Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les résultats de la récente étude du CNC sur la fréquentation de nos salles de cinéma peuvent nous réjouir. Avec plus de 140 millions d’entrées entre le 1er janvier et le 31 août 2010, elle est en hausse de 6, 8 % par rapport à la même période de l’année dernière.
L’une des raisons de cette hausse historique de la fréquentation des salles obscures tient à leur excellent état et à la conversion du parc de salles à la projection numérique.
Cela renforce la nécessité de trouver des modes de financement pour équiper l’ensemble des salles le plus rapidement possible, à la fois parce que la période transitoire est coûteuse pour tous les acteurs et pour éviter une concurrence exacerbée entre les salles. Cette dernière nuirait à la diversité et à la richesse du maillage territorial des salles.
Cette évolution justifie aussi la régulation envisagée dans le cadre de ce que l’on appelle « une fusée », dont les trois étages sont complémentaires. Son premier étage est constitué de la présente proposition de loi, le deuxième, du dispositif d’aides publiques pour aider les petites exploitations, et le dernier, de textes réglementaires nécessaires à la régulation de l’ensemble.
La présente proposition de loi vise à généraliser et à encadrer le système de la contribution numérique contractuelle. Elle organise donc la redistribution d’une partie des économies réalisées par les distributeurs en direction des exploitants. Je précise qu’il ne s’agit pas d’une contribution pérenne, puisqu’elle ne sera plus versée une fois la couverture du coût de la transition numérique assurée dans l’ensemble des salles.
L’encadrement du dispositif de contribution numérique a pour double objectif de maintenir la liberté de programmation des exploitants et de garantir la maîtrise par les distributeurs de leurs plans de diffusion des films, c’est-à-dire le libre accès aux films pour les uns et le libre accès aux salles pour les autres.
En effet, le système contractuel actuel pourrait favoriser le placement de copies numériques au détriment des autres films pendant la période de transition et entraîner une accélération de la rotation des films, ce qui serait préjudiciable à leur bonne exposition. Les films les plus fragiles seraient bien sûr les premiers touchés.
À cette fin, le texte veille à assurer l’étanchéité entre, d’une part, les contrats de contribution numérique et, d’autre part, la négociation sur les conditions de location et d’exposition d’un film. Le respect de ce cadre s’exercera sous le contrôle du CNC et du Médiateur du cinéma, dont je salue les compétences respectives, reconnues de tous.
Voici, plus précisément, les dispositions essentielles du texte.
La contribution numérique sera exigible, par salle, durant les deux premières semaines qui suivent la sortie nationale du film, et au-delà lorsque l’œuvre est mise à disposition dans le cadre d’un élargissement du plan initial de sortie du film. En revanche, la contribution ne sera pas exigible lorsque les films sont mis à disposition pour une exploitation dite « en continuation », c’est-à-dire lorsqu’une salle reprend une copie déjà existante.
La contribution numérique sera donc due sur le pic maximal du nombre de copies en circulation, c’est-à-dire sur le pic de diffusion des films, et non exclusivement sur une période de référence. Le fait de fonder le calcul sur la semaine au cours de laquelle le nombre maximum d’écrans est occupé par un film permet de rester au plus près de la logique économique actuelle de diffusion en 35 millimètres. On pourra ainsi préserver l’exposition des films en salles. Ce raisonnement logique est fondé sur les économies réalisées par les distributeurs sur le coût des copies numériques, grâce au passage du photochimique à la technologie numérique.
Comme l’a précisé l’Assemblée nationale, la contribution ne sera due que pour l’installation initiale des équipements de projection numérique, et non pour leur renouvellement. Elle ne sera plus requise une fois assurée la couverture du coût des équipements, compte tenu des autres financements de l’exploitant et, en tout état de cause, au-delà d’un délai de dix ans après l’installation initiale des équipements de projection numérique, sans que ce délai puisse excéder le 31 décembre 2021.
