Intervention de Julie Benetti

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 10 septembre 2013 : 1ère réunion
Interdiction du cumul des mandats — Audition de M. Pierre Avril professeur émérite de droit public M. Olivier Beaud professeur de droit public Mme Julie Benetti professeur de droit public et M. Dominique Rousseau professeur de droit public

Julie Benetti, professeur de droit public :

C'est un plaisir et un honneur d'être entendue par votre commission, même s'il n'est pas facile pour moi de m'exprimer après le professeur Pierre Avril, dont les travaux ont profondément marqué mon travail de thèse, et, chose inédite, je me démarquerai de ses positions.

Le cumul des mandats est un sujet sur lequel nous avons longuement débattu au sein de la commission « Jospin ». Je voudrais rappeler quel a été l'esprit de nos propositions sur ce sujet. Le fil rouge qui a guidé notre réflexion est la volonté de renforcer le lien unissant le citoyen à ses représentants. De cette idée a découlé toutes les propositions de la commission et en particulier celle de limiter strictement le cumul des mandats des parlementaires. Sur cet objectif, il n'y a pas eu de dissension. Certains membres de la commission souhaitaient même le passage immédiat au mandat parlementaire unique. La commission n'a pas jugé opportun de proposer d'interdire d'emblée à un parlementaire d'exercer un mandat local, pour autant, nos préconisations s'inscrivent clairement dans cette perspective. Le temps n'est plus aux « réformettes » mais au passage à l'acte.

L'idée, à terme, est de rendre le mandat parlementaire incompatible avec tout mandat électif autre qu'un mandat de simple conseiller local, et que cette incompatibilité inclut dans son champ les fonctions locales « dérivées », c'est-à-dire toutes les fonctions, même non exécutives, qui peuvent être exercées au sein d'établissements locaux dont les pouvoirs et les moyens sont souvent sensiblement plus importants que ceux des collectivités territoriales elles-mêmes.

Le projet de loi organique initial était en retrait par rapport à nos préconisations car n'étaient visées que les fonctions exécutives des collectivités territoriales ainsi que celles des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Mais, en première lecture à l'Assemblée nationale, à l'initiative de M. Christophe Borgel, rapporteur de la commission des lois, l'interdiction de cumul a été étendue aux fonctions exécutives des syndicats intercommunaux et des syndicats mixtes, ainsi que les fonctions de président, de vice-président et de membre de conseils d'administration des établissements publics locaux, des sociétés d'économie mixte locales, des sociétés publiques locales ou des organismes d'HLM. Il faudrait sans doute modifier l'intitulé même de la loi dès lors que ne sont plus visées seulement des fonctions exécutives.

Le projet de loi organique, tout comme la commission « Jospin », écarte l'idée d'une différence de traitement entre députés et sénateurs. L'article 24 de la Constitution n'implique pas que les sénateurs soient des élus locaux mais qu'ils soient élus par un collège essentiellement composé d'élus locaux. Au demeurant, les parlementaires pourront continuer à siéger au sein des conseils municipaux, départementaux ou régionaux dès lors qu'ils n'appartiennent pas à leurs exécutifs. La Constitution ne fait pas de différence entre les missions de l'Assemblée nationales et celles du Sénat.

À trop appuyer sur la spécificité sénatoriale, le risque est d'ouvrir la voie à une transformation du Sénat en chambre des territoires, et de réduire ses prérogatives par rapport à celles de l'Assemblée nationale. Le devenir du Sénat se joue ici... Si la spécificité du Sénat justifie une différence de traitement, demain, elle justifiera une différence de prérogatives.

Je plaide donc, à titre personnel, pour que les sénateurs et les députés soient traités de la même façon, car tous sont des parlementaires à part entière.

Notre souci est la rénovation du Parlement et le plein exercice des fonctions exécutives locales. Le cumul des mandats est un frein à ces objectifs. C'est à ce prix, en rendant aux parlementaires leur pleine disponibilité pour se saisir de leurs prérogatives, que cette rénovation pourra devenir effective. Je souhaiterais rappeler ici les nombreux écrits de Guy Carcassonne sur ce sujet.

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