La réunion

Source

La commission entend M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur, sur le projet de loi n° 733 (2012-2013) interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen (procédure accélérée) et sur le projet de loi organique n° 734 (2012-2013) interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur (procédure accélérée).

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je souhaite la bienvenue aux sénateurs et sénatrices de toutes les commissions, ainsi qu'à monsieur le ministre, qui va nous présenter ces projets de loi sur le non-cumul des mandats. Quels que soient les points de vue, nul ne peut nier l'importance de cette réforme qui modifiera en profondeur nos pratiques politiques.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre de l'intérieur

Enfin, nous y sommes. C'est une chance de retrouver le Sénat pour aborder concrètement, sincèrement, l'examen de ces projets de loi interdisant le cumul d'un mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale. J'aborde ce débat avec responsabilité et fierté : ce texte traduit un engagement du président de la République et représente une étape importante dans la modernisation de nos institutions ; c'est une véritable révolution de nos pratiques politiques, qui marque l'aboutissement de la logique de décentralisation lancée il y a plus de trente ans par François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre, puis poursuivie et amplifiée par différentes majorités.

Cette réforme démocratique n'est pas brutale, elle ne prend personne par surprise. Elle s'inscrit dans une double-dynamique : l'affirmation du Parlement et l'approfondissement progressif de la démocratie locale. En trente ans de décentralisation, l'exercice d'un mandat local est devenu de plus en plus complexe. La France, ses villes, ses paysages, sa démocratie locale ont été profondément modifiés par l'affirmation du rôle des territoires, désormais inscrit dans la Constitution. Nos territoires vivent, ils mobilisent les énergies, préparent demain. C'est un chantier exaltant, dans lequel les élus de terrain - je suis bien placé pour le savoir - ont un rôle primordial à jouer.

Le mandat parlementaire - légiférer, contrôler l'action du Gouvernement, évaluer les politiques publiques - est tout aussi prenant. La session unique depuis 1995 et la réforme constitutionnelle de 2008 ont renforcé cette exigence. Les lois organiques du 30 décembre 1985 et du 5 avril 2000, voulues par la gauche, ont limité les possibilités de cumul et mis fin à la folie antérieure : auparavant, un même élu pouvait être simultanément maire, président de conseil général, président de conseil régional, député ou sénateur et parlementaire européen !

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre

Ou Louis Mermaz... Il était temps de passer de la limitation du cumul à l'interdiction.

Ce texte est équilibré : souple sur sa date d'application, strict sur le périmètre des fonctions concernées. J'ai oeuvré pour que la règle du non-cumul s'applique en 2017, après le renouvellement général des deux assemblées. Chacun pourra ainsi s'organiser et rester libre de choisir. Le Gouvernement s'en est remis à la formule suggérée par le Conseil d'État qui garantit l'exercice du droit de suffrage, assure la continuité du fonctionnement des assemblées et évite tout risque de rétroactivité. Certains souhaitaient une application dès 2014, mais les effets politiques de la loi seront perceptibles dès les prochaines élections municipales ; je dirai même plus, ses effets sont déjà perceptibles.

Le périmètre retenu correspond à l'engagement du président de la République : non-cumul de toute fonction exécutive locale, y compris dans les intercommunalités. Ces dernières exercent des compétences croissantes et ont vu leur légitimité récemment renforcée. Les fonctions d'adjoint au maire et de vice-président d'un conseil départemental, d'un conseil régional ou d'une intercommunalité sont également incluses dans le périmètre afin d'éviter toute tentative de détournement de la loi. L'Assemblée nationale a étendu le principe du non-cumul aux fonctions dérivées du mandat local : présidence ou vice-présidence de certains syndicats ou établissements publics.

La règle doit être simple. L'introduction de seuils ne serait pas lisible pour les électeurs : avec un seuil à 1 000 habitants, les trois quarts des communes seraient de facto exclues... Pour être comprise et être efficace, la règle doit s'appliquer à tous. Aujourd'hui, sénateurs et députés sont soumis aux mêmes règles en matière d'incompatibilités ; rien ne justifie qu'il en soit autrement demain. L'ancrage local, certes essentiel, reste possible à travers un mandat de conseiller municipal, départemental ou régional. Votre assemblée compte d'ores et déjà 40 % de sénateurs n'exerçant pas de fonction exécutive locale. Sont-ils moins bons parlementaires que les autres ? Je ne le crois pas.

Je ne sous-estime pas l'ampleur de ce changement, qui est une véritable révolution. J'ai moi-même été à la fois maire et député...

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre

Je sais que la rupture est douloureuse, mais je sais aussi combien il est frustrant de ne pouvoir exercer pleinement, matériellement, ces deux fonctions, même si c'est une douleur moins visible et plus lancinante.

Je vous invite à prendre vos responsabilités sur ce texte, en essayant de ne pas rester confinés dans l'atmosphère du Palais du Luxembourg. Vous savez que la grande majorité de nos concitoyens est favorable à cette mesure de modernisation : les Français veulent des maires à plein temps et des parlementaires à plein temps.

Avec 300 voix pour à l'Assemblée nationale, personne ne peut douter du caractère inéluctable de l'application de ce projet de loi. Ceux qui connaissent la jurisprudence du Conseil constitutionnel en doutent encore moins, tout comme personne ne peut douter de la détermination du président de la République à mettre en oeuvre cet engagement. Vous avez le choix : soit vous êtes seulement dans l'opposition à la modernité, au sens de l'histoire de notre vie politique, au risque de servir ceux qui dénigrent le Sénat et veulent le caricaturer, soit vous participez à ce beau mouvement de modernisation et de changement. C'est aussi en ces termes que le débat se posera. Je me tiens à votre disposition : vous pouvez compter sur mon écoute, et sur ma détermination.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Merci d'avoir parlé avec autant de clarté et de détermination. L'atmosphère du Sénat serait confinée, dites-vous ? Non, le Sénat de la République est ouvert aux quatre vents de l'esprit ! Il est ouvert à la société dans sa diversité et attaché à la modernité.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

J'ai particulièrement apprécié la clarté des propos du ministre. Le texte adopté par l'Assemblée le 9 juillet dernier crée une nouvelle incompatibilité parlementaire avec les fonctions exécutives locales et les fonctions dérivées au sein des sociétés d'économie mixte locale (SEML), des sociétés publiques locales (SPL) ou des sociétés publiques locales d'aménagement (SPLA). Les incompatibilités sont les mêmes pour les députés et les sénateurs, et ce depuis 1958 : c'est notre force.

La fin du cumul ne pose-t-elle pas à terme la question du statut de l'élu ? Le Gouvernement soutiendra-t-il la proposition de loi de Mme Gourault et M. Sueur, adoptée par le Sénat le 29 janvier dernier ? Quid du cumul entre mandats locaux ? Ne faudrait-il pas poursuivre la réforme pour prendre en compte les fonctions au sein des EPCI ? Enfin, faut-il, selon vous, limiter les indemnités des parlementaires à celles perçues au titre de leur mandat parlementaire ? Notre commission avait adopté une proposition de loi organique en ce sens...

Debut de section - PermalienPhoto de Gaëtan Gorce

M. le ministre a évoqué le long parcours qu'a connu cette réforme. Le cumul des mandats est une habitude de notre République : en l'absence de décentralisation, c'était le moyen pour les élus de résister au pouvoir central. Dès lors que la décentralisation est en mouvement, j'approuve le processus engagé, ainsi que le calendrier retenu. Il faudra toutefois s'interroger sur l'avenir de la décentralisation, car le non-cumul doit s'accompagner d'un renforcement des responsabilités et des compétences des collectivités territoriales. Or les projets de loi en cours d'examen sont bien timides...

