Intervention de Gilles-Pierre Lévy

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 11 septembre 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Gilles-Pierre Lévy président de la 2e chambre de la cour des comptes sur les conclusions du rapport public thématique consacré à la politique de développement des énergies renouvelables

Gilles-Pierre Lévy :

Les premières questions portaient sur la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables en France et en Allemagne, et l'impact sur la facture des clients. La production d'électricité renouvelable en Allemagne représente 91 TWh, contre 60 TWh en France. L'Allemagne a fait un effort plus important au cours des dernières années sur les énergies éolienne et solaire. Cela a eu une conséquence en termes d'impact de cette production d'énergie intermittente sur les marchés et sur les transports. La France devrait s'inspirer de ce qui s'est passé en Allemagne pour anticiper les adaptations nécessaires. Deux points ont été frappants : le réseau de transport d'énergie allemand n'a pas été à la hauteur, et dans certains cas, le pays s'est trouvé en situation de surproduction et a dû vendre son électricité à prix négatif sur le marché spot. On constate une certaine désorganisation du marché. Retenons ces leçons en France.

Du fait de la baisse du prix du charbon, consécutif au développement des gaz de schiste aux États-Unis, qui fait que les Américains exportent de grandes quantités de charbon qu'ils ne consomment plus, les centrales à charbon deviennent plus rentables. En conséquence, un certain nombre d'énergéticiens sont aujourd'hui contraints de fermer leurs centrales à gaz, dont le coût d'entretien, pour un fonctionnement ponctuel en back up, devient trop élevé. Nous nous plaçons dès lors en situation de risque, en cas d'hiver très froid et de pointe de consommation, de ne plus avoir les moyens de faire face aux besoins. Le blackout est une possibilité réelle. Le marché est désorganisé.

Cette désorganisation s'explique également par le fait que nous savons gérer l'électricité produite en base, comme l'électricité d'origine nucléaire, mais pas aussi bien les énergies intermittentes. Ce n'est pas encore un problème majeur en France, du fait de la part faible des énergies renouvelables. En Europe en revanche, cela peut devenir un problème important.

L'impact de la CSPE sur la facture client représente 20 euros par MWh. La CSPE finance le soutien aux énergies renouvelables, qui augmente rapidement, le soutien au prix de l'électricité dans les îles, et les aides contre la précarité énergétique. La Cour a recommandé d'élargir l'assiette de la CSPE à d'autres que les seuls consommateurs d'électricité. Si elle est amenée à se développer, il faudra soit augmenter davantage la facture, soit élargir l'assiette, aux autres énergies par exemple. Cela pose des questions de fiscalité énergétique, qui vont au-delà de la seule consommation d'électricité.

La Cour a réalisé un travail approfondi l'année dernière sur le coût du nucléaire, qui visait à évaluer le coût complet de l'électricité nucléaire dans le parc actuel. Ce coût inclut le coût de traitement des déchets, le coût de démantèlement des centrales et l'assurance implicite, en cas de catastrophe. Nous avons fait des hypothèses, dans la mesure où nous n'avons, par exemple, pas d'expérience sur le démantèlement d'un parc de quarante centrales. En multipliant par deux l'hypothèse de base, nous ne modifiions que de quelques pourcents le coût total. Cette faible variation s'explique par le fait qu'une partie de ces coûts ne sera subie qu'à long terme. Nous sommes donc appelés à prendre un taux d'actualisation. Le taux que nous avons retenu était comparable aux évaluations des grandes entreprises comme EDF. Ces paramètres sont très importants, dans la mesure où une partie du coût du nucléaire est caché. Nous avons comparé nos méthodes d'évaluation des coûts avec celles de sept à huit pays étrangers. Nous sommes arrivés à une estimation pour le parc actuel de 51 euros par MWh. Le coût des mesures supplémentaires prévues pour la prolongation du parc, soit une cinquantaine de milliards d'euros, majorés de 5 milliards d'euros de précautions demandées par l'Autorité de sûreté nucléaire à la suite de l'accident de Fukushima, ne bouleversait pas les évaluations auxquelles nous sommes arrivés. En revanche, les estimations de l'EPR, qui n'a pour l'heure jamais fonctionné, sont de 70 à 90 euros par MWh. Ces ordres de grandeur ne sont pas radicalement différents de ce qu'on constate pour l'éolien terrestre aujourd'hui en France.

Concernant les parcs offshore, nous avons regardé les appels d'offre pour évaluer leurs coûts, ainsi que les comptes internes d'un certain nombre d'entreprises. Cette filière représente quelques milliers d'emplois, mais suppose, pour être pérennisée, que la France arrive à obtenir des marchés en mer du Nord.

Les bâtiments construits uniquement pour placer des panneaux photovoltaïques sont une réalité. À partir du moment où l'intégré au bâti est bien subventionné, cela devient rentable pour certains opérateurs.

Concernant la recherche et développement, la Cour estime que certaines technologies sont encore évolutives, notamment le photovoltaïque. Le sujet clé en matière de recherche est sans doute le stockage. Les énergies renouvelables présentent souvent l'inconvénient de l'intermittence. Lorsqu'on se retrouve avec des quantités importantes d'électricité produite parce qu'il y a beaucoup de vent ou de soleil, mais qu'il n'y a que peu de consommation, le stockage permettrait de simplifier fortement la gestion de ces situations.

Au sujet des quotas carbone, le fait est que leur prix actuel n'est pas du tout incitatif aux économies de carbone. Le Parlement européen travaille sur cette question.

En ce qui concerne l'idée d'une planification forte, la Cour des Comptes n'a pas été jusqu'à en prôner la nécessité. Nous nous sommes contentés de relever que le pilotage de l'État est éclaté dans le domaine des énergies renouvelables, et qu'une certaine centralisation des données serait souhaitable pour lui permettre de disposer de tous les éléments d'appréciation.

Pour les îles, il faut faire la distinction entre le soutien à la production d'électricité en général et le soutien aux énergies renouvelables : la CSPE finance ces deux objectifs différents.

En ce qui concerne les perspectives à dix ans, certaines filières matures ne laissent pas espérer de ruptures technologiques. On peut en imaginer pour d'autres filières. Sur trente ans, les coûts du photovoltaïque ont baissé régulièrement. Ces tendances vont-elles se prolonger ? Le marché a été perturbé par les surcapacités, et on ne sait pas si les Chinois ont vendu leurs panneaux au coût de revient ou à des prix de dumping.

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