Intervention de Olivier Schrameck

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 10 septembre 2013 : 1ère réunion
Indépendance de l'audiovisuel public — Audition de M. Olivier Schrameck président du conseil supérieur de l'audiovisuel csa

Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) :

Merci de ces questions denses et importantes. Le CSA est pleinement conscient de la mutation, pour ne pas dire plus, que représente le nouveau mode de nomination de ses membres. L'idée en avait germé il y a quelques années. Le comité Balladur avait, par exemple, un moment envisagé de proposer l'approbation de la nomination du Défenseur des droits à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des commissions parlementaires compétentes. Cette procédure garantit non seulement la transparence du choix, puisqu'elle exige un accord entre des personnalités qui se réclament de courants politiques différents, mais aussi un haut degré de compétence des candidats proposés - compétences économiques, juridiques ou techniques qui sont d'ailleurs, désormais, explicitement prévues. Le seul risque est qu'un accord ne puisse être trouvé ; bien que j'aie été témoin de situations de ce genre en Espagne, quand j'y étais ambassadeur de France, j'ai pleine confiance en la sagesse des commissions parlementaires pour s'entendre.

Il me semble que l'on est parvenu ainsi à un équilibre, compte tenu du mode de nomination prévu par la Constitution pour le président du CSA. Celui-ci signe toutes les décisions du Conseil, lequel, doté d'un pouvoir de réglementation et de sanction, participe de la puissance exécutive, comme disent les juristes.

Le CSA avait lui-même proposé en avril, en dehors du contexte que nous connaissons maintenant, la nouvelle procédure de passage de la diffusion gratuite à la diffusion cryptée, ou vice versa. Cette proposition s'explique par notre conception de notre rôle, qui n'est pas d'appliquer mécaniquement une norme. Dans sa rédaction actuelle, la loi de 1986 obéit ici à une logique binaire : si la modification est substantielle, on ne peut rien faire ; sinon, on peut aboutir à un accord. Je préfère une perspective d'ensemble, qui prenne en compte les conditions économiques, mais aussi sociales et technologiques, comme le font l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), l'Autorité de la concurrence ou encore l'Autorité de contrôle prudentiel.

Cette procédure présente-t-elle des risques ? Je ne le pense pas. Une décision de ce genre serait soumise, plus encore que toute autre, à une étude d'impact. Je pense notamment au passage à la gratuité : vu l'état actuel de la télévision payante, une analyse globale et détaillée s'imposerait. Une consultation publique me paraîtrait également assez naturelle : la loi oblige déjà à mener une telle consultation lorsque le CSA s'apprête à rendre une décision susceptible d'avoir un impact « important » sur le marché en cause. Tout ce qui impose plus de transparence, tout ce qui oblige à mieux prendre en compte les intérêts directs et indirects des parties prenantes, me semble souhaitable.

Le CSA n'a aucune intention a priori. Il examinera les demandes avec objectivité, au vu des données économiques et avec le souci du pluralisme. Ces dispositions vont dans le bon sens, car elles garantissent une régulation attentive aux intérêts économiques, sociaux, industriels et culturels du secteur.

Il découle de ces développements sur son pouvoir d'appréciation en matière d'autorisation de fréquences, que le Conseil est favorable à la possibilité de limiter des appels d'offres au passage à la haute définition. Car il ne s'agit pas de multiplier les chaînes hertziennes : un progrès qualitatif n'est pas un progrès quantitatif. En autorisant les chaînes locales à devenir nationales à l'occasion du passage à la haute définition, on risquerait d'aboutir à une diversification non maîtrisée du réseau hertzien national, et l'on manquerait ainsi l'objectif recherché. Aussi me paraît-il utile d'ôter toute ambiguïté au texte actuel en précisant que l'appel d'offres ne s'adresse qu'aux services à vocation nationale.