De même, des parlementaires à plein temps doivent avoir des prérogatives renforcées. La réforme de 2008 n'était pas satisfaisante : nos moyens demeurent trop limités. Au Gouvernement d'encourager une nouvelle réforme des assemblées parlementaires pour leur permettre d'exercer pleinement leurs prérogatives. Contrairement à ses homologues allemand ou britannique, le Gouvernement français n'est pas issu du Parlement et ne dépend pas de lui : il n'a pas de compte à rendre aux assemblées. Pour rééquilibrer la situation, inutile d'imaginer une VIème République : renforçons plutôt les pouvoirs individuels et collectifs des parlementaires, par exemple en donnant aux rapporteurs pour avis sur le budget les mêmes pouvoirs que les rapporteurs spéciaux ; en renforçant la part du contrôle et de l'évaluation dans les missions des commissions parlementaires ; en obtenant que les administrations soient à la disposition du Parlement. Bref, le non-cumul suppose un rééquilibrage entre le Parlement et l'exécutif. À défaut, il aboutira - a fortiori si l'on nous impose le scrutin à la représentation proportionnelle - non pas à des assemblées politiques, mais à des rassemblements d'apparatchiks.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Vial

Être contre ce texte, c'est ne pas comprendre le sens de la modernité, dit le ministre. Je comprends pourquoi cette salle est inhabituellement fleurie : il s'agit de recouvrir le cercueil des mandats... (Sourires)

L'incompatibilité concerne-t-elle les présidences et vice-présidences des futures métropoles ? Le texte est muet sur ce point. Quid des syndicats mixtes et des sociétés publiques locales (SPL) ? Nos collectivités sont impliquées dans beaucoup de structures de ce type. Or un commentaire d'un juriste paru dans le Journal des Maires laissait entendre qu'un élu ne pourrait plus être en charge d'une SPL... Dans sa rigueur, ce texte interdira-t-il la présence d'élus dans les SPL et syndicats mixtes, pourtant indispensable à la vie de la collectivité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

En tant que sénateur des Français de l'étranger, je suis par nature de ceux qui ne peuvent cumuler mandat parlementaire et fonction locale : aucun Gouvernement ne nous a donné d'exécutif local, ce que je regrette. Je cumule toutefois mon mandat de parlementaire avec celui de membre de droit de l'Assemblée des Français de l'étranger. La récente interdiction de ce cumul de droit va poser problème, car siéger dans une assemblée locale apporte des connaissances indispensables.

La modernité, ce n'est pas la réforme en soi, c'est une bonne réforme. Avez-vous bien pesé les avantages et les inconvénients de couper tous les parlementaires de leur base locale ? La direction engagée n'est sans doute pas mauvaise, mais la solution retenue est-elle la bonne ? Je n'en suis pas sûr... Les 40% de sénateurs qui n'exercent pas de responsabilité exécutive locale ne sont sans doute pas plus mauvais que les autres, mais sont-ils pour autant meilleurs ? En tout cas, les parlementaires élus locaux ne sont pas nécessairement les plus souvent absents !

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

Il n'y aura pas de renouvellement général des deux assemblées en 2017 : le mandat des sénateurs élus en 2014 courra jusqu'en 2020. Comment la réforme s'appliquera à eux ?

Enfin, invoquer l'opinion publique ne suffit pas à démontrer l'efficacité d'une réforme. Il y a bien des choses que l'opinion publique souhaite et que nous lui refusons de lui accorder, à commencer par le rétablissement de la peine de mort ! La modernité n'est pas de suivre mais de précéder. Comment nous convaincre que vous précédez l'opinion publique ?

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Le débat sur le fond aura lieu dans l'hémicycle. Les sondages d'opinion sont à manier avec prudence : les Français sont hostiles avant tout au cumul des indemnités... Le sujet méritait de faire l'objet d'une grand débat national, car l'élection présidentielle n'a pas tranché la question : François Hollande avait certes annoncé une loi sur le cumul, mais sans dire qu'elle serait aussi excessive ! Pourquoi la procédure accélérée sur ces textes ? Et pourquoi avoir omis les établissements publics d'aménagement de la liste des incompatibilités ? Je déposerai un amendement pour y remédier.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre

Le non-cumul des mandats doit en effet se traduire par une amélioration du statut de l'élu. Si le Sénat a adopté largement la proposition de loi Gourault-Sueur, l'Assemblée nationale s'est également saisie de la question avec le rapport de Philippe Doucet, qui fait suite à celui de Marcel Debarge. Le président de la République s'était engagé lors des États généraux de la démocratie territoriale à avancer sur ce sujet, comme sur celui des normes, et le Gouvernement y travaille. Nous sommes en phase d'arbitrage interministériel.

Le statut social du parlementaire est correct, mais M. Gorce a raison d'évoquer le problème des moyens d'expertise, car le contrôle de l'exécutif est l'une des fonctions premières du Parlement. La révision constitutionnelle de 2008 a offert aux parlementaires un espace important, à eux de s'en saisir. Il faudra en revanche améliorer le statut social des élus locaux, notamment des élus des petites communes, qu'il s'agisse d'indemnités ou de retraite.

Le Gouvernement ne compte pas étendre les interdictions de cumul vertical des fonctions locales : un maire peut présider une intercommunalité. Le texte distingue fonctions locales et parlementaires, sachant que la loi interdit déjà le cumul de fonctions exécutives.

À la suite d'un amendement à l'Assemblée nationale, le montant des indemnités parlementaires a été limité. Je connais l'apport dynamique de M. Mézard, qui a fait feu de tout bois sur cette question, avec la sincérité qu'on lui connait. (Sourires)

Les nouvelles règles en matière de cumul concerneront bien les métropoles : toutes les collectivités en voie de création seront couvertes. Les fonctions de président, de vice-président, de membre du conseil d'administration ou de surveillance d'une SPL seront incompatibles avec un mandat parlementaire, de même que celles de président ou de vice-président d'un syndicat mixte.

La réforme de la représentation politique des Français de l'étranger a été définitivement adoptée. Je ne la commenterai donc pas.

Enfin, la loi s'appliquera à tous les sénateurs en 2017, qu'ils soient ou non renouvelables à cette date. Idem pour les députés européens élus en 2014, dont le mandat prendra fin en 2019.

Il est vrai que nous n'avons pas à suivre tous les mouvements de l'opinion : bien des débats d'actualité le montrent. Je connais les arguments : les Français disent être contre le cumul mais élisent et réélisent des députés-maires ou des sénateurs-présidents de région... J'en ai été l'illustration ! Le même argument était utilisé naguère par ceux qui cumulaient quatre fonctions exécutives. Reste qu'on ne peut s'affranchir du débat sur l'engagement des élus, le rôle du Parlement, la place de chacun dans les collectivités territoriales. D'autres sont ouverts : le rôle des assemblées face à l'exécutif, le statut de l'élu, le cumul horizontal. Certains députés proposaient d'aller plus loin encore, d'interdire tout cumul avec un mandat local ou d'encadrer le cumul dans le temps, comme cela se fait aux États-Unis...

Cette révolution démocratique est de notre point de vue inexorable. Nous y sommes prêts. N'en déplaise à M. Delahaye, l'engagement de campagne du président de la République était très précis : interdiction de cumuler un mandat parlementaire avec un exécutif local. Contrairement à d'autres, cet engagement ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel, politique ou d'opinion. Il n'y a aucune raison de ne pas le tenir. Quant à la procédure accélérée, elle se justifie par la nécessité d'adopter ces règles avant les élections municipales de mars 2014, afin de préparer les investitures et candidatures.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Jeannerot

Il y a quelques années, Guy Carcassonne signait dans Le Monde une tribune dans laquelle il établissait une distinction entre le statut de sénateur de celui de député, estimant que le sénateur, étant spécifiquement chargé de représenter les collectivités territoriales, pouvait se voir investi d'une responsabilité exécutive. Comment envisagez-vous cette distinction ?

