Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Voyage au centre de la terre, Avatar, Alice au pays des merveilles, ou encore Piranha, les titres de ces films à grand spectacle et gros budget font frissonner grands et petits dans les salles de cinéma, génèrent des profits inégalés et relancent la fréquentation des salles de cinéma multiplexes. La Commission européenne s’inquiète de la disparition annoncée d’un tiers des salles de cinéma. Ces films en 3D, cette nouvelle dimension dans laquelle nous fait plonger le cinéma, donne-t-elle le signal du clap de fin pour l’exception culturelle française ?
La proposition de loi de notre collègue député Michel Hermillon nous propose d’empêcher que le couperet de la révolution numérique ne tombe.
En effet, une fois encore, la vitesse des mutations technologiques met les parlementaires que nous sommes au pied du mur ! Il était urgent de réagir pour sauver notre réseau de salles de cinéma unique au monde, avec son maillage qui couvre 77 % du territoire national.
Après les secteurs de la téléphonie, du livre, de l’internet, la révolution du numérique se projette désormais sur les petits et les grands écrans. Nous ne mesurons pas encore toutes les innovations à venir en termes de développement de nouvelles applications, par exemple les projections en relief sur une scène sans écran.
Les perspectives qui s’ouvrent aux acteurs du monde de la culture, en premier lieu les artistes, ainsi qu’aux industriels du marché, sont encore inimaginables.
Les professionnels ont été les premiers à alerter le législateur sur les bouleversements économiques à venir face à l’urgente nécessité de renouveler leurs équipements. Des aménagements étaient nécessaires pour préserver notre exception culturelle française, riche de ses acteurs indépendants, salles d’art et d’essai et petits exploitants, qui réalisent moins de 400 000 entrées par an, mais assurent la diversité des œuvres diffusées. Ce cadre doit garantir l’égal accès de tous, sur tout le territoire, à un cinéma de qualité.
Ce texte permet au législateur de jouer pleinement son rôle de régulateur et de contribuer à mutualiser les coûts d’installation du numérique au bénéfice des exploitants les plus vulnérables, les plus éloignés de la seule logique financière. C’est à ce prix, et seulement à ce prix, que la diversité de l’offre cinématographique sera assurée en France.
La filière s’est déjà lancée dans la grande aventure du numérique, qui remet en cause toute son économie. Cette révolution ne doit pas se faire au détriment de la logique des contenus et de leur diversité.
Le constat est simple. Selon une étude de l’Observatoire européen de l’audiovisuel, publiée au printemps dernier, le nombre d’écrans numériques a triplé en Europe en 2009, avec 4 693 salles équipées d’écrans numériques. La 3D y est aussi décrite comme une manne énorme pour l’industrie du cinéma, son principal moteur de croissance. La France, avec un peu plus de 2 000 établissements, compte environ 5 400 salles, dont un tiers déjà équipées.
Les avantages de la numérisation ne sont plus à démontrer en termes de qualité et de souplesse de programmation. Elle engendre des économies importantes sur les frais de distribution.
Mais, pour les plus petits exploitants, elle est trop coûteuse. Les travaux dans les cabines et l’achat de nouveaux projecteurs pourraient atteindre des coûts avoisinant 80 000 euros. Depuis 2007, des montages contractuels se multiplient entre distributeurs et exploitants pour permettre de financer l’investissement nécessaire à l’équipement numérique des salles, le plus souvent avec un système de contribution. Ce système fonctionne très bien pour les salles qui ont l’exclusivité nationale lors de la sortie des films ou pour les multiplexes.
Bénéfique pour tous à long terme, la numérisation, c’est vrai, met en péril un pan entier de la filière, celui des petits exploitants et des indépendants, qui exploitent les films plusieurs semaines après leur sortie ou disposent de peu d’écrans. Ils ne génèrent pas suffisamment de contributions et ne peuvent assurer le remboursement de leurs investissements. Le coût de mise en place du numérique pour ces salles est, bien sûr, prohibitif.
Pour cette filière, des solutions de regroupement et de mutualisation devront être développées avec l’aide, notamment, des collectivités territoriales. J’évoquerai plus loin leur rôle pour rechercher des solutions sur le terrain.
La proposition de loi dont nous débattons encadre le système selon trois principaux axes.
Le premier axe est la solidarité entre les professionnels.
La contribution obligatoire dite « numérique » est une redistribution destinée à assurer le financement de l’équipement numérique des salles moyennes par les distributeurs, dès lors qu’ils livrent leurs films sous forme de fichier numérique dans une salle de cinéma. Sont concernées aussi les personnes mettant à disposition des exploitants de salles tous types d’œuvres ou documents audiovisuels en numérique.