Il n'appartient évidemment pas au CSA de décider quelle doit être l'institution qui prendra le relais de l'Hadopi, ni quel est le vecteur législatif le plus pertinent. J'ai néanmoins souhaité que le Conseil en délibère de manière informelle, puisqu'il est concerné au premier chef. Si l'on considère, suivant le rapport Lescure, que certaines compétences de la Hadopi en matière de régulation, de veille et de protection des droits sont susceptibles d'être transférées à une autre autorité, le choix du CSA répondrait à une logique profonde. En effet, le secteur audiovisuel est immergé dans le numérique, qui n'est pas un média parmi d'autres mais un média englobant. Bien plus, celui-ci le pénètre par tous les pores - canaux techniques, contenus, nouvelles chaînes. Il y a ainsi une logique fonctionnelle à ce que la régulation soit globale, à condition qu'elle soit assouplie, renouvelée dans ses méthodes et ses objectifs, et qu'elle fasse une large part à l'autorégulation ou à la régulation supervisée, en association avec les acteurs du numérique.

Pour le reste, je ne suis habilité à me prononcer ni sur la possibilité juridique, ni sur l'opportunité politique de recourir au présent projet de loi. L'appréciation juridique appartient au Conseil constitutionnel. Sur ce que l'on appelle les cavaliers législatifs, sa jurisprudence est nuancée. D'ailleurs, depuis la révision de 2008, un amendement est recevable même s'il ne présente qu'un lien indirect avec le texte déposé ou transmis. Des décisions récentes manifestent une certaine souplesse : en 2011 sur la réforme des juridictions financières dans un projet de loi initialement consacré aux juridictions militaires et marines, en 2013 sur l'élargissement du corps des inspecteurs du travail à l'occasion d'un texte sur la gestion prévisionnelle des emplois seniors, en 2013 encore sur l'extension des implantations d'éoliennes autorisée par un projet de loi de régulation du secteur de l'énergie qui n'en traitait d'abord aucunement.

J'insiste sur ma préoccupation quant à l'idée de transférer les compétences en cause sans procéder à la grande réforme suggérée par le rapport Lescure. Deux dispositions sont concernées : le transfert dans la loi de 1986 de l'article du code de la propriété intellectuelle qui définit les compétences de l'Hadopi, et le sort de la commission de prévention et de protection.

Il convient surtout d'assurer la continuité. En effet, si l'indétermination persistait sur le champ d'action de l'Hadopi, les risques seraient grands d'une dispersion et d'un affaiblissement des compétences techniques et de l'expérience du personnel. On observe déjà une modification du comportement des utilisateurs, et une extension massive du piratage. J'ai rencontré il y a peu des représentants du monde du cinéma : Blic (Bureau de liaison de l'industrie cinématographique), Bloc (Bureau de liaison des organisations du cinéma), ARP (Société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs) et UPF (Union des producteurs de films) ; ils m'ont signalé une aggravation spectaculaire de la situation. Il faut donc donner une indication nette, quelle qu'en soit la forme, sinon le CSA héritera d'une situation irréversiblement dégradée.

Le projet de loi accorde une attention particulière à la parité. Le collège du CSA est d'ores et déjà composé de cinq femmes et de quatre hommes ; la base de départ n'est donc pas mauvaise. La seule nomination à laquelle nous ayons procédée jusqu'à présent est celle de Mme Brigitte Lefèvre comme représentante du CSA au conseil d'administration de France Médias Monde, alors connue sous le nom d'Audiovisuel extérieur de la France. Lors du prochain remplacement de Muriel Mayette au sein de Radio France, nous serons attentifs à cette problématique. Tout cela, ainsi que notre groupe de travail sur les droits des femmes, démontre un volontarisme indéniable de notre part.

Dans nos relations avec les présidents d'entreprises audiovisuelles publiques, nous respectons leur pouvoir éditorial. Toutefois, leur nomination par le CSA induira un type de relations différent. Cela doit nous pousser à accentuer notre suivi. Nous avons ainsi été favorables à l'extension de notre compétence en amont, lors de la transmission des avenants aux contrats d'objectifs et de moyens, comme en aval, lorsqu'il est rendu compte de leur exécution. L'Assemblée nationale n'a retenu que ce contrôle en aval. Mais lorsque l'un de ces contrats lui sera transmis, le CSA l'examinera et vous transmettra ses réflexions.

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