Debut de section - PermalienPhoto de Rachel Mazuir

Une fois de plus, après le texte sur la transparence, les parlementaires sont pris pour cible : j'ai parfois l'impression d'être traité en délinquant !

Le projet de loi fait l'impasse sur le cumul des fonctions locales entre elles. Certains, à Lille ou à Lyon, pourront cumuler des fonctions déterminantes... Les présidents des 22 régions seront les interlocuteurs privilégiés du Gouvernement. Cela pose problème. Que pèseront les parlementaires dans le Rhône, si Gérard Collomb - qui est un ami - préside tout ce qui compte ? Je suis favorable à une évolution, mais à condition que l'on prenne tout en compte et que l'on cesse de mettre systématiquement en cause les parlementaires. On attend d'un capitaine qu'il défende ses équipiers !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Ma question est simple, et appelle une réponse simple. L'objectif de cette réforme est que chaque élu soit plus efficace et plus responsable tout en étant au fait des besoins de nos concitoyens. Maire d'une commune de 1 300 habitants, sénateur, conseiller général, je ne suis pas éternel...

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Si demain je ne suis pas candidat, celui qui sera élu maire en 2014 sera un agriculteur, un employé de la SNCF ou un médecin...

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

En tout cas, sûrement pas un énarque. Pensez-vous que cette personne abandonnera son activité professionnelle pour exercer son mandat de maire ? Bien sûr que non. Imaginons que, sur sa lancée, il - ou elle - se porte candidat aux élections cantonales : s'il est élu conseiller général en 2015, abandonnera-t-il son métier pour autant ? Bien sûr que non.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Pourquoi celui qui exerce un mandat parlementaire à plein temps serait-il, lui, contraint d'abandonner sa fonction ? N'est-ce pas une stigmatisation, une discrimination, une rupture d'égalité entre citoyens ? Le suffrage universel est seul légitime pour désigner les représentants du peuple. Tous les citoyens doivent être traités sur un pied d'égalité ! Le maire d'une très grande ville, comme Paris, abandonnera, lui, son activité professionnelle. Il y a une réflexion de bon sens à mener.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je félicite nos collègues pour la qualité de leur dialectique. J'ai pour ma part derrière moi 32 ans de mandat électif, dont un an et demi de cumul. La question centrale est celle du temps. Le travail parlementaire est prenant : il y a tant de textes, d'amendements, de missions... Or le mandat exécutif local est lui aussi très prenant. La France compte beaucoup de talents : utilisons-les, et que chacun s'adonne à un mandat.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Cumulard assumé, je tenais à m'exprimer dans ce débat difficile. Une très large majorité de Français se prononce pour la limitation du cumul des mandats, mais jamais un administré ne m'a demandé de renoncer à l'un de mes mandats ! Certains mettent en avant l'argument financier, nous devrions l'assumer : nous travaillons sept jours sur sept, pour un salaire bien moindre que dans bien des professions...

Toutefois, si l'on veut aller dans le sens de l'histoire, de l'évolution de la société, disons-le tout de go : quand on cumule plusieurs mandats - et a fortiori plusieurs fonctions, ce qui n'est pas mon cas - on manque de temps. Signer un rapport, tenir des auditions, participer à des missions, cela prend du temps, même si les nouvelles technologies nous permettent de rester connectés et de faire notre travail sérieusement. Je voterai ce texte, mais attention à la stigmatisation des élus, que certains comportements peuvent alimenter.

Sans doute me trouverez-vous un peu démagogue, mais est-ce plus difficile d'être à la fois parlementaire et maire d'une petite commune que d'être maire et président d'une métropole - ce qui restera autorisé ? Avançons par étapes. Le Sénat n'a pas à être dans l'air du temps - c'est le destin des feuilles mortes - mais à montrer que la modernité, ce sont des élus qui font leur travail à fond. Sur le terrain, les gens apprécient notre travail. Or les mêmes jugent les politiques discrédités et le cumul source d'inefficacité... Curieuse dichotomie. Montrons-leur que le Sénat fait son travail avec sérieux.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre

Monsieur Jeannerot, le droit actuel aligne le régime des sénateurs sur celui des députés en matière d'incompatibilités. Dans sa lettre comme dans son interprétation par le Conseil constitutionnel, l'article 24 de la Constitution ne justifie pas un traitement différencié pour les sénateurs. Le faire supposerait de faire évoluer le rôle du Sénat, sur le modèle du Bundesrat ou du Sénat espagnol... Ce n'est pas, je pense, ce que vous souhaitez. En outre, un traitement différencié des sénateurs conduirait à qualifier ce texte de loi organique relative au Sénat, ce qui suppose un vote conforme des deux assemblées. Le Gouvernement ne souhaite pas s'engager dans cette voie. Enfin, l'Assemblée nationale n'accepterait pas cette différenciation : certains y verraient l'occasion de remettre en cause la loi sur le non-cumul des mandats.

À MM. Mazuir, Néri et Guillaume, je réponds que j'ai été maire, que je reste conseiller municipal, mais que nous devons faire attention au vent mauvais qui accompagne la mise en causes des élus, de la vie démocratique. L'Express de demain titre sur le « palmarès des cumulards »... La crise de confiance que traverse la France ne tient pas qu'aux problèmes institutionnels, mais la pratique des élus compte. Elle nourrit l'abstention, y compris lors des élections locales : il faut y prendre garde. Avançons par étapes. Certains élus ont déjà choisi de se consacrer à leur mandat local, à l'instar du maire de Paris ou de Toulouse.

Je ne dis pas que ceux qui cumulent ne travaillent pas : souvent, ils sont parmi les parlementaires les plus engagés. Mon mandat de maire ne m'a pas empêché d'animer l'opposition au sein de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Mais la conséquence, c'est la délégation non pas aux élus mais à l'administration... Les nouvelles technologies ne remplacent pas le contact humain.

Je suis conscient des changements que va provoquer cette réforme, comme celle du scrutin binominal. Les parcours politiques locaux ou nationaux seront différenciés, il faudra accompagner les évolutions, quitte à ce que d'autres textes viennent compléter celui-ci. Le cumul est déjà limité, nous l'interdisons.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre

Nous conservons de la souplesse. Le scrutin à la représentation proportionnelle existe déjà au Sénat : dans l'Essonne, j'ai vu des candidats s'affranchir allègrement des partis politiques et se faire élire au Sénat grâce à leur expérience et leur réseau. Un parlementaire pourra rester conseiller municipal, départemental ou régional. L'ancrage dans la réalité locale doit être sauvegardé : députés et sénateurs continueront de venir en fin de semaine dans leur territoire, pour être à l'écoute de nos concitoyens.

Ensuite, la commission entend, autour d'une table ronde, M. Pierre Avril, professeur émérite de droit public, M. Olivier Beaud, professeur de droit public, Mme Julie Benetti, professeur de droit public et M. Dominique Rousseau, professeur de droit public.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je voudrais tout d'abord souhaiter la bienvenue à M. Pierre Avril, professeur émérite de droit public et M. Olivier Beaud, professeur de droit public qui, avec MM. Laurent Bouvet et Patrick Weil, ont adressé une lettre au chef de l'Etat et aux présidents des assemblées sur la question du cumul des mandats qui nous occupe.