L’Assemblée nationale a précisé que la contribution serait due aux salles homologuées avant le 31 décembre 2012. Elle a en outre prévu que le financement de l’équipement puisse être mutualisé entre exploitants ou par des intermédiaires financeurs. En effet, en l’absence d’un système généralisé et obligatoire, seules les salles les plus « rentables » pourraient s’équiper, les plus petites étant dans l’incapacité d’attirer les investisseurs pour assurer leur numérisation. C’est pourquoi, en permettant leur regroupement en vue de mutualiser la collecte des contributions, le texte leur permet de s’organiser pour assurer cette transition, avec ou sans l’aide de tiers.
L’Assemblée nationale a aussi prévu que la contribution numérique sera également due par les personnes qui mettent à la disposition de l’exploitant ou louent à ce dernier une salle de projection en vue de diffuser des programmes dits « hors film », comme la captation de spectacles vivants ou la retransmission de compétitions sportives ou d’émissions audiovisuelles.
En contrepartie de ces obligations, des garanties sont apportées à la fois aux distributeurs et aux exploitants.
Le montant de la contribution doit rester inférieur à la différence entre le coût de la mise à disposition d’une œuvre sur support photochimique et celui de la mise à disposition d’une œuvre sous forme de fichier numérique.
Le Médiateur du cinéma, qui a la confiance de tous les professionnels, pourra être saisi de tout litige relatif à la contribution numérique. Sur la proposition de nos collègues députés Patrick Bloche et Franck Riester, l’Assemblée nationale a précisé qu’il pourra demander la transmission du contrat de location des films, ce qui garantira davantage la transparence et l’étanchéité du dispositif.
Par ailleurs, toute clause contractuelle qui ferait dépendre du versement de la contribution, soit les choix de distribution ou de programmation, soit le taux de location, serait nulle de plein droit, et ce « afin de préserver la diversité de l’offre cinématographique ».
Un comité de concertation professionnelle sera chargé d’élaborer des recommandations de bonne pratique.
Un article additionnel après l’article 2 prévoit une clause de rendez-vous dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi, avec la constitution d’un comité de suivi parlementaire composé de deux députés et de deux sénateurs, comité chargé d’évaluer le fonctionnement du nouveau dispositif. Ce comité disposera du concours du Centre national du cinéma, le CNC, qui devra produire un rapport sur la mise en œuvre de la loi.
Le comité de suivi, le comité de concertation professionnelle et le Médiateur du cinéma devront, chacun dans son rôle, vérifier l’étanchéité entre le versement de la contribution numérique et la programmation, ainsi que le respect des engagements de programmation et des plans de diffusion des films.
Par ailleurs, l’Assemblée nationale a adopté un amendement de notre collègue député Marcel Rogemont tendant à lier le principe du versement par le CNC d’une aide financière destinée à financer l’équipement numérique d’un établissement au respect d’engagements de programmation. Cette disposition est essentielle.
Enfin, avec l’article 5, l’Assemblée a répondu à la forte demande des exploitants concernant la fixation de la valeur locative des locaux monovalents, compte tenu de la nécessité de maintenir des cinémas en centre-ville. Ainsi, la référence aux usages de la profession pour fixer le loyer des salles de cinéma sera obligatoire, et non plus facultative.
Cette proposition de loi très attendue, enrichie grâce à la poursuite de la concertation, est donc largement consensuelle, tant pour ce qui concerne ses principes que sur l’urgence à les mettre en œuvre. Bien sûr, le secteur étant composé d’acteurs aux intérêts parfois violemment divergents, et l’aventure numérique emportant de légitimes inquiétudes, il est évident que le point d’équilibre fut quelque peu difficile à trouver. Mais ce dernier est aujourd’hui atteint.
Le dispositif doit garder une certaine souplesse afin que les acteurs le fassent vivre. Nous suivrons avec vigilance son application et nous nous remettrons à l’ouvrage si cela se révélait nécessaire.
Nous pouvons néanmoins faire confiance aux professionnels, au comité de concertation professionnelle, au CNC et au Médiateur du cinéma pour qu’une application intelligente du texte permette d’en satisfaire tous les objectifs.
Le deuxième étage de la « fusée » consiste en un dispositif d’aides publiques afin de permettre le financement de l’équipement numérique de l’ensemble du parc de salles.
Par le biais de la mutualisation, un certain nombre d’exploitations de petite et moyenne taille sont certes déjà numérisées, mais tel n’est pas le cas de toutes, loin s’en faut.
