoritairement vers la chaleur. Les énergies renouvelables produisant directement de la chaleur représentent 59,4 % du total des énergies renouvelables, devant la production d'électricité d'origine renouvelable. S'agissant de l'électricité, les énergies renouvelables sont avant tout l'hydroélectricité, pour un peu moins de 12 % de la production électrique nette, puis, loin derrière, figurent l'éolien, avec 2,8 %, la biomasse avec 1,1 % et le solaire pour 0,7 %.

Le contenu de ce rapport peut être résumé en quatre messages. Le premier est que la France se situe actuellement dans la moyenne des États européens pour la part des énergies renouvelables dans sa consommation totale d'énergie. Le deuxième est que la France s'est fixé des objectifs particulièrement ambitieux pour 2020, dont l'atteinte sera difficile. Le troisième message est que le coût devrait être important pour le contribuable et le consommateur d'électricité. Le quatrième message est que l'action pour lever les obstacles non financiers au développement des énergies renouvelables est tout aussi essentielle.

Le premier point, tout d'abord : avec 13,1 % d'énergies renouvelables dans sa consommation d'énergie, la France se situe dans la moyenne des États européens. Elle se situe même devant ses principaux voisins, à l'exception de l'Espagne.

Pour sa part électrique, la production française d'énergie se distingue par un faible taux d'émission de dioxyde de carbone, du fait du nucléaire et de l'hydraulique. Le prix de l'électricité est en outre sensiblement inférieur à celui de ses voisins.

La situation favorable de la France en matière d'énergies renouvelables est avant tout le reflet du développement ancien de l'hydroélectricité et de la combustion du bois de chauffage dans nos habitations. Le volontarisme affiché depuis 2005 a fait passer la proportion d'énergies renouvelables de 10,3 % à 13,1 % en 2011. La France visait à l'époque 13,5 % d'énergies renouvelables en 2011. L'effort français peut, au demeurant, apparaître modeste par rapport à d'autres pays européens qui, partant d'un niveau historique plus faible, ont fait des efforts plus importants, en particulier l'Allemagne.

La France s'est fixé des objectifs particulièrement ambitieux pour 2020, dont l'atteinte sera difficile. Avec un objectif de 23 % d'énergies renouvelables dans la consommation totale d'énergie, la France s'est volontairement située, avec l'Irlande, le Royaume-Uni et le Danemark, parmi les quatre États européens qui auront les efforts les plus importants à accomplir. Le supplément de production à réaliser dans les différentes filières entre 2012 et 2020 représente globalement six à sept fois ce qui a été réalisé entre 2005 et 2011. L'atteinte de ces objectifs a un coût significatif qui pourrait sans doute être optimisé.

La Cour s'est penchée sur le coût associé à chacune des sources d'énergie, sujet extrêmement débattu d'autant que ces coûts sont évolutifs. Les coûts auxquels nous sommes parvenus sont proches de ceux qui sont habituellement retenus, sous la forme de fourchettes. Pour mémoire, s'agissant de l'électricité, la Cour avait évalué le coût de l'énergie nucléaire, en prenant en compte le cycle de démantèlement et de gestion des déchets, à un ordre de grandeur de 50 euros par MWh avec le parc actuel. Les nouvelles installations de type EPR pourraient avoir un coût plus élevé, de l'ordre de 70 à 90 euros par MWh.

Certaines filières électriques renouvelables ont des coûts voisins de ceux du nucléaire : l'hydroélectricité de grande capacité et certaines installations éoliennes terrestres, dont les coûts sont compris entre 60 et 100 euros par MWh. Les parcs éoliens en mer, dont les coûts sont mal connus, seraient sensiblement plus chers, entre 123 et 190 euros par MWh. Enfin, le coût de production de l'électricité solaire est le plus élevé, avec une fourchette large en fonction des conditions d'ensoleillement et des techniques, qui va de 100 à 700 euros par MWh.

Il est difficile de se fonder sur ces seules données de coûts de production pour faire des choix pour l'avenir, car les chiffres peuvent évoluer à la baisse en fonction du progrès technologique. Les technologies de l'hydroélectricité, de la biomasse et de l'éolien terrestre sont mûres et les coûts ont peu de chance de diminuer significativement. En revanche, l'énergie photovoltaïque, encore chère, devrait connaître au cours des prochaines années une diminution importante de son coût. L'Agence internationale des énergies renouvelables, l'IRENA, estime que celui-ci pourrait atteindre le niveau très compétitif de 50 dollars par MWh en 2030, alors que son estimation actuelle est de 250 dollars.

Aux coûts de production, il convient d'ajouter le coût de l'intégration au réseau électrique, qui suppose une adaptation du réseau à l'intermittence ainsi qu'à une production plus disséminée. Compte tenu de l'objectif de 23 % en 2020, les gestionnaires de réseaux estiment la charge totale d'adaptation du réseau entre 5 et 6 milliards d'euros. C'est un chiffre important, mais qui n'est pas déraisonnable quand on le rapporte à la consommation totale d'électricité d'un pays de 65 millions d'habitants.