Je voudrais également accueillir M. Dominique Rousseau, ainsi que Mme Julie Benetti, tous deux professeurs de droit public et membres de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin.

Debut de section - Permalien
Pierre Avril, professeur émérite de droit public

Je voudrais tout d'abord vous faire part de ma surprise, de voir commencer le rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur les deux textes qui nous réunissent, par l'affirmation selon laquelle, le cumul des mandats est une spécificité française à éradiquer.

Cet argument me paraît quelque peu hasardeux... De spécificités françaises il en est d'autres plus spectaculaires, voire problématiques, à commencer par notre Président de la République et la concentration des pouvoirs entre ses mains, au regard du droit comparé.

Cette concentration du pouvoir s'est traduite au plan parlementaire par une sorte de « caporalisation » qui est également une spécificité française.

Si l'Assemblée nationale avait été amenée à voter sur l'autorisation d'intervenir en Syrie, et qu'elle avait émis, comme la chambre des communes l'a fait le 29 août dernier, un vote de rejet, imaginez le crime de lèse-majesté que cela aurait produit.

Compte tenu de cette logique de concentration des pouvoirs, à côté des bénéfices attendus de cette réforme, la règle du non-cumul prive les députés d'une assise territoriale personnelle et risque d'entraîner leur soumission aux appareils partisans.

La position du Sénat est à part, comme en convenait mon ami le professeur Guy Carcassonne, farouche opposant au cumul des mandats. Représenter une Nation, c'est représenter une population mais aussi un territoire, se plaisait-il à dire. Cet argument plaide en faveur du bicamérisme. On ne peut pas séparer totalement ces deux représentations, mais il convient de distinguer les missions constitutionnelles confiées à chaque chambre du Parlement. À l'Assemblée nationale, priorité est donnée à la représentation de la population, avec un correctif territorial qui varie selon les modes de scrutin. Au Sénat, en vertu de l'article 24 de la Constitution, priorité est donnée à la représentation des collectivités territoriales de la République, avec un correctif démographique. Il existe donc bel et bien un lien organique entre le Sénat et les collectivités territoriales dont il est l'émanation.

Élu par les citoyens, le député se définit d'abord comme un citoyen. Le sénateur, principalement élu par les élus locaux, s'il n'est pas l'un d'entre eux, est amené à le devenir, de par le lien organique qui découle de l'article 24.

Dans ses propositions de réforme du Sénat, Guy Carcassonne prévoyait d'attribuer la moitié de ses sièges aux maires des grandes villes, aux présidents des conseils généraux et des conseils régionaux. Dans son esprit, l'hostilité au cumul des fonctions concernait essentiellement l'Assemblée nationale et épargnait le Sénat. Il ne faudrait pas tronquer sa pensée.

Je terminerai mon propos par une note stratégique. Dans l'économie du bicamérisme, et dans le dialogue entre les deux assemblées, l'interdiction du cumul des mandats pour les députés apporterait au Sénat un surcroit de dynamisme et d'autorité. Elle y attirerait des élus locaux qui veulent une carrière nationale et des députés qui veulent la poursuivre sans renoncer à leurs fonctions locales.

Debut de section - Permalien
Julie Benetti, professeur de droit public

C'est un plaisir et un honneur d'être entendue par votre commission, même s'il n'est pas facile pour moi de m'exprimer après le professeur Pierre Avril, dont les travaux ont profondément marqué mon travail de thèse, et, chose inédite, je me démarquerai de ses positions.

Le cumul des mandats est un sujet sur lequel nous avons longuement débattu au sein de la commission « Jospin ». Je voudrais rappeler quel a été l'esprit de nos propositions sur ce sujet. Le fil rouge qui a guidé notre réflexion est la volonté de renforcer le lien unissant le citoyen à ses représentants. De cette idée a découlé toutes les propositions de la commission et en particulier celle de limiter strictement le cumul des mandats des parlementaires. Sur cet objectif, il n'y a pas eu de dissension. Certains membres de la commission souhaitaient même le passage immédiat au mandat parlementaire unique. La commission n'a pas jugé opportun de proposer d'interdire d'emblée à un parlementaire d'exercer un mandat local, pour autant, nos préconisations s'inscrivent clairement dans cette perspective. Le temps n'est plus aux « réformettes » mais au passage à l'acte.

L'idée, à terme, est de rendre le mandat parlementaire incompatible avec tout mandat électif autre qu'un mandat de simple conseiller local, et que cette incompatibilité inclut dans son champ les fonctions locales « dérivées », c'est-à-dire toutes les fonctions, même non exécutives, qui peuvent être exercées au sein d'établissements locaux dont les pouvoirs et les moyens sont souvent sensiblement plus importants que ceux des collectivités territoriales elles-mêmes.

Le projet de loi organique initial était en retrait par rapport à nos préconisations car n'étaient visées que les fonctions exécutives des collectivités territoriales ainsi que celles des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Mais, en première lecture à l'Assemblée nationale, à l'initiative de M. Christophe Borgel, rapporteur de la commission des lois, l'interdiction de cumul a été étendue aux fonctions exécutives des syndicats intercommunaux et des syndicats mixtes, ainsi que les fonctions de président, de vice-président et de membre de conseils d'administration des établissements publics locaux, des sociétés d'économie mixte locales, des sociétés publiques locales ou des organismes d'HLM. Il faudrait sans doute modifier l'intitulé même de la loi dès lors que ne sont plus visées seulement des fonctions exécutives.

Le projet de loi organique, tout comme la commission « Jospin », écarte l'idée d'une différence de traitement entre députés et sénateurs. L'article 24 de la Constitution n'implique pas que les sénateurs soient des élus locaux mais qu'ils soient élus par un collège essentiellement composé d'élus locaux. Au demeurant, les parlementaires pourront continuer à siéger au sein des conseils municipaux, départementaux ou régionaux dès lors qu'ils n'appartiennent pas à leurs exécutifs. La Constitution ne fait pas de différence entre les missions de l'Assemblée nationales et celles du Sénat.

À trop appuyer sur la spécificité sénatoriale, le risque est d'ouvrir la voie à une transformation du Sénat en chambre des territoires, et de réduire ses prérogatives par rapport à celles de l'Assemblée nationale. Le devenir du Sénat se joue ici... Si la spécificité du Sénat justifie une différence de traitement, demain, elle justifiera une différence de prérogatives.

Je plaide donc, à titre personnel, pour que les sénateurs et les députés soient traités de la même façon, car tous sont des parlementaires à part entière.

Notre souci est la rénovation du Parlement et le plein exercice des fonctions exécutives locales. Le cumul des mandats est un frein à ces objectifs. C'est à ce prix, en rendant aux parlementaires leur pleine disponibilité pour se saisir de leurs prérogatives, que cette rénovation pourra devenir effective. Je souhaiterais rappeler ici les nombreux écrits de Guy Carcassonne sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je vous remercie tous deux pour ces exposés aux conclusions différentes, mais dans lesquels notre ami Guy Carcassonne a été cité.

Debut de section - Permalien
Dominique Rousseau, professeur de droit public

Je vous remercie pour votre invitation, c'est un honneur d'être reçu par la représentation nationale. Le débat sur le cumul des mandats est un débat récurrent et bien connu. Tous les arguments ont été exposés depuis longtemps. Du côté des « pour » : la proximité, l'ancrage territorial, l'autonomie à l'égard des partis politiques. Du côté des « contre » : le renforcement récent des pouvoirs du Parlement justifiant que les parlementaires se consacrent pleinement à leurs tâches, la nécessité de rénover la vie politique et de l'ouvrir à d'autres catégories de personnes.

