Monsieur le président, vous me permettrez de consacrer quelques minutes à ce sujet de l’obsolescence programmée, afin de répondre aux interventions de MM. Placé et Mirassou.
Tout d’abord, je tiens à dire qu’il ne s’agit pas là d’un concept paranoïde ou d’un fantasme visant à établir l’existence d’une conspiration des grands industriels.
L’obsolescence programmée existe. Nous en avons connu un exemple avant la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis, entre les années 1924 et 1939, avec le Cartel Phœbus dont les membres s’étaient entendus pour diminuer la durée de vie des lampes à incandescence, autrement dit les ampoules, et pour augmenter ainsi la fréquence de leur renouvellement. Le droit de la concurrence en vigueur à l’époque avait d’ailleurs permis de lutter contre cette pratique délibérée et de démanteler cette stratégie visant à créer une obsolescence programmée.
Outre ce cas, régulièrement évoqué par ceux qui se battent et luttent contre l’obsolescence programmée, on peut évoquer l’exemple des puces électroniques qui pourraient être introduites dans certains équipements pour programmer là encore, sans que le consommateur le sache, leur fin de vie et provoquer leur remplacement. En droit français, cette pratique tomberait sous le coup des dispositions relatives à la tromperie sur la qualité substantielle du bien.
Cela nous exonère-t-il d’une réflexion sur cette question de la durée de vie et de la fréquence de renouvellement, qui paraissent aujourd’hui incompatibles avec les exigences actuelles en matière de protection de l’environnement ? La réponse est évidemment non.
Cette réflexion sera d’ailleurs menée lors de la conférence environnementale des 20 et 21 septembre prochains, au cours de laquelle j’interviendrai, et qui réunira bon nombre d’acteurs qui se préoccupent de cette question.
Toutefois, il faut bien distinguer ce qui relève du stratagème industriel, fondé sur une volonté délibérée de tromperie, de ce qu’on pourrait appeler les cycles d’innovation. Cette distinction explique les désaccords qui persistent sur la définition de la notion d’obsolescence programmée.
Prenons la définition retenue par le groupe écologiste. Dès lors que l’on évoque la conception d’un produit qui vise à augmenter le taux de remplacement, tout ce qui relève de la mode et du design n’entre-t-il pas dans cette définition ? La question est posée et l’on voit combien il est difficile de s’entendre sur une définition de l’obsolescence programmée qui ne remette pas en cause des cycles d’innovation indispensables au soutien de la croissance et de l’emploi.
Sur ce sujet, je vous renvoie, mesdames, messieurs les sénateurs, à ce film britannique de 1951 que j’ai découvert à l’occasion de la préparation du présent débat, interprété par le célèbre Alec Guinness : L’homme au complet blanc. C’est l’histoire d’un chimiste qui invente une formule lui permettant de fabriquer un costume inusable et insalissable. Au début, cette formidable invention réjouit les salariés, et notamment les ouvriers qui n’ont plus à laver leur bleu de chauffe. Puis ils découvrent que, par la faute de ce costume « qui ne meurt jamais », l’industrie du textile et celle des machines à laver s’effondrent. « L’homme au complet blanc » fait alors l’objet de la vindicte des industriels, des salariés et des syndicats, car son invention remet en cause les cycles d’innovation.
Il s’agit là d’une question importante, qui doit être traitée avec sérieux. Je demande donc au groupe écologiste, en la personne de M. Placé, ainsi qu’à M. Mirassou de bien vouloir retirer leurs amendements, car il n’y a pas aujourd’hui, selon moi, de consensus sur l’obsolescence programmée, et de mettre à profit le calendrier de la conférence environnementale.
Je leur fais part, également, de l’engagement du Gouvernement en la matière, qui se concrétisera sous des formes qui ne sont pas encore arrêtées. Nous travaillerons, en lien avec les parlementaires, afin d’approfondir cette notion d’obsolescence programmée et d’aboutir à un consensus plus large sur sa définition et sur les instruments permettant de lutter contre cette pratique, qui s’ajouteront au dispositif juridique d’ores et déjà existant.
Nous veillerons à élargir ce consensus aux industriels et aux secteurs pour lesquels les cycles d’innovation revêtent une importance particulière, de façon à provoquer le début d’une prise de conscience quant à la nécessité d’augmenter la durée de vie des équipements. Ce point deviendra un élément d’arbitrage pour le consommateur, qui pourra choisir les produits ayant la plus longue espérance de vie.
Pour cette raison, le Gouvernement a voulu au travers de ce texte, je le rappelle, privilégier la réparation des biens électroménagers.
Nous nous inscrivons dans la suite du travail portant sur la présomption d’antériorité de défaut, qui était auparavant de six mois et qui a été portée dans le texte à un an, puis à dix-huit mois par les parlementaires et qui pourrait, le cas échéant, être alignée sur la garantie légale de conformité, d’une durée de deux ans. Telle est la démarche que nous suivons.
Pour ce qui concerne la définition de l’obsolescence programmée, je vous donne mon accord de principe, mais réaffirme mon désaccord quant aux rédactions que vous proposez. Cela étant dit, je crois que nous pourrons tous nous entendre sur une rédaction commune, une fois passé le temps de la réflexion nécessaire pour ciseler cette définition.