Le système d'aides pour prendre en charge le surcoût de production et favoriser l'implantation des énergies renouvelables prend essentiellement cinq formes.

La première est le tarif de rachat garanti pour la production d'électricité renouvelable. Il est fixé, par arrêté ministériel, à un niveau plus élevé que le prix du marché. L'écart est mis à la charge du consommateur d'électricité, à travers la contribution pour le service public de l'électricité, la CSPE. Ce coût est en train d'exploser. Il était de 582 millions d'euros en 2009 et a atteint 3 milliards d'euros en 2013. Il devrait être de l'ordre de 8 milliards d'euros en 2020, sur la base des engagements pris actuellement. En 2011, en raison du mauvais calibrage des tarifs de rachat de l'électricité photovoltaïque, la filière solaire a capté 62 % de la CPSE au titre des énergies renouvelables, alors qu'elle ne représente que 2,7 % de l'électricité renouvelable. Autrement dit, un MWh d'énergie solaire entraîne une dépense de rachat de 500 euros, alors que cette dépense est de 34 euros pour l'éolien terrestre et 20 euros pour la biomasse. Les coûts de production des énergies renouvelables sont très hétérogènes et, dès lors, la dépense de soutien l'est également.

Le deuxième dispositif de soutien est l'organisation par l'État d'appels d'offres pour de nouvelles installations, par exemple pour l'éolien en mer, avec un tarif de rachat dont le surcoût est lui aussi intégré à la CSPE. La Cour a constaté que le recours aux appels d'offres n'était pas toujours justifié ni efficace pour atteindre les capacités attendues ou pour obtenir le meilleur prix.

Le troisième dispositif de soutien est le crédit d'impôt développement durable pour les équipements de production ou les travaux d'amélioration de l'efficacité énergétique chez les particuliers. Il représente entre 10 et 40 % du coût d'équipement des installations. Son coût, pour les énergies renouvelables, est de 659 millions d'euros en 2011.

Le quatrième dispositif de soutien est le fonds chaleur, géré par l'ADEME. Il accorde des subventions et des aides dont le montant est de 240 millions d'euros par an en moyenne.

Enfin, cinquième dispositif, les aides à la recherche. Le niveau d'aides à la recherche ne représente que 300 millions d'euros par an au maximum. Ce montant doit être comparé aux 2,1 milliards d'euros annuels de soutien à la filière photovoltaïque via la CSPE, pour une production électrique très modeste. La France dépense bien moins en recherche que l'Allemagne ou la Grande-Bretagne. Nous aurions peut-être intérêt à dépenser moins en soutien à la production, et plus dans la recherche pour l'avenir.

Plusieurs de ces dispositifs ont connu des difficultés. Les tarifs de rachat et les dépenses fiscales obéissent à une logique de guichet, ce qui s'est traduit par une bulle photovoltaïque. Les variations dans les dépenses fiscales gênent la planification pour les investissements. Ces à-coups ont un impact négatif.

Au total, la Cour estime que le coût complet de soutien aux énergies renouvelables a dépassé 14 milliards d'euros entre 2005 et 2011, dont 3,3 milliards de CSPE. Il est difficile d'estimer le coût que représentera la réalisation de l'objectif pour 2020. Le coût lié à la CSPE, sur cette période, représentera à lui seul un montant de l'ordre de 40,5 milliards d'euros. À cette somme, s'ajouteront les coûts des mesures fiscales en faveur des énergies renouvelables, des autres aides budgétaires à l'investissement ainsi que les coûts du financement de la recherche publique et la charge d'adaptation des réseaux.

Les retombées socio-économiques jusqu'ici obtenues sont plutôt décevantes. Les emplois ont progressé, mais moins qu'attendu. Ils sont passés, selon l'ADEME, de 58 460 en 2006, à 83 260 en 2012, après un pic à 98 580 en 2010. Le montage des installations d'énergies renouvelables a généralement été réalisé par des entreprises locales. Mais, s'agissant du matériel, certaines éoliennes et surtout la quasi-totalité des modules photovoltaïques ont été importés. De même, certains générateurs de chaleur de type biomasse font appel à des ressources de bois importées. En revanche, l'industrie française est bien positionnée en matière d'hydroélectricité et d'éolien terrestre.