Le débat est donc bien connu. Il faut désormais le trancher politiquement, ce qui n'est pas notre rôle d'universitaires. Vous avez une connaissance de la vie parlementaire que nous n'avons pas.

Je voudrais insister sur trois points. Deux points de politique constitutionnelle et un point de contentieux constitutionnel.

Le premier point de politique constitutionnelle a trait à la conception que l'on peut se forger du mandat politique en général. On peut cumuler les mandats (ville, canton, département, région), comme au Monopoly, acheter tous les secteurs en rouge, en orange ou en bleu. On accumule du capital que l'on peut ensuite céder comme des parts de marché : une ville contre une région ou un département.

Pour ma part, je suis plus favorable à une distribution du capital politique, qui permet une respiration du jeu politique et un renouvellement de l'énergie démocratique du pays, luttant ainsi contre les situations monopolistiques.

Mon deuxième point de politique constitutionnelle concerne le fait de ne pouvoir concevoir la question du cumul des mandats de manière isolée. Il y a sur ce sujet une expression célèbre du Président Jacques Chirac, que je ne reprendrai pas intégralement ici, qui m'invite à penser que quand on touche un article de la Constitution, on touche tous les autres.

La question du cumul doit être reliée à d'autres réflexions comme la discussion sur la rénovation du statut des parlementaires, la nécessité en cas de non-cumul de prévoir une augmentation de leur indemnité et un renforcement des moyens matériels et humains à leur disposition pour exercer leur mandat. Il serait également nécessaire de renforcer les pouvoirs du Parlement.

Au sein de la commission « Jospin », j'ai fait valoir une opinion séparée. Je suis favorable à une interdiction du cumul des mandats pour les députés et à un cumul obligatoire pour les sénateurs. Je considère que le Sénat n'a de légitimité dans la République que s'il n'est pas le doublon de l'Assemblée nationale. L'assise du Sénat dans nos institutions ne sera pas garantie si on ne reconnait pas son rôle de représentant des collectivités territoriales. Cela passe par un collège électoral d'élus locaux mais également par les membres du Sénat eux-mêmes. Pour représenter les collectivités territoriales, il faut être un élu local.

Ma réflexion s'inscrit dans une réflexion plus générale. Étant favorable, sur le plan constitutionnel, à une décentralisation poussée, il me semble que la régionalisation ne sera pas possible sans une classe politique régionale autonome de celle nationale. Le poids politique des collectivités territoriales décentralisées devra avoir une expression institutionnelle nationale au Sénat. Schématiquement, l'Assemblée nationale représente la population, le Sénat les collectivités territoriales. L'ensemble constitue la représentation de la Nation.

Je terminerai sur un dernier point, de contentieux constitutionnel : je veux parler de la question de la date d'entrée en vigueur de la réforme. On a tout entendu sur ce point : 2017, 2014, etc. Cette question renvoie à celle des suppléants : si la réforme entre en vigueur dès 2014, il faudra modifier la loi organique pour étendre les hypothèses de remplacement d'un parlementaire par son suppléant, afin d'éviter une multitude d'élections législatives partielles. Le Conseil constitutionnel l'acceptera-t-il ? Plusieurs décisions - notamment celle, récente, du 6 juin 2013 - indiquent que le Conseil admet qu'on puisse modifier les règles électorales en cours de mandat à condition que cela soit justifié par un motif d'intérêt général. Or l'entrée en vigueur rapide d'une réforme constitue un tel motif, d'après sa jurisprudence. Une entrée en vigueur en 2017 offre une sécurité sur le plan juridique, tandis que fixer cette entrée en vigueur en 2014 pourrait présenter un risque constitutionnel, même si ce risque paraît minime en l'occurrence, car le Conseil rappelle souvent qu'il ne détient pas un pouvoir général d'appréciation identique à celui du législateur.

Debut de section - Permalien
Olivier Beaud, professeur de droit public

Pour ma part, je défends, comme Pierre Avril, une position plutôt défavorable à ce projet de réforme, pour plusieurs raisons. Je dois d'abord avouer que la lecture du rapport de la commission Jospin m'avait irrité par son dogmatisme et son manichéisme, alors qu'initialement j'étais plutôt favorable à la thèse du non-cumul, au moins s'agissant des députés. Mais il me paraît évident qu'une telle réforme ne peut qu'aggraver la présidentialisation du régime, n'en déplaise au rapporteur de l'Assemblée nationale qui a qualifié cet argument de « rustique ». A l'heure actuelle, que cela plaise ou non, l'existence de « grands barons » au sein du Parlement constitue un contre-pouvoir. L'interdiction du cumul des mandats risque, à l'inverse, d'accentuer la concentration des pouvoirs. Il y a là une question fondamentale tenant à l'équilibre global de nos institutions, qui a pourtant été peu abordée lors des débats à l'Assemblée nationale.

Ces débats ont été riches et intéressants. On constate que l'Assemblée nationale s'est livrée à une logique infernale en étendant considérablement le champ de l'incompatibilité. En outre, ce projet de réforme ne procède pas seulement à une extension des incompatibilités mais constitue un saut qualitatif ; il modifie toute la portée du système, en le faisant passer d'une logique de limitation des mandats à une logique d'interdiction. Plusieurs députés ont fait part de leurs réserves. Je ne citerai que les propos du député David Habib lors de la séance du 4 juillet 2013 : « la fin du cumul, si elle n'est pas accompagnée d'un vaste mouvement décentralisateur, renforcera Paris et l'échelon central par rapport à la province. [...] Le problème ne concerne pas Montpellier, Toulouse, Lille, mais les agglomérations et les villes moyennes qui, elles, ont besoin d'un relais avec l'échelon central et les ministères et qui l'ont aujourd'hui trouvé grâce à l'existence du député-maire. Je crains que la fin du cumul soit pour celles-ci un élément déstabilisateur ». Pourtant, lui comme plusieurs de ses collègues députés, tout aussi réservés, ont voté le projet de loi, car ils appartiennent à la majorité... On a bien ici une illustration de la « caporalisation » dont parlait tout à l'heure Pierre Avril.

Que voulons-nous vraiment pour notre République ? Dans son rapport, page 31, le rapporteur de l'Assemblée nationale Christophe Borgel donne des éléments : l'un des effets de la réforme sera de donner davantage d'importance au suppléant et d'atténuer la dimension personnelle de l'élection. Ainsi, il s'agit bien de renforcer l'allégeance partisane ! Mon opinion est que, dans une démocratie, l'électeur doit connaître son élu et pouvoir le contrôler. Cette réforme va favoriser les apparatchiks qui commencent leur carrière à 20 ans dans les partis et se font désigner dans des circonscriptions faciles au détriment de ceux qui conquièrent le statut de parlementaire par des mandats locaux durement gagnés.

Tout cela vaut a fortiori pour le Sénat. Le point le plus étrange de ce projet de loi organique est l'assimilation à laquelle il procède entre le statut de sénateur et celui de député. Le renvoi au régime des incompatibilités des députés pour fixer celle des sénateurs est d'ailleurs un hasard historique. Or, de la même manière qu'on différencie les inéligibilités, il y a une véritable logique institutionnelle à différencier les incompatibilités. Cette loi organique est-elle une « loi organique relative au Sénat », auquel cas le Gouvernement ne pourrait passer outre son consentement en donnant, le cas échéant, le dernier mot à l'Assemblée nationale ?

