Intervention de Pierre Avril

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 10 septembre 2013 : 1ère réunion
Interdiction du cumul des mandats — Audition de M. Pierre Avril professeur émérite de droit public M. Olivier Beaud professeur de droit public Mme Julie Benetti professeur de droit public et M. Dominique Rousseau professeur de droit public

Pierre Avril, professeur émérite de droit public :

Je voudrais tout d'abord vous faire part de ma surprise, de voir commencer le rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur les deux textes qui nous réunissent, par l'affirmation selon laquelle, le cumul des mandats est une spécificité française à éradiquer.

Cet argument me paraît quelque peu hasardeux... De spécificités françaises il en est d'autres plus spectaculaires, voire problématiques, à commencer par notre Président de la République et la concentration des pouvoirs entre ses mains, au regard du droit comparé.

Cette concentration du pouvoir s'est traduite au plan parlementaire par une sorte de « caporalisation » qui est également une spécificité française.

Si l'Assemblée nationale avait été amenée à voter sur l'autorisation d'intervenir en Syrie, et qu'elle avait émis, comme la chambre des communes l'a fait le 29 août dernier, un vote de rejet, imaginez le crime de lèse-majesté que cela aurait produit.

Compte tenu de cette logique de concentration des pouvoirs, à côté des bénéfices attendus de cette réforme, la règle du non-cumul prive les députés d'une assise territoriale personnelle et risque d'entraîner leur soumission aux appareils partisans.

La position du Sénat est à part, comme en convenait mon ami le professeur Guy Carcassonne, farouche opposant au cumul des mandats. Représenter une Nation, c'est représenter une population mais aussi un territoire, se plaisait-il à dire. Cet argument plaide en faveur du bicamérisme. On ne peut pas séparer totalement ces deux représentations, mais il convient de distinguer les missions constitutionnelles confiées à chaque chambre du Parlement. À l'Assemblée nationale, priorité est donnée à la représentation de la population, avec un correctif territorial qui varie selon les modes de scrutin. Au Sénat, en vertu de l'article 24 de la Constitution, priorité est donnée à la représentation des collectivités territoriales de la République, avec un correctif démographique. Il existe donc bel et bien un lien organique entre le Sénat et les collectivités territoriales dont il est l'émanation.

Élu par les citoyens, le député se définit d'abord comme un citoyen. Le sénateur, principalement élu par les élus locaux, s'il n'est pas l'un d'entre eux, est amené à le devenir, de par le lien organique qui découle de l'article 24.

Dans ses propositions de réforme du Sénat, Guy Carcassonne prévoyait d'attribuer la moitié de ses sièges aux maires des grandes villes, aux présidents des conseils généraux et des conseils régionaux. Dans son esprit, l'hostilité au cumul des fonctions concernait essentiellement l'Assemblée nationale et épargnait le Sénat. Il ne faudrait pas tronquer sa pensée.

Je terminerai mon propos par une note stratégique. Dans l'économie du bicamérisme, et dans le dialogue entre les deux assemblées, l'interdiction du cumul des mandats pour les députés apporterait au Sénat un surcroit de dynamisme et d'autorité. Elle y attirerait des élus locaux qui veulent une carrière nationale et des députés qui veulent la poursuivre sans renoncer à leurs fonctions locales.

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