Il ne m'appartient pas de commenter un projet de loi qui touche directement à mon statut. Je rappellerai cependant que lors de ma nomination il y a un an, le Président de la République a souhaité devancer l'évolution du droit en demandant au CSA de désigner lui-même un candidat, qu'il nommerait. Et je dois dire que le fait d'être choisie par le Conseil a rendu ma position plus confortable. L'évolution prévue me semble donc aller dans le bon sens.
Il m'a également paru très important de présenter mon projet devant les commissions chargées des affaires culturelles des deux assemblées, dont le vote m'a touchée puisqu'il a montré que ma nomination était consensuelle et due à des critères professionnels. À l'avenir, les membres du CSA eux-mêmes ne pourront être nommés qu'avec l'aval de vos commissions. Les présidents de sociétés de l'audiovisuel public leur remettront un document d'orientation dans un délai de deux mois après leur nomination. Cette disposition est d'autant plus opportune qu'il ne s'agit que d'un premier document, et non du plan stratégique. Celui-ci réclame du temps, car il doit être l'émanation de toute l'entreprise. Il faut avoir l'humilité de découvrir la société où l'on arrive. Pour ma part, j'ai voulu élaborer le plan stratégique de France Médias Monde selon une méthode très participative, en organisant des séminaires le samedi sur la base du volontariat. Le plan fut ensuite restitué aux salariés au cours du mois de janvier, et c'est sur cette base que j'ai entamé les discussions avec l'État sur le futur contrat d'objectifs et de moyens.
Qu'est-ce que l'indépendance ? C'est presque un sujet de philo... L'indépendance ne consiste pas seulement en un mode de désignation ; c'est peut-être aussi un équilibre entre la liberté, la responsabilité et la confiance.
La liberté : la société que je dirige y est d'autant plus attachée qu'elle rassemble des médias d'information, organisés autour de rédactions. La liberté d'informer est l'un des piliers de la démocratie française, et elle n'existe pas partout. Il arrive encore, dans certains pays, que des journalistes soient blessés ou emprisonnés : il n'est pas inutile de le rappeler. Les choix éditoriaux de nos rédactions ne peuvent donc pas être l'émanation de la politique du gouvernement français. Cette indépendance figure en toutes lettres dans notre cahier des charges, et elle est le gage de notre crédibilité.
D'ailleurs, parmi les employés de France Médias Monde, on compte plus de 60 nationalités, et nous émettons en 14 langues. Cette diversité de points de vue fait notre richesse, et c'est peut-être une signature française. Elle n'empêche pas l'existence d'un socle de valeurs communes, énoncées dans une charte : honnêteté dans l'exposé des faits, pluralisme, liberté de conscience, laïcité, attachement aux droits de l'homme et à l'égalité entre les femmes et les hommes, promotion de la diversité. À cela s'ajoutent des règles strictes de traitement de l'information.
La responsabilité : un groupe audiovisuel à vocation internationale doit être conscient, notamment en période de crise, qu'il est capable d'infléchir le cours des événements, et qu'il peut même mettre en danger la vie de nos concitoyens. Un traitement responsable de l'information, c'est la condition de notre crédibilité, donc de notre indépendance.
Être responsable, c'est aussi rendre des comptes. Nous sommes financés par des fonds publics, et il est normal que nous répondions de notre activité devant le CSA, notre conseil d'administration, nos tutelles et le Parlement.
Mais il y faut un zeste de confiance, car une surveillance tatillonne serait contre-productive : nous avons besoin d'agir. Ce lien de confiance, nous le tissons avec notre actionnaire, l'État, par le biais d'un contrat d'objectifs et de moyens : par ce contrat, l'État et France Médias Monde s'entendent sur une stratégie, mais aussi sur des assurances financières qui sont la condition de notre indépendance.
Cette sécurité financière est particulièrement importante pour un groupe d'information, qui doit être indépendant non seulement du pouvoir politique, mais aussi des puissances d'argent. En droit français, un journal ne peut être parrainé, et c'est bien normal. Il serait également problématique qu'une émission médicale le fût par un laboratoire pharmaceutique. Un groupe comme le nôtre est soumis à une déontologie particulièrement stricte dans le choix de ses annonceurs publicitaires. Et c'est ce qui explique l'importance d'un financement public stable, donc fléché : la redevance, qui a récemment changé de nom.
L'audiovisuel extérieur n'a pas toujours bénéficié de la redevance. Il est encore largement financé par voie de subvention. La question de notre mode de financement mérite d'être posée, comme celle d'une réforme de la redevance, qui est en France l'une des plus basses d'Europe. Elle est encore plus basse en Grèce, et l'on voit ce qui arrive dans ce cas... Il me paraît important d'y réfléchir, comme vous le faites. L'État est soumis à des contraintes budgétaires qui limitent l'évolution des dotations. Dans ces conditions, et si l'on a des ambitions internationales, il faut une recette appropriée. Je rappelle que la dotation de l'audiovisuel extérieur, même si l'on y inclut TV5 Monde, représente moins de 9 % du budget de l'audiovisuel public français. Si l'on conserve la même proportion, il faudrait l'appliquer à un plus gros gâteau.
