Intervention de Jean-Pierre Leleux

Réunion du 16 septembre 2010 à 9h30
Équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques — Adoption définitive d'une proposition de loi

Photo de Jean-Pierre LeleuxJean-Pierre Leleux :

Monsieur le ministre, vous avez rappelé tout à l’heure cette petite phrase de Louis Lumière à Georges Méliès : « Le cinéma est une invention sans avenir. » C’était sans doute sous-estimer les évolutions technologiques régulières, qui allaient ponctuer l’histoire du cinéma et lui offrir chaque fois l’opportunité d’un nouveau rebond.

La dernière en date concerne – nous sommes là pour en parler – la révolution numérique qui, après la production des œuvres, concerne aujourd’hui les équipements de projection des films dans les salles de cinéma.

À cet égard, si la France est très bien équipée en termes de densité de salles, elle avait pris un peu de retard en ce qui concerne leur numérisation.

Je citerai quelques chiffres : nous disposons d’une salle pour 12 100 Français, contre une salle pour 14 000 Européens. Je précise cependant que les Américains ont une salle pour 7 750 habitants ; en outre, ils ont pris de l’avance en termes de numérisation.

Pour certains experts, une partie de l’avenir du cinéma européen se joue sur la capacité de l’Union européenne à accroître la part de ses écrans numériques dans l’ensemble de son parc de salles.

Le marché a cependant beaucoup évolué ces dix-huit derniers mois, puisque près d’un tiers de nos 5 470 écrans sont d'ores et déjà équipés d’un projecteur numérique.

Cette mutation explique aussi l’évolution du débat public sur les modes d’accompagnement et de régulation de cette mutation, qui entraîne un bouleversement du modèle économique jusqu’ici en vigueur.

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’est penchée, depuis 2003, sur les problématiques liées à l’exploitation cinématographique avec une mission d’information présidée par notre ancien collègue Marcel Vidal et dont les rapporteurs étaient Michel Thiollière et Jack Ralite.

M. Serge Lagauche, rapporteur de la présente proposition de loi, a pris le relais en évoquant chaque année l’évolution des enjeux dans le rapport qu’il présente au nom de la commission, lors de l’examen du projet de loi de finances.

Ces enjeux sont de trois ordres.

Le premier, l’enjeu culturel et d’aménagement du territoire, est bien entendu essentiel. En, effet, il s’agit de favoriser la diversité culturelle en veillant à ce que les exploitants gardent toute liberté en matière de programmation des films dans leurs salles et à ce que tous les films puissent accéder à leur public.

Il faut aussi aider les cinémas de petite et de moyenne taille à acquérir les équipements numériques au même rythme que les grandes salles car, à défaut, ils ne survivraient pas à la concurrence de ces dernières.

Le deuxième enjeu est aussi financier, car la diffusion des films sous forme de fichiers numériques en salle de cinéma nécessite des investissements importants de la part des exploitants.

Elle suppose l’acquisition d’un nouveau matériel beaucoup plus coûteux que le matériel traditionnel de projection de pellicules en 35 millimètres et, le plus souvent, la réalisation de travaux architecturaux pour l’adaptation des cabines de projection. Ces investissements sont estimés en moyenne à 80 000 euros par écran.

Enfin, il ne faut pas minorer le troisième enjeu, l’enjeu social, la révolution numérique impliquant des mutations professionnelles, et donc une formation et parfois une reconversion des personnels concernés.

Or, le passage à la projection numérique profite très inégalement aux différents acteurs de la filière cinématographique.

Il permet aux distributeurs de réaliser d’importantes économies liées à une forte réduction du coût de tirage des copies numériques par rapport aux copies en 35 millimètres ; en revanche, il impose aux exploitants de salles d’importants investissements.

C’est pourquoi s’est créé aux États-Unis un système permettant aux premiers de reverser aux seconds une partie des économies ainsi réalisées, avec le versement de ce que l’on appelle ici une « contribution numérique », les Américains parlant de VPF, virtual print fee.

Ce principe ne pouvant cependant s’appliquer, dans un contexte de marché pur, qu’au profit d’établissements de grande taille, il est apparu nécessaire de trouver un dispositif permettant à la fois la numérisation de l’ensemble du parc de salles et l’encadrement du dispositif afin d’en éviter de potentiels effets pervers.

Sur le fondement du rapport de 2006 réalisé par M. Daniel Goudineau, et après une longue concertation avec les professionnels concernés, le Centre national du cinéma et de l’image animée avait proposé, en 2009, la création d’un fonds de mutualisation.

Nous l’avons évoqué, ce fonds aurait été alimenté par les contributions des distributeurs, afin de couvrir une partie des investissements des exploitants qui y auraient adhéré. Le CNC aurait alors joué le rôle d’un « tiers » public, la mutualisation fondant depuis ses origines le système français de soutien au cinéma.

En février 2010, vous l’avez rappelé, l’Autorité de la concurrence a cependant donné un avis défavorable à ce projet.

Elle a considéré qu’il risquait d’entraîner des distorsions de concurrence trop importantes avec les acteurs privés opérant sur le marché, voire « d’éliminer toute concurrence sur le marché du financement du cinéma numérique ».

Il est vrai que de nouveaux acteurs privés, appelés « tiers investisseurs », ont créé une nouvelle donne et qu’il a fallu tenir compte de l’évolution de ce nouveau marché.

Dans ce contexte, le CNC a repris son « bâton de pèlerin » pour trouver une solution alternative. Il a semblé préférable de renoncer à la préconisation de l’Autorité de la concurrence tendant à créer un fonds de numérisation, que certains souhaitent encore ; celui-ci aurait été alimenté par une contribution numérique des distributeurs et aurait versé des aides directes aux exploitants en cas de défaillance du marché.

