Je serais un homme heureux, et non un homme soucieux : patron de Canal +, je serais à la tête du groupe audiovisuel français le plus profitable, dégageant chaque année environ 700 millions d'euros de résultat opérationnel, à comparer aux quelques 250 millions d'euros auxquels parvient TF1 dans ses meilleures années. Même s'il est choquant d'entendre des responsables de chaînes d'information désinformer le public en parlant d'erreur stratégique, je serais serein, quoique un peu égaré dans l'information et encore peu présent dans la diffusion en clair, surtout après l'arrivée de beIN Sport. La chaîne iTélé, dans mon compte d'exploitation, ne pèse rien ! Elle n'est ni un enjeu stratégique ni une préoccupation économique. L'arrivée éventuelle de LCI, alors que nous sommes positionnés depuis 2005 sur l'information gratuite, avec des stars et des moyens considérables, ne m'inquiéterait nullement, et me ferait plutôt sourire, en pensant au risque que cela constitue d'arriver en challenger, avec une numérotation qui sera sans doute la dernière des chaînes gratuites, dans un marché tenu par un duopole formidablement rémunérateur. Bien sûr, je viendrais vous expliquer que le groupe Canal + est en péril -j'ai d'ailleurs récemment déclaré aux marchés que nous n'aurons cette année que 650 millions d'euros à proposer à nos actionnaires... Heureusement, je continue à jouir d'une TVA favorable.
Patron de BFM, comme je serais heureux d'être entré dans l'audiovisuel ! Lorsque j'ai repris RMC pour un euro, personne ne m'a dit qu'il y avait trop de radios en France, personne ne m'a expliqué que France Inter, RTL, Europe 1 et d'autres occupaient déjà le créneau de la matinale, que je ne devais pas faire de journaux entre midi et deux heures, ni que le soir, après les conseils de Brigitte Lahaie, je ne pouvais faire librement une session d'information ! Petit à petit, ma radio a acquis des fréquences, a prospéré, et j'ai construit un groupe formidable, dont la force repose sur la mutualisation des moyens. J'ai récemment assuré à la presse que la rentabilité de BFM TV était exceptionnelle : elle est de 25 % supérieure à celle de M6, la chaîne privée la plus rentable. Certes, j'ai coulé La Tribune, le groupe Tests, et j'ai procédé à quelques licenciements dont, fort heureusement, on a oublié le nombre. Aujourd'hui, mon groupe est fortement bénéficiaire, il comprend trois chaînes de télévision. Lorsque j'ai lancé BFM TV, j'ai indiqué au CSA qu'il s'agirait d'une chaîne d'information économique, promesse non tenue. J'explique que ce serait une chance pour la France de disposer d'une troisième chaîne d'information nationale avec BFM business. Je n'imagine pas qu'il puisse s'agir de LCI, tenue à l'écart par des opérateurs qui n'en veulent plus, confinée dans ce ghetto qu'est la télévision payante, et qui craint pour ses deux cents emplois. L'actuel duopole me convient parfaitement : j'écrase Canal +, qui stagne quand mon audience se développe. Mes rentrées publicitaires ont encore une forte marge de progression. Bref, je vous déconseillerais de faire entrer LCI !
Voilà ce que je vous dirais, monsieur le rapporteur, si j'étais le président de Canal + ou de BFM. Je me suis inspiré de faits réels et de phrases réellement prononcées !
Le CSA n'a pas attendu l'amendement dont nous parlons pour modifier sérieusement le paysage audiovisuel. Quand M. Méheut a acheté D8 et D17, a-t-il rendu l'autorisation pour candidater de nouveau ? Pourtant l'actionnariat de ces deux chaînes a été modifié, ce qui a autorisé l'acteur presque unique du payant à venir sur le clair, mouvement qui ne s'est produit nulle part ailleurs en Europe. Nous-mêmes, nous avons obtenu du CSA, en passant par l'Autorité de la concurrence et le Conseil d'État, de pouvoir acquérir TMC et NT1. Il s'agit de modifications très importantes : nous allons d'ailleurs reparler, devant le Conseil d'État, des engagements pris par Canal + auprès de l'Autorité de la concurrence lors du changement d'actionnariat de D8 et D17. Des modifications de format ont été faites : W9, qui était une chaîne musicale, l'est beaucoup moins. M. Méheut demande à ce que D17 puisse diffuser davantage de séries américaines et moins de musique française.
Le CSA dispose d'ores et déjà une marge de manoeuvre. Pourquoi l'étendre ? Parce qu'à l'avenir, celui-ci doit pouvoir analyser et décider pour préserver les grands équilibres. L'arrivée d'une petite chaîne, qui s'ajouterait aux six récentes, ne constituerait pas un danger pour l'audiovisuel français, mais un concurrent ! M. Weill, adepte de la concurrence, et M. Méheut, partisan du monopole, doivent s'y faire : pour ma part, cela fait vingt-cinq ans que je suis confronté à la concurrence... J'aime mon métier d'entrepreneur, et mon but est d'apporter le meilleur service à mes téléspectateurs.
Je suis très choqué de la manière dont on vous traite : on laisse penser que vous pourriez être manipulés par le groupe TF1 en faveur de LCI. Mais le CSA lui-même a demandé dans son dernier rapport annuel la modification du « 42-3 », afin d'étendre son pouvoir de régulation. J'aime autant ne pas avoir pris part à de telles campagnes de désinformation.