Je terminerai en citant ces propos du sénateur Jacques Carat lors d'une séance au Sénat le 17 décembre 1985 : « Comment [le Sénat] pourrait-il être valablement l'émanation des collectivités locales si les élus qu'elles se sont choisis pour les représenter ne pouvaient, en même temps, siéger dans notre assemblée ? Nos institutions fixent donc elles-mêmes la mesure à garder ». Je vous remercie.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Tout ce que nous venons d'entendre montre à quel point l'organisation de cette table ronde était une bonne idée. J'ai été rassuré par une partie des propos du Professeur Avril, même si je ne partage pas sa position de façon générale. Le ministère de l'Intérieur a produit des statistiques : d'ores et déjà, 40% des sénateurs n'exercent pas de fonction exécutive locale ; c'est d'ailleurs mon cas. Le professeur Avril nous dit que quand on est élu par des élus locaux, on devient de ce fait l'un d'entre eux : j'approuve totalement cette idée, dont j'ai fait l'expérience.

J'aurai, pour les uns et les autres, plusieurs questions. Tout d'abord, je suis pour ma part issu de la fonction publique territoriale, et je sais d'expérience que les mandats locaux ne représentent plus la même charge. En outre, un mandat de maire aujourd'hui ne ressemble en rien à ce qu'il était il y a 40 ans. N'y aurait-il pas là un argument en faveur d'une évolution du droit ?

Par ailleurs, qu'en est-il sur le plan du droit comparé ? Quel est le droit applicable dans les autres États de l'Union européenne ? La France est-elle plus ou moins stricte que la moyenne ? Doit-on parler d'un « retard français » ?

Ce projet de loi propose d'interdire le cumul entre un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale : la prochaine étape consistera-t-elle à interdire le cumul entre plusieurs fonctions exécutives locales ?

Enfin, à quelles évolutions peut-on s'attendre sur le plan institutionnel après l'entrée en vigueur de la réforme ?

Debut de section - Permalien
Julie Benetti, professeur de droit public

Il est vrai que le droit comparé est souvent mobilisé. Si la France fait figure d'exception, c'est moins par ses règles que par sa pratique : d'autres États autorisent le cumul, mais la proportion de ceux qui cumulent plusieurs fonctions est moindre.

Sur la question du cumul de mandats locaux, il me semble que notre législation est satisfaisante. Il ne faudrait pas, ici, tomber dans une logique d'interdiction, pour reprendre des termes utilisés tout à l'heure.

J'attends beaucoup de cette réforme sur le plan institutionnel. Permettez-moi de vous citer les propos de Guy Carcassonne, qui disait que « le Parlement ne manque pas de pouvoirs mais de parlementaires pour les exercer ». Il faut que les parlementaires se dressent contre le Gouvernement ! L'absentéisme des parlementaires favorise le pouvoir exécutif et laisse une place démesurée aux représentants politiques des groupes. Ce projet de loi est une réponse à cette « caporalisation » dont souffre le Parlement !

Debut de section - PermalienPhoto de Gaëtan Gorce

Je suis sensible aux arguments de Dominique Rousseau, que je remercie par ailleurs de ne pas avoir cité les paroles du président Chirac in extenso... Comme cela a été le cas pour le quinquennat, les conséquences de la réforme qu'il nous est demandé de voter n'ont pas été évaluées... Qu'en est-il, en particulier, du nécessaire rééquilibrage des pouvoirs entre le Gouvernement et le Parlement ? Aujourd'hui, le cumul des mandats ne permet pas au Parlement de résister face au Gouvernement, mais l'interdiction du cumul ne le permettra pas plus si on ne donne pas aux parlementaires les moyens matériels, humains et juridiques d'exercer les pouvoirs de contrôle que leur reconnaît la Constitution. La semaine de contrôle au Parlement y est d'ailleurs la plus pauvre. Comme sénateur, quel pouvoir réel ai-je, aidé d'un seul collaborateur et de mes codes, face à l'armada de fonctionnaires de Bercy ou du ministère de l'Intérieur ? Comme rapporteur, je suis totalement dépendant des données et informations qu'accepte de me transmettre le Gouvernement. Pour ma part, je pense que les pouvoirs dont disposent les parlementaires sont encore trop restreints. Il faudrait notamment que tous les rapporteurs puissent disposer des pouvoirs des rapporteurs budgétaires.

Par ailleurs, je suis intimement convaincu que cette réforme ne favorisera en rien le renouvellement de la classe politique. De ce point de vue, je suis d'accord avec le Professeur Beaud, il faut placer les partis politiques, dont les assises se sont lentement érodées, devant leurs responsabilités.

Enfin, faut-il cultiver la spécificité du Sénat ? Je ne le crois pas. Je rappelle que notre assemblée a été créée afin de porter une certaine « sagesse » - dans une optique assez conservatrice, il faut le reconnaître. À mon sens, le Sénat a vocation à rester une assemblée généraliste. C'est le mode d'élection des sénateurs qu'il faut modifier.

Sur l'ensemble de ces points, il me semble que la réforme qui nous est proposée n'apportera pas de solution satisfaisante. Je la voterai néanmoins, tout en étant conscient du fait que le pouvoir des appareils des partis politiques risque de s'accroître encore sur le Parlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Ma question ira à Mme Benetti : comment et pourquoi, selon vous, cette interdiction du cumul des mandats renforcerait-elle le lien entre le peuple et ses représentants ? S'agit-il, ici, de la question de la présence des parlementaires à Paris ? Comment évaluez-vous la journée d'un maire d'une grande ou d'une petite commune, d'un conseiller régional, etc. ?

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

Je m'adresse à Mme le professeur Julie Benetti. Mme Virginie Klès a posé la première question que je voulais aborder, mais j'en ai d'autres. Je voudrais d'abord observer que si on fait une réforme, c'est pour être efficace, il faut une cohérence d'ensemble.

Vous êtes opposée au cumul des mandats parlementaires avec des mandats d'exécutifs locaux, mais vous n'abordez pas la question des parlementaires qui continuent à exercer leur profession : par exemple, un parlementaire qui est avocat pourra continuer à plaider, alors qu'un parlementaire qui serait également maire devra abandonner l'un des deux mandats. Trouvez-vous donc normal qu'on ne traite qu'une partie du problème ?

D'autre part, il est très difficile d'être élu sans exercer un mandat local. Pour ma part, je suis un élu des Français de l'étranger ; je ne peux donc pas cumuler mon mandat avec un exécutif local mais je suis membre de l'Assemblée des français de l'étranger (AFE). Or, jusqu'à présent, personne n'a été élu dans une circonscription des français de l'étranger sans avoir été membre de l'AFE. C'est par l'exercice d'un mandat local qu'on remplit le mieux son mandat de sénateur.

Je rappelle aussi que lorsqu'on a changé la limite d'âge pour être élu au Sénat, on a successivement retenu 35 ans, puis 30 ans et enfin 24 ans ; à l'époque, l'argument développé a été de dire que si à 18 ans on peut être élu à l'Assemblée nationale, il faut en revanche justifier d'au moins une expérience d'élu local avant de pouvoir être élu sénateur, d'où l'argument de l'époque que l'âge de 24 ans correspond à l'âge de 18 ans majoré de 6 ans, soit la durée normale d'un mandat local.

Si on veut des parlementaires dignes de ce nom, il faut des parlementaires élus par eux-mêmes : en cas d'interdiction de cumul des mandats, le maire, le président d'un conseil général ou d'un conseil régional désigneront un faire-valoir, qui sera élu au Sénat. C'est un très grand risque pour le Sénat car les ficelles seront tirées par d'autres que les sénateurs.

Il n'y aura donc à l'Assemblée nationale et au Sénat que des « apparatchiks » ou les faire-valoir des grands barons locaux.