L'indépendance repose aussi sur la stabilité : il faut avoir du temps devant soi pour se sentir les coudées franches. D'où la nécessité de réfléchir à la durée des mandats et à la stabilité des stratégies.
Nous entretenons actuellement des relations tout à fait satisfaisantes avec l'État. Le projet de contrat d'objectifs et de moyens est une véritable refondation de l'audiovisuel extérieur. Avec le Parlement, nous avons également des échanges intenses. J'ai invité les membres des commissions de la culture et des affaires étrangères à venir visiter nos locaux, car si le questionnaire parlementaire est utile, un contact direct peut être éclairant.
Nos relations avec le CSA ne sont pas moins excellentes. J'ai voulu associer le Conseil à notre stratégie. Ses membres au grand complet nous ont fait l'honneur de leur visite, et ils ont tenu une réunion de travail à bâtons rompus avec toute l'équipe de la direction.
J'aimerais évoquer la question de notre présence en France. Je conçois que des entreprises privées puissent s'inquiéter de l'arrivée de nouveaux venus dans le paysage audiovisuel national et de la modification du marché publicitaire qui en résulterait. Mais si je plaide en ce sens, c'est parce que France Médias Monde est investie d'une mission de service public, je dirais même d'une mission sociétale. Le service public donne le la : un service public fort, c'est un gage de haut niveau pour le paysage audiovisuel dans son ensemble. En outre, nous ne nous adressons pas seulement à des téléspectateurs ou des auditeurs, mais à des citoyens, et certains sujets ne sont pas traités par les médias nationaux. France 24 est par exemple la seule chaîne d'information continue dotée d'un positionnement mondial. Elle n'envisage d'ailleurs pas de se financer sur le marché français. Et n'est-il pas difficile pour elle de prétendre obtenir des fréquences de TNT dans d'autres pays, sans en avoir en France ? J'aimerais au moins que la chaîne obtienne une fenêtre d'émission sur une fréquence : nous en discutons avec l'État.
Radio France International (RFI), de son côté, est une station remarquable, qui remplit - comme le reconnait Jean-Luc Hees, avec qui j'ai eu des échanges très confraternels - des missions de service public laissées de côté par les médias nationaux. La rédaction a une connaissance très précise de l'Afrique, où vivent des milliers de nos ressortissants. Grâce à RFI, Français et étrangers sont rendus sensibles à de grands enjeux internationaux. Je note d'ailleurs une distorsion entre l'Ile-de-France, où la station émet, et la province où elle n'émet pas. Tout le monde ne peut pas écouter la radio sur son ordinateur ou son téléphone, et le service public est encore absent de la radio numérique nationale.
RFI accorde une grande place à l'actualité européenne, qui n'intéresse guère les médias nationaux. Chaque jour, l'émission Accents d'Europe décrit la vie des sociétés civiles européennes et oeuvre ainsi à leur rapprochement : créer un sentiment européen, c'est apprendre à rire ensemble, à s'inquiéter ensemble. Et l'émission Carrefour de l'Europe accueille des parlementaires européens qui, pour beaucoup d'entre eux, sont francophones - et qui s'étonnent de ne pas pouvoir écouter leurs propres interviews lorsqu'ils siègent à Strasbourg... Dans toute la France, RFI aurait son public : parmi ses auditeurs franciliens, on compte notamment des personnes d'origine étrangère et des « CSP ++ ».
Quant à Monte-Carlo Doualiya, c'est une radio arabophone laïque, universaliste, attachée à l'égalité hommes-femmes, très écoutée dans le monde arabe et notamment dans des pays en crise comme la Syrie, l'Irak ou le Liban. L'arabe est aussi une langue de France. C'est la France qui a inventé l'agrégation d'arabe ! Et pourtant, il reste impossible d'écouter ici Monte-Carlo Doualiya. D'autres radios arabophones émettent sur notre territoire, mais ce sont des stations confessionnelles...
Actuellement, RFI et Monte-Carlo Doualiya se partagent une fréquence à Marseille, mise à disposition par l'aviation civile jusqu'au 31 janvier prochain. Les Marseillais, comme les employés des deux stations, seraient tristes que l'aventure s'arrête là. Se savoir écoutés sur tous les bords de la Méditerranée, c'est pour eux une source de grande fierté. Et il est bon de faire entendre à la radio française d'autres réalités que celles de Paris. Nous sommes en discussion avec nos tutelles et le CSA pour trouver le moyen de poursuivre cette diffusion.