Cette redistribution ne sera plus versée une fois le coût de la transition numérique assuré dans l’ensemble des salles. Il est à craindre que ces transferts ne suffiront pas pour équiper toutes les petites salles, qui sont pourtant dans l’obligation de s’équiper car la distribution en copie photochimique s’éteindra progressivement.
Encadrer la contribution numérique, notamment par une contribution obligatoire les deux premières semaines d’exploitation au titre de la mise à disposition de l’œuvre dans l’établissement au nom du principe de la solidarité professionnelle est insuffisant. Le dispositif imaginé à l’origine par le Centre national du cinéma et de l’image animée aurait permis d’assurer l’accompagnement vers le numérique de toutes les salles, y compris les plus petites et les plus fragiles.
La période de contribution numérique, actuellement de deux semaines dans le texte qui nous est soumis, signifie que les contributions ne sont générées que sur les deux premières semaines d’exploitation d’un film. Or, beaucoup de salles n’obtiennent les copies de films que plus tard et ne généreront donc pas de contribution. Une période de trois semaines minimum permettrait d’exclure moins de salles du marché des contributions. J’ai d’ailleurs déposé un amendement en ce sens.
Le deuxième axe est la transparence.
D’un point de vue purement pragmatique, prévoir la publication d’un rapport d’application ou permettre au Médiateur du cinéma d’exiger le contrat de location de film en cas de litige sont des avancées qui favoriseront la transparence des conditions de location des films.
Le troisième axe est la régulation.
Elle permettra l’organisation de la régularisation sectorielle par le Médiateur du cinéma, avec la mise en place du comité de concertation professionnelle.
Toutes ces raisons expliquent le consensus qui s’est fait autour de ce texte. Je ne peux, tout comme les membres du groupe du RDSE, qu’approuver ces nouveaux outils.
Avant de conclure, je voudrais évoquer le rôle central des collectivités territoriales. Souvent propriétaires de salles de cinéma, en régie directe ou en délégation de service public, elles contribuent à préserver le maillage territorial que nous connaissons en termes d’offre culturelle. Comment pourront-elles soutenir financièrement les petits exploitants des zones rurales ou des quartiers sensibles, compte tenu des charges toujours plus fortes qui pèsent sur leurs dotations budgétaires ? Limiter la pression foncière en encadrant les loyers dans les centres-villes est un point positif. Inciter et faciliter le regroupement de petits exploitants est aussi dans leurs prérogatives.
Mais une grande partie de ces « petits » devra effectivement avoir recours aux subventions des collectivités locales pour éviter de mettre la clé sous la porte, le fonds d’aide du CNC n’étant pas suffisant.
Les inquiétudes soulevées ont trouvé des réponses partielles dans le texte. Le passage au numérique ne doit pas être l’occasion d’un « nettoyage » du paysage cinématographique français par la disparition de la petite exploitation qui, si elle ne représente qu’une faible part du marché en termes d’entrées, joue un rôle primordial.
D’abord, en termes de politique culturelle et de maintien de la diversité de l’offre, le travail d’accompagnement des films, d’animation, de médiation et de découverte est mené en priorité par ces salles.
Ensuite, en termes d’aménagement culturel du territoire, ce réseau de salles assure la présence de l’offre cinématographique dans les zones rurales ou périurbaines les moins rentables, qui deviendraient des déserts culturels sans leur maintien.
De nombreuses questions restent encore en suspend : pourra-t-on continuer de visionner les plus vieux films de notre patrimoine ? Seront-ils tous transférés sur supports numériques ? Quelle est la durée de vie de ces nouveaux supports ? Quel sera l’avenir des salles qui n’auront pas les moyens de financer le passage au numérique ?
Comment assurer de fait la rotation des copies, le respect de la programmation et limiter le hors film ? Le risque d’une prolifération de programmes hors film a été soulevé, comme la question du respect des programmations.
Le texte de la proposition de loi n’apporte pas de réponse globale à ces questions. Mais bien qu’imparfait, il était nécessaire et constitue une avancée. Je tiens à souligner le rôle des professionnels dans l’obtention de ce consensus.
C’est pourquoi les membres du groupe du RDSE voteront en faveur de l’adoption de cette proposition de loi. Ils seront particulièrement attentifs au respect de l’équilibre entre le cinéma commercial et le cinéma d’auteur et à la mise en œuvre rapide de la proposition de loi.