Je suis donc parfaitement d'accord avec les arguments développés par Mme le Professeur Benetti mais j'arrive à une conclusion exactement inverse.

Je pense qu'il faut revaloriser le parlementaire, non le Parlement : le Parlement a des pouvoirs alors que les parlementaires n'en ont pas. Comme l'a souligné mon collègue Gaëtan Gorce, le parlementaire ne peut pas rivaliser en termes d'expertise technique avec le ministère des finances par exemple.

Ce que je reproche à cette réforme, que je ne voterai pas, c'est le fait qu'elle ne mesure pas suffisamment le pour et le contre : elle risque d'entraîner un déséquilibre institutionnel. Les membres du Parlement voteront cette réforme justement parce qu'ils ne peuvent pas se dresser contre le Gouvernement ; ce projet de loi ne rééquilibre pas les rapports entre Parlement et Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Je veux ajouter quelques réflexions et quelques interrogations qui n'ont, me semble-t-il, pas été abordées jusqu'à présent.

À propos de la différenciation entre l'Assemblée nationale et du Sénat, j'ai une simple remarque : la seule véritable justification du bicamérisme, c'est la double délibération, la valeur ajoutée qu'il donne à la délibération, quelle que soit l'origine élective des assemblées et il est vain de chercher d'autres justifications. Le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales mais il représente le peuple français ; si on basculait sur un système où le Sénat ne représente que les collectivités territoriales, on aboutirait au système allemand où lorsqu'un élu du Bundesrat perd son siège local, il perd en conséquence son siège au Bundesrat.

J'ai une autre observation. Le cumul a une raison fonctionnelle : il apporte une expertise locale. Dans n'importe quel débat, 90 % des arguments échangés s'enracinent dans une expérience locale.

Il faut faire de la science politique et analyser si une minute de plus sera consacrée au mandat de parlementaire lorsque l'interdiction du cumul des mandats sera effective. Je ne le pense pas car la première préoccupation de l'élu est d'être identifiée par ses électeurs. Lorsque les parlementaires n'auront plus de mandat local, ils devront consacrer au moins autant de temps à leur circonscription mais comme ils n'exerceront pas de mandat local, ils joueront un peu la « mouche du coche » : ils seront présents pour se faire connaître. « All politics is local », toute politique est locale disent les américains : c'est vrai aussi en France.

En ce qui concerne le renouvellement du personnel politique, je partage l'analyse de mon collègue Gaëtan Gorce : j'ai un doute sur le fait que cela va provoquer un appel d'air et vu les conditions dans lesquelles il se produira, ce seront les collaborateurs de parlementaires qui remplaceront les parlementaires qui cumulent aujourd'hui leur mandat avec des mandats locaux.

Enfin, combien d'élus locaux ont une activité professionnelle ? Si on comparait le cumul d'un mandat local avec un mandat parlementaire et le cumul d'un mandat parlementaire avec l'exercice d'une profession, on risquerait être surpris sur qui du mandat local ou de la profession prend le plus de temps. Ayant connu les deux situations, je peux dire que l'activité professionnelle dont le cumul est pourtant autorisé avec un mandat parlementaire est autrement plus prenante que le mandat local.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je remercie très sincèrement le professeur Olivier Beaud d'être venu et qui a dû partir avant la fin de cette table ronde.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Je souhaite intervenir dans la continuité du professeur Pierre Avril pour dire que compte tenu du mode d'élection des sénateurs, ceux-ci méritent un traitement protecteur. Vous avez évoqué le fait que les sénateurs doivent être des élus de collectivités territoriales, mais il existe pourtant près de 45 % de sénateurs qui n'ont aucun mandat local. De ce fait, pour qu'ils soient placés sur le même pied d'égalité que les parlementaires disposant aussi d'un mandat local, il serait souhaitable qu'une institution, à l'échelon local, rassemble parlementaires et élus locaux pour instaurer un dialogue et un échange nécessaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je voudrais émettre une observation sur la question de savoir s'il faut différencier les sénateurs des députés en fixant des règles différentes. Comme Alain Richard, je pense que se pose la question du statut des élus en général. En effet, il y a une différence pour l'élu local, selon qu'il est fonctionnaire ou salarié, ou qu'il est maire ou président de conseil général, etc. : le code du travail comme le statut général de la fonction publique prévoient que 25 % du temps de travail peuvent être dégagés au titre du mandat. Le mandat local n'est donc pas à ce point dévorant puisque le législateur considère qu'on peut travailler 75 % de son temps en entreprise ou comme fonctionnaire et être en même temps maire d'une ville ou président d'un conseil général ou régional. On peut aborder alors la question du cumul des mandats avec l'idée que ce ne serait qu'un cas de figure parmi d'autres. À propos du statut de l'élu local, on en a discuté il y a quelques semaines, lors de l'examen du projet de loi relatif à la transparence de la vie publique : le principe est celui de l'autorisation de continuer son activité professionnelle et l'exception, l'interdiction pour une liste de métiers limitativement définis par la loi organique. Cette interdiction s'applique non pas parce qu'il y a un problème de temps mais parce qu'il y a un risque pour l'indépendance de l'élu.

Le champ extrêmement large de la question du cumul en général n'est donc ici abordé que de manière très partielle par rapport aux questions réelles que soulève ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Jeannerot

Je voudrais remercier les différents intervenants car ce débat a montré qu'en la matière, il n'y avait aucune vérité révélée.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Jeannerot

Je voudrais revenir sur mon intervention lors de l'audition précédente, avec le ministre de l'intérieur. J'ai moi aussi convoqué la mémoire de Guy Carcassonne, farouche opposant au cumul des mandats. Il opérait une différence cependant, entre les députés et les sénateurs, en tant qu'élus par les collectivités territoriales. J'émets donc l'hypothèse que ces deux situations peuvent être traitées de manière différente. Dans sa réponse, le ministre a avancé deux arguments pour s'y opposer : le premier, d'ordre constitutionnel, est que cette différenciation entre députés et sénateurs serait infondée au regard des attributions identiques des deux chambres. On ne pourrait donc imaginer des conditions différentes d'exercice des mandats. Le second argument est que cette différenciation ferait du Sénat une chambre « croupion », limitée dans ses prérogatives, par nature différentes de celles de l'Assemblée nationale en raison du statut différent des parlementaires de ces deux chambres. Que pensez-vous de cette argumentation ?

Debut de section - Permalien
Pierre Avril, professeur émérite de droit public

Je voudrais tout d'abord répondre à la question posée à propos de la spécificité des sénateurs par rapport aux députés. C'est une spécificité qui a son origine dans les sources mêmes : la Constitution établit elle-même, à l'article 24, que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales. Mais par ailleurs et simultanément, le Sénat est une assemblée parlementaire au même titre que l'Assemblée nationale, sous la seule réserve qu'il ne peut pas renverser le Gouvernement, en contrepartie de quoi il ne peut être dissous. Mais les deux chambres ont la même nature : celle de représenter le peuple français, l'une étant issue du suffrage universel direct, l'autre du suffrage universel indirect. Soulever le fantôme d'une capitis diminutio du Sénat résultant d'une différenciation du régime électoral des sénateurs par rapport à celui des députés, conduisant à ce que le Sénat ne représente plus que les collectivités territoriales n'a pas de sens : il est déjà écrit dans la Constitution que le Sénat représente les collectivités territoriales. C'est, au contraire, tirer les conséquences de la source constitutionnelle que d'établir une différenciation entre les parlementaires de chacune de ces chambres et on ne peut, par conséquence, imposer aux sénateurs un régime électoral équivalent à celui des députés. Ce n'est d'ailleurs actuellement pas le cas !

