Je profite de l’occasion qui m’est offerte pour indiquer à la Haute Assemblée quels sont les éléments de conviction qui guideront mon attitude au cours de notre débat sur le registre national des crédits aux particuliers, ou RNCP.
Je rappelle d’abord que la création du registre est la traduction d’un engagement du Président de la République faisant lui-même suite à une promesse de campagne électorale. D’ailleurs, Nicolas Sarkozy, l’autre candidat présent au second tour de l’élection présidentielle de 2012, avait également manifesté son intention d’instituer un tel dispositif dans l’émission Face aux Français, sur TF1.
Il s’agissait également d’une volonté forte de plusieurs groupes politiques. Certes, le débat traverse les groupes politiques et a même pu faire apparaître des différences d’approche au sein de chacun d’entre eux ; j’en ai moi-même été témoin. Mais plusieurs groupes se sont fortement exprimés en faveur d’un tel mécanisme.
En outre, et M. le rapporteur l’a indiqué, il s’agit également d’une demande récurrente des associations de lutte contre le surendettement. Si l’idée d’un tel registre ne fait pas forcément l’unanimité au sein du mouvement consumériste, elle rassemble tous les acteurs de la lutte contre le surendettement. C’est à l’aune de leur expertise que nous avons travaillé.
Lors de la Conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale des 10 et 11 décembre 2012, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a également pris l’engagement de mettre en place un registre national des crédits aux particuliers, afin de contribuer à la lutte contre le surendettement. Car, je le répète, la mise en place du registre ne fera pas disparaître le surendettement. Il s’agit d’un instrument de détection de l’exposition au surendettement, donc de lutte contre le surendettement et de facilitation du désendettement des personnes touchées par ce problème.
En clôture du 31e Congrès de l’Union nationale et interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux, l’UNIOPSS, le Président de la République a rappelé cet engagement et son attachement personnel à la création d’un registre national des crédits aux particuliers.
Ce que nous créons, ce n’est pas, tant s’en faut, un outil miracle. Mais c’est un dispositif équilibré et proportionné à l’objectif qui est le nôtre : lutter contre le surendettement, qui se caractérise souvent – nous le constatons dans l’examen des dossiers – par l’accumulation de plusieurs crédits à la consommation.
Nous avons consulté la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, et la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH.
Surtout, nous avons travaillé avec le Conseil d’État, qui a rendu, à la demande du Gouvernement, un avis sur le registre national des crédits aux particuliers. La haute juridiction a effectué ce que l’on appelle un « contrôle de proportionnalité ». Sur ce type de sujets, le Conseil d’État comme le Conseil Constitutionnel examinent si le traitement envisagé ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté proclamée à l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui implique le droit à la vie privée.
Le contrôle est très rigoureux – c’est bien le moins en matière de libertés publiques – et exigeant. Nos prédécesseurs s’en souviennent : dans une décision du 22 mars 2012, le Conseil constitutionnel avait censuré des dispositions de la loi relative à la protection de l’identité, comme la fameuse carte d’identité biométrique.
Le Gouvernement a souhaité s’engager avec le Conseil d’État dans ses travaux préalables sur le chemin de la rigueur et de la précision. Comme je l’ai précisé tout à l’heure, l’objectif était de construire un objet utile et juridiquement solide, et non d’adopter une mesure toute symbolique sans portée opérante.
Pour prendre une image, le contrôle de proportionnalité mené par le juge constitutionnel est un peu comparable aux plateaux d’une balance dont le fléau viendrait in fine déterminer une triple exigence d’adéquation, de nécessité et de proportionnalité, au regard des finalités poursuivies.
Cela implique de mesurer l’ampleur de l’atteinte à la vie privée en déterminant le nombre des personnes enregistrées, la nature des données requises, mais également les garanties en termes de consultation des données, de durée de conservation de ces données et de protection contre les détournements possibles du traitement. Bien évidemment, tout cela est mesuré à l’aune de finalités d’intérêt général.
En l’espèce, le Conseil d’État a considéré que cette finalité d’intérêt général était établie. Le RNCP répond, pour le Conseil d’État, à un intérêt général économique et social certain – la prévention de l’exclusion – qui est susceptible de se rattacher au préambule de la Constitution de 1946 lui-même, intégré à notre bloc de constitutionnalité.
De même, l’équilibre proposé est conforme, tel qu’il est, à ces exigences : un fichier centré sur les seuls crédits à la consommation, les plus pertinents à traiter dans la lutte contre le surendettement ; une limitation du nombre de personnes enregistrées adaptée à la finalité poursuivie ; des délais d’enregistrement proportionnés que les personnes peuvent interrompre avec un droit de radiation automatique, à leur demande, au bout de sept ans ; des précautions quant à l’utilisation du traitement.
Pour toutes ces raisons, je ne pourrai émettre que des avis défavorables sur des amendements qui seraient de nature à porter atteinte à un équilibre encore fragile, et qui a fait l’objet de consultations intenses.
Nous souhaitons préserver cet équilibre, car nous voulons maintenir la création du RNCP. Nous sommes avant tout préoccupés par la constitution de ce registre, certains de ses effets sur la détection plus précoce des familles surendettées, ce qui nous permettra de lutter plus rapidement en faveur de leur désendettement.
J’espère que nous parviendrons à conserver cet équilibre au Sénat et à voter la création, historique, ai-je envie de dire, de ce registre national des crédits aux particuliers. §
J’émets un avis défavorable sur l’amendement présenté par M. Le Cam.