En effet, une telle option nous aurait vraisemblablement fait perdre de dix-huit à vingt-quatre mois, compte tenu de la nécessaire notification d’un tel dispositif auprès de la Commission européenne. En outre, l’autorisation de cette dernière n’était pas forcément acquise.

Se posait aussi la question de la mise en place d’une telle taxe, alors que les distributeurs étaient déjà contractuellement engagés à verser des contributions à un certain nombre d’établissements de spectacle cinématographique.

Dans ces conditions, le CNC a réfléchi, dans de brefs délais, à une solution alternative satisfaisante et respectueuse de l’avis de l’Autorité de la concurrence.

Il l’a fait en concertation étroite avec les professionnels les plus concernés et avec les parlementaires membres du comité de suivi des ordonnances relatives au cinéma, soit Serge Lagauche et moi-même pour ce qui concerne le Sénat.

L’adoption d’une disposition législative visant à garantir le caractère automatique et généralisé des contributions numériques est apparue comme la formule la mieux à même de réaliser une transition numérique équitable pour tous les acteurs, distributeurs comme exploitants.

Nous avons pensé que le dépôt d’une proposition de loi s’imposait dans de brefs délais, l’ensemble des professionnels s’accordant sur l’urgence à agir, à défaut d’arriver à un consensus parfait, dans un premier temps, sur l’équilibre à trouver.

C’est pourquoi une proposition de loi a été déposée simultanément et dans les mêmes termes au Sénat – par M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, et moi-même – et à l’Assemblée nationale, l’idée étant que la chambre qui disposerait la première d’une « fenêtre » à l’ordre du jour l’examinerait en premier lieu, en pleine concertation avec l’autre assemblée.

C’est ainsi que l’Assemblée nationale a adopté le texte le 16 juin 2010, à la quasi-unanimité, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine s’étant abstenu.

Le texte a été largement complété et enrichi grâce aux travaux conduits à la fois en commission et en séance publique, sur l’initiative du rapporteur, Michel Herbillon, et d’autres collègues députés, ainsi que vous l’a exposé tout à l’heure notre rapporteur, Serge Lagauche.

La concertation des uns et des autres avec l’ensemble des professionnels concernés et avec le CNC s’est poursuivie. Nous avons tous travaillé dans un esprit constructif, afin d’aboutir à un texte équilibré et consensuel.

Cet objectif est aujourd’hui atteint et je tiens à saluer tout particulièrement l’implication et les compétences du CNC et de M. le rapporteur, qui vous a présenté voilà quelques instants les dispositions du texte.

Nous nous sommes interrogés sur la nécessité de revenir, ou non, sur une spécificité du secteur qui consiste à renoncer à tout formalisme pour les contrats de location de films.

Chaque début de semaine – le lundi matin en général –, exploitants et distributeurs concluent leurs contrats de location, le plus souvent uniquement par voie orale, la réglementation restant dans ce domaine largement inappliquée. Certes, le code civil n’impose pas que le contrat soit écrit. Mais comment, avec un contrat oral, faire la preuve de l’intégrité des consentements, et comment s’assurer du respect des dispositions prévues pour l’article L. 213-19 du code du cinéma et de l’image animée, qui visent à garantir l’étanchéité entre le contrat relatif à la contribution numérique et le contrat de location d’un film ?

Les professionnels nous ont convaincus de ne pas imposer la forme écrite aux contrats de location pour toute opération hebdomadaire, pour des raisons tout à la fois de délai et de réactivité.

L’inquiétude de certains professionnels, celle des petits exploitants en particulier, que nous avons pu mesurer lors de nos rencontres, s’est aujourd’hui dissipée. Elle reposait en fait sur l’incompréhension que suscitaient l’articulation et la complémentarité de cette proposition de loi avec les volets financier et réglementaire de la réforme.

En effet, si cette loi est absolument nécessaire, voire urgente, elle n’est toutefois pas suffisante. Elle devra être complétée par les dispositifs d’aide aux salles mis en place par le CNC, notamment pour ce qui concerne les établissements disposant d’un petit nombre de salles, ainsi que par des décrets d’application relatifs aux engagements de programmation récemment publiés. Les représentants des territoires que nous sommes se sont bien évidemment montrés très vigilants sur ce point.

La réforme doit permettre la numérisation de tous les établissements, quelle que soit leur taille. Il était hors de question de « baisser les bras », comme certains pays ont pu le faire en acceptant, avec fatalité, la perspective d’une réduction du nombre de salles obscures sur leur territoire.

En définitive, il s’agit de profiter pleinement des avancées qu’entraîne la technologie numérique pour les professionnels, mais aussi, bien entendu, pour les spectateurs. Cette évolution permet certes la multiplication du nombre de films en relief mais, au-delà, l’équipement des salles s’impose pour la simple raison que les films sont de plus en plus souvent tournés en numérique. Les salles non équipées ne pourront donc plus projeter les films de demain.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte, qui a fait l’objet d’un très large consensus au sein de notre commission, est très attendu par les professionnels concernés. N’oublions pas que la préservation et la modernisation des salles de cinéma profitent à un public qui, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, est de plus en plus nombreux depuis quelques années.

Comme je l’ai indiqué hier en commission, selon une enquête d’OpinionWay, de 72 % à 75 % des Français ont le sentiment que les salles ont été modernisées depuis dix ans. Cette modernisation sous-tend certainement un appel au public.

Le dynamisme de cette première « fenêtre » de visibilité pour les films contribue – et nous nous en réjouissons – au maintien d’une part de marché satisfaisante pour les films français.

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