Il était donc essentiel que le dispositif législatif soit complété par des aides du CNC, via un fonds spécifique, destinées aux exploitations de trois écrans ou moins, voire de quatre écrans si cela s’avère nécessaire. En effet, ces salles, dites de continuation, obtenant très rarement les films à leur sortie, ne généreront que peu de contribution numérique.
D’après les dernières évaluations du CNC, le nombre de ces salles, pour lesquelles les solutions fournies par le marché paraissent insuffisantes, peut être estimé à 1 050 environ, sur un nombre total de 5 400 écrans, répartis entre 750 établissements environ. Et l’on évalue au maximum à treize le nombre des établissements de plus de trois écrans concernés.
Les aides du CNC pourront couvrir au moins les trois quarts du coût de leurs investissements, l’ensemble des aides publiques pouvant couvrir jusqu’à 90 % maximum de ce coût. Elles sont placées sous le régime d’exemption de minimis, qui autorise les États européens à accorder une aide de cette nature à condition qu’elle ne dépasse pas le montant de 200 000 euros sur trois exercices fiscaux consécutifs.
Ce dispositif complémentaire d’aides publiques est essentiel, car ces salles assurent principalement la diffusion des films dans des villes petites et moyennes, ainsi que dans les zones rurales. Elles représentent un élément stratégique de l’aménagement du territoire et de l’équipement culturel et social des communes. Elles constituent également une clef de la diversité de l’offre cinématographique en assurant, par ailleurs, la diffusion des autres films, « art et essai », plus pointus, hors des centres urbains.
Ce soutien du CNC viendra en complément d’éventuelles aides des collectivités territoriales. En effet, ces dernières sont nombreuses à mettre en place des dispositifs d’aide à la numérisation des salles, conçus en concertation avec le CNC, et qui complètent son dispositif. Je pense notamment aux régions Aquitaine, Île-de-France, et bientôt Rhône-Alpes.
Par ailleurs, il est important de préciser que les établissements qui ont moins de cinq séances hebdomadaires en moyenne sur l’année feront l’objet d’un soutien spécifique, de même que les circuits itinérants.
Enfin, des textes réglementaires viennent d’être publiés ou sont sur le point de l’être pour encadrer, d’une part, les engagements de programmation des exploitants, avec le décret du 8 juillet 2010, et, d’autre part, ce que l’on appelle le « hors film ». En effet, la diffusion de tels programmes, qui peuvent concerner notamment les spectacles vivants, les séries télévisées ou les compétitions sportives, est rendue possible par la technologie numérique, qui permet une diffusion en 3D relief, et par la souplesse de programmation qu’elle offre.
Or, certains acteurs de la filière s’inquiètent du risque de voir ces programmes occuper les établissements de spectacles cinématographiques au détriment des films, et donc de la filière cinématographique.
Ainsi, ces programmes ont représenté plus de 106 000 entrées sur les sept premiers mois d’exploitation 2010, soit 1, 8 million d’euros de recettes guichet. Même si quelques opéras sont programmés, il s’agit plus particulièrement de la diffusion en salles de manifestations sportives ou bien encore de programmes audiovisuels dits de « flux ».
S’ils apportent une réelle diversification de l’offre et un soutien indispensable aux salles, notamment celles qui sont situées en zones rurales, ces programmes dits « hors films » peuvent aussi constituer une aubaine pour des exploitants qui, tout en bénéficiant des contributions numériques et du système d’aides publiques, voudraient privilégier ces programmes rémunérateurs pour eux, au détriment de leur mission de diffusion du cinéma. Le billet est facturé jusqu’à 2, 5 fois le prix d’un ticket de cinéma…
Il faut donc encadrer cette faculté et trouver un équilibre permettant de tirer le maximum de la technologie numérique sans fragiliser le marché.
En conclusion, je vous invite, mes chers collègues, à adopter la présente proposition de loi dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale. L’ensemble du schéma que je vous ai présenté me semble créer les conditions de la préservation de notre parc de cinéma, qui est le premier d’Europe et le quatrième du monde, et de la diversité cinématographique de notre pays.