Les décisions à prendre doivent intégrer ces paramètres. Le dispositif de prix d'achat garanti et le fonds chaleur devraient être réorientés vers les filières les moins coûteuses au MWh produit, tout en continuant à encourager la recherche dans les autres filières, qui peuvent s'avérer porteuses d'avenir. Ainsi, le soutien au photovoltaïque intégré au bâti n'a pas fait la preuve de son efficacité et pourrait être remis en cause. La Cour s'interroge également sur l'intérêt d'accroître le soutien à l'électricité géothermique qui, pour le moment, reste en France à un stade plus expérimental qu'industriel. Les tarifs de rachat garanti pourraient être réservés aux filières matures comme l'éolien terrestre. Le niveau des tarifs pourrait être réactualisé à intervalles réguliers afin de mieux suivre et lisser les évolutions de coûts de production. Il conviendrait, enfin, de mieux contrôler le respect des conditions exigées pour le bénéfice du crédit d'impôt développement durable, qui repose sur de simples déclarations des particuliers. Des cas de fraude existent. C'est également le cas pour de petites installations photovoltaïques bénéficiant du tarif de rachat.

Au-delà des obstacles financiers, la Cour a constaté l'existence d'obstacles non financiers au développement des énergies renouvelables.

Les limites physiques sont fortes pour l'hydroélectricité et la biomasse. Le potentiel de développement de l'hydroélectricité est encore substantiel en France, mais l'application de la loi sur l'eau, qui vise à améliorer la qualité écologique des eaux et à favoriser la biodiversité, apporte des limites importantes à ces potentialités. De même, l'implantation de centres importants de production de chaleur et de cogénération électrique, à partir de la biomasse, se heurte à l'insuffisance des ressources mobilisables localement. Le potentiel de la forêt française suffit largement à atteindre les objectifs fixés pour la filière biomasse, mais l'exploitation de la forêt répond à de multiples usages. Le bois énergie ne représente que 7 % de la valeur produite par la filière bois.

Les limites physiques ne sont pas les mêmes selon la géographie. Le photovoltaïque peut encore être développé dans le sud du pays, alors que dans le nord, le coût de l'énergie produite est sans doute excessif à l'heure actuelle. Le littoral peut encore accueillir un nombre important d'éoliennes. Les sites touristiques ne sont cependant pas preneurs de ce type d'ouvrages.

Les limites sont également juridiques. Le cas des éoliennes terrestres illustre comment l'écheveau de normes qui caractérise la réglementation applicable aux éoliennes a constitué un obstacle à leur développement. Le temps qui s'écoule entre le dépôt d'un projet et son raccordement au réseau se situe entre six et sept ans en France, contre deux ans et demi en moyenne en Allemagne. Un assouplissement des règles a commencé avec la loi Brottes de 2013 mais il conviendrait d'aller plus loin, notamment sur le littoral où l'accumulation des règles rend longue et très difficile la construction d'éoliennes, alors que ce sont les implantations à plus fort potentiel.

L'exploitation de la chaleur issue de la géothermie se heurte à l'inadaptation des dispositions du code minier, conçu pour l'exploitation industrielle du sous-sol. Une disposition de la loi de simplification du droit du 22 mars 2012, dite Warsmann II, permet de définir par décret un régime juridique plus adapté. Ce décret n'a toujours pas été publié.

Pour simplifier le cadre de mise en place des énergies renouvelables, l'organisation de l'État doit être adaptée afin d'être plus réactive et plus performante. Il n'y a notamment pas, aujourd'hui, de centralisation des informations statistiques sur les coûts et autres données. La Cour recommande un effort de coordination.

Pour faciliter le développement des énergies renouvelables, les bénéfices environnementaux qu'il entraîne doivent pouvoir être mieux valorisés. Un meilleur fonctionnement du marché des quotas carbone pourrait sans doute y contribuer, de même qu'un développement de la fiscalité sur le carbone. Cela suppose, toutefois, que des mesures du même type soient mises en place chez nos principaux partenaires, si l'on ne veut pas affecter la compétitivité de notre économie.

L'énergie la meilleure est celle qu'on ne consomme pas : la maîtrise de la consommation énergétique peut contribuer à faciliter le développement des énergies renouvelables.

Entre 2005 et 2011, 2,2 millions de tonnes équivalent pétrole d'énergies renouvelables supplémentaires ont été produites, pour un coût global de 14,3 milliards d'euros pour la collectivité. L'effort supplémentaire pour atteindre les objectifs de 2020 représente 15 millions de tonnes équivalent pétrole, soit sept fois plus. L'analyse de la Cour montre que ces objectifs peuvent être atteints, mais que de nombreux obstacles doivent être levés. Cela suppose, notamment, un meilleur ciblage des aides à la production sur les filières les plus efficientes, en prenant en compte la dimension de politique industrielle et le contenu en emploi des décisions prises. Des choix devront être faits concernant les obstacles non financiers, et en matière de recherche.

Pour votre information, la Cour produira, d'ici la fin de l'année, deux autres rapports qui concernent la transition énergétique : le premier évaluera l'état de préparation de la France aux échéances du paquet énergie-climat européen, à la demande de l'Assemblée nationale, et l'autre portera sur les certificats d'économie d'énergie, à la demande du Premier ministre.

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