Prenons l'exemple suivant : si l'interdiction du cumul des mandats existait déjà, Jean-Marc Ayrault serait devenu sénateur. Je veux aussi rappeler qu'en 1959, Edgar Faure, Gaston Deferre et François Mitterrand, battus aux élections législatives, sont devenus sénateurs. Le Sénat n'a pas eu à s'en plaindre. Ce sera quelque chose d'impossible désormais si le Parlement adopte ce projet de loi.

Un mot sur les pouvoirs du Parlement. Guy Carcassonne avait écrit dans sa préface à l'ouvrage de M. René Dosière « L'argent caché de l'Élysée », que le Parlement ne manque pas de pouvoirs mais d'hommes pour les exercer.

Lors des débats sur la révision constitutionnelle de 2008, il avait ajouté que chaque fois que le Parlement réclamait de nouveaux pouvoirs, on les lui attribuait, mais ils profitaient en réalité à la majorité politique essentiellement, et donc au Gouvernement auquel elle est en quelque sorte asservie.

Dans cette logique, l'interdiction du cumul des mandats aggraverait une situation de manque d'indépendance des parlementaires à l'égard du Gouvernement déjà fortement dégradée.

Debut de section - Permalien
Julie Benetti, professeur de droit public

Je retiens de plusieurs interventions que la détention d'un mandat local apporte une connaissance de la vie et de la société réelle.

Je n'ai certes pas de pratique du mandat politique. Mon point du vue est purement universitaire, mais, est-ce à dire alors que les parlementaires britanniques, allemands, italiens n'auraient pas cette connaissance ? Est-ce à dire que la connaissance de la vie réelle ne vient que d'un mandat électif ?

L'expertise locale n'est certainement pas supprimée par le projet de loi organique. Les parlementaires pourront continuer à être des élus locaux et les mandats peuvent se succéder dans le temps.

Debut de section - Permalien
Julie Benetti, professeur de droit public

Le projet de loi organique ne règle pas tout. Il laisse par exemple de côté les incompatibilités professionnelles. Mais, est-ce parce que l'on ne traite pas cette question qui devrait l'être, qu'il faut renoncer à légiférer sur le cumul des mandats ?

Quant aux moyens des parlementaires, on pourrait encore modifier l'arsenal juridique... Cependant, ils ont d'ores et déjà des pouvoirs significatifs.

Effectivement, il y a un manque de moyens matériels et humains. Il faut doter les parlementaires d'une force d'expertise face au Gouvernement. Mais cette question ne doit pas empêcher la réforme dont nous discutons. De plus, si la réforme permet aux parlementaires d'être davantage présents dans leur assemblée, cela leur donnera plus de poids pour demander des moyens supplémentaires.

Enfin, pour répondre au sujet de l'absentéisme, je ne le réduis pas à la question du cumul des mandats. Mais je pense que le cumul en est l'un des facteurs puissant. Or, l'absentéisme nourrit l'antiparlementarisme en France. Cet antiparlementarisme m'effraie beaucoup.

Sans vouloir faire parler l'opinion publique, il me semble néanmoins qu'on attend des parlementaires qu'ils exercent d'abord leur mandat parlementaire et des titulaires de mandats exécutifs locaux qu'ils exercent d'abord leur mandat d'exécutif local.

Quant à la question du seuil, effectivement, il n'y a pas d'équivalence parfaite entre un mandat de conseiller municipal dans une petite commune rurale et le mandat d'un conseiller municipal dans une grande commune.

La commission « Jospin » avait écarté la question d'une distinction selon un seuil démographique. Il nous a semblé qu'il fallait une mesure simple et nette pour opérer la rupture avec l'état du droit.

Debut de section - Permalien
Dominique Rousseau, professeur de droit public

Beaucoup de choses ont été dites. Je ne développerai donc que deux points.

Concernant la logique de la réforme, il me parait évident qu'à elle seule, elle ne va pas moderniser les institutions de la République. Mais, elle peut être un levier pour poser d'autres questions concernant l'opportunité de prévoir des incompatibilités professionnelles, la nécessité de revaloriser des moyens matériels des parlementaires ou le renforcement des pouvoirs du Parlement. Il faut un point d'accroche à ces réformes ultérieures. N'attendons pas trop de la réforme dont nous discutons. Elle n'est qu'un point de départ.

N'attendons pas trop du droit non plus. Cette réforme aura des effets vertueux, mais également pervers. Il ne faudra pas forcément en rendre responsable la loi ou le législateur.

J'ai entendu dire qu'avec la limitation du cumul des mandats, si le député-maire ne peut plus être maire, il va placer son copain ou son assistant comme maire... Ce n'est pas ici la faute de la loi, mais bien celle des hommes politiques.

La loi pose un régime juridique. On ne peut pas savoir à l'avance quel usage en sera fait car les effets du non cumul ne se feront sentir qu'au bout de quelques années. Il faudra du temps pour que tous, hommes politiques et citoyens, s'approprient cette réforme.

Quant à la conception du mandat, l'affirmation selon laquelle il faudrait nécessairement un ancrage local aux parlementaires me fait m'interroger sur ce qu'est l'intérêt général. Ce n'est pas la somme des intérêts particuliers des collectivités territoriales.

Je crois que quand Jean-Jacques Servan-Schreiber a été élu député, il a voulu inscrire sur sa carte de visite « député de Meurthe-et-Moselle », le Président de l'Assemblée nationale de l'époque, Edgar Faure, lui avait envoyé une lettre lui signifiant qu'il était « député de la Nation ».

Les parlementaires doivent penser la volonté générale comme dépassant l'addition des intérêts particuliers. La présence dans les délibérations de préoccupations locales risque de faire perdre aux assemblées leur fonction de dire l'intérêt général. Cette fonction se déplacera alors ailleurs. Au Conseil d'État ? Au Conseil constitutionnel ? Je crains un affaissement de la volonté générale.

De plus, il me semble que le non cumul des mandats est un moyen de limiter la présidentialisation du régime. À la lecture des débats parlementaires qui accompagnent chaque révision constitutionnelle, on peut s'apercevoir que le Gouvernement se réjouit quand les députés sont en circonscription.... Plus les parlementaires seront à Paris, plus le Gouvernement sera sous leur contrôle.

Je ne crois donc pas, à l'inverse, à l'idée selon laquelle le cumul de mandats permettrait de limiter la présidentialisation. Aujourd'hui, les parlementaires peuvent cumuler, et pourtant, ils ne s'opposent pas au Gouvernement. D'ailleurs, ceux de la majorité voteront ce texte qu'ils n'apprécient pas.

L'idée selon laquelle le cumul des mandats serait un moyen de limiter la présidentialisation n'est pas opérant - en témoignent la situation actuelle et les conditions dans lesquelles ce texte va être examiné !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je souhaiterais ici intervenir, car ce que vous avez dit m'interpelle. Qu'est-ce qui vous permet de dire que les parlementaires votent contre leur volonté ? Notre Constitution permet la diversité des expressions. Je vous rappelle en outre que tout mandat impératif est nul. Les conditions d'examen des textes au Sénat, qui réunissent des majorités variables, le montrent bien...

Debut de section - Permalien
Dominique Rousseau, professeur de droit public

Je maintiens que la situation actuelle, qui autorise le cumul des fonctions, ne donne pas aux parlementaires les ressorts nécessaires pour s'opposer au président de la République. L'existence de « barons locaux », pour reprendre une expression utilisée tout à l'heure, n'y change rien : le Gouvernement préfère les parlementaires en circonscriptions !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je vous remercie pour la richesse de nos échanges, qui nous ont beaucoup apporté et contribueront